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b Les cabinets d’études et les institutions comme sources d’informations

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VII.3. b Les cabinets d’études et les institutions comme sources d’informations

Les personnes recueillent donc des informations assez générales dans la presse et des ouvrages divers. Ces personnes, intégrées dans le processus de production de catégories, sont également amenées à chercher des informations précises sur les groupes ou populations constituant leurs objets d’études. Elles se tournent alors vers des instituts de sondages et d’études statistiques mais aussi vers les grandes administrations.

Les instituts d’études et de sondages

L’achat d’études ciblées

Certaines des personnes rencontrées, notamment celles travaillant dans le domaine du marketing commandent des études à des instituts de sondages pour connaître et cibler une

population en particulier ou prendre connaissance des données autour d’un phénomène. Cette méthode permet d’économiser du temps. De plus, il est souvent possible d’acheter des études en souscription, c’est-à-dire quand un institut de sondages propose à plusieurs clients des informations sur un panel d’individus suivi régulièrement ou sur une population ciblée étudiée ponctuellement. Cette forme de recueil d’informations peut être considérée comme avantageuse financièrement.

Des instituts d’études, moyennant finances, proposent également d’accéder à des informations sur les grandes tendances de la société. Certaines avec une compréhension particulière de la société, en terme de styles de vie par exemple. Les personnes enquêtées ont également recours à ce type d’institut quand elles souhaitent s’intégrer sur un secteur de marché qu’elles ne connaissent pas. En effet, ces instituts peuvent apporter des informations sur les différents acteurs du secteur : fournisseurs d’études et clients et ainsi aider au positionnement et à la définition d’une stratégie.

« Ça arrive de temps en temps qu’on achète des études déjà faites, mais qui sont généralement des études générales, de culture générale sur un secteur où on voudrait rentrer et sur lequel on ne connaît pas grand chose et où on n’a pas de client. Ou alors des études générales sur des thématiques ou sur des cibles. Ça m’est arrivé plusieurs fois d’acheter des études à l’IED. Ils ont un baromètre qui s’appelle kid generation. Ça nous est arrivé d’acheter plusieurs fois parce qu’on avait à réfléchir sur la cible enfants. On n’avait pas le temps de réaliser les études nous-mêmes parce c’est trop lourd. On ne peut pas s’amuser à faire du quanti, c’est trop long pour nous. » (homme, 40 ans, MKG)

L’achat d’études à des instituts spécialisés permet, outre d’obtenir des informations spécifiques, de prendre connaissance des méthodes de travail des autres professionnels de la catégorisation. Une étude peut être commandée avant tout pour connaître les outils d’analyses utilisés par d’autres.

Les résultats d’études rendus publics

Les personnes rencontrées connaissent également des sources d’informations issues des grands organismes publics de recherches. Ainsi les résultats de l’INSEE et ses différents supports d’informations comme Première Synthèse qui reprend en quatre pages des statistiques et leurs analyses ou INSEE Résultats qui compile de nombreuses données statistiques disponibles sur cédérom. Certains grands instituts de sondages tels qu’IPSOS, CSA-TMO, rendent également gratuitement disponible une partie de leurs résultats sur Internet. Certains professionnels interrogés utilisent aussi les recherches et dossiers thématiques que peuvent diffuser des services publics comme la Mire.

La dernière source gratuite d’informations est celle des médias, magazines et chaînes de télévision qui communiquent leurs différents Audimat suivant le type de publics.

« On sait sur tel magazine quel est le pourcentage de jeunes, quel est le pourcentage de vieux, etc.

Comme les télés, on les a. Tous les médias les donnent aux agences pour qu’ils puissent faire leurs plans… Ils ont des études d’audience permanentes. » (homme, 35 ans, MKG)

Les grandes administrations

Les grandes administrations susceptibles d’offrir des informations sur des parties ciblées de la population sont par exemple L’ANPE, la Caisse d’Allocations Familiales ou La Sécurité Sociale. Les administrations possèdent des services d’études qui leurs sont propres. Ces services proposent des informations qualitatives et quantitatives très riches sur leurs administrés. Ces informations intéressent plus particulièrement ceux de nos interlocuteurs qui travaillent sur des problématiques plutôt sociales et constituent des administrés en groupe ou catégories de population. Les données des grandes administrations ne sont pas accessibles à tous de la même manière. D’une part il faut avoir connaissance de leurs bases de données et d’autre part, pour y avoir accès il convient d’appartenir à une structure à caractère public, comme les laboratoires universitaires ou les associations reconnues d’utilité publique.

« On lit les productions de la CNAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales) et on peut avoir accès à sa base de données d’allocataires (RMI, allocations familiales…) qui s’appelle PERSPICAF. Sinon, on s’informe auprès des organismes d’études des administrations, les notes de recherches ou dossiers de la MIRE par exemple où l’on intervient dans les conseils scientifiques. On lit aussi les publications de l’INSEE, genre « Première Synthèse ». Il y a aussi les organismes de sondages, Canal Ipsos c’est génial, moi, ça me permet des sortir à partir de mots clefs tous les sondages réalisés. » (homme, 33 ans, ASSOC)

VII.3.c Les différents réseaux permettant l’accès à l’information

Plusieurs réseaux coexistent dans le système d’action où évoluent les personnes interrogées. Ces réseaux humains permettent l’accès à des informations ou à des personnes ressources. Le réseau mobilisé par chaque personne est constitué par sédimentation de différents liens interpersonnels constitués tout au long de la vie. En ce qui concerne les sources d’informations des acteurs dans le système d’action, on peut dégager trois grandes formes de réseaux plus ou moins formels et organisés. Il s’agit des réseaux liés à la formation initiale de l’individu, celui issu de l’expérience professionnelle et enfin celui plus personnel lié à un engagement personnel dans un groupe n’ayant pas directement de liens avec le précédent.

La mobilisation de réseaux liés à la formation initiale

Une partie des personnes interrogées mobilise ponctuellement un réseau de connaissances lié à sa formation initiale. Ces réseaux d’anciens élèves peuvent être très structurés comme dans le cas des grandes écoles, Science-Po en serait le meilleur exemple.

Les individus appartenant à de tels réseaux ont de grandes facilités d’accès à des informations spécifiques que peuvent proposer les autres membres quand ils les sollicitent. Il est assez structuré pour ne pas avoir à être réinvesti sans cesse. Ceci n’est pas le cas quand le réseau ne repose pas sur une tradition et une organisation forte. Les universitaires et plus largement les professionnels formés sur les bancs de l’université doivent donc s’investir personnellement dans le milieu universitaire pour avoir accès aux informations en termes de connaissances et de personnes. Cet investissement, ce renforcement de sa propre visibilité passe souvent pas les activités d’enseignements qui facilitent un jeu d’aller-retour de connaissances avec les élèves mais surtout avec les autres intervenants universitaires. La participation dans l’enseignement par les rencontres qu’il rend possibles, permet aux personnes de questionner leurs méthodes de travail et de développer de nouvelles problématiques.

« Les réseaux, ça peut être une philosophie ou un moyen ! Je suis au réseau sciences-Po, c’est intéressant lorsque je veux une info ! J’ai un réseau de connaissances, c’est ponctuel, je l’utilise quand j’en ai besoin ! » (homme, 28 ans, RH)

Les différents réseaux constitués dans le milieu professionnel

Au-delà des informations auxquelles l’individu a accès par un réseau constitué dans le cadre de la formation initiale se superposent toutes celles issues des différents réseaux mobilisés dans le milieu professionnel. L’acteur accède tout d’abord à des informations au sein de l’entreprise. Ensuite, on peut dans une certaine mesure distinguer les réseaux professionnels organisés, les fédérations, associations de métiers et ceux informels dessiner dans l’expérience professionnelle par l’ensemble des interactions interpersonnelles.

La diffusion de l’information au sein de l’institution d’appartenance

L’acteur dispose d’informations diffusées en interne de son organisation d’appartenance.

Ces informations portent le plus souvent sur les activités des autres services, sur des innovations et sur l’orientation générale de l’entreprise. La diffusion est supportée par le réseau Intranet ou pour les membres dispersés via Internet. Une personne peut, par exemple, envoyer un article qu’elle estime intéressant, à tout son répertoire de messagerie. Les

informations prennent bien évidemment la forme papier pour des notes ou des comptes rendus de réunions ou de séminaires.

« Si je trouve un article intéressant je l’envoie directement par Internet à ceux que je connais et que ça peut intéresser, d’ailleurs on fonctionne beaucoup par e-mail, on se fait suivre les notes, les compte-rendus comme ça, c’est pratique… » (femme, 36 ans, OPUR)

Les réseaux organisés de professionnels

Des regroupements de professionnels tel qu’ESOMAR pour les professions des études et du marketing organisent des séminaires et des colloques Internationaux. Ces réunions permettent aux professionnels d’un même secteur, d’échanger des informations sur leurs façons d’appréhender la réalité, leurs méthodes de recueil et d’analyse de données. Ces grands réseaux contribuent à la reconnaissance et à la cristallisation du savoir-faire des institutions qu’ils fédèrent. En effet, pour adhérer les institutions doivent remplir un certain nombre de critères et répondre à des normes communes. Ces réseaux sont donc une source potentielle d’informations pour les entreprises qui souhaitent intégrer un marché étranger, en les aidant à trouver des partenaires utilisant des méthodes et des références proches.

« Au niveau international il y a le salon du réseau ESOMAR où les free-lance peuvent aussi participer.

Ca permet aux professionnels d’échanger sur leurs méthodologies. Je sais qu’il va y avoir un colloque aux Pays-Bas mais je ne sais pas encore si je vais y aller. Ce réseau ESOMAR, c’est bien quand on doit faire des études à un niveau international ou européen, par exemple tu dois faire une étude sur la France et l’Italie et tu ne sais pas quel partenaire choisir dans ces pays. C’est compliqué de trouver à l’étranger des gens qui ont les mêmes méthodes que toi, les mêmes références, les mêmes façons d’aborder le réel. Si tu te trompes ça peut faire mal. » (femme, 27 ans, MKG)

Les séminaires proposés par les entreprises peuvent également être associés à l’idée de réseau puisqu’ils mettent en relations les acteurs de la recherche en général. Ils sont donc source d’informations assez formelles.

Les personnes enquêtées participent à différents degrés aux séminaires professionnels.

Certaines pensent que cela prend trop de temps au vu des connaissances récoltées. En général, les personnes interrogées n’assistent qu’aux colloques qui traitent directement d’un de leurs sujets d’études ou seulement quand elles y sont invitées pour intervenir.

Le retour des informations sur les colloques dans l’entreprise est assez informel. Il existe souvent une synthèse écrite mais la part principale des informations est transmise oralement quand le sujet est intéressant par rapport à l’activité et aux réflexions de l’institution.

« Les colloques, j’en fais pas tant que ça, j’en faisais plus quand j’avais moins de boulot. J’y vais pour des trucs directement utiles pour ce sur quoi je suis en train de bosser, je vise la rentabilité et je vais de moins en moins aux colloques seulement en tant qu’auditeur. Généralement, quand je vais à un colloque, c’est parce que j’y fais une intervention. Je me sens un peu coincée, j’y vais pour prendre des

contacts pour des projets, pour écouter ce que les gens font sur le domaine mais je n’ai pas le temps pour le reste. » (femme, 51 ans, UNIV)

Les réseaux informels liés à l’expérience professionnelle

Au cours de leur vie professionnelle, les personnes rencontrées se sont constituées un réseau de connaissances, un répertoire de personnes plus ou moins organisé et facilement consultable, tel ce journaliste :

« Une fois l’angle et le sujet définis, je prends mon répertoire téléphonique pour appeler des contacts spécialisés sur le domaine. Ça peut être des chercheurs. J’essaie de prendre du recul pour ne pas faire un article de faits, mais ça ne m’intéresse pas plus que ça, mais pour comprendre le sujet que je vais traiter. Ça peut donc être des chercheurs du CERI, de l’IFRI, du Quai d’Orsay plus des contacts dans les pays concernés par le sujet (…) Le plus souvent je sais déjà l’angle et l’idée qui sous-tendent le papier avant d’appeler les gens. (...) Soit je farfouille dans tout ce qui a été dit et je développe une idée, soit j’appelle des gens et je leur demande comment ils voient les choses. Et à partir de ça je détermine un angle. Je vais à la pêche aux idées ou à la pêche à l’angle.» (homme, 40 ans, REV)

Les personnes rencontrées parlent fréquemment des membres de leurs réseaux professionnels sur le mode de l’amitié, l’échange d’informations apparaît comme « normal » et s’inscrit dans un système de don. Si la personne dispose d’informations à son tour, elle devra les faire connaître.

Il convient de noter que l’accès à un réseau constitué peut faire parti des critères d’embauche d’un candidat dans une entreprise. Le réseau lié aux différentes expériences professionnelles d’un individu lui permet d’accéder à des informations exclusives et ce grâce à ces collègues et ces homologues. La possession d’un réseau, d’un capital social est fortement valorisés. Encore une fois, on observe qu’au fil des interactions professionnelles, des réseaux se sédimentent et définissent le champ d’action des individus ainsi que le champ où des informations et des connaissances peuvent être récoltées.

« On a chacun des réseaux. C'est difficile à décrire. Cela se fait par sédimentation. La particularité du réseau est de permettre des relations à des niveaux de solidarité très différents: de la solidarité organique, grande fidélité, bonne connaissance, à l'interconnaissance neutre. Le réseau c'est indescriptible : il y a mes réseaux antérieurs auxquels s'ajoutent ceux du syndicat dans lequel je travaille. Ma situation est assez emblématique d'une situation sociale : l'individualisation des compétences, ce qui est différent du niveau global de diplômes et pourrait justifier une individualisation croissante des revenus. Cela représente un grand intérêt pour les entreprises. Quand je dis que j'ai des réseaux individuels, c'est exemplaire de cette situation, c'est ce qui intéressait le syndicat : mon implantation singulière. » (homme, 33 ans, SYND)

Les réseaux liés à un investissement personnel

Le dernier réseau que l’on peut observer dans les entretiens comme source d’information est celui lié à un investissement personnel dans un groupe. Cet engagement n’est parfois pas complètement détaché du domaine professionnel mais il revêt un caractère personnel

déterminant. Les informations qui sont récoltées via ce réseau sont parfois réinvesties dans les réflexions sous-jacentes de l’activité professionnelle. L’investissement peut prendre la forme d’un engagement associatif, politique ou la participation à un groupe de réflexion ou au comité de rédaction d’une revue. L’intérêt de ce type d’investissement n’est pas tant le recueil d’informations en lui-même mais plutôt le développement d’une réflexion, d’un positionnement personnel vis à vis de son objet d’étude.

« On travaille énormément en réseaux informels. On ne peut pas toujours, mais dès que je peux, j’essais de défricher mon terrain avec mes réseaux. En externe, j’essais de développer les réseaux, c’est mon objectif en participant à un certain nombre de choses, A des activités associatives. Des associations de réflexion sur des sujets sociaux, politiques ou autres, et qui n’ont pas d’impact sur mon travail. Enfin si, il y a des effets directs sur ma culture, mais pas ici dans mon travail directement, je n’en parle pas. Ça me profite à moi directement, mais je peux utiliser ces activités en réseau. (homme, 40 ans, REV)

L’étude des différentes sources d’informations dont disposent les personnes enquêtées montre bien que tous ne disposent pas des mêmes possibilités d’accès. On notera que l’information n’est pas séparable de ses canaux de diffusion.

On pourrait en quelques sortes mobilisé les trois capitaux de Bourdieu : la possession du capital social apparaît clairement dans le développement de réseaux de sociabilité permettant l’accès à des informations spécifiques ; le capital culturel dans la compréhension et la diversité des recherches bibliographiques ; et enfin, le capital économique qui se révèle en partie dans l’accès à des informations ciblées, à forte valeur donc, que peuvent proposer les différents instituts d’études et de sondages moyennant finances.

VII.4 Enjeux et stratégies inhérents aux