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a Les contraintes imposées par l’organisation interne

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VII.2. a Les contraintes imposées par l’organisation interne

Les enjeux diplomatiques : garantir le maintien de la cohésion sociale et limiter les conflits potentiels

Les personnes en charge de la gestion des ressources humaines, et tout particulièrement celles amenées à définir les politiques stratégiques adoptées dans ce domaine, manipulent des formes de catégorisations qui ont un impact direct sur les conditions d’existence et de travail des salariés.

Les entretiens conduits auprès de professionnels des ressources humaines, ainsi que les lectures réalisées sur ce thème, nous amènent à nous intéresser à la production au sein de l’entreprise d’un modèle de classification hautement sensible : la détermination des grilles de salaires. Dans cette optique, la diversité des solutions, mais aussi des objectifs individuels et globaux illustrent la complexité de l’élaboration d’une politique de rémunération. Outre les contraintes imposées par l’environnement externe et liées au positionnement sur le marché du travail et aux offres salariales pratiquées par les concurrents, cette politique doit également

intégrer des contraintes internes, qui dépassent largement le respect des règles élémentaires de cohérence et d’équité.

Ainsi, élever les salaires à l’embauche pour attirer les jeunes diplômés peut, par exemple, déséquilibrer la hiérarchie des salaires et être mal compris et accepté par le personnel en place. De même, l’accent mis sur l’individualisation peut affecter la performance collective.

Ces conflits de logique sont potentiellement nombreux, et un système de rémunération s’efforcera de les résoudre en mesurant bien les enjeux, économiques (flexibilité-contrôle-mobilisation) et sociaux (considération-justice-cohésion). L’entreprise recherchera des compromis cohérents avec son organisation et les autres composantes de la gestion des ressources humaines, notamment la gestion de la mobilité et des carrières. Ainsi, la suppression de la prime d’ancienneté ne peut être envisagée pour les salariés à basse qualification, sauf accès possible à un niveau supérieur après formation par exemple. Elle seule leur assure, en effet, une évolution salariale minimum.

De plus, si l’on examine à présent les multiples fondements de la rémunération, il ressort que l’attribution du salaire correspond, avant tout, à une logique de poste. Le poste va être défini par son contenu intrinsèque et aussi par l’environnement dans lequel il se situe. Si le contexte de travail est pénible et difficile, ces « nuisances » subies devront être prises en compte dans la rémunération dans un but de compensation. La qualification du poste et les conditions de travail qui le caractérisent vont donc être les fondements du salaire, ils vont contribuer à le justifier, à l’objectiver. Il importe, en effet, de rémunérer les tâches requises en fonction d’une valeur définie par une méthode qui se veut scientifique : analyse des composantes du poste et non prise en compte du titulaire. Mais cette règle générale et officielle donne parfois lieu à des ajustements ou même à des contournements, qui visent précisément à intégrer une contrainte de nature diplomatique pour anticiper et désamorcer les tensions potentielles. Ainsi, une de nos interlocutrices reconnaît que certaines personnes-clés dans l’entreprise font l’objet d’attentions particulières, voire de traitements privilégiés en matière de rémunération. De par leur position stratégique ou leur ascendant charismatique, elles exercent une influence prépondérante sur d’autres acteurs dans l’entreprise et possèdent par là même, sur l’ensemble du collectif de travail, une capacité de nuisance potentielle qui risque de nuire au fonctionnement de l’organisation dans l’hypothèse où leurs revendications ne seraient pas satisfaites.

« Les salaires sont définis à partir des systèmes de classification des emplois ; il s’agit de rémunérer le salarié pour le travail qu’il réalise. Mais, c’est certain que parfois on arrange un peu les grilles de salaires en s’assurant que certaines personnes qui pourraient nous mettre le bazar sont bien loties (…).

Là je vous parle des « grandes gueules », des « syndiqués », bref tous ceux qui ont le pouvoir de mobiliser les foules et même de faire naître des mouvements sociaux perturbants pour l’entreprise. Vous savez, ces gens là, si ils sont vraiment décidés, ils peuvent entraîner beaucoup de monde derrière eux, et alors là. » (femme, 50 ans, ADM).

A travers cette citation, nous nous rendons bien compte que la contrainte diplomatique s’exerce du catégorisé vers le "catégorisateur" et ainsi, la construction des catégories doit prendre en compte les relations des catégorisés entre eux, avec les autres, leur poids dans l’entreprise, etc…

Les impératifs financiers de rentabilité économique

La conduite d’une étude comporte toujours un coût économique, variable selon les dimensions de l’enquête et l’ampleur des moyens mobilisés. Même si la problématique est sensiblement différente pour les instituts de recherche à caractère public, qui ne s’inscrivent pas dans une logique de profit, la structure d’étude doit disposer de capitaux pour financer la réalisation de ses travaux, et, à terme, assurer sa pérennité. Les personnes interrogées sont obligées d’intégrer cette dimension budgétaire dans leur travail quotidien, et ne peuvent en faire abstraction :

« A partir de juin, on commence à réfléchir aux nouvelles questions qu’on va introduire dans notre questionnaire. Alors là, ça dépend aussi des moyens budgétaires dont nous disposons. Il y a des années où il faut faire attention, d’autres années où on est moins limité. Donc, quand il faut réaliser des économies, on réduit le nombre de questions. Les années plus fastes, on peut rajouter une vingtaine de questions. » (homme, 31 ans, SOND)

L’argent, comme nous pouvons le voir ici, est un biais fort important, il conditionne la recherche optimale de qualité et de scientificité de l’étude.

Une des personnes interrogées introduit une nette distinction entre les études et le marketing opérationnel. Ce dernier représente, selon elle, le secteur soumis, de façon paroxystique, à ces contraintes économiques et financières, qui ne sont pas sans conséquence sur les postures épistémologiques et méthodologiques en vigueur dans ce domaine d’activité :

« Je pense qu’il y aura toujours un écart entre les études et le marketing opérationnel. Nous, on travaille hors contrainte. On va interroger les cibles. On va essayer d’adapter au mieux les offres aux attentes des cibles. Dans le marketing, ils sont davantage dans des contraintes économiques, financières, et du coup, ils ne sont plus dans une position d’arbitrage par rapport aux informations qu’on leur fournit. » (femme, 34 ans, SOND)

Ces contraintes budgétaires sont à mettre en relation avec des enjeux plus politiques et stratégiques, liés au pouvoir décisionnaire des personnes chargées de débloquer ou de fournir les fonds consacrés aux études :

« Jusqu’à aujourd’hui, c’est très difficile de débloquer des fonds pour ce genre de recherche et surtout d’obtenir l’accord des politiques qui sont quand même les premiers décideurs. » (homme, 50 ans, ADM)

Ces impératifs de rentabilité financière peuvent avoir des répercutions directes sur la nature même des méthodologies d’enquête, et contribuent, sans doute, à expliquer la prédominance, dans le monde fortement concurrentiel des instituts d’études, des approches quantitatives (88% du marché, selon Stratégies) au détriment des approches qualitatives (12%

du marché). De plus, dans le domaine du « qualitatif », près de 80 à 90% du financement est consacré aux études de « marché test » et de « test produit ». L’enquête « explicative » qualitative ne représente alors qu’une part résiduelle.

VII.2.b Les contraintes imposées par l’environnement