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1.4 Schémas énonciatifs des principaux genres

1.4.1 Le mode direct

Le discours direct est un schéma de « dédoublement des locuteurs »29 (Ducrot 1984 : 196, voir aussi von Roncador 1988, Authier-Revuz 1992, Gather 1994). Deux actes d’énonciation disjoints, possédant chacun son propre repérage énonciatif, sont enchâssés pour former un discours direct régi, ou sont juxtaposés pour former un discours direct libre.

La représentation directe d’une énonciation seconde n’implique pas que le discours direct soit la reproduction fidèle du discours second. Cette conception - dont les origines remontent aux premiers écrits sur le discours rapporté - se trouve dans plusieurs grammaires (cf. 1.3.1) et dans les analyses de Breslauer (1996 : 53), qui le décrit comme wörtlich, exakt, wortgetreu, et de Schmitt-Ackermann30 (1996 : 7), pour qui le DD donne à voir un énoncé « im originalen Wortlaut ». Plusieurs arguments s’opposent à la définition du discours direct comme d’un mode de dicto31, et parallèlement à celle du discours indirect comme étant un mode de re. Concevoir le discours direct comme un mode de citation fidèle revient à confondre le plan discursif (la valeur usuelle du DD) et le plan énonciatif.

1) Si le lexique peut être répété dans le discours direct, il n’est qu’une partie de ce qui compose le message. Les éléments d’une situation de communication sont si vastes qu’une reproduction intégrale est quasiment irréalisable. Il se pose de plus un problème de reproduction lors d’un changement de canal : un discours oral rapporté par écrit peut difficilement être rapporté avec toutes les informations de la chaîne orale. En somme, le DR n’est pas une reproduction mais une reconstruction opérée par l’énonciateur premier.

29 Cette double énonciation n’est pas limitée au DR au style direct : elle se rencontre aussi dans l’écho imitatif ou la mise en scène de discours imaginaire. (Ducrot 1984 : 196)

30 Breslauer a une approche essentiellement morphosytaxique du DR, tandis que Schmitt-Ackerman intègre des éléments du modèle développé par von Roncador (1988).

31 L’idée de fidélité du discours direct est réfutée par Ducrot (1980), von Roncador (1988 : 2), Authier-Revuz (1992) et Zifonun et al. (1997 : 1755).

Selbst in der wörtlichsten direkten Rede muß man von einer Reihe von Eigenschaften des Originals abstrahieren, z.B. kann all das, was man bei einer Äußerung an situativem Kontext voraussetzt, nur in der Redekennzeichnung, so gut es geht, beschrieben werden, ganz abgesehen davon, daß das singuläre Sprechereignis als „token“ auch vom begabtesten Schauspieler nicht „zitiert“ werden kann. (von Roncador 1988 : 54)

Aucun DR, si longue et minutieuse que soit la description donnée par L de la situation d’énonciation […] dans le syntagme introducteur, ne peut être considéré comme restitution « complète », fidèle, de l’autre acte d’énonciation qu’il a pour objet. […] Un DD scrupuleusement textuel ne peut pour autant être considéré comme fidèle ou objectif. Citer même exactement n’empêche pas que e soit reconstruit, décrit par L. (Authier-Revuz 1992 : 11)32

2) Il existe des discours rapportés où l’on ne peut supposer l’existence d’un discours originel. Les énoncés niés ôtent tout fondement à la notion de fidélité33.

(11) HILDE Das habe ich nicht von ihm verlangt. Du hättest nicht so hart mit ihm sein müssen. Mein Kleiner. Bald werden wir wieder die Polizei im Haus haben.

FRANZ schreiend: Ich habe doch nur meine Vaterpflicht erfüllt! HANNA Papa, schrei nicht so.

FRANZ Ich habe nicht gesagt: spring an die Mauer, laß dich abknallen. Ich habe ihm ganz ruhig gesagt: streng dich an. Gib dir etwas mehr Mühe, daß wir unseren Frieden haben können. […] (Ziem,

Die Einladung : 538)

(12) - C’est fou ! dit Purcell à haute voix. Le visage de White durcit.

- Ne recommencez pas ! s’écria Purcell. Je n’ai pas dit : « Vous êtes fou ». J’ai dit : « C’est fou. » (Merle, L’Ile, cité par Charlent 1996 : 110)

3) Des locutions résumantes telles que der und der, da und da, so und so sont employées dans le discours direct :

(13) GORBACH Alois, hab ich dir nicht verboten, deinen Hasen diese Juden-Namen zu geben. Wenn du so weitermachst, kommst du nie in den Gesangverein.

ALOIS Das ist eben so eine Angewohnheit noch vom Lager. Ich kann mich da auf den Unterscharführer Schöck berufen, der hat uns das befohlen, daß wir die Hasen so nennen sollen. Immer wenn wieder ein Jude weniger da war, sagte der Unterscharführer, der und der Name ist frei. (Walser, Eiche und Angora : 58)

Ces expressions sont clairement des interventions de l’énonciateur rapporteur dans le corps même du discours direct, qui substitue des locutions indéterminées de type « der und der » à des segments du discours second, afin de le condenser, de ne pas donner une information non pertinente ou en raison d’une ignorance (réelle ou feinte) du discours second. R. Harweg a montré que ces locutions indéterminées n’apparaissent que dans le discours rapporté. Il les caractérise comme « sekundär unbestimmt », puisqu’ils apparaissent uniquement dans le discours second, en opposition aux indéfinis jemand, etwas, qualifiés de « primär unbestimmt » (cité d’après von Roncador 1988 : 104-108). Harweg désigne par « reduzierte

32 « L » désigne l’énonciateur citant et « e » l’énoncé cité.

33 Un discours rapporté nié peut également être reproduit au mode indirect : « Warum sagt sie’s nicht, daß ich ihr Leben zerstört habe ? » (Frisch, Homo Faber : 193).

Rede » les discours rapportés comportant ces locutions (cité d’après von Roncador 1988 : 107).

4) Enfin, la ‘non-fidélité’ du DD peut être explicitée dans des commentaires, comme l’expose Ducrot (1984 : 199) : « on peut, au style direct, rapporter en deux secondes un discours de deux minutes : ‘En un mot, Pierre m’a dit : J’en ai assez.’ » (voir aussi Zifonun et al. 1997 : 1755). En terme de fréquence, von Roncador (« Die nicht-wörtliche Rede », 1988 : 88-126) souligne le fait suivant : « Fälle nichtwörtlicher Rede [sind] keineswegs marginal ».

(14) Um Mittag erblickte er Tadzio, der in gestreiftem Leinenanzug mit roter Masche, vom Meere her, durch die Strandsperre und die Bretterwege entlang zum Hotel zurückkehrte. Aschenbach erkannte ihn aus seiner Höhe sofort, bevor er ihn eigentlich ins Auge gefaßt, und wollte etwas denken, wie: Sieh, Tadzio, da bist ja auch du wieder! (Mann, DerTod in Venedig : 48)

(15) Maître Renard, par l’odeur alléchée Lui tint à peu près ce langage :

« Hé ! Bonjour, Monsieur du Corbeau [...] » (La Fontaine, Fables, cité par Wilmet 2003 : 444)

En lieu et place de la notion de fidélité se sont développées les notions de « discours rapporté théâtralisant »34, « mise en scène », « szenische Vergegenwärtigung der originalen Äußerungssituation » (Zifonun et al. 1997 : 1755, voir aussi Brünner 1991)35. Nous empruntons à Ducrot la description suivante36 :

On peut admettre […] que l’auteur du rapport, pour renseigner sur le discours original, met en scène, fait entendre, une parole dont il suppose simplement qu’elle a certains points communs avec celle sur laquelle il veut informer son interlocuteur. […] Que le style direct implique de faire parler quelqu’un d’autre, de lui faire prendre en charge des paroles, cela n’entraîne pas que sa vérité tienne à une correspondance littérale, terme à terme. (1984 : 199)

La question de la non-littéralité du DD se recoupe partiellement avec la question du statut sémiotique du DR, sur laquelle Ducrot et Authier-Revuz ont des positions divergentes. Pour

34 Selon Li (1986 : 30), A. Wierzbicka fut la première à parler, en 1974, de la nature théâtrale du discours direct (“The Semantics of Direct and Indirect Discourse”. Papers in Linguistics. 7, 3/4, 267-307). Wierzbicka se situe, sans que cela ait une incidence sur cette question, dans le cadre de la grammaire générative et transformationnelle, où elle formule l’hypothèse d’une dérivation du discours indirect à partir du discours direct (Li 1986 : 42).

35 Comme nous le développerons dans le chapitre consacré au DIL (1.4.3.4), le DIL partage cette théâtralité avec le DD, puisqu’il fait également parler deux énonciateurs.

36 Le discours direct peut être lexicalisé : « der Ohne-mich-Standpunkt », « Pierre est un m’as-tu-vu ». Les lexicalisations mettent en scène un personnage qui énonce une proposition, par laquelle il se qualifie. Dire de quelqu’un qu’il est un m’as-tu-vu « c’est lui attribuer le (pseudo-) trait de caractère qui amène à poser perpétuellement la question : ‘M’as-tu vu ?’ » (Ducrot 1984 : 218). Il est intéressant de noter que l’origine de cet adjectif renvoie à une situation d’énonciation historiquement datée, comme l’a révélé Anscombre (cité par Ducrot ibid.) : il s’agit d’une plaisanterie très précise du monde du théâtre lancée contre certains acteurs accusés de demander sans cesse autour d’eux : « M’as-tu vu dans cette pièce ? ».

Authier-Revuz, le DR est, d’un point de vue sémiotique, une opération métalinguistique (cf. également Sabban 1978 : 28 ; Steube 1985) :

Dans le DD, l’énonciateur rapporte un autre acte d’énonciation e, en faisant usage de ses mots à lui dans la description qu’il fait de la situation d’énonciation de e (qui parle, à qui, quand, … ?), c’est-à-dire dans ce qu’on appelle le syntagme introducteur, mais il fait mention des mots du message qu’il rapporte ; le mode sémiotique du DD est ainsi hétérogène : standard dans le syntagme introducteur, il est autonyme dans la partie « citée », c’est-à-dire montrée. (1992 : 40)

Authier-Revuz distingue le DI et le DD sur la base des notions de standard/autonyme et

usage/mention : « Le DD n’énonce pas un contenu comme le DI, il montre une chaîne signifiante » (1992 : 40). Puisqu’une des propriétés du signe autonyme en mention est de se soustraire à la synonymie, la partie citée en DD ne peut être reformulée (Authier-Revuz 1992 : 40). Ducrot (1984 : 190 et 197ss) voit là une contradiction dans la description, puisqu’on ne peut pas faire coïncider la thèse de la non-littéralité du DD avec celle de sa non-paraphrasabilité, et réfute l’idée d’un fonctionnement autonyme du discours direct. L’argument de Ducrot peut être révisé si l’on considère, avec Charlent (1996), que l’autonymie du DD touche non pas au signe en mention, mais au signe en usage, et que le discours rapporté est une métaénonciation37.

1.4.1.1 Le discours direct introduit

Le discours direct régi est un discours représenté qui est introduit par un discours citant. S’il est vrai que dans la partie citée, l’énonciateur rapporteur se donne pour objectif affiché d’être le simple porte-voix de l’énonciateur cité, son intervention ne se limite pas au choix de la séquence introductrice et ne s’arrête pas aux frontières du discours cité (Gallèpe 2003). L’énonciateur rapporteur intervient aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du DR. Il intervient à l’extérieur :

- par un métadiscours, portant par exemple sur sa fiabilité ou son appréciation du contenu rapporté. Le commentaire peut également être relayé à l’intérieur de la partie citée, par la locution [sic !].

37 En outre, la position d’Authier-Revuz demande également à être infléchie. Nous montrerons en 1.4.3.2.2 que le DI connaît des limites à la synonymie et qu’il n’est donc pas entièrement un signe en usage. Il existe des situations de discours opaques, car « Œdipe a dit qu’il allait épouser sa mère » n’est pas synonyme de « Œdipe a dit qu’il allait épouser la reine de Thèbes ».

Il intervient également par différents procédés internes au discours cité : - par transposition, lorsqu’un message oral est rapporté à l’écrit ; - par traduction, (intralinguale ou interlinguale) ;

- par sélection des éléments à transmettre.

Les deux exemples suivants montrent différents types d’intervention de l’énonciateur citant. Si dans le premier exemple, l’appréciation se limite au choix du verbe « schnarren », dans le deuxième exemple l’appréciation et la sélection sont contenues dans le discours cité avec « blabla ».

(16) „Ich habe die beste Nase von Paris, Maître Baldini“, schnarrte Grenouille dazwischen. [...] (Süskind,

Das Parfum : 95-96)

(17) „... Und wie hast du dir das vorgestellt? Ich meine... Soll ich rumlaufen: Hey, Marcel, weißt du noch damals, als wir in Hannover blabla...?“

„So etwa, nur daß du mich Retzmann nennst, klingt mehr nach Männerfreundschaft. [...]“ (Arjouni,

Ein Freund : 20)

A l’opposé, l’énonciateur citant peut reconstruire un discours cité dans lequel il cherche à faire naître l’impression d’objectivité, de fidélité. Cet effort de mimétisme, observable dans l’extrait suivant, ne représente qu’une tentative assez rare, comme le soulignent Zifonun et al. (1997 : 1760) : « Nur in [direkter Redewiedergabe] kann [..] der Versuch unternommen werden, die Originaläußerung in ihrer Gesamtgestalt einschließlich ihrer prosodischen Gestaltung der Dialektfärbung oder Stimmlage des Sprechers usw. zu imitieren. Dies geschieht jedoch in der Regel nicht ».

(18) Da legte der Herr mit einer entschlossenen Bewegung Hut und Stock auf den Deckel des Harmoniums, rieb sich dann befriedigt die frei gewordenen Hände, blickte die Konsulin treuherzig aus seinen hellen, verquollenen Äuglein an und sagte: „I bitt’ die gnädige Frau um Verzeihung von wegen dem Kartl; i hob kei anderes zur Hond k’habt. Mei Name ist Permaneder; Alois Permaneder aus München. Vielleicht hat die gnädige Frau schon von der Frau Tochter meinen Namen k’hert-„

Dies alles sagte er laut und mit ziemlich grober Betonung, in seinem knorrigen Dialekt voller plötzlicher Zusammenziehungen, aber mit einem vertraulichen Blinzeln seiner Augenritzen, welches andeutete: „Wir verstehen uns schon ...“

Die Konsulin hatte sich nun völlig erhoben und trat mit seitwärts geneigtem Kopfe und ausgestreckten Händen auf ihn zu ...

„Herr Permaneder! Sie sind es? Gewiß hat meine Tochter uns von Ihnen erzählt. [...] Und Sie sind in unsere Stadt verschlagen worden?“

„Geltn’s, da schaun’s!“ sagte Herr Permaneder [...]. „Wie beliebt?“ fragte die Konsulin ...

„Geltn’s, da spitzen’s! antwortete Herr Permaneder [...].

„Nett!“ sagte die Konsulin verständnislos [...]. (Mann, Buddenbrooks : 326)

En conclusion, le discours direct est un mode qui grâce à la conservation des repères énonciatifs seconds, donne l’illusion d’une reproduction de la parole source, mais il est par

définition une reconstruction de cette parole. L’illusion du mimétisme est également rappelée dans Kerbrat-Orecchioni (2002). Explorant l’étendue de la subjectivité linguistique, l’auteur examine le cas du « récit de paroles » (notion que l’auteur emprunte à Genette, cf. 1.5.1), et dans un premier temps, remarque que son mimétisme semble faire de lui un cas exceptionnel de discours non marqué par la subjectivité, pourtant inhérente à tout acte de parole :

Si l’on passe au crible l’ensemble du lexique, force est de constater qu’il est bien peu de mots qui réchappent du naufrage de l’objectivité. [...] Il existe pourtant un type et un seul de comportement langagier qui peut être à 100 % objectif : c’est le discours qui reproduit, intégralement, en style direct, un énoncé antérieur (Kerbrat-Orecchioni 2002 : 164)

L’auteur précise immédiatement que cette reproduction est exceptionnelle. La subjectivité de l’énonciateur rapporteur, en d’autres termes, ne s’efface que rarement derrière l’énonciation représentée.

1.4.1.2 Le discours direct libre

Le discours direct libre, ou freie direkte Rede (Gallèpe 2003 : 273), est un discours direct qui n’est ni introduit par un verbe introducteur, ni signalé par des marques typographiques. C’est une forme interprétative qui ne possède pas de marque univoque et qui se repère grâce au hiatus qu’elle crée avec le cotexte. « Il n’existe pas de phrases qui hors contexte pourrait être caractérisée comme étant du DDL » [...], souligne Authier-Revuz (1992 : 41). Un énoncé est interprété comme du DDL lorsque les éléments subjectifs (au sens de Kerbrat-Orecchioni 2002), parmi lesquels les déictiques, les registres de langue, ou encore le contenu propositionnel, ne peuvent être rattachés qu’à un autre énonciateur que celui du discours principal, comme dans les exemples suivants :

(19) Die Mutter forscht, weshalb Erika erst jetzt, so spät, nach Hause finde? Der letzte Schüler ist bereits vor drei Stunden heimgegangen, von Erika mit Hohn überhäuft. Du glaubst wohl, ich erfahre nicht, wo du gewesen bist, Erika. Ein Kind steht seiner Mutter unaufgefordert Antwort, die ihm jedoch nicht geglaubt wird, weil das Kind gerne lügt. (Jelinek, Die Klavierspielerin : 7)

La délimitation peut être délicate entre les deux plans d’énonciation, en particulier lorsque les temps du cadre narratif et ceux des énoncés cités sont identiques. Dans l’extrait suivant, l’énoncé « Jetzt knarrt es » est ambigu et peut être attribué au narrateur ou à son personnage.

(20) Franz biegt sich oben den Hals aus, einer steht an der Hoftür, der Junge steht Schmiere, die drehen ein Ding, sie habens mit der großen Kellertür. Sie murksen zu dritt. Daß die keine Angst haben, daß man sie sieht. Jetzt knarrt es, die Tür ist uff, sie habens geschafft, der eine bleibt aufm Hof in

ner Nische, die beiden sind runter inn Keller. Mächtig duster ist es, darauf bauen sie.

Franz zieht leise sein Fenster zu. Die Luft hat ihm den Kopf abgekühlt. So was machen die Menschen eben, den ganzen Tag und noch in der Nacht, so gaunert das rum, man müßte einen Blumentopf nehmen und auf den Hof pfeffern. Was haben die überhaupt hier im Haus zu suchen, wo ich wohne. Gar nichts. (Döblin, Berlin Alexanderplatz : 129-130)

Plusieurs classifications du discours direct libre ont été proposées en fonctions de critères textuels ou discursifs. Si le DDL représente des pensées, on parle de monologue intérieur :

(21) Und er läßt seine Leiter an der Mauer stehen, zieht mit Gerner über den Hof, die andern sind schon über alle Berge, denken gewiß, ich bin verschütt gegangen. Da klingelt Gernet parterre. „Mensch, wat klingelste, wer wohnt denn da ?“ (Döblin, Berlin Alexanderplatz : 132)

Une autre catégorie est celle dans laquelle Genette voit « l’une des grandes voies d’émancipation du roman moderne » et qui consiste à « pousser à l’extrême, ou plutôt à la limite, cette mimesis du discours, en effaçant les dernières marques de l’instance narrative et en donnant d’emblée la parole au personnage » (1972 : 193). Il s’agit du DDL sans cadre narratif, appelé monologue intérieur autonome38 ou stream of consciousness, dont les pionniers furent Edouard Dujardin39 (Les lauriers sont coupés en 1887) et James Joyce. Le critère est double : d’une part textuel, puisque le monologue intérieur autonome est privé de tout cadre narratif, d’autre part discursif40, puisqu’il comporte une syntaxe censée refléter l’émergence des pensées. Ce type de représentation ne se limite pas à des discours pensés (Fräulein Else contient la représentation de discours proférés). Ainsi, nous partageons la proposition de Genette de parler de discours immédiat, « puisque l’essentiel […] n’est pas qu’il soit intérieur, mais qu’il soit d’emblée […] émancipé de tout patronage narratif, qu’il occupe d’entrée de jeu le devant de la ‘scène’ » (1972 : 193).

38 Comme le rapporte Zuschlag (2002 : 197), Dorrit Cohn (Transparent Minds, 1978 : 217-265) étend l’acception de « autonomous monologue » à des monologues intérieurs dont la longueur les isolent du cadre narratif.

39 Dujardin en proposa la définition suivante : « discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscient, antérieurement à toute organisation logique, c’est-à-dire en son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites au minimum syntaxial, de façon à donner l’impression du tout venant » (Edouard DUJARDIN (1931), Le Monologue intérieur, Paris : Messein, 59, cité par Genette 1972 : 193).

40 Stanzel (cf. 1.5.2) définit le monologue intérieur autonome en se basant sur la catégorie de la perspective et l’opposition perspective interne / perspective externe.

1.4.1.3 Le discours direct : un corps étranger ?

Stanzel compare les discours directs libres à des « dramatische Fremdkörper » qu’il exclut de la narration41 :

Im Bereich der „szenischen Darstellung“ einer Erzählung ist [...] zwischen narrativen und nicht-narrativen Textteilen zu unterscheiden. Dialoge der Charaktere ohne Inquitformeln und ohne auktoriale, die Sprechsituation charakterisierende Regieanweisungen sind nicht-narrative Textteile, eigentlich also ein dramatisches „corpus alienum“ in einer Erzählung, sie sind daher, genaugenommen, aus dem Begriff „szenische Darstellung“ auszugliedern. (2001 : 193)

La même position est adoptée par Genette, qui l’élargit à toutes les manifestations du DD. « Le narrateur ne raconte pas la phrase du héros, on peut à peine dire qu’il l’imite : il la

recopie, et en ce sens on ne peut parler ici de récit », affirme Genette (1972 : 190), d’après qui le rapprochement entre le DD dans le roman et l’écriture dramatique est un héritage de la tradition antique :

On ne doit pas méconnaître l’influence exercée pendant des siècles, sur l’évolution des genres narratifs, par ce privilège massivement accordé à la diction dramatique. Il ne se traduit pas seulement par la canonisation de la tragédie comme genre suprême dans toute la tradition classique, mais aussi, plus subtilement et bien au-delà du classicisme, dans cette sorte de tutelle exercée sur le narratif par le modèle dramatique, qui se traduit si bien dans l’emploi du mot « scène » pour désigner la forme fondamentale de la narration romanesque. Jusqu’à la fin du XIX, la scène romanesque se conçoit,