• Aucun résultat trouvé

Les objectifs de la linguistique contrastive

2 Le cadre contrastif et traductologique

2.2 Les objectifs de la linguistique contrastive

La linguistique contrastive procède à une comparaison, entre deux ou plusieurs langues, d’un élément de la langue, au sens saussurien, afin de déterminer les convergences et les divergences interlangagières (Althaus et al. 1980 : 633 ; Fisiak 1980 : 1). L’objet de la comparaison est le tertium comparationis99.

98 Voir également Eco (2006 : 410-433).

99 Déterminer un tertium comparationis théoriquement supralangagier comporte une difficulté fondamentale à laquelle Benveniste a rendu attentif. En examinant la description aristotélicienne du langage en termes de catégories sémantico-logique, il en a révélé le caractère « égocentriste » (1966 : 73). La définition de ces catégories était, en réalité, guidée par la grammaire de la langue grecque.

La linguistique contrastive se divise en trois domaines : 1) la génétique des langues

2) la typologie des langues

3) l’étaiement d’une linguistique appliquée : la didactique des langues, la linguistique de contact, la traductologie.

1) La linguistique contrastive, mise au service de la génétique des langues, a une orientation diachronique. Ce type d’études est né en Allemagne aux 18ème et 19ème siècles et avait alors pour objectif de répondre à la question de l’origine des langues et de reconstruire la langue-mère. Les termes de vergleichende Philologie, komparatistische Philologie, Komparatistik

(Althaus et al. 1980), grammaire comparée et comparatisme (Ducrot et Schaeffer 1995), désignent plus spécialement la linguistique contrastive de cette époque.

2) La linguistique typologiste a pour but d’établir une typologie des langues sur la base d’universaux de langage. Elle a formulé deux thèses principales, la thèse universaliste et la thèse relativiste. La thèse universaliste postule l’identité des désignés à travers la différence des langues, et avec elle l’existence d’universaux et la comparabilité. La thèse relativiste, ou thèse de Sapir-Whorf, postule une forte interdépendance entre la pensée, la création du sens, et la langue, et a pour conséquence de fragiliser l’universalité des notions linguistiques, pouvant aller jusqu’à la remettre fondamentalement en cause. Selon cette thèse, l’expérience du monde, différente selon les cultures, opère un découpage linguistique particulier qui en retour conditionne les locuteurs d’une communauté linguistique et les amène à observer le monde de façon particulière. Poussée à ses extrêmes, cette thèse qui affirme la spécificité irréductible de chaque langue et l’existence de Weltanschauungen uniques priverait le linguiste de tertium comparationis et réduirait, par conséquent, la traduction à une approximation, puisque chaque communauté serait enfermée dans une situation d’autisme linguistique.

Les critiques montrant les limites de la thèse relativiste ont d’une part rappelé que la pensée n’est pas en corrélation stricte avec le sens lexical (Benveniste 1966 : 73-74 ; Jakobson 2003a : 81). On emploie ainsi le mot de Walfisch tout en sachant que la baleine n’est pas un poisson. Les critiques ont également relativisé le postulat d’identité entre une communauté et une langue, en rendant attentif aux multiples variations au sein d’une langue.

3) La troisième orientation de la linguistique contrastive, appliquée et descriptive, est celle dans laquelle nous nous situons. Nous commencerons par apporter des précisions terminologiques (qui concernent également la précédente orientation), puis nous donnerons quelques repères historiques avant d’exposer quels sont ses objectifs.

La terminologie se caractérise par une abondance d’emplois concurrents. Le terme le plus courant est kontrastive Linguistik, suivi de Sprachvergleich, vergleichende Sprachwissenschaft100, konfrontative Linguistik, komparative ou komparatistische Linguistik

(Althaus et al. 1980 : 633 ; Glück 2000). Kontrastive Linguistik est employé pour des études visant autant les différences que les similitudes. Son succès s’explique en partie par l’emploi en anglais du terme contrastive linguistics (Althaus et al. 1980 : 633 ; Schmitt 1991 : 227), terme qui a supplanté comparative descriptive linguistics ou linguistic confrontation (Fisiak 1980 : 1). En français, le terme de linguistique contrastive est le plus courant (Larose 1992 ; Celle 2006), devant linguistique comparative ou linguistique comparée.

Certaines propositions terminologiques visent à apporter une distinction entre deux types d’approches. L. Zabrocki, du cercle de Leipzig, distinguait konfrontative Grammatik et

kontrastive Grammatik (Althaus et al. 1980 : 633 ; Fisiak 1980 : 1). Le terme de

konfrontative Grammatik recouvrait les analyses visant à dégager tant les similitudes que les différences, celui de kontrastive Grammatik celles focalisées sur les différences. De même, la linguistique comparée est selon Larose (1992 : 15) une démarche axée sur les similitudes, tandis que la linguistique contrastive ciblerait les différences.

Bien qu’une telle distinction puisse être justifiée et utile, nous emploierons pour notre part le terme de linguistique contrastive de façon globale pour désigner la recherche de faits proches et différents.

Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, sous l’impulsion de la linguistique appliquée, la linguistique contrastive descriptive a connu un développement important, en premier lieu en didactique des langues et en second lieu en traductologie. Les objets sur lesquels a porté la linguistique contrastive reflète en grande partie les évolutions de la linguistique au cours du 20ème siècle. Ainsi, si la linguistique contrastive a privilégié dans un premier temps les aspects phonologiques, morphologiques, syntaxiques et lexicaux, depuis la fin des années

1970, des recherches textuelles, discursives, sociolinguistiques et pragmatiques se sont développées, sans que pour autant les champs d’investigation premiers soient négligés (Blumenthal 1997 ; Gréciano 2001). Naturellement, les développements et la maturation d’un axe de recherche priment sur les recherches contrastives, comme le rappelle Spillner avec l’exemple de la kontrastive Textlinguistik (2001 : 261)101. Actuellement, les domaines du texte, de l’énonciation et du discours restent à développer en linguistique contrastive (Blumenthal 1997 ; Gréciano 2001 ; Spillner 2001).

La linguistique contrastive est une discipline complémentaire à d’autres champs de la linguistique. Historiquement, la didactique des langues a la première fait appel à la linguistique contrastive. Cette dernière montre que la connaissance des deux systèmes, l’un de la langue maternelle de l’apprenant, l’autre de la langue cible de l’apprenant, permet d’identifier l’origine de certaines erreurs d’apprenants comme des interférences entre les deux systèmes. Bien que n’étant pas, loin s’en faut, l’unique ressource de la didactique des langues, elle est un outil précieux pour lever certains freins dans l’apprentissage des langues. L’extrait suivant est extrait d’un manuel du 18ème siècle d’apprentissage de la langue française destiné aux Allemands. Adoptant une démarche contrastive avant la lettre, l’auteur explique que la conscience des différences entre les langues doit guider les apprenants :

Les règles qui fixent la Langue Françoise à l’égard des François, ne suffisent pas aux Etrangers. […] Les Etrangers, naturellement sujets à être séduits par leur Langue, ont besoin de plus de guides, surtout ceux dont la Langue maternelle est l’Allemand, ou les autres Langues qui dérivent de celles-là ; car l’usage de ces Langues s’éloigne plus du François, que l’Italien, ni l’Espagnol.

En exposant l’usage de la Langue Françoise, & marquant en quoi il est opposé à celui de la Langue Allemande, je n’ai prétendu autre chose que de faire remarquer cette opposition. (E. Mauvillon,

Remarques sur les Germanismes. Ouvrage utile aux Allemands, aux François, et aux Hollandois, etc., Amsterdam, 1747, Préface, cité par Spillner 2001 : 258)

A la même époque, un auteur allemand explique de façon similaire qu’afin de parler un français correct, sans germanismes, les apprenants allemands doivent être rendus attentifs non seulement aux « Convenientien,» mais aussi aux « Discrepantien dieser Sprachen »102.

101 Le terme recouvre un domaine de recherches appelé en France linguistique textuelle contrastive ou

linguistique contrastive des discours.

102 Il s’agit de Io. E. Greiffenhahn, Wohleingerichtete Frantzösische Grammatica Literatorum, Wodurch ein Teutscher, der den Studiis ergeben, ohne grosse Mühe und in kurtzer Zeit, zu einer gründlichen Wissenschaft der überall beliebten Frantzösischen Sprache gelangen kan, Jena, 6e éd., 1749, Vorrede (cité par Spillner 2001 : 259).

L’ouvrage suivant du début du 20ème siècle (Lateinische Beispiele zur Einübung des verbum infinitum und der oratio obliqua mit deutscher, englischer und französischer Übersetzung) porte plus précisément sur la didactique du discours rapporté. Son fondement comparatiste, à la différence des deux ouvrages précédemment cités, reste implicite et n’est pas justifié dans le métadiscours de l’auteur.

(102)

Dixit non esse dubium, quin totius Galliae plurimum Helvetii possent.

Er sagte, unzweifelhaft seien die Helvetier die mächtigsten unter allen gallischen Stämmen.

He said that there was no doubt that the Helvetii were the most powerful of the whole of Gaul.

Il dit que les Helvetii étaient sans contredit les plus puissants des Gaulois.

Quid sibi vellet ? Cur in suas possessiones veniret ?

Was er denn eigentlich wolle, warum er in seine Besitzungen käme ?

What does he desire ? why come he into his domains ?

Que voulait-il ? Pourquoi venait-il sur son territoire ?

(Zöllner 1908 : 18-19)

Notre visée est de combiner la linguistique contrastive à la traductologie, dans le but d’apporter une contribution à la traductologie du discours rapporté en allemand et en français. En 2.3, nous rappellerons quels sont l’épistémologie, les objectifs et les méthodes de la traductologie et nous montrerons en 2.4 la complémentarité de la linguistique contrastive et de la traductologie.