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1.5 L’approche narratologique

1.5.3 Bilan des deux modèles

Les deux tableaux suivants résument les modélisations différentes du discours rapporté. Le premier tableau résume celle de Genette :

Le modèle de Genette appliqué au discours rapporté

Les trois aspects de la réalité narrative : récit, histoire et narration Récit et histoire

Histoire et narration Récit et histoire Récit et histoire

Voix Temps Mode

Focalisation Distance

Récit d’événements Récit de paroles

DR de type dramatique, imité Style indirect libre Discours transposé au style indirect Discours narrativisé ou raconté

Le tableau suivant représente les catégories de Stanzel90, les situations typiques sur lesquelles les catégories débouchent (termes soulignés) ainsi que les genres de discours rapporté qui s’y rattachent (termes en italiques) :

Le modèle de Stanzel appliqué au discours rapporté

Mittelbarkeit

Person Perspektive Modus

Ich Bezug Er Bezug Innenperspektive Außenperspektive Reflektor Erzähler Ich-ES Auktoriale-ES Personale-ES :

direkte Rede Personale-ES und Innenperspektive : autonomer innerer Monolog indirekte Rede

zwischen Auktorialer-ES und Personaler-ES : erlebte Rede

Les modèles de Genette et de Stanzel laissent apparaître quelques points communs, bien qu’ils aient été développés indépendamment l’un de l’autre. Tous deux se réfèrent à l’héritage antique (cf. 1.1.1) et traitent des catégories de discours rapporté les plus courantes dans la littérature et la linguistique – Stanzel toutefois ne mentionne pas l’einführungslose indirekte Rede. En outre, la catégorie de Stanzel de Perspektive est similaire à celle de la

90 Le modèle de Stanzel se prête peu à une représentation sous forme de tableau. L’auteur a préféré un cercle divisé par trois axes formés par les trois situations prototypiques. Entre ces axes se dessinent des situations intermédiaires, hybrides, résultat de la présence plus ou moins importante des traits narratifs.

focalisation genettienne, comme le remarque lui-même Stanzel dans les rééditions de son ouvrage : à la focalisation interne de Genette correspond la perspective interne de Stanzel, aux focalisations zéro et externe, la perspective externe (2001 : 153).

Les deux modélisations du discours rapporté sont néanmoins relativement éloignées, puisque la catégorie de la focalisation, l’équivalent genettien de la Perspektive, ne joue aucun rôle dans la description du discours rapporté chez Genette. De plus, la représentation de Genette est sous-tendue par l’idée que les différentes formes de discours rapporté reflètent une gradation de la distance, tandis que Stanzel fait appel à plusieurs concepts opératoires qu’il utilise indépendamment ou simultanément pour décrire les réalisations du discours rapporté.

1.6 Le métadiscours

Arrivé au terme de notre première partie, nous souhaitons procéder à un retour critique sur notre métadiscours, en 1.6.1 sur la terminologie, en 1.6.2 sur la représentation catégorielle du discours rapporté.

1.6.1 La terminologie

En allemand, le terme de Redewiedergabe est le plus ancien et le plus utilisé (Lerch 1922 ; Günther 1928 ; von Roncador 1988 ; Brünner 1991 ; Zifonun et al. 1997). Ce terme est fréquemment concurrencé par Rededarstellung (Lerch 1922 ; Günther 1928 ; Scherner 1976 ; Zuschlag 2002) et Redeerwähnung. On rencontre plus rarement les termes de Referat

(Duden 2005), referierte Rede (Gather 1994), Zitat (Burger 2005), ou encore

Textwiedergabe (Engel 2004). En français également, le terme le plus courant est le plus ancien, soit discours rapporté (Charlent 1996 ; Rosier 1999 ; Komur 2004 ; Delesse 2006). Il a comme alternatives les termes de discours représenté (Rabatel et Lepoire 2005),

représentation des discours (Authier-Revuz 2004), discours reporté, discours relaté91. Les alternatives à Redewiedergabe et à discours rapporté répondent à plusieurs motivations. Elles naissent globalement de la remise en cause des conceptions traditionnelles (Rosier 2005). C’est le cas, par exemple, de Rabatel et Lepoire (2005), qui déclarent employer « discours représenté, plutôt que (...) discours rapporté, parce que même dans le cas du DD,

ce dernier n’est jamais cité à l’identique et renvoie toujours aux motivations du locuteur citant ». Redewiedergabe et discours rapporté ont été critiqués, en outre, parce qu’ils suggèrent que le discours rapporté consiste en une répétition de propos antérieurs. Les propositions de renouvellement de la terminologie sont également motivées par la polysémie de discours rapporté : ce terme désigne l’énoncé qui opère une représentation des discours et, par métonymie, le contenu des énoncés.

Bien que nous situant dans une approche énonciative, nous avons repris le terme traditionnel et courant de discours rapporté. Nous désignons par là :

- soit l’énoncé représentant un discours autre (et dans ce cas opposés à discours simple, c’est-à-dire un discours sans métadiscours) ;

- soit le discours représenté, qui dans ce cas s’oppose au discours cadre.

Compte tenu de la polysémie du terme, nous avons choisi d’employer également le binôme

discours second / discours premier afin de désigner clairement chacune des deux situations énonciatives. Discours premier désigne le discours cadre et discours second le discours représenté.

Dans Engelen (1973 et 1974), le terme de « Primäräußerung » renvoie au discours qui est représenté, le terme de « Erstsprecher » à l’énonciateur cité et celui de « Zweitsprecher » à l’énonciateur citant. Ce que nous désignons pas discours premier et discours second est donc l’inverse de ce à quoi réfère Engelen.

Les choix terminologiques auxquels nous avons procédé ainsi que ceux d’Engelen ont chacun leur justification. La notion même de représentation de discours présuppose logiquement l’antériorité du discours représenté sur le discours qui le représente, ceci quel que soit le statut ontologique du discours représenté (passé, prospectif, virtuel, …). Le discours représenté peut donc être considéré comme premier.

Pour notre part, nous désignons néanmoins le discours représenté par le terme de discours

second car celui-ci est un discours non autonome qui n’existe que dans un discours d’accueil, lequel est en outre le premier à être réceptionné par l’allocuté (Gülich 1978 : 53ss). De plus, le terme de premier laisse facilement entendre que le discours représenté est, du point du vue de la chronologie des actes de langage, toujours antérieur au discours qui le représente. Enfin, adopter un ordre croissant en partant de la situation de discours actuelle permet de désigner aisément les discours rapportés dans les discours rapportés, les mises en abyme du discours rapporté (ibid.) :

(95) Ob Sie es glauben oder nicht, so der Engländer, so Reger zu mir, der gleiche Weißbärtige Mann von Tintoretto, der in meinem Schlafzimmer in Wales hängt, hängt auch hier. (Bernhard, Alte Meister : 151)

Dans ce texte, il y a un premier niveau de communication entre le narrateur et le lecteur : il s’agit du discours premier. Il y a un deuxième niveau de communication entre Reger et le narrateur : il s’agit du discours second, représenté dans le premier niveau de communication. Enfin, il y a un troisième niveau de communication, entre l’Anglais et Reger. Ce discours troisième est représenté dans le second niveau de communication.

En revanche, une terminologie qui adopterait un ordre décroissant serait moins claire et maniable. Il faudrait en effet désigner le discours entre le narrateur et le lecteur de discours second, et celui entre Reger et le narrateur de discours premier, mais le désigner également de discours second.

Pour ces trois raisons, nous employons le terme de discours second pour désigner le discours dont il est donné une représentation dans un discours premier.