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1.5 L’approche narratologique

1.6.2 Le continuum du discours rapporté

Nous employons dans l’analyse des phénomènes de discours rapporté des catégories (direkte Rede, discours indirect libre, …). Etant donné que la représentation métalangagière au travers de catégories a été soumise à des critiques, il nous faut préciser l’emploi que nous faisons des outils de description catégorielle.

Les limites de la représentation catégorielle

Les manifestations du DR ne répondent pas toutes aux définitions des catégories. L’occurrence suivante combine les indices externes d’un discours indirect (introduction et hypotaxe) avec ceux interne d’un mode direct (déictique personnelle du locuteur cité) :

(96) Die Mutter lenkt Erika daher auf einen Umweg und spiegelt die falsche Tatsache vor, daß wir heute einen Umweg machen wegen des schönen Wetters. (Jelinek, Die Klavierspielerin : 34)

Deuxièmement, les réalisations du DR montrent qu’il existe des formes prototypiques et des variantes. Un exemple est fourni par les formes indirectes sans introduction que sont le DIL, l’ER et l’EIR. Elles acceptent des verbes introducteurs en incise ou postposition :

(97) An einem Zahne... Senator Buddenbrook war an einem Zahne gestorben, hieß es in der Stadt. Aber zum Donnerwetter, daran starb man doch nicht! (Mann, Buddenbrooks, cité par Steinberg 1971 : 94)

Ces formes ne ramènent pas le discours rapporté à un DI. En effet, il n’est pas possible d’obtenir à partir de ces énoncés des formes de DI avec verbe en préposition. L’énoncé rapporté n’est donc pas une proposition dépendante.

La différence entre un DIL et un DIL avec verbe introducteur en incise ou en postposition est uniquement textuelle et réside dans la détection du DIL : « Weder syntaktisch noch äußerungslinguistisch besteht ein Unterschied zwischen DIL [...] und einem Inzisen-DIL » (Gather 1994 : 234). Ces formes sont des formes intermédiaires, des « Grenz- und Übergangsfälle » (Steinberg 1971 : 92-96) entre les discours indirects sans introduction et le DI régi.

Enfin, certaines représentations de discours sont réalisées sans marques distinctives de catégorie.

(98) Aber die Zeit drängt, sie geißelt ihn vorwärts; er eilt, sich sein Billett zu verschaffen und sieht sich im Tumult der Halle nach dem hier stationierten Beamten der Hotelgesellschaft um. Der Mensch zeigt sich und meldet, der große Koffer sei aufgegeben. Schon aufgegeben? Ja, bestens, - nach Como. Nach Como? Und aus hastigem Hin und Her, aus zornigen Fragen und betretenen Antworten kommt zutage, daß der Koffer [...] in völlig falsche Richtung geleitet wurde. (Mann, Der Tod in Venedig : 46-47)

La forme elliptique des phrases, les marques d’interlocution (« ja ») sont des indices de mode direct. Il est seulement possible d’affirmer que ces énoncés contiennent des traits du mode direct, sans pouvoir préciser s’il relèvent du type du freie direkte Rede, de l’erlebte Rede ou de l’einführungslose indirekte Rede.

L’apport de la notion de continuum

Le DR se décompose en traits énonciatifs, morpho-syntaxiques et textuels, dont la présence et la combinaison aboutissent à des formes qui oscillent entre la représentation directe et indirecte. Comme l’expose von Roncador (1988 : 4ss), c’est la linguistique comparative qui a développé la représentation des phénomènes linguistiques sous la forme d’un continuum. Dans ce type de représentation, les caractéristiques définitoires ne sont plus envisagées comme des conditions nécessaires et suffisantes, mais comme des valeurs scalaires. L’accumulation de valeurs crée des représentants typiques du phénomène92.

« In dieser Sichtweise sind direkte und indirekte Rede keine fest voneinander abgegrenzte Kategorien, sondern (relative) Grenzwerte, die durch Maxima bestimmter Eigenschaftsskalen erfaßbar sind », explique von Roncador (1988 : 5). Le continuum contient deux pôles, celui du direct et celui de l’indirect. Le direct reproduit les repérages énonciatifs de la situation représentée, l’indirect les transpose. Le DD libre et le DI régi sont respectivement les prototypes de l’indirect et du direct93, « als Extrempunkte die kanonischen Formen der direkten und der indirekten Rede » (von Roncador 1988 : 4). La représentation sous forme de continuum est adoptée, pour l’allemand, par von Roncador 1988, Pérennec 1992 et Schmitt-Ackermann 1996, pour le français, par Rosier 1999, qui reprend en partie Pérennec 1992) :

Allemand DDL – DD – DIL – DI non introduit – DI régi – DN

Français DDL– DD – DIL – DI régi – DN

Le déictique de personne est le premier élément de ce continuum (von Roncador 1988 : 11 ; Pérennec 1992 : 324) :

Die personelle Deixis [hat] eine Schlüsselrolle : Verschiebungen in diesem Bereich implizieren Verschiebungen in anderen Bereichen. (von Roncador 1988 : 11)

La difficulté que rencontre la représentation sous forme de continuum est l’exhaustivité des critères. Le continuum du DR allemand proposé par von Roncador (1988 : 5) prend en compte exclusivement les critères énonciatifs94. Il ne permet donc pas de représenter les différences entre l’EIR et l’ER ou celles entre le DD libre et le DD introduit. Le continuum le plus complet est proposé par Pérennec (1992 : 324). Le discours indirect maximal se définit selon l’auteur par les traits suivants :

1) transposition des déictiques de personne 2) emploi du subjonctif 1 ou 2

3a) transposition des déictiques de temps 3b) transposition des déictiques de lieu

4) emploi impossible d’éléments subjectifs tels que les interjections, les particules de discours, les appréciatifs

93 Le discours direct se caractérise par « das Vorliegen maximaler Referenzverschiebung » (von Roncador 1988 : 55).

94 Von Roncador fait appel à des critères pragmatiques, mais ceux-ci recouvrent en réalité les critères énonciatifs du discours rapporté, comme l’a montré Gather (1994 : 123ss).

5) structure de dépendante à verbe final

6) présence d’un verbe introducteur de discours indirect, couplé avec dass ou ob et donc une structure de dépendante à verbe final.

Les traits sont « hiérarchisés » : « généralement la suppression d’un trait suppose la suppression des traits qui le précèdent sur la liste. » (1992 : 325).

Les limites qu’indique l’auteur lui-même résident dans le fait que le discours indirect à l’indicatif n’est pas représenté. De plus, l’EIR avec une structure de dépendante à verbe final n’apparaît pas dans ce schéma.

En outre, les continuums ne tiennent pas suffisamment compte de la fonction du discours d’accueil (Steinberg 1971 : 89-92). Dans le texte suivant, le contexte, soit ici un DN avec un adjectif cataphorique, donne à l’EIR une marque supplémentaire d’indirect :

(99) Diesen gedachte man schon trotz seinem durch mehrere Zeugen gefestigten Alibi der Folter zu unterziehen, als sich, am zehnten Tag nach geschehenem Mord, ein Mann der Stadtwache bei der Magistratur meldete und den Richtern folgende Aussage machte: Am Mittag jenes Tages sei er, Gabriel Tagliasco, Hauptmann der Wache, an der Porte du Cours wie gewöhnlich Dienst tuend, von einem Individuum, auf welches, wie er jetzt wisse, die steckbriefliche Beschreibung ziemlich passe, angesprochen und wiederholt und in dringlicher Weise nach dem Weg gefragt worden, auf welchem der Zweite Konsul mit seiner Karawane am Morgen die Stadt verlassen habe. [...] (Süskind, Das Parfum : 286)

Les mêmes marques dans le discours d’accueil peuvent induire des effets différents. Dans le texte suivant, la ponctuation (les deux points) introduit un degré supplémentaire de représentation directe par rapport à un DR qui n’aurait pas ces deux points.

(100) Was hatte er geantwortet? Er hatte sie gemustert und gesagt: Ja, die Arterien an den Schläfen seien gefüllt, aber das schließe nicht aus, daß nicht genug Blut oder genug rote Blutkörperchen im Kopfe seien... (Mann, Buddenbrooks, cité par Steinberg 1971 : 404)

En revanche, dans le texte suivant, la même ponctuation introduit une gradation vers le pôle indirect :

(101) Es ist still, er setzt sich im Finstern auf sein Bett, er muß wieder ans Fenster gehen und runtergucken: was haben die Brüder überhaupt bei mir im Haus verloren. (Döblin, Berlin Alexanderplatz : 130)

En conclusion, la représentation sous la forme d’un continuum souligne l’architecture énonciative des différentes formes de DR. Les genres de DR que nous avons présentés dans la première partie sont finalement des configurations fréquentes de certains traits cristallisées

sur le plan du discours. Elle évite, de plus, d’appréhender certaines formes au travers de la notion de déviance.

Mais les apports de cette représentation ne font pas oublier qu’il s’agit d’une représentation générale, qui peut être infléchie dans les textes. Il est vrai que l’ER donne un accès plus direct au discours second que ne le fait un EIR, mais un ER peut étouffer la voix de l’énonciateur second (comme ce fut le cas dans le discours de Jenninger, cf. 5.2.3), là où un EIR aurait rendu plus attentif, en raison de son hybridité explicite, à la voix de l’énonciateur second. De même, le DIL et l’ER sont très proches du pôle direct et donnent plus de place à la voix de l’énonciateur cité qu’à celle de l’énonciateur rapporteur (Stanzel 2001 : 247). Il n’en reste pas moins que l’usage montre que le DIL et l’ER servent aussi bien la subjectivation que l’objectivation des discours (Günther 1928 : 87ss ; Kullmann 1992a : 323 ; Zuschlag 2002 : 187).