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L’objectif traductologique, entre prospection et rétrospection

2 Le cadre contrastif et traductologique

2.3 Les objectifs de la traductologie

2.4.2 La complémentarité des deux disciplines

2.4.2.3 L’objectif traductologique, entre prospection et rétrospection

L’analyse contrastive, dans la section II, représentera la première étape de notre analyse. Elle se place au niveau de la langue et du discours. La section III est une étude de corpus et permet donc d’examiner le paramètre du texte. Notre objectif étant d’apporter une contribution à la traductologie du DR, il nous faut maintenant préciser ses contours, à partir de Albrecht (1999) et Ladmiral (2004).

Selon l’analyse de Albrecht (1999), la traductologie a trois orientations différentes :

1) die deskriptiv-retrospektive Übersetzungswissenschaft analyse les traductions réalisées et les contextualise. Appliquée à des textes littéraires, cette recherche contribue à la

Literaturwissenschaft.

2) die prospektiv-präskreptive Übersetzungswissenschaft est une orientation qui répond à la question du comment traduire, analyse les choix et hiérarchise différentes possibilités. Le

tertium comparationis est un objet de la langue ou du discours.

119 Cette définition du texte reprend celle de Coseriu et diffère de celle proposée par J.-M. Adam (2004), puisque Adam le définit comme une macro-structure supra-individuelle d’agencement des énoncés qui se décline selon 5 types : narratif, descriptif, argumentatif, explicatif, dialogal. Le texte est donc pour Adam indissociable d’une notion de grille de progression. Nous conservons le terme de texte dans le sens que nous venons de décrire pour désigner le produit singulier d’une énonciation et parlons de progression textuelle

3) die Übersetzungskritik est une orientation qui mêle les deux précédentes : étude d’une traduction réalisée, elle fournit en même temps les éléments pour une retraduction120. Cette catégorie rejoint la notion de critique des traductions développée par A Berman (1995), qui désigne l’analyse d’une traduction et la reconstitution de l’arrière-plan littéraire, la définition de l’objectif du traducteur, la description de la portée dans la culture et littérature cible et, le cas échéant, l’ébauche d’une nouvelle traduction.

Ladmiral (2004), quant à lui, envisage quatre orientations en traductologie, correspondant à autant d’étapes historiques dans le développement de cette discipline :

a) une traductologie normative ou prescriptive - qui serait pour moi la traductologie « d’avant-hier », où je range l’ensemble des considérations « prélinguistiques » touchant la traduction

b) une traductologie descriptive - d’obédience linguistique, qui serait pour moi déjà la traductologie d’« hier ».

c) une traductologie scientifique ou inductive - qui relèverait des sciences cognitives, mais qui n’est encore que la traductologie de « demain » et même, me semble-t-il, d’« après-demain » ; et enfin d) une traductologie productive - qui, à mes yeux, est la traductologie d’« aujourd’hui », et qui est celle pour laquelle je plaide. (2004 : 34)

Ladmiral place les traductologies prescriptive et inductive aux deux pôles de la traductologie et voit dans les traductologies descriptive et productive celles qui caractérisent la recherche actuelle. Selon Ladmiral, la traductologie descriptive adopte une démarche qui est de nature trop restrictive, puisqu’elle a une base contrastive, et ne s’oriente pas vers les besoins réels de la traduction. La traductologie descriptive reçoit la description suivante :

Ainsi ceux que j’appelle les contrastivistes vont-ils s’attacher à comparer le texte-source ou texte de départ (T0) et le texte-cible ou texte d’arrivée (Tt), analysant les identités et les différences […] et imputant ces dernières aux langues elles-mêmes, alors que les deux choses se jouent au niveau de la parole, du discours. […] Dans cette perspective, la traduction s’entend au sens statique du résultat de l’activité traduisante (texte-cible) : ce que j’ai proposé d’appeler ‘un *traduit’, comme on dit un

produit, par opposition à ce qui serait ‘le traduire’. (2004 : 33-34)

La traductologie productive, que défend l’auteur, est définie comme suit :

Au lieu de travailler à une description linguistique, on s’engagera dans la démarche réflexive d’une ‘traductologie productive’, qui s’attachera à induire de la pratique ce que j’ai appelé des ‘théorèmes

pour la traduction’ […], au lieu de s’en tenir à une linguistique de l’énoncé, qui n’a que trop tendance à poser les problèmes de la traduction en termes de langue. (2004 : 35)

120 Les traductions de Vialatte de l’œuvre de Kafka ont, au 20ème siècle, nourri la plus abondante critique des traductions d’une œuvre de langue allemande. « Le scandale culturel et poétique est dans la situation qui protège juridiquement une traduction comme si elle était une écriture. Alors qu’elle est une désécriture. Effet du sociologisme des traducteurs. […] C’est rendre hommage à son rôle que de le constater maintenant fini, et nuisible », déclare Meschonnic (1999 : 322).

Ces propos reflètent le malaise persistant entre traductologues (théoriciens et praticiens) et linguistes. Ils prennent surtout en compte la finalité didactique de la traductologie, mais négligent, selon nous, le versant critique de la traductologie, à savoir l’analyse de la réception d’un texte au travers de son texte cible. D’autre part, les affirmations de Ladmiral sous-estiment la valeur prospective de la linguistique contrastive, qui ne fournit pas seulement des outils d’évaluation, comme l’affirme Ladmiral (2004 : 35-36), mais aussi des moyens d’anticipation (Gallagher 2003).

Le tableau ci-après résume les catégories des deux auteurs :

Visées de la traductologie selon Albrecht (1999) et Ladmiral (2004) Albrecht

deskriptiv-retrospektiv

prospektiv-präskreptiv

Übersetzungskritik

Ladmiral descriptive prescriptive productive inductive

Les catégories de Ladmiral et de Albrecht ne se recoupent que partiellement. Le troisième volet de la tripartition de Albrecht est absent chez Ladmiral, qui adopte une perspective pratique et didactique ; la catégorie de Ladmiral de traductologie descriptive est une modalité - l’autre étant la traductologie productive - de la catégorie de prospektiv-präskreptive Übersetzungswissenschaft.

2.5 Conclusion

La langue, le niveau des signifiés, n’est pas le seul composant de la traduction, pas plus qu’il n’est le seul composant de la communication. En conséquence, la linguistique contrastive ne peut fournir à la traductologie tous les outils dont elle a besoin. Elle n’en révèle pas moins que certaines variations de traductions sont imputables uniquement aux structures langagières en présence, et que certaines difficultés ne trouvent leur réponses que dans les différences des langues (Albrecht 2005a ; Pergnier 2004).

Nous situons notre travail dans une traductologie descriptive et prospective, au sens donné par Albrecht (1999) et Ladmiral (2004), avec les réserves que nous avons formulées envers Ladmiral (2004). Le but de notre recherche est de fournir un appareil d’analyse des textes traduits, à travers l’étude des possibilités et des limites de la traduction du discours rapporté.

Il résulte des comparaisons des objectifs de la linguistique contrastive et de la traductologie que la linguistique contrastive fournit un cadre explicatif à la traduction. La linguistique contrastive, qui reconstruit le niveau des signifiés, est dans une relation double avec la traduction : elle aide à prévoir les points où la production traductologique fera face à des difficultés ; d’autre part, elle est convoquée pour l’évaluation des traductions, des produits, afin d’en extraire et d’en analyser les composantes. Le recours à la linguistique contrastive apporte des éléments pour expliquer si les variations ou le recours à d’autres procédés que la traduction stricto sensu (emprunts, commentaires, non-traduction, …) sont nécessaires ou non.