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Section II : Analyse contrastive

3 Les séquences introductrices

3.1 L’effacement énonciatif

Nous avons observé un des pôles sémantiques des introductions121, celui des verbes décrits comme des verbes « neutres », qui ne contiennent qu’un nombre de traits sémantiques réduit, voire minimal ; minimisant l’interprétation que livre l’énonciateur rapporteur, ils sont à interpréter comme le signe d’un effacement énonciatif. Il est apparu que d’autres éléments que les verbes introducteurs ont également cette caractéristique d’effacement énonciatif : so

+ énonciateur est également un outil par lequel l’énonciateur premier minimise les marques qui renvoient à lui comme source d’interprétation du DR. Sur le plan syntaxique, il apparaît que le type d’intégration permet de faire moduler la présence de l’énonciateur premier. La linéarisation de l’énoncé différente en l’allemand et en français amène différentes variations énonciatives.

121 Les études contrastives réalisées sur les séquences introductrices dont nous avons connaissance sont celles de Sabban (1978), analysant les différences distributionnelles de quelques verbes introducteurs allemands et français et celles de Dupuy-Engelhardt (1993). Toutefois, les travaux de cet auteur sont au départ une étude confrontative du champ lexical de l’acoustique en allemand et en français (Voir Dupuy-Engelhardt : La saisie de l’audible. Etude lexématique de l’allemand. Tübingen : Narr, 1990) et ne traitent pas spécifiquement de la représentation du discours. Cette lexicologie contrastive révèle une pléthore de verbes introducteurs acoustiques pour l’allemand et une proportion nettement moindre de verbes introducteurs acoustiques en français.

Le discours rapporté se définit comme la mise en relation de deux énonciateurs et de leurs situations d’énonciation. Les relations entre les deux énonciateurs sont variables et s’analysent par le biais du rapport entre les marques énonciatives - ou subjectivèmes dans la terminologie de Kerbrat-Orecchioni (2002) - imputables à l’énonciateur premier et celles imputables à l’énonciateur second. Nous empruntons à Rabatel (2004a) les notions de

désinscription énonciative, aussi appelée effacement énonciatif, et conjointement celles d’inscription énonciative pour désigner le phénomène graduel qui « ne se limite pas aux marqueurs personnels et spatio-temporels, mais [qui] intègre toute forme de référence dont l’interprétation n’est plus opérée en fonction des données situationnelles » (2004a : 8). Concernant le DR, l’effacement énonciatif se réalise au travers des marques et indices suivants :

- mode énonciatif indirect et direct

Un DR au mode direct réalise un effacement énonciatif de l’énonciateur premier au profit de l’énonciateur second, à qui l’énonciateur premier « laisse la parole ».

- verbes, lexèmes et syntagmes introducteurs

Les verbes introducteurs sont une intervention de l’énonciateur premier, qui peut graduer son intervention. Ainsi, le choix de dire / sagen semble réduire la subjectivité de l’énonciateur premier par rapport à tout autre verbe introducteur, et donc limiter son intervention dans le discours rapporté.

- mode verbal (en allemand) et concordance des temps (en français)

Lorsque le Konjunktiv II et la concordance des temps sont employés pour introduire une modalité critique, la position de l’énonciateur premier est renforcée par rapport à celle de l’énonciateur second.

- marques de littéralité à travers les lexèmes, la syntaxe (à l’oral à travers la prosodie) Les marques de littéralité, comme par exemple l’îlot textuel, renforcent la présence de l’énonciateur d’origine.

L’examen de l’inscription énonciative des énonciateurs n’est qu’une première étape dans l’analyse des valeurs discursives. Cette analyse des rapports énonciatifs permet ensuite, selon le type de contexte, de déduire quel est l’effet pragmatique visé. D’après Rabatel, « les effets pragmatiques qui découlent de l’effacement énonciatif dans les discours citants et cités » créent « trois postures qui entrent en jeu dans la construction interactionnelle des points de vue [...] :

- la coénonciation correspond à la coproduction d’un point de vue commun et partagé. [...] Les phénomènes d’accord sur un PDV étant fragiles, limités, la coénonciation s’avère une forme sinon idéale de coopération, du moins très instable, fugace, vite remplacée par la sur- ou sous-énonciation [...] ;

- la surénonciation est définie comme l’expression interactionnelle d’un point de vue surplombant dont le caractère dominant est reconnu par les autres énonciateurs ; - la sousénonciation renvoie à l’expression interactionnelle d’un point de vue dominé,

au profit d’un surénonciateur. » (Rabatel 2004a : 9-10)

L’effacement énonciatif se traduit par différentes marques qu’il convient d’interpréter pragmatiquement dans le contexte, ces marques n’étant « pas univoques » (Rabatel 2004a : 12) : il y a certes une forte corrélation entre l’effacement énonciatif d’un énonciateur (plus exactement d’un locuteur) et sa position de sous-énonciateur, toutefois les marques qui attestent d’une présence de l’énonciateur premier n’indiquent pas nécessairement qu’il est en position de surénonciation, pas plus que leur absence ne signale automatiquement sa position de sousénonciateur. Par exemple, un énonciateur peut simuler un effacement énonciatif en usant de DD, mais en réalité s’approprier la parole d’autrui en exploitant la richesse de représentation que permet le DD.

Dans notre recherche, nous nous concentrons sur les paramètres de l’effacement énonciatif et n’envisageons pas systématiquement la conséquence pragmatique en termes de sur- ou sousénonciation. Notre objectif est d’analyser les changements dans le rapport de forces énonciatives que provoque la traduction, et d’en chercher les causes. Nous concentrons notre étude de l’effacement énonciatif autour des séquences introductrices car elles sont un endroit stratégique où se rencontrent les voix.

Sur le plan lexical, nous avons relevé deux éléments de nature différente qui réalisent un effacement énonciatif : les verbes au sémantisme « primaire » et l’introducteur so. Les verbes que nous appelons « primaires » ne font que signaler l’acte locutoire, sans le caractériser. Ce sont sagen, machen, dire et faire et, sous un angle perceptif, hören et

entendre. L’effacement énonciatif permis par les verbes primaires est encore plus marqué avec les syntagmes introducteurs de type so : en effet, nul verbe ne caractérise le DR, nulle interprétation ne semble avoir été opérée par l’énonciateur premier. So + énonciateur livre une image d’une énonciation source réduite à son contenu propositionnel et occulte les

caractéristiques de la situation de discours :

(105) Gerade die Geschwindigkeit, „die Beschleunigung des Prozesses der kreativen Zerstörung ist das Neue am marktwirtschaftlichen Kapitalismus von heute“, analysiert der amerikanische Ökonom Edward Luttwak, der dafür den Begriff des „Turbo-Kapitalismus“ prägte. Das „horrende Tempo der Veränderung“, so der gebürtige Rumäne, [...] wird zum „Trauma für einen Großteil der Bevölkerung“. (Martin und Schumann, Die Globalisierungsfalle : 250)

L’appartenance de so + énonciateur au champ du discours rapporté ne fait pas l’unanimité.

So est décrit par Behr (2002 : 171) comme « die kanonische Form der eingeschobenen oder nachgestellten RQA [Redequellenangabe] » des introducteurs averbaux de DR. En revanche, Gallèpe (2003 : 276) voit dans cet introducteur une forme périphérique du DR, car il relèverait des formes de « modalisation en discours second » (notion empruntée à Authier-Revuz, cf. 1.3.2), à l’instar de laut. Nous expliquerons en 3.3. pourquoi nous avons choisi d’intégrer so dans le champ du DR122.