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Le choix des modes allemands et des temps français

Section II : Analyse contrastive

5 Les discours indirects

5.1 Les discours indirects introduits

5.1.1 Le choix des modes allemands et des temps français

Les modes du discours cité sont en allemand l’Indikativ, le Konjunktiv I et le Konjunktiv II. La signalisation d’un DR et de la non prise en charge du contenu relaté est un des emplois spécifiques du Konjunktiv I, qui dans cet emploi est également appelé Referatskonjunktiv

(Eisenberg 2004) ou Indirektiv (Weinrich 2005 : 261)131.

La norme voudrait que le Konjunktiv II132 soit employé uniquement en cas de syncrétisme des formes Konjunktiv I et Präsens. Toutefois, l’usage montre un autre type d’emploi des modes dans l’indirekte Rede. L’emploi du Konjunktiv I s’observe surtout à l’écrit, ou à l’oral dans des registres soignés (Heidolph et al. 1984 ; Weinrich 2005 : 262). Dans les échanges oraux quotidiens, l’Indikativ (Engel 2004 : 67) et le Konjunktiv II (Weinrich 2005 : 258) ont largement supplanté le Konjunktiv I133.

Deux approches tentent de rendre compte de l’emploi concurrent des modes. L’une est de type discursif et l’autre est de type sémantique. Dans l’optique discursive, le choix entre l’Indikativ, le Konjunktiv I ou le Konjunktiv II n’a pas de motivation sémantique. Par économie, on préfère au Konjunktiv I les modes plus fréquents de l’Indikativ et du

Konjunktiv II. A l’oral, on préfère aux formes du Konjunktiv I les formes plus marquées du

131 Le Konjunktiv du discours rapporté se limite à trois valeurs aspectuelles : le cursif, l’accompli et le prospectif (Marschall, 2001 : 483) et n’exprime ni la modalité ni le temps.

132 J. Fourquet proposa de regrouper sous le terme de « Konjunktiv III » le Konjunktiv I du discours rapporté et ses formes de substitution au Konjunktiv II.

133 Peu employé dans la langue orale courante, le Konjunktiv I a de plus disparu de la plupart des dialectes d’Allemagne, à l’exception du dialecte alémanique.

Konjunktiv II. Le Konjunktiv I a pu rester en usage en se cristallisant autour de situations discursives particulières (discours publics ou officiels).

L’optique sémantique explique, tout d’abord, que la forme périphrastique würde + infinitif

ne serait pas uniquement une substitution du Konjunktiv I, mais serait employée pour exprimer l’idée de prospectif (Engel 2004 : 220)134. De plus, la différence entre Indikativ,

Konjunktiv I et Konjunktiv II est expliquée de la manière suivante :

- l’emploi du Konjunktiv II marque l’irruption d’une critique ou d’une mise en doute de la part du rapporteur dans son acte de citation ;

- l’emploi du Konjunktiv I marque une distance neutre : l’énonciateur rapporteur laisse à l’énonciateur rapporté la responsabilité de ses propos ;

- l’emploi de l’Indikativ marque la co-assertion : l’énonciateur rapporteur adhère aux propos cités

En somme, les trois modes auraient les traits suivants :

- Le Konjunktiv II comporterait le trait évidentiel de reprise, le trait aléthique, et le trait modal ;

- Le Konjunktiv I aurait le trait évidentiel de reprise et le trait aléthique - L’Indikativ n’aurait aucun trait distinctif et serait le mode neutre.

Il est des emplois où le locuteur emploie des Konjunktiv II sans notifier une quelconque mise en doute, ce qui tend à accréditer la thèse d’une distribution strictement discursive des trois modes. Cette position est défendue par Valentin (1983). Néanmoins, il ne faut pas dénier à la thèse sémantique toute validité, car il reste des situations de communication où le choix entre

Indikativ, Konjunktiv I ou Konjunktiv II est porteur de sens. Il y a eu manifestement une évolution au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle (comme le montrent les comparaisons des différentes éditions du Duden sur quarante ans faites par Morgenthaler 1998) et cette évolution s’est accompagnée d’incertitudes chez les locuteurs, sentiment linguistique encore présent aujourd’hui. Les grammaires sont nombreuses à souligner que l’emploi des modes Indikativ, Konjunktiv I et Konjunktiv II, et notamment la valeur de modalisation du Konjunktiv II en DR, est en évolution ; la valeur respective de ces modes (affirmation partagée – affirmation relayée – affirmation mise en doute) serait au final (inter)-subjective, du moins fuyante, comme il ressort des propos suivants : « Ob nur Ersatz oder gleichzeitig eine weitere Distanzierung des Sprechers vorliegt, ist oft nur dem Kontext

134 Engel (2004 : 220) cite les énoncés suivants : Sie schrieb, sie würde nächste Woche umziehen. ? Sie schrieb, sie würde jetzt bei Bopp & Co. arbeiten.

zu entnehmen und wird individuell auch unterschiedlich interpretiert » (Heidolph et al. 1984 : 530).

La variété sémantique, aujourd’hui, est reliée à des situations de discours et des registres de langue. « Generell ist der Modusgebrauch in diesem Bereich stark register- und textsortenabhängig », explique Duden (2005 : 529 ; voir aussi Zifonun et al. 1997 : 1766-1771). Dans les situations de discours publics, globalement les discours journalistiques et juridiques, le Konjunktiv sert, comme dans tous les autres contextes, à signifier la non-prise en charge du contenu relaté, tandis que l’Indikativ tend à marquer l’adhésion du rapporteur aux propos rapportés. Dans les autres situations de communication, l’Indikativ ne se distingue pas du Konjunktiv I ou II : « es kann auch beim Gebrauch des Indikativs Indirektheit mit dem abgeschwächten Verbindlichkeitsanspruch ‚Ich lasse offen, ob ich sage, daß p’ vorliegen » (Zifonun et al. 1997 : 1769). Cette thèse est également défendue par Morgenthaler (1998), qui a étudié l’indirekte Rede dans un corpus de textes qui traitent de thèmes sensibles (le nazisme et le racisme) et qui sont produits dans des situations de discours publics. Il conclut que l’Indikativ est évité lorsque l’énonciateur rapporteur souhaite se démarquer des propos rapportés et que le Konjunktiv II est utilisé pour marquer une critique forte des propos rapportés.

En somme, les trois modes comportent des traits sémantiques modaux qui ne sont activés que dans les contextes officiels, publics ou soignés. Il n’y a pas de corrélation stricte entre l’emploi des modes et l’attitude modalisatrice, mais uniquement des tendances.

En français, l’intégration du discours cité peut se réaliser à travers une transposition temporelle. L’application de la transposition temporelle reçoit deux types d’interprétation : elle est interprétée soit comme une simple marque d’intégration syntaxique (thèse grammaticale), soit comme la marque d’une modalisation apportée par l’énonciateur rapporteur (thèse sémantique). Dans cette dernière optique, la variation entre les énoncés suivants est le reflet des différences d’interprétation de l’énonciateur rapporteur :

a) Galilée a expliqué que la Terre tourne autour du soleil b) Galilée a expliqué que la Terre tournait autour du soleil c) Il a dit que tu es un imbécile

Dans les énoncés a) et c), la non-application de la concordance des temps produit un énoncé où l’énonciateur rapporteur tend à prendre en charge les paroles rapportées, tandis que son application produit un énoncé où celui-ci n’assume pas la proposition du discours second (Riegel et al. 2001 : 600). La différence ne se situe pas comme en allemand au niveau évidentiel mais temporel. Les variantes a) et c), en français, marquent la validité de la thèse représentée dans le présent de l’énonciateur rapporteur135, à la différence des variantes b) et d), qui ne valident pas la thèse de l’énonciateur second, pas plus qu’elles ne l’invalident. Selon la thèse sémantique, l’imparfait, ayant une valeur d’inactualité, permet à l’énonciateur rapporteur de ne pas coasserter la proposition de l’énonciateur second, tandis que l’usage du présent, véhiculant une valeur d’actualité (Confais 2002 : 408ss), signifie que l’énonciateur rapporteur valide la proposition du discours relaté136.

Comme en allemand, les variations sémantiques ne sont pas constamment présentes. Elles sont des tendances favorisées par des situations de discours. Il se dégage une certaine proximité entre le signalement de la prise en charge dans l’indirekte Rede et le discours indirect. La non-concordance des temps en français dans un discours rapporté au passé peut suggérer– selon les contextes – que le contenu propositionnel est valable au moment de l’énonciation, ce qui s’interprète comme une adhésion ; à ceci correspond, en allemand, l’absence de modalisation apportée par l’emploi de l’Indikativ. A l’inverse, si l’application de la concordance des temps donne lieu à un énoncé dans lequel l’énonciateur rapporteur ne se prononce pas sur la validité des propos relatés, en allemand, une modalisation comparable est réalisée par l’emploi du Konjunktiv I. En revanche, la pesée critique forte qu’amène l’emploi du Konjunktiv II ne trouve pas de correspondant dans l’usage des temps français.

135 Austin avait décrit (cf. 1.4.4.2) le discours indirect comme un mode qui rapporte l’acte locutionnaire dans ses trois aspects tout en l’isolant de l’acte illocutionnaire initialement réalisé, mais nous aurions avec la coassertion un cas de reprise de l’acte illocutoire.

136 Barbazan (2002 : 67) établit une corrélation entre les variations de temps et les variations modalisatrices de l’énonciateur rapporteur en citant les exemples suivants : « Le candidat du parti socialiste a affirmé qu’il n’y avait aucune raison d’envisager une dégradation de la situation économique, si la ligne de conduite adoptée par le gouvernement était maintenue. Le candidat de notre parti a clairement démontré qu’il n’y a aucune raison d’envisager une dégradation de la situation économique si la ligne de conduite adoptée par le gouvernement est maintenue. » Le premier énoncé est celui d’un énonciateur qui rapporterait les propos d’autrui sans se prononcer sur la validité de ceux-ci, tandis que le deuxième énoncé émanerait d’un énonciateur partageant la responsabilité des propos dont il se fait l’écho. Toutefois, les verbes introducteurs jouent ici un rôle important de sorte que le temps n’est pas le seul paramètre qui influe sur l’attitude modalisatrice.

Correspondances entre certains emplois des modes allemands et des temps français

Allemand Français

Indikativ : adhésion Présent : validité actuelle

Konjunktiv I : suspension du jugement Imparfait : suspension de la validité actuelle

Konjunktiv II : critique

La traduction d’une critique forte véhiculée par le Konjunktiv II peut passer par le choix du verbe introducteur (en employant prétendre ou prétexter pour sagen), ou par d’autres formes que celles du DR (un introducteur de cadre de discours, le conditionnel137, ou le commentaire – à l’entendre).

L’analyse contrastive révèle également une différence au niveau textuel. Si le mode du discours cité est le Konjunktiv, l’Indikativ peut alors être employé pour réaliser ce que nous appellerons un « décrochage énonciatif »138, illustré par les exemples suivants :

Sie schreibt, ihr Vater, der ja schon 62 ist, werde nächstes Jahr in Pension gehen.

Sie schreibt, ihr Vater (er ist ja schon 62), werde nächstes Jahr in Pension gehen. (exemples de Schanen et Confais 2005 : 168)

Mancher Kritiker meinte, erst seine Frau habe aus Attila Hörbiger, mit dem sie von 1935 bis zu seinem Tod im Jahre 1987 verheiratet war, jenen großen Darsteller gemacht, den er war. (exemple de Duden 2005 : 541)

Les modes allemands tracent une frontière nette entre discours second et le discours premier. Cette délimitation doit être réalisée en français avec des moyens autres que ceux du discours rapporté. Comme l’énoncé suivant permet de s’en rendre compte, la parenthèse informative de l’énonciateur rapporteur disparaît en français139.

Elle écrit que son père, qui a déjà 62 ans, va partir l’année prochaine en retraite.

137 C’est la stratégie de traduction illustrée dans la grammaire de Bresson (2001 : 56) : « On emploie aussi le subjonctif II pour marquer le doute sur la véracité de la déclaration rapportée : Er wäre mein Freund, sagte er. Selon lui, il serait mon ami. Er sei mein Freund, sagte er. Il répliqua qu’il était mon ami. ».

138 Ce « décrochage énonciatif » est également possible dans un einführungslose indirekte Rede.

139 La traduction doit procéder à une rupture syntaxique et typographique ou ajouter un commentaire afin de ne pas faire se confondre les plans d’énonciation : « Elle écrit que son père - qui a déjà 62 ans - va partir l’année prochaine en retraite. Elle écrit que son père - il a déjà 62 ans - va partir l’année prochaine en retraite. » ; « Plus d’un critique pense que c’est uniquement grâce à sa femme, avec laquelle, rappelons-le, il était marié de 1935 jusqu’à sa mort, qu’Attila Hörbiger est devenu le grand comédien qu’il était. ».