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1.5 L’approche narratologique

1.5.1 Le modèle de Genette

Le modèle de Genette est, comme celui de Stanzel, tripartite. Il est basé sur les « trois aspects de la réalité narrative » (1972 : 72) que sont l’histoire, le récit et la narration.

- L’histoire, également appelé diégèse, est « le signifié ou contenu narratif », les événements dénotés ;

- le récit est « le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même » ;

86 Le modèle narratologique circulaire de Stanzel (2001) (cf. 1.5.2 et 8.2) est particulièrement apte à rendre compte de cette variation traductologique.

87 Ce terme fut proposé en 1969 par T. Todorov pour désigner l’analyse des récits au moyen de modèles théoriques (Ducrot et Schaeffer 1995 : 234).

- la narration est « l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place », en d’autres termes l’énonciation du récit (1972 : 72).

Le récit est le seul aspect directement appréhendable, et c’est à travers lui que sont appréhendés et reconstruits l’histoire et la narration.

L’analyse des discours narratifs se fait autour de trois axes : le temps, le mode et la voix. - Le temps est l’étude des relations temporelles entre le temps du récit et le temps de

l’histoire ;

- le mode désigne la régulation de l’information délivrée. Le mode découle, comme le

temps, de la mise en rapport des catégories de l’histoire et du récit ;

- quant à la catégorie de la voix, elle désigne « la façon dont se trouve impliquée dans le récit la narration elle-même […], c’est-à-dire la situation ou instance narrative, et avec elle ses deux protagonistes : le narrateur et son destinataire, réel ou virtuel » (1972 : 76). Genette entend « instance narrative » dans le sens que lui donne la linguistique de l’énonciation, « au sens où Benveniste parle ‘d’instance de discours’ » (1972 : 76). La catégorie de la voix est à la fois déterminée par les rapports entre la narration et le récit

et par ceux entre la narration et l’histoire (1972 : 76).

Le mode se subdivise en distance d’une part et focalisation ou perspective d’autre part. L’étude du discours rapporté prend sa place dans la catégorie de la distance.

le récit peut fournir au lecteur plus ou moins de détails, et de façon plus ou moins directe, et sembler ainsi (pour reprendre une métaphore spatiale courante et commode, à condition de ne pas la prendre à la lettre) se tenir à plus ou moins grande distance de ce qu’il raconte ; il peut aussi choisir de régler l’information qu’il livre, non plus par cette sorte de filtrage uniforme, mais selon les capacités de connaissance de telle ou telle partie prenante de l’histoire (personnage ou groupe de personnages), dont il adoptera ou feindra d’adopter ce que l’on nomme couramment la ‘vision’ ou le ‘point de vue’, semblant alors prendre à l’égard de l’histoire (pour continuer la métaphore spatiale) telle ou telle

perspective. ‘Distance’ et ‘perspective’ […] sont les deux modalités essentielles de cette régulation de l’information narrative qu’est le mode, comme la vision que j’ai d’un tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare, et en ampleur, de ma position par rapport à tel obstacle partiel qui lui fait plus ou moins écran. (1972 : 183-184)

La catégorie de la distance (c’est-à-dire les différentes visions que donne le récit de l’histoire) est mise en relation avec la dichotomie platonicienne. Les deux modes narratifs distingués par Platon, le récit pur et la mimesis, ont posé selon Genette les bases d’une réflexion sur la distance prise par le narrateur : celui-ci cherche soit à imiter le réel, soit à le rendre de manière médiate et condensée.

Dans la distance, Genette introduit une distinction qui dérive de la nature non-iconique du langage. Selon la nature de l’objet narré, il différencie le récit d’événements du récit de paroles. Dans le récit d’événements, « contrairement à la représentation dramatique, aucun récit ne peut ‘montrer’ ou ‘imiter’ l’histoire qu’il raconte. » La mimesis ne peut être qu’illusion de mimesis « pour cette raison unique et suffisante que la narration, orale ou écrite, est un fait de langage, et que le langage signifie sans imiter » (1972 : 185). Dans le

récit de paroles, la question de la mimesis se pose différemment, puisque « la mimesis verbale » est une « mimesis du verbe » (1972 : 186).

Dans ce cadre d’analyse, Genette distingue quatre types différents de représentation de discours en se basant sur le degré de proximité ou de mimesis (illusoire et conventionnelle dans la littérature) qu’entretient le discours premier avec le discours second.

Le discours rapporté, de type dramatique

Le type le plus mimétique, celui où « le narrateur feint de céder littéralement la parole à son personnage » (1972 : 192), est le « discours rapporté, de type dramatique » (ibid.), illustré par l’exemple suivant :

« Je dis à ma mère (ou : je pensai) : il faut absolument que j’épouse Albertine. » (1972 : 192)

C’est un discours « ‘imité’, c’est-à-dire fictivement rapporté, tel qu’il est censé avoir été prononcé par le personnage » (1972 : 190). A l’autre pôle de la mimesis se situe le discours « narrativisé, ou raconté », qui est « l’état le plus distant et en général [...] le plus réducteur » (1972 : 191).

Le discoursnarrativisé ou raconté

« J’informai ma mère de ma décision d’épouser Albertine ». S’il s’agissait non plus de ses paroles mais de ses « pensées », l’énoncé pourrait être encore plus bref et plus proche de l’événement pur. « Je décidai d’épouser Albertine ». (1972 : 191)

Le discours devient un acte, puisqu’il est « traité comme un événement parmi d’autres et assumé comme tel par le narrateur lui-même » (1972 : 190).

Le discours transposé au style indirect

Une forme intermédiaire est représentée par le « discours transposé, au style indirect » (1972 : 191), qui introduit plus de mimétisme par rapporté au discours narrativisé :

« Je dis à ma mère qu’il me fallait absolument épouser Albertine » (discours prononcé), « Je pensai qu’il me fallait absolument épouser Albertine » (discours intérieur). » (1972 : 191-192)

Le style indirect libre

Enfin, le style indirect libre peut, grâce à l’absence de subordination, faire croître le degré de mimétisme du discours indirect. Toutefois, il ne se définit pas comme une variante quantitative du discours indirect. Il a deux caractéristiques fondamentales qui le distinguent du discours indirect : l’absence d’indication concernant la nature pensée ou proférée des discours et, surtout, la « confusion » possible entre le discours du personnage et celui du narrateur (1972 : 192).

En plus de cette typologie dans laquelle se retrouvent les catégories traditionnelles de la linguistique et de la grammaire, Genette propose une réflexion sur les limites de la mimesis dans le discours direct. Genette constate que le récit caractérise généralement les personnages au moyen de leur discours en le chargeant de traits idiolectaux et sociolectaux. Cette grande « individuation du style des personnages » naît d’une distance entre le narrateur et le DD et d’un effort « ‘d’objectivation’ » (1972 : 201). Cette visée de l’écriture narrative rencontre des limites et court le risque de produire un « discours stylisé », défini comme « la forme extrême de la mimesis de discours, où l’auteur ‘imite’ son personnage non seulement dans la teneur de ses propos, mais dans cette littéralité hyperbolique qui est celle du pastiche […] ». Les personnages donnent « l’impression de s’imiter, et finalement de se caricaturer eux-mêmes » (1972 : 202) :

l’effet mimétique est donc ici à son comble, ou plus exactement à sa limite : au point où l’extrême du ‘réalisme’ touche à l’irréalité pure. (ibid.)

Selon nous, les limites de la représentation mimétique mettent en lumière la nature fondamentale du discours rapporté, qui est d’être une sélection par un énonciateur d’énoncés et de traits énonciatifs afin de représenter un autre énonciateur.