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En terme de vision du développement, le modèle de différentiation et d’intégration proposé par Hutchison est organisé en fonction de l’évolution de l’expression de trois modes de

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La typologie utilisée par Hutchison diffère notamment de celle utilisée par Bertrand (1998) et de celle utilisée par Bertrand et Valois (1992). Chez Hutchison, cette typologie est établie selon douze critères : 1) « but principal », 2) « années d’influence », 3) « sphères d’influence », 4) « vision du monde », 5) « vision de la nature », 6) « vision du changement social », 7) « dimensions de la conscience mises en évidence », 8) « conceptions du développement durant l’enfance », 9) « orientations curriculaires », 10) « intégration des matières », 11) « valeurs éducatives », 12) « méthodes d’évaluation » (Hutchison, 1998, p. 28-31, trad. lib.). La philosophie « progressiste », centrée sur l’enfant pour Hutchison, correspond davantage à une combinaison des « théories personnalistes » et des « théories sociales » de Bertrand ou à une combinaison du « paradigme socioculturel existentiel » et du « paradigme socioculturel de la dialectique sociale » de Bertrand et Valois. La philosophie « technocratique » de Hutchison correspond davantage à une combinaison des « théories académiques » et des « théories technologiques » de Bertrand ou au « paradigme socioculturel industriel ». Enfin, la philosophie « holistique » correspond davantage au « paradigme socioculturel symbiosynergique » et au « paradigme éducationnel inventif » de Bertrand et Valois (1992) et elle combine, dans la typologie de Bertrand (1998) des théories « spiritualistes », « personnalistes » et « sociales ».

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relations au monde dans les différents stades de développement : la maîtrise, l’immersion et l’engagement. Hutchison résume ainsi son modèle.

Durant la petite enfance, l’orientation centrée sur la maîtrise précise les repères et les accomplissements sur la voie vers l’âge adulte alors que l’orientation centrée sur l’immersion est celle d’une union ou d’une identité subjective avec le monde. Émergeant durant l’enfance, l’engagement est un mode se situant entre ces deux orientations, illustrant la capacité de l’enfant à raffiner son identité personnelle, son moi, tout en préservant subtilement l’unité du moi avec le monde. (Hutchison, 1998, p. 102-103, trad. lib.)

Plus spécifiquement, le concept de maîtrise fait référence, pour Hutchison, à la capacité de « surmonter et manipuler son environnement » (1998, p. 104, trad. lib.) notamment par l’acquisition de la locomotion et de la parole. Il s’agit en fait d’agir afin de s’affirmer et de se maintenir en vie. À l’opposé de ce mode d’orientation au monde centré sur la maîtrise, se manifeste aussi selon Hutchison une orientation d’immersion dans le monde. L’auteur en traite comme une « immersion dans son milieu immédiat » (1998, p. 104, trad. lib.), où se vit alors une « intimité entre moi et le monde au-delà de ma frontière corporelle » (1998, p. 105, trad. lib.). Dans ces circonstances et lors de tels moments, « le moi est incorporé dans le monde » (1998, p. 105, trad. lib.) et il y un « enchantement » et une absorption dans le monde par les sens. Pour Hutchison, « le petit enfant entre profondément dans les structures de son monde et laisse le monde entrer profondément en lui » (1998, p. 105, trad. lib.). L’auteur fait référence ici à la notion de « participation mystique » de Jung ou encore à celle d’une « qualité magique » où le petit enfant « ne se reconnaît pas totalement distinct et séparé du monde, non plus que fonctionnellement autonome » (1998, p. 105, trad. lib.).

Dans le modèle proposé par Hutchison illustré à la figure 8.1, l’arrivée de l’enfance, vers l’âge de six ans, est signalée par la perte des dents de la première dentition, soit la chute des dents de lait. L’enfance introduit des changements importants où l’enfant doit intégrer ces deux modes de relation que sont la maîtrise et l’immersion.

En effet, à cause de la maîtrise de la mobilité et du langage ainsi qu’à cause de l’émergence d’un sens embryonnaire d’un moi séparé du monde, soit l’émergence du « je », le besoin de maîtriser le monde n’est plus aussi important et radical qu’auparavant. De plus, pour les mêmes raisons, l’enfant ne peut plus se fondre autant dans le monde. L’enfant ne peut donc plus vivre alternativement ces deux modes d’orientation opposés et contradictoires. Les grandes capacités langagières de l’enfant vers l’âge de six ans sont en lien avec trois événements déterminants qui indiquent un changement d’orientation face au monde. Premièrement, résultant d’une maturation de la notion du temps – la conscience chez l’enfant qu’il a un passé et un futur – l’enfant commence à ressentir le besoin d’une histoire

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personnelle. Deuxièmement, la maîtrise de la langue et de la locomotion, accompagnée de l’émergence de la conscience d’un moi séparé du monde, établissent la voie vers le développement de la vie culturelle de l’enfant et vers la co-construction et l’articulation d’une cosmologie fonctionnelle alors en émergence. Troisièmement, l’enfant est face à une dichotomie de modes de relation au monde, la maîtrise et l’immersion. C’est dans cette triple condition – le désir d’une histoire personnelle, celui d’une théorie de l’univers et celui d’un nouveau mode de relations au monde – que se développe nouvellement une quête de type narratif chez l’enfant. Entre la lutte pour un accomplissement biologique durant la petite enfance et un accomplissement individuel dans l’adolescence, l’enfant entre dans une entreprise constructiviste, visant non seulement à construire une cosmologie fonctionnelle de l’univers mais aussi, comme l’affirme Edith Cobb, un monde pour découvrir un Moi. (Hutchison, 1998, p. 108, trad. lib.)

Adulte Adolescence 12-18 ans IMMERSION MAÎTRISE

Enfance

6-12 ans

« Réciprocité entre moi et le monde »

« Construire une cosmologie fonctionnelle de l’univers »

ENGAGEMENT

Adulte Adolescence 12-18 ans IMMERSION MAÎTRISE

« Moi en tant que groupe d’appartenance »

« Mise à l’épreuve des compétences »

Petite enfance 0-6 ans

« Moi en tant que cosmos » « Rencontrer les défis de

la nature » IMMERSION MAÎTRISE IMMERSION MAÎTRISE Petite enfance 0-6 ans

« Moi en tant que cosmos » « Rencontrer les défis de

la nature »

Figure 8.1 Trois modes de relation au monde et leur expression dans les différents stades de développement : la maîtrise, l’immersion et l’engagement, dans Hutchison (1998, p. 102-103, trad. lib.).

Pour Hutchison, cette intégration des modes d’orientation de la maîtrise et de l’immersion est réalisée par l’engagement de l’enfant dans le monde, notamment dans des jeux d’équilibre et de réciprocité avec le monde ainsi que par la recherche d’une cosmologie. L’engagement, apparaissant durant l’enfance, permettrait de résoudre les oppositions entre la maîtrise et l’immersion en établissant un lien de réciprocité entre l’enfant et le monde, une sorte de dialogue où il n’y aurait ni fusion ni séparation, mais une sorte de joyeuse unité.

L’unité du moi et du monde, entre l’âge de 6 et 12 ans, établit l’enfance comme période critique pour acquérir une cosmologie sensible aux questions écologiques. Les affinités de l’enfant pour le monde sont caractérisées par une sorte de rythme de concessions mutuelles

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entre l’enfant et le monde l’environnant, une sorte d’engagement mutuel, une sorte de réciprocité entre le moi, la nature, le monde physique et le monde culturel où vit l’enfant. Durant l’enfance, il y a une volonté clairement exprimée par l’enfant d’exercer de nouveaux modes de pensée, de rechercher la cause des choses et d’établir une histoire personnelle de sa vie. L’enfance table sur les importantes capacités de perception de l’enfant et raffine ainsi le concept du moi – non en l’isolant du monde – mais en relation avec les capacités du monde à nourrir et par la diversité des expériences qu’il fournit. (Hutchison, 1998, p. 101-102, trad. lib.)

Hutchison caractérise ainsi cette période d’engagement où

l’enfant qui examine l’univers est dans une véritable recherche de sens et de but dans le monde de la nature et dans les univers physiques et culturels où il vit […]. En tant que période d’exubérance juvénile et d’aventures espiègles, l’enfance émerge comme une réponse festive aux nouvelles capacités de l’enfant en termes de locomotion, d’équilibre, de force et d’endurance. Chacune de ces capacités est mise à l’épreuve dans des jeux en courant, en sautant, en grimpant et en gardant l’équilibre, en vue d’expérimenter ses limites et de tester ses capacités face à la nature et à ses lois. (Hutchison, 1998, p. 107, trad. lib.) Hutchison accorde une importance à la fois littérale et métaphorique à cette question de l’équilibre en tant qu’élément intégrateur de la maîtrise et de l’immersion. Notons que David Hutchison utilise ici cette notion d’équilibre sans avoir recours à Piaget chez qui la notion d’équilibration est pourtant un concept intégrateur du développement.

Les jeux d’équilibre agissent en tant qu’épreuves des capacités physiques mais l’équilibre est aussi significatif en tant que métaphore guidant l’enfant dans sa recherche de sens, de réciprocité, de continuité et de forme dans le monde de la nature, dans le monde physique, dans le monde culturel et dans le monde moral entourant l’enfant. (Hutchison, 1998, p. 107, trad. lib.)

C’est notamment dans l’orientation sur le mode de l’immersion qu’on constate, selon l’auteur, les différences les plus importantes entre une fusion avec le monde durant la petite enfance – « moi en tant que cosmos » – et une fusion dans les groupes sociaux à l’adolescence – « moi en tant que groupe d’appartenance ». Voici comment Hutchison traite du passage entre la petite enfance et l’enfance.

De manière générale, durant la petite enfance, les questions du sens et du but équivalent à la satisfaction des besoins d’appartenance et de sécurité personnelle de l’enfant dans ses interactions avec son milieu immédiat. Cependant, à partir de l’enfance, apparaît une nouvelle qualité sémantique à la construction du monde de l’enfant alors qu’il cherche la qualité essentielle et la signification derrière les objets et les événements qu’il prenait pour acquis durant la petite enfance. Durant cette période, le langage constitue une activité organisatrice fondamentale du monde de l’enfance et le langage fournit les fondements pour les manipulations symboliques du monde des significations intérieures, subjectives et celles extérieures, intersubjectives. (Hutchison, 1998, p. 107, trad. lib.)

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Lors du passage de l’enfance à l’adolescence, passage marqué par la puberté selon Hutchison, la personne s’ouvre à de nouvelles réalités plus dures et cherche à s’affirmer encore davantage. S’ensuit un profond changement d’orientation face au monde et aux adultes.

Avec la fin de l’enfance, surgit profondément du pré-adolescent le besoin de soutenir une pensée indépendante et de tenir une place bien à soi dans le monde, une place définie selon les propres termes de l’adolescent. L’arrivée de l’adolescence est marquée par une discontinuité grandissante entre les désirs du Moi, les adultes responsables de l’adolescent et le vaste monde, discontinuité à laquelle correspond une prise de conscience existentielle des forces plus sombres et violentes à l’œuvre dans l’ensemble de l’univers. (Hutchison, 1998, p. 108, trad. lib.)

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