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2.2 Éducation

2.2.2 Éducation relative à l’environnement

Comme pour le concept d’éducation, il y a diverses conceptions de l’éducation relative à l’environnement. Elles peuvent reposer sur différentes conceptions de l’éducation et sur différentes conceptions de l’environnement. Par exemple, Yves Bertrand (1998, p. 14) distingue les théories de l’éducation selon leur situation relative « aux quatre éléments polariseurs » : 1) sujet, 2) société, 3) contenus et 4) interactions. Bertrand distingue alors « sept grands courants » représentés dans la figure 2.4 (1998, p. 17). Il est dès lors possible de situer des visions de l’éducation relative à l’environnement selon ces courants.

De la même manière, il est aussi possible de situer des visions de l’éducation relative à l’environnement selon les visions de l’environnement. La section 15.2 de ce mémoire présente diverses typologies et classifications de l’environnement et de la nature, notamment la typologie des représentations sociales de l’environnement proposée dans Sauvé (1996, 1997) et dans Sauvé et Garnier (2000), soit l’environnement « nature : à apprécier, à respecter, à préserver », « problème : à résoudre », « ressource : à gérer », « système : à comprendre en vue de prise de décision », « milieu de vie : à redécouvrir, à aménager et où résider », « biosphère : où vivre ensemble et à long terme » et « projet communautaire : où s’engager activement ».

Un regard sur l’histoire de l’éducation relative à l’environnement permet de dégager des tendances lourdes. Si Disinger (1984) fait remonter la première utilisation du mot éducation relative à l’environnement à 1948, ce n’est vraiment que vers la fin des années 1960 et le début des années 1970 que ce concept prend de l’importance. Berryman (1997b), Hammond (1998), Orellana et Fauteux (2000) et Swan (1975) retracent l’histoire de l’éducation relative à l’environnement et identifient certaines de ses racines importantes. On peut notamment y lire l’importance de la crise environnementale et de l’UNESCO dans l’émergence et la légitimation de l’éducation relative à l’environnement. Swan établit aussi des liens avec d’autres sources et « mouvements éducatifs » : éducation au milieu naturel, éducation à la conservation et éducation plein air, dont les racines sont souvent assez anciennes, remontant au XIXe siècle.

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Figure 2.4 Sept grands courants théoriques en éducation avec des auteurs types, organisés selon les quatre éléments polariseurs, d’après Bertrand (1998).

Contenu

(Objet)

Les matières, les

disciplines, l’intellect,

le raisonnement

Théories académiques, (Bloom, Hirsch)

Sujet

Valeurs spirituelles

et croissance de la

personne

Théories spiritualistes (Maslow, Krishnamurti) et personnalistes, humanistes (Rogers, Freud)

Interactions

Dimensions psychologiques

des liens sujet-objet

Théories psychocognitives (Piaget)

Amélioration du message par des

techniques appropriées

Théories technologiques

Aspects culturels, sociaux,

communautaires

Théories sociocognitives (Bandura, Vygotsky)

Société

Déterminismes

sociaux, problèmes

sociaux et

environnementaux,

changement social

Théories sociales (Freire, Bourdieu)

Sauvé, Berryman et Brunelle (2000), par une analyse de contenu des propositions de l’UNESCO et de l’ONU, dégagent aussi les représentations sociales de l’éducation et de l’environnement dans le discours de ces organisations depuis le début des années 1970 jusqu’en 1997. Cette analyse met en relief que l’emphase y est placée sur les problèmes environnementaux et l’éducation y est surtout représentée comme un instrument pour les

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régler, notamment par les sciences et les techniques et par une nouvelle forme de croissance économique. Cette analyse permet aussi de dégager les aspects qui sont négligés dans ce discours. Il s’agit dans ce cas des nombreuses autres dimensions des relations à l’environnement et à la nature, notamment celles plus positives et affectives associées à l’éco-ontogenèse. La thèse de doctorat de Hammond (1998) « The Earth as a problem : A curriculum inquiry into the nature of environmental education » établit aussi ce constat de la domination des problèmes environnementaux dans les curriculums en éducation relative à l’environnement. Jickling (1991) met en doute la possibilité de traiter effectivement et directement les problèmes environnementaux par l’éducation relative à l’environnement et la sagesse d’essayer de le faire.

Disinger (1984), Harvey (1976) et Johnson (1977) traitent de la question de définition de l’éducation relative à l’environnement. La synthèse de Disinger résume les propos de la thèse de doctorat de Harvey (1976), visant à délimiter précisément cette éducation et celle de Johnson (1977) comparant de manière quantitative l’éducation relative à l’environnement (environmental education), l’éducation à la conservation (conservation education), l’éducation plein air (outdoor education), l’enseignement de l’écologie (ecological education), l’éducation environnementalisée (environmentalized education) et l’éducation générale (general education). Johnson situe ainsi l’éducation relative à l’environnement comme étant celle ayant le plus d’intersections avec les autres. Sauvé (1997) retrace aussi cette volumineuse aventure définitoire de l’éducation relative à l’environnement. Elle propose des distinctions et des liens avec les principaux termes associés : formation relative à l’environnement, éducation mésologique, écologie, enseignement de l’écologie, sciences de l’environnement, enseignement des sciences de l’environnement, éducation à la conservation, éducation plein air, éducation à la nature, éducation science-technique-société, éducation globale, éducation pour le développement durable. Hart (1981) a établi une liste de vingt-cinq caractéristiques importantes de l’éducation relative à l’environnement à partir des publications dans le domaine entre 1968 et 1978. Hungerford, Peyton et Wilke (1980) ont formulé des buts pour le développement curriculaire en éducation relative à l’environnement à partir des travaux de Harvey et des résultats des conférences de Belgrade (UNESCO-PNUE, 1976) et de Tbilisi (UNESCO-PNUE, 1977). L’analyse des travaux de Disinger (1984), Hart (1981), Harvey (1976), Hungerford, Peyton et Wilke (1980), Johnson (1977) et de l’UNESCO-PNUE (1976, 1977) illustre l’importance accordée à la maîtrise des connaissances provenant des sciences de l’environnement et de l’écologie ainsi

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qu’à l’acquisition de compétences en résolution de problèmes. Une tendance lourde actuelle, celle portée par l’éducation pour le développement durable, est aussi fortement centrée sur les problèmes environnementaux où l’environnement est essentiellement vu comme un réservoir de ressources à gérer afin d’assurer un développement économique mondialisé et libéralisé. Dans ce discours, l’environnement et la nature sont des formes de capital (Sauvé, 1996 ; Sauvé, Berryman et Brunelle, 2000).

Les éléments dominants de ces discours sur l’éducation relative à l’environnement et les définitions qu’ils comportent sont finalement les suivants : les problèmes des ressources de l’environnement à connaître, à comprendre et à résoudre notamment par une maîtrise des connaissances provenant des sciences de l’environnement, dont l’écologie, ainsi que par la maîtrise de compétences en résolution de problèmes afin de s’engager à participer dans un changement social.

À partir de la classification des théories de l’éducation proposée par Bertrand (1998), l’analyse d’un corpus fondateur de l’éducation relative à l’environnement montre qu’elle possède de fortes racines dans le pôle société (changement social) et dans le pôle contenu (sciences de l’environnement et écologie). L’analyse de la table des matières du périodique « Environmental Education Research », évoquée dans la section 2.1.1 portant sur le corpus de l’éco-ontogenèse, illustre aussi que l’éducation relative à l’environnement possède une forte préoccupation sur le pôle des interactions, dans la perspective des théories psychocognitives et constructivistes portant sur les conceptions originales des enfants. L’analyse du corpus fondateur de l’éducation relative à l’environnement illustre aussi une centration importante sur une combinaison particulière de représentations sociales de l’environnement, où l’approche de l’environnement « problème : à résoudre » et « ressource : à gérer » sera facilitée par une approche de l’environnement comme « système : à comprendre en vue de prise de décision ».

Le sujet et le développement du sujet ne sont donc pratiquement jamais pris en considération. Bref, ni l’ontogenèse, non plus que l’éco-ontogènese ne sont généralement considérées. Pourtant, certaines conceptions de l’éducation relative à l’environnement et certaines définitions mentionnent cette question du développement humain, sans toutefois que cela ne se soit traduit en d’importants développements théoriques ou pratiques par rapport à ces questions d’ontogenèse. La définition proposée par Sauvé (1997) illustre bien cette ouverture

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à la question du développement qui est ici placée au cœur de la définition en termes de vision de l’éducation.

L’éducation relative à l’environnement (ERE) est une dimension intégrante du développement des personnes et des groupes sociaux, qui concerne leur relation avec l’environnement. Ce processus permanent a pour objectif global de développer chez la personne et le groupe social auquel elle se rattache, un savoir-être qui favorise l’optimalisation de leur relation au milieu de vie, de même qu’un savoir et un vouloir-agir qui permettent de s’engager dans des actions de nature à préserver, à restaurer ou à améliorer la qualité du patrimoine commun nécessaire à la vie et à la qualité de la vie. (Sauvé, 1997, p. 262)

La définition proposée par Sauvé (1997) se situe entre une définition très large « employée en 1975 par le Secrétariat de l’Unesco, dans un questionnaire sur les besoins et les priorités de l’éducation relative à l’environnement » (UNESCO, 1978, p. 4), les définitions de Harvey (1976) et celles ultérieures de l’UNESCO-PNUE (1987) centrées sur la résolution de problèmes et de conflits.

L’éducation relative à l’environnement est toute tentative délibérée d’aider des personnes (peu importe qui elles sont) à apprendre quelque chose (peu en importe la nature) dans un contexte donné (scolaire ou extra-scolaire) sur l’environnement (dans le sens large du terme), sur les mécanismes (individuels et collectifs) d’interaction réciproque entre l’homme et l’environnement, sur la nécessité de modifier ces mécanismes d’interaction et sur les façons de le faire. (Commission canadienne pour l’Unesco, 1978, p. 5)

Cette définition, très large, ne tient aucunement compte du développement humain et elle pourrait accommoder une discipline telle la géographie.

Les définitions de Harvey (1976) et de l’UNESCO-PNUE (1987) sont quant à elles essentiellement centrées sur des problèmes.

L’éducation à la relation personne-environnement est le processus de développement d’une population environnementalement informée (literate), compétente et engagée (dedicated), qui travaille activement (strives) à résoudre les conflits de valeurs dans la relation personne-environnement, d’une manière écologiquement et humainement sensée, de façon à atteindre le but ultime de l’homéostasie entre la qualité de vie et la qualité de l’environnement. (Harvey, 1976, p. 189, trad. lib.)

Lors du congrès UNESCO-PNUE de Moscou en 1987, dix ans après celui de Tbilissi qui avait confirmé les bases établies au colloque de Belgrade tenu en 1975, l’UNESCO-PNUE définissait ainsi l’éducation relative à l’environnement.

L’éducation relative à l’environnement (EE) est conçue comme un processus permanent dans lequel les individus et la collectivité prennent conscience de leur environnement et acquièrent les connaissances, les valeurs, les compétences, l’expérience et aussi la volonté qui leur permettront d’agir, individuellement et collectivement, pour résoudre les problèmes actuels et futurs de l’environnement. (UNESCO-PNUE, 1987, p. 7, par. 12)

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Dans le cadre de ce mémoire où la question de l’éco-ontogenèse est centrale, la définition de l’éducation relative à l’environnement qui est retenue s’inspire donc davantage de celle proposée par Sauvé (1997) qui est plus ouverte à la question du développement et moins centrée sur l’environnement problème. Outre cette focalisation sur l’éco-ontogenèse, les modifications les plus substantielles apportées à la définition proposée par Sauvé ont trait au groupe social et aux savoirs. La définition retenue ne se centre pas sur le développement d’un groupe social mais est toutefois sensible à la dynamique au sein d’un groupe social. Enfin, la définition ne propose pas de types de savoirs ni de modalités particulières pour la préservation, la restauration ou l’amélioration des qualités du milieu de vie.

L’éducation relative à l’environnement, dans une perspective d’éco-ontogenèse, est une dimension intégrante du développement des personnes et de la dynamique des groupes sociaux, qui concerne les relations avec l’environnement et particulièrement les relations à la nature dans l’éco-ontogenèse. Ce processus permanent a pour objectif global de favoriser, chez la personne, l’apparentement avec l’environnement et avec la nature, afin de contribuer à l’identité et au bien-être personnels et collectifs et afin de préserver la nature et les liens avec la nature. Ce processus a aussi comme objectif de contribuer à connaître, à préserver, à restaurer ou à améliorer les qualités du milieu de vie.

Dans la définition ci-dessus, la signification des mots nature et environnement fait référence aux concepts définis dans la section suivante. La notion d’apparentement ou de sentiment de parenté avec l’environnement et avec la nature fait référence quant à elle au corpus analysé dans ce mémoire et plus particulièrement à la thèse d’Harold Searles (1960/1986).

La thèse de ce livre est que l’élément non humain de l’environnement de l’homme forme l’un des constituants les plus fondamentaux de la vie psychique. Je suis convaincu que l’individu sent, consciemment ou inconsciemment, une parenté avec le non humain qui l’entoure, que cette parenté revêt une importance transcendante pour l’existence et que, comme bien d’autres données essentielles, elle est une source de sentiments ambivalents chez l’individu, qui, s’il s’efforce de fermer les yeux sur la force de ce lien, risque de compromettre sa santé psychique. (Searles, 1986/1960, p. 27 )

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