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Dans les trois écrits de Sobel étudiés dans le cadre de ce projet de recherche, Sobel fait directement référence au modèle de développement de Pearce, soit en nommant cet auteur et en exposant directement son modèle ou alors en évoquant la question des matrices qui sont au cœur de sa conception du développement. Le modèle de développement de Pearce en est un de différentiation et d’intégration où la personne se lie à une matrice, l’utilise comme base sécurisante et sûre pour favoriser l’exploration d’une nouvelle matrice avec laquelle, éventuellement, elle se liera alors pour en explorer une troisième, et ainsi de suite. Chacune des matrices ouvre sur un monde plus ample et plus vaste. La succession de matrices est la suivante : (1) utérus (womb), (2) mère/famille, (mother/family), (3) terre (earth), (4) moi (self), (5) esprit/cerveau (mind-brain), (6) esprit (mind).

Chaque matrice fournit à l’individu un endroit sécurisant et sûr dans lequel résider, une source d’énergie et un endroit à partir duquel explorer le monde, plus spécifiquement pour explorer la matrice suivante. (Sobel, 1993, p. 54, trad. lib.)

Sobel explique le sens de ce modèle à partir d’un exemple, celui d’un tout jeune enfant. À 18 mois, l’enfant est soutenu par la matrice mère/famille. De toute évidence, la mère et la famille pourvoient à tous les besoins physiques et psychologiques et encouragent l’enfant à interagir avec le monde. Sur la plage, ma fille de 18 mois fait de petites sorties

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pour fouiller au delà de la serviette de plage. Elle gambade vers le bord de l’eau, éclabousse et revient après quelques minutes pour être cajolée et avoir une rassurante accolade. Elle se promène tout près sur la plage, se penchant pour cueillir un coquillage, regarder un crabe ou voir les pélicans plonger et elle revient ensuite près de sa mère. Ce patron (pattern) d’explorations graduellement croissantes et de retours à une base où résider, à une sorte de chez-soi familier (home base) pour être réassuré, constitue le patron de base d’explorations de la petite enfance. (Sobel, 1993, p. 56, trad. lib.)

Sobel, prenant alors appui sur Pearce, estime comme lui que le développement humain reprend ce patron général.

Pearce soutient que si le développement se poursuit tel qu’il est biologiquement programmé, chaque matrice fournit ce genre de retraite sûre, le connu parmi l’inconnu. Chaque mouvement d’une matrice vers l’autre est comme une nouvelle naissance, cependant que le processus d’exploration a garanti qu’il y ait des ponts d’une matrice à l’autre. Chaque matrice est l’endroit sûr où revenir et le point de départ pour découvrir de nouveaux aspects du développement personnel. (Sobel, 1993, p. 56, trad. lib.)

Chaque matrice est donc associée à des âges en ce qui a trait à l’exploration et à la liaison (bonding). Le modèle de Pearce, tel que vu par Sobel, est donc celui d’une série de matrices où la personne se sent chez elle pour faciliter l’exploration de nouvelles dimensions de la vie.

L’individu est chez lui ou obtient sa force des matrices dans la séquence suivante : UTÉRUS : de la conception à la naissance

MÈRE/FAMILLE : de la naissance jusqu’à 7 ans TERRE : de 7 à 14 ans

MOI : de 14 à 21 ans

ESPRIT/CERVEAU : de 21 à 28 ans

ESPRIT : à partir de 28 ans (Sobel, 1993, p. 54, trad. lib.)

Avant de traiter plus en détails de l’application par Sobel de ce modèle aux questions de l’éducation et des relations à l’environnement, précisons que Sobel vise tout de même à se démarquer d’une application exacte et littérale du modèle de Pearce. Pour lui, « Pearce a contribué à une nouvelle compréhension du développement » et « il [Pearce] croit que l’enfant ainsi que l’adulte potentiel ont des capacités psychiques beaucoup plus vastes que ce à quoi nous aspirons » (Sobel, 1993, p. 53, trad. lib.). Faisant part de la thèse de Pearce, Sobel explique la manière dont il se l’approprie.

Selon lui [Pearce], toutes sortes de phénomènes parapsychologiques tels que la télépathie, la télékinésie, le voyage astral et la guérison par le psychique (psychic healing) sont accessibles à l’individu moyen. Il présente ensuite les stades de développement qui sont, affirme-t-il, biologiquement programmés pour créer un adulte dans toutes ses potentialités. Les vues de Pearce sont controversées mais l’attrait pour moi est qu’il a créé un modèle de développement que je considère utile. Par « utile » j’entends que ce cadre de référence m’a aidé à trouver un sens à mes observations des enfants.

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J’aime envisager les théories un peu à l’image des pièces de vêtements neufs. Il est important de les essayer pour voir si elles font bien, si elles sont ajustées et qu’elles semblent confortables au toucher. Si elles vont, si elles adhèrent aux formes du corps, ou à vos observations du monde, alors elles ont démontré leur valeur. Toutes les idées doivent être testées ainsi. (Sobel, 1993, p. 53, trad. lib.)

Voici alors comment Sobel s’habille du modèle de Pearce, dont il ne s’intéresse en fin de compte qu’au principe général et à trois âges – petite enfance, enfance et adolescence – afin de trouver un sens à ses observations. À la période de « latence », les enfants ressentent un besoin d’explorer le monde extérieur, d’explorer la matrice terre et ils vont s’y trouver ou s’y construire des lieux spéciaux : cabanes dans le bois, forts, maisons de poupées et autres. Ces lieux sont secrets, hors de la vue des adultes et une de leurs fonctions est de consolider l’ego, le moi de la jeune personne fragile qui commence à s’éloigner du foyer, du monde social, de la famille pour se construire une propre identité. L’enfant se lie alors à la matrice terre. Faire l’expérience de ces lieux sécurise l’enfant dans ses rapports au monde et dans sa quête d’autonomie. Ces lieux sont comme des « cocons pour un papillon à naître » (Sobel, 1993, p. 70, trad. lib.). Ils réconfortent l’enfant face aux forces du monde et l’enfant apprend à se construire un îlot pour observer le monde, pour s’ancrer, se sécuriser et développer une certaine autonomie. Dans ce contexte, dans cet îlot où la terre est sa matrice, l’enfant sécurisé commence à explorer la matrice du moi, il s’attarde à ce qu’il ressent.

Ce patron du développement, vu ici sous l’angle des lieux spéciaux, se répète dans les écrits de Sobel. Premièrement, le petit enfant et le jeune enfant sont en sécurité dans les liens sociaux intimes de la famille qui favorisent une certaine exploration du monde. Deuxièmement, l’enfant explore concrètement le monde dans ses sorties de plus en plus éloignées de la base familiale sûre et il établit des liens intimes avec le monde. Il apprend à se sentir chez lui et à l’aise dans le monde et il se lie à lui. Troisièmement, commencent l’exploration du moi, plus intime, plus intérieure, et celle des nouveaux liens sociaux coïncidant avec la puberté et l’adolescence.

Sobel associe cette poussée vers le monde concret et le milieu extérieur aux théories d’Erikson et de Piaget, chez ce dernier avec la notion des opérations concrètes et chez le premier, avec la question de l’autonomie (Sobel, 1993, p. 58). Sobel associe le stade des opérations concrètes à l’enfance et celui de la pensée formelle à l’adolescence. En ce sens, il importe à ses yeux que les enfants puissent travailler avec des choses plutôt qu’avec des mots et des symboles. S’interrogeant sur la notion de « période critique » pour le développement, il

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estime que les manipulations concrètes du monde pendant l’enfance pourraient correspondre à des activités d’une telle période.

Chose certaine, Piaget nous indique qu’il faut reconnaître le besoin d’engagement avec des matériaux concrets durant ce stade de « pensée opératoire concrète ». Les enfants sont biologiquement programmés pour apprendre et créer des concepts en travaillant avec des choses plutôt que de seulement ingérer mots et symboles. (Sobel, 1993, p. 80, trad. lib.) Pour Sobel, la tâche critique de cette période correspondrait à ce qui a été mis en lumière par Edith Cobb39.

Cobb suggère que ce qui est crucial c’est la chance de participer à des activités de construction d’un monde (world-making) ou de façonnage d’un monde (world-shaping). Les enfants ont besoin de cette occasion de créer, à l’intérieur de limites prescrites, des petits mondes. La création de ces mondes à partir de matériaux modelables (shapable), flexibles (open-ended) tels que le sable, le bois, l’argile et les Legos, offre aux enfants l’occasion d’organiser un monde et ensuite de trouver des lieux (find places) dans lesquels ils peuvent devenir eux-mêmes (where they can become themselves). (Sobel, p. 81, trad. lib.)

C’est aussi à la lumière des travaux de Cobb qu’on peut qualifier le modèle de Sobel de modèle d’intégration et de différenciation puisque c’est durant l’enfance, selon Sobel, que « les enfants font l’expérience d’être simultanément immergés dans et séparés de l’environnement » (Sobel, 1993, p. 84, trad. lib.).

Ce modèle de développement, Sobel l’applique ainsi à l’éducation relative à l’environnement ou à l’éducation au milieu naturel, alors qu’il affirme :

Ce qui est important c’est que les enfants aient l’occasion de se lier avec le monde naturel, d’apprendre à l’aimer et à s’y sentir confortables avant qu’on ne leur demande de guérir les blessures de ce monde. (Sobel, 1995, p. 13)

Appliqué au domaine de la géographie et de la cartographie, ce que Sobel nomme « l’alphabétisation écologique par la cartographie » (1998, p. 1, trad. lib.), le modèle trouve une nouvelle application.

Entre les âges de cinq et sept ans, les enfants commencent à s’éloigner de la maison et des parents pour explorer le monde naturel. De sept à onze ans, les enfants sont prédisposés à se fusionner avec la nature et à construire un sens géographique du monde autour d’eux. De onze à treize ans, les habiletés géographiques des enfants mûrissent (geographic skills mature) et ils commencent à se diriger vers un stade de conscience sociale. En conjonction avec ce développement, les enfants passent clairement au travers d’un processus de

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Sobel fait référence au texte suivant : Cobb, E. 1959. « The Ecology of Imagination in Childhood » Daedalus, 88(3), 537-548. Ce texte a aussi été publié dans Shepard et McKinley (1969). Edith Cobb en fit une version plus complète sous la forme d’un livre portant le même titre (Cobb, 1977).

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progression cognitive dans leur habileté à faire des cartes et à les comprendre. (Sobel, 1998, p. 11, trad. lib.)

Finalement, notons que Sobel identifie les traits de maturité physique comme indicateurs de stades, soit le début de la perte des dents de lait comme entrée dans la période de l’enfance et la puberté comme entrée dans l’adolescence (Sobel, 1998, p. 10 ; 1993, p. 48, 51 et 97).

7.2 Le sujet : un être psychologique et biologique relativement fragile dont le moi est en

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