• Aucun résultat trouvé

2.3 Environnement

2.3.5 Et alors l’environnement? La nature?

Les discussions précédentes, faisant entre autres référence aux typologies et aux classifications du chapitre XV, témoignent des visions diverses de l’environnement et de la nature. Au sens où nous l’entendons ici, la très contemporaine notion d’environnement est plus générale et globale que celle de nature. Cependant, le désenchantement de certains montre que le concept d’environnement tend parfois à être réducteur et à éclipser le monde du vivant, à éclipser la vie, à éclipser la dynamique de la présence au monde où la vie devient alors objectivée et réduite à des processus biophysiques appréhendés dans une perspective très mécaniste. L’environnement faisant référence à ce qui environne, à ce qui entoure et interagit, il est donc normal et prévisible que dans une société occidentale, urbaine, industrielle, nord-américaine et matérialiste, cet environnement soit fortement empreint de constructions humaines et fortement objectivé et réduit en composantes et processus matériels.

Le concept d’environnement retenu dans ce mémoire ne peut aller totalement à l’encontre de cette notion contemporaine qui reflète la société. La notion d’environnement retenue prend appui sur une partie de la définition proposée par Lucie Sauvé dans le contexte de l’éducation relative à l’environnement, soit « l’ensemble des éléments biophysiques du milieu de vie qui interagissent avec les êtres vivants de ce milieu » (Sauvé, 1997, p. 45). Un mot y est ajouté pour mettre un peu plus l’emphase sur les processus biophysiques plutôt que sur les seuls éléments biophysiques. De plus, la notion de milieu de vie est précisée à même la définition du concept d’environnement, en s’inspirant de la définition de la notion de milieu proposée par Sauvé (1997, p. 47). L’environnement devient ainsi l’ensemble des éléments et des processus biophysiques interagissant avec les êtres vivants dans un espace-temps spécifique. Dans ce contexte, on notera que l’environnement ne correspond pas nécessairement au milieu de vie du sujet.

La nature est un sous-ensemble de l’environnement et la notion de nature est donc incluse, en partie, dans celle d’environnement. Le sens du mot nature entendu dans ce mémoire correspond davantage à la nature sauvage, au « wildness », ou à l’expression de la Grèce antique « phusis » ou « physis ». Une définition de la nature ainsi que deux définitions de

53

« physis » sont présentées, à la suite desquelles un bref exposé vise à préciser cette idée de nature avec des exemples. L’idée de nature dans ce mémoire est proche de l’une des définitions des philosophes Isabelle Mourral et Louis Millet.

la nature désigne l’ensemble de ce qui existe et qui ne résulte pas de l’initiative humaine : le ciel et la terre, les animaux et les plantes, le sol, la mer et les fleuves, etc. Cet ensemble est conçu comme un cosmos, c’est-à-dire un univers ordonné, régi par des lois. (Mourral et Millet, 1995, p. 218)

Un lexique historique des termes philosophiques grecs présente ainsi le concept de « phusis » ou de « physis ».

Phýsis : nature

[…] il signifiait trois choses différentes et reliées : 1) le processus de croissance ou genesis […] 2) la matière physique dont sont faites les choses, l’arche dans le sens de Urstoff […] 3) une sorte de principe organisateur intérieur, la structure des choses. (Peters, 1967, p.158) Il y a un contexte grec bien particulier associé à cette notion, notamment une question de théisme qui n’est pas considérée ici. Le sens de « physis » est donc à situer dans un contexte contemporain en le joignant avec l’idée de « nature sauvage » et de « wildness ». Cette notion de « physis » est d’intérêt parce qu’elle met en relief les processus spontanés de la nature. Y sont joints la genèse de l’objet, l’objet et ses processus dynamiques. Voici encore comment le philosophe Joseph Grange présente ce concept.

Les choses spécifiques de la nature naissaient d’une force auto-émergeante qui était toujours impressionnante, irrésistible. [… ] La nature, en tant qu’entité physique, était vivante et elle fleurissait, faisant apparaître des formes de « ce qui est ». De plus, cette puissance était « partout autour » mais généralement intensément localisée à des sites possédant des forces particulières – par exemple les grottes, ruisseaux, cavernes, montagnes et autres lieux qui enchantaient l’esprit grec. (Grange, 1989, p. 78-79, trad. lib.) Des plus lointains aux plus proches, les entités et phénomènes suivants seront qualifiés ou disqualifiés comme nature au sens de « physis ». Les « étoiles » qui brillent dans la « nuit », le « soleil » qui illumine le « ciel » et qui modifie les couleurs et les apparences de tout ce qu’il éclaire selon sa « déclinaison » variable, la « lune » qui éclaircit le « ciel nocturne », le « ciel » et les « nuages », voilà autant de manifestations de « physis ». Les « océans » avec leurs « vagues » et leurs « marées », les « poissons », les « algues » et autres « organismes » qui y vivent, le « sable » ou le « gravier » de la « plage » à partir d’où on est en présence de cette nature sont des manifestations de « physis ». Les « montagnes », les « falaises » et les « caps » sont des manifestations de « physis ». Les « arbres non plantés par les êtres humains » et les « animaux sauvages » de la « forêt » sont des manifestations de « physis ». Les « cours d’eau non dragués » coulant librement sont aussi des manifestations de « physis ». « L’érable à Giguère » qui pousse spontanément dans les « interstices » non

54

asphaltés, la « fourmi » sur le trottoir, « l’araignée » qui tisse sa « toile » où sont captées des « gouttelettes » de « rosée » qui « brillent » au « soleil » du matin sont encore des manifestations de « physis ». Les processus spontanés et non contrôlés volontairement dans l’être humain sont aussi des manifestations de « physis » : la « croissance générale », la « respiration », les « battements du cœur », la « croissance » des « cheveux », le « vieillissement » et les « rides » sont encore des manifestations de « physis ».

La « brebis Dolly » n’est pas « physis », un « plant de soja transgénique » n’est pas « physis », un « arbre de rue planté et émondé » n’est pas « physis », un « animal » dans un « zoo » n’est pas « physis », un « animal domestiqué » n’est pas « physis », un « jardin » n’est pas « physis », un « lac artificiel » n’est pas « physis ». Dans ces phénomènes, « physis » est là, elle est active, mais l’origine résulte de l’activité humaine ou alors les processus sont modifiés et contrôlés par les êtres humains.

Dans le cadre de ce mémoire, la notion de nature fait référence ainsi à ces phénomènes et à ces entités, vivantes et non vivantes, d’émergence, de genèse et de croissance spontanées, dont l’origine et les processus sont hors de la volonté et du contrôle de l’être humain.

Les exemples de ce qui est qualifié et de ce qui est disqualifié ne visent pas à rejeter les phénomènes disqualifiés. Il s’agit ici de préciser le concept de nature envisagée dans le contexte de l’éco-ontogenèse. Les autres phénomènes, ceux disqualifiés du concept de nature, sont ainsi davantage associés au concept plus général d’environnement. La nature est donc entendue dans un certain sens de « monde originel » (Bourneuf, 1997, p. 28).

Outline

Documents relatifs