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Maintenant, l’enfant va à la limite du campement et il s’amuse à fouiller (foraging). Le jeu est une imitation des animaux qui débute simplement en jouant à se sauver pour ensuite attraper (fleeing and catching). Le jeu se poursuit en une joyeuse imitation des animaux les plus importants en devenant eux pour un instant et ensuite ne plus être eux, se sentant soudainement comme un tel animal doit se sentir et ensuite tel celui-là. Tous les animaux sont ainsi essayés sur soi. (Shepard, 1982, p. 10, trad. lib.)

Pour Shepard, « l’enfant est libre » et « on ne lui demande pas de travailler ».

Il peut grimper et éclabousser et creuser et explorer les richesses infinies autour de lui. Puis, il désire de plus en plus fabriquer des choses et comprendre ce qu’il ne peut toucher ou changer et il s’interroge sur ce qui n’est pas visible. Son monde est plein d’histoires racontées, parlant d’une chasse récente, relatant des événements importants et des épopées denses en significations. L’enfant a été baigné de voix d’une sorte ou d’une autre. Des voix qui ne durent qu’un instant mais qui proviennent de la vie. L’enfant apprend que toute vie raconte quelque chose et que tout son – celui de la grenouille qui croasse, celui des vagues de la mer – émane d’un être qui lui est apparenté et significatif, racontant une histoire, offrant un indice ou imitant un rythme qu’il devrait connaître. Il n’y a pas de fin à ce qui est à apprendre. (Shepard, 1982, p. 10-11, trad. lib.)

Shepard compare ces relations, avec un monde organique jouant un rôle important dans le développement de la personne, avec celles dans un « environnement fabriqué ». Rappelons en effet que pour Shepard,

Vers l’âge de trois ans, l’enfant va dans le monde. Sa mission d’une durée de neuf années est d’établir une relation de confiance et une relation vivante avec un nouveau joueur terrestre encore plus complexe à partir de sa symbiose avec sa bonne mère. Sa mission est aussi d’apprendre lentement à maîtriser les nouveaux patrons (patterns) de la vie non humaine qui serviront un jour à forger son identité lorsqu’il entrera dans la société adulte comme adolescent. (Shepard, 1982, p. 102, trad. lib.)

L’absence de la nature est significatif pour Shepard et il note trois manières qu’a cette absence de heurter l’enfant. L’extrait ci-dessous permet de préciser l’objectif des relations avec la nature et avec les animaux sauvages en ayant recours au contre-exemple.

L’absence de nombreuses vies non humaines, un panaché de plantes liées aux sols, la proximité des tempêtes, les vents, les odeurs des plantes, la fantastique diversité des formes d’insectes, les ruisseaux surprenants, le mystère de la vie cachée dans l’eau ainsi que la ronde des saisons et celle des migrations – comment l’absence de cette réalité heurte-t-elle l’enfant?

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Premièrement, la vie dans un monde fabriqué établit lentement dans l’enfant le sentiment qu’être non vivant (nonlivingness) constitue l’état normal des choses. L’existence y apparaît comme construite à partir du dehors ou assemblée du dehors. Éventuellement l’enfant en conclura qu’il n’y a pas de déploiement intrinsèque depuis l’intérieur (intrinsic unfolding), qu’il n’y a pas de vie unique et intérieure, mais qu’il y a seulement de la substance ou de la matière qui, étant manipulée, offre l’illusion de la spontanéité.

Deuxièmement, lorsqu’il retournera dans la société après l’adolescence sans avoir vécu l’initiation dans le monde des mystères de la finalité et de sa poésie (world of final mysteries), il croira soit que (a) toute vie, incluant les gens, est en fait une machine (je soupçonne que cette idée prévaudra si sa mère a été inadéquate) ou (b) les seules vraies choses vivantes sont des gens; ce qui ouvre la voie à toutes les dichotomies qui séparent l’humain du non humain sur la base de l’âme, de l’esprit, de la pensée, de l’histoire, de la culture, de la parole, des droits, du droit de vivre et ainsi de suite.

Troisièmement, il deviendra soit un spectateur ou un exploitant. Le monde pourra être perçu comme étant intéressant ou comme étant morne et inutile mais ce ne sera pas un monde qui ressent et qui communique, qui a des messages spéciaux pour lui ou qui poursuit des buts qui sont indépendants des siens. Cette inhabileté perçue du monde à ressentir sera en fait sa propre réponse mécanique qu’il projettera sur le monde. Il sera alors comme le petit enfant dont les émotions sont handicapées parce qu’il a été trop longtemps baigné dans un monde inerte. (Shepard, 1982, p. 102-103, trad. lib.)

Dans l’ontogenèse telle qu’envisagée par Shepard, le passage à l’adolescence marque aussi un changement dans les relations avec l’objet, avec la nature, qui contribue à préciser l’identité. C’est une transition vers des considérations plus abstraites et symboliques à partir d’une expérience plus concrète du monde. Voici comment l’auteur envisage cette intégration depuis la petite enfance.

La centration sur soi du nourrisson et du petit enfant dans les premiers mois de la vie sert comme un état d’esprit à partir duquel des relations plus larges sont développées de la même manière qu’elle le fera encore à l’adolescence à un autre niveau [Shepard faisant ici référence à la centration sur soi de l’adolescence]. Ce n’est pas le fantasme d’omnipotence du petit enfant ou ses sentiments d’amour/haine envers sa mère, mais son mouvement hors de cette dualité qui constitue le résultat crucial de l’adolescence. La graduation depuis la matrice maternelle vers la sphère plus large de la matrice de la terre durant la fin de la petite enfance et durant l’enfance constitue les bases pour de bonnes relations d’objets et cette graduation fait aussi partie plus tard de l’exercice de graduation de l’adolescent vers un statut d’adulte. Les jeux de mots (wordplay) et l’esprit poétique (poetry-mindedness) de l’adolescent ainsi que sa nouvelle sensibilité à la pensée symbolique l’éloignent des activités de classification de la réalité concrète – des animaux, des plantes, de la météo (weather), des roches, des planètes et de l’eau – qui avaient été la tâche principale du langage (the central tasks of speech) durant l’enfance. (Shepard, 1982, p. 65, trad. lib.) La tâche des adultes est alors d’initier et de guider les adolescents vers ces dimensions symboliques.

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Pour Paul Shepard, les relations avec le non humain sont fondamentales afin que la personne humaine se sente chez elle dans le monde. Les propos de Shepard sur les agents et leurs relations avec l’objet, ainsi que ses propos sur le milieu, éclairent aussi la perspective de l’auteur sur les relations entre l’enfant et la nature non humaine.

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