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La Maternité : ethnographie d’un milieu hospitalier 1 Une maternité de référence : présentation du terrain 1 Une maternité de référence : présentation du terrain

Chapitre 3 Dispositif méthodologique

2 Recueil des données

2.2. La Maternité : ethnographie d’un milieu hospitalier 1 Une maternité de référence : présentation du terrain 1 Une maternité de référence : présentation du terrain

J’ai choisi d’effectuer le terrain principal dans une grande maternité universitaire afin d’être au plus près de la médecine de pointe et de référence dans le domaine. Celle que je désignerai sous le pseudonyme « La Maternité » pour le reste du manuscrit est implantée dans une ville de Suisse romande.

La Maternité accueille aussi bien des situations à bas risques qu’à haut risques (1/3 des cas pris en charge selon le site internet) qui lui sont transférées de toute la région. Les taux de césariennes (moins de 30%) et d’épisiotomies (un peu moins de 13%) qui y sont pratiqués sont inférieurs à la moyenne suisse79. 80% à 90% des femmes y accouchent sous péridurale selon les informations internes.

Huit salles d’accouchement (dont deux « salles natures »80) et deux blocs de césarienne en urgence sont ouverts et regroupés dans le même espace (familièrement désigné par le terme « saldac »). Il y a également dans ce même lieu des salles de réanimation des nouveau-nés, de stockage du matériel et des médicaments, d’entretien, de mesures de laboratoire, une salle de pause et une salle de recueillement. Dans le service, il y a enfin des bureaux. Les médecins en ont deux petits et le « bureau des sages-femmes », en forme de L, est utilisé à la fois par les sages-femmes, les médecins et infirmiers anesthésistes, et les gynécologues-obstétriciens81. Toutefois, on y croise une majorité de sages-femmes. Dans ce bureau, plusieurs ordinateurs sont accessibles, ainsi que des classeurs avec les protocoles, des informations diverses, les documents administratifs et les dossiers de parturientes en cours. Les monitorings de surveillance de toutes les salles y sont retransmis sur de grands écrans et les professionnelles peuvent consulter les arrivées au service des urgences (par lequel transitent les femmes avant d’être « montées en salle d’accouchement »). Les salles d’accouchements sont neuves, claires, pourvues de large fenêtres et équipées d’un lit et de matériel médical.

Près de cinquante sages-femmes différentes sont affectées à la salle d’accouchement (avec des taux d’activité compris entre 50 et 100%). A ce chiffre il faut ajouter les sages-femmes intérimaires, celles du pool qui peuvent être appelées en renfort, ou encore les étudiantes.

Ce sont les sages-femmes qui sont les professionnelles centrales pour la prise en charge des accouchements : si les médecins sont responsables de tous les accouchements et qu’ils les surveillent, ils n’interviennent qu’en cas de complication. La plupart des femmes qui viennent accoucher à La Maternité ont été suivies par un gynécologue-obstétricien installé en cabinet, certaines à l’hôpital ou par une sage-femme indépendante. Un groupe de plusieurs sages-femmes salariées de l’hôpital offrent un suivi global des situations physiologiques (de la grossesse jusqu’au post-partum) pour les femmes qui le souhaitent.

Trois sages-femmes agréées ont également accès au plateau technique.

79 Source : statistique hospitalière de l’Office Fédéral de la santé publique (OFSP) : http://www.bag.admin.ch/themen/krankenversicherung/01156/01157/?lang=fr

80 Dans les « salles nature » on trouve : un lit modulable qui favorise une variété de positions, des lianes en tissu pour se suspendre, un ballon, une baignoire à partager entre les deux chambres, un grand lit bas dit « lit parental », en plus des autres machines et petits matériels médicaux présents ailleurs. Je renvoie aux dessins des salles d’accouchements qui sont présentés au début de la quatrième partie et de la cinquième partie.

81 Voir la photo présentée au début de la quatrième partie.

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Les médecins, à la différence des sages-femmes, ne sont pas rattachés à un secteur en particulier mais tournent au gré des gardes entre les secteurs du service d’obstétrique (urgence, salle d’accouchement, prénatal, postpartum). Dans tout le service d’obstétrique, il y a 18 médecins internes, 6 chefs de clinique, cinq médecins adjoints du chef de service, et un chef de service (la majorité des médecins travaillent à plein temps). A titre de comparaison il y a dans le service environ 150 postes de sages-femmes en équivalent temps-plein. A ce titre, on peut dire que l’obstétrique est d’abord le monde des sages-femmes.

Les gardes des sages-femmes s’effectuent en 12 heures de 7h à 19h et de 19h à 7h. Six sont normalement présentes par gardes. Une sage-femme expérimentée occupe le statut de

«référente». Elle à un rôle de coordination, de suivi de l’activité et de conseil82. Elle n’a pas de patientes attribuées. A la prise de garde, les sages-femmes se répartissent les situations qui sont toutes inscrites sur un grand tableau blanc dans le bureau des sages-femmes en notant leur nom. Ce travail de répartition est ajusté plusieurs fois dans la journée en fonction des entrées et des sorties, ou si un cas se complique et nécessite plus de présence.

Les gardes des médecins s’effectuent également en 12 heures, de 8h à 20h et de 20h à 8h.

En salle d’accouchement, un médecin interne est présent en continu. La nuit, il a aussi la charge du service prénatal et post-partum. Le chef de clinique est présent pour prendre des décisions, réaliser certaines interventions ou, en fonction de l’avancement de l’interne, le superviser quand il les réalise. Il a la charge de plusieurs secteurs en simultané. Le médecin adjoint de garde est présent lors des transmissions médicales du matin. Celui-ci peut être appelé en renfort si les médecins sont occupés sur une situation complexe, ou si le cas nécessite un médecin très expérimenté. En tant que dernier maillon de la chaîne de responsabilité, l’adjoint de garde est aussi régulièrement appelé pour un avis si le chef de clinique hésite à propos de la catégorisation du risque à attribuer à une situation (un échange téléphonique suffit souvent). Les médecins adjoints et le chef de service sont également présents en salle d’accouchement quand ils ont la charge de patientes qui disposent d’assurances privées (« 1è classe », dire privée, ou « 2è classe », c’est-à-dire semi-privée).

En plus des médecins et des sages-femmes de nombreux autres professionnel.le.s circulent dans la salle d’accouchement : médecins et infirmier.ère.s anesthésiste, pédiatres, aides-soignant.e.s, personnel de bloc, agents d’entretien, chercheuses (sages-femmes la plupart du temps), étudiant.e.s, etc. Les parturientes peuvent être accompagnées par la personne de leur choix (le plus souvent, c’est le conjoint). Des protocoles établis par les médecins adjoints et le chef de service régissent l’activité, et toutes et tous sont tenus de les respecter.

Ayant participé en Master à une recherche sur l’information et les risques pendant la grossesse dirigée par la Professeure Claudine Burton-Jeangros, qui est ma co- directrice de thèse, j’avais déjà rencontré une partie des acteurs clés de La Maternité, ou dans le cas contraire, ma co-directrice de thèse l’avait fait. Cela m’a particulièrement aidée dans l’entrée

82 Elle s’occupe d’appeler les différents personnels pour ouvrir le bloc opératoire quand une césarienne est décidée en cours de travail, elle consigne les naissances dans un grand cahier et créée un dossier informatisé pour chaque nouveau-né, elle s’occupe des admissions et des départs vers le service post-partum ou à domicile, elle répond au téléphone, elle donne des conseils aux sages-femmes qui viennent lui poser des questions lors d’un doute sur une prise en charge, les alerte si elle estime qu’une situation devient pathologique ou douteuse, etc. Elle est aussi appelée par la sage-femme lorsque la naissance est imminente.

sur le terrain : la démarche sociologique était connue, et le sérieux des chercheuses reconnu. Les personnes que j’ai rencontrées ont été très intéressées par ma recherche et m’ont soutenue dans le processus d’accès.

Pour autant, la négociation de l’entrée sur le terrain a été longue et s’est déployée sur un an (avril 2012 à mars 2013, date de l’entrée sur le terrain). J’ai rencontré plusieurs des

« gatekeers » (D. M. White 1950) de l’institution à qui j’ai présenté la recherche, souvent avec l’appui de documents écrits: chef de service, deux médecins adjoints, trois sages-femmes faisant de la recherche dans l’hôpital83. J’ai également préparé un protocole destiné à la commission d’éthique médicale, qui conditionnait mon accès sur le terrain. Une médecin adjoint, qui a représenté un intermédiaire crucial pour moi, a accepté d’avoir officiellement la responsabilité de la recherche comme requérante principale et de signer le protocole (ce qui ne pouvait être fait que par un médecin de l’institution à cette période-là). Nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises. Cette médecin avait lu et commenté mon protocole afin d’avoir les meilleures chances d’obtenir l’aval du comité d’éthique. En novembre 2012, le comité d’éthique a accepté la recherche et les observations ont pu commencer en mars 2013 (pour des questions d’organisations internes, cela n’était pas possible avant). J’ai alors présenté la recherche à plusieurs autres sages-femmes/infirmières responsables de service ou de secteurs (en colloque et/ou entretiens individuels) adressé un email pour me présenter (avec copie du protocole) à toutes les sages-femmes et médecins, et présenté la recherche oralement lors d’une réunion d’équipe sage-femme, et d’un colloque de l’équipe médicale.

2.2.2 Présentation des données produites

Les observations menées à La Maternité se sont déroulées pendant un peu plus de six mois de mi-avril à début novembre 2013, avec une fréquence de deux à trois journées (2/3 des observations) ou nuits par semaine (que je pouvais librement choisir). A la différence des

« observations sous surveillance » qu’a été contraint de mener Fournier (1996), j’ai disposé d’une liberté totale, à la condition que les professionnelles et les parturientes acceptent individuellement ma présence et signent un formulaire de consentement. J’ai ainsi pu accéder aux accouchements eux-mêmes, aux réunions du personnel, aux colloques médicaux et sages-femmes de présentation des cas, aux conférences qui avaient lieu à la maternité, aux moments de pause.

J’ai eu recours à la pratique du « shadowing » (Czarniawska 2007), c’est-à-dire que j’ai suivi à chaque garde une sage-femme dans tous ses déplacements ou presque84. J’arrivais toujours à la prise de garde du matin ou du soir pendant laquelle je sélectionnais en priorité les situations qui étaient au départ considérées par les professionnelles comme physiologiques, ou avec des facteurs de risques réduits. Ce qui m’intéressait en effet, c’était les situations de prises en charges classiques, normales, pour des accouchements qui auraient pu se dérouler aussi bien à la maison, en maison de naissance, qu’en maternité.

C’était aussi un moyen de rassurer les professionnelles sur ma présence qui ne perturberait pas leur activité, en particulier dans des situations compliquées. Je n’ai pas sélectionné les situations dans lesquelles une étudiante était déjà impliquée afin de ne pas multiplier le

83 A titre d’exemple, quatre mois se sont écoulés avant de pouvoir obtenir un entretien avec le chef de service.

84 J’ai aussi suivi de la même manière des médecins quelques fois, mais la majorité de mes observations ont consisté à suivre les sages-femmes qui étaient au plus proche de l’activité quotidienne en salle d’accouchement.

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nombre d’observatrices. J’essayais aussi de suivre des situations différentes (provocation de l’accouchement, accouchement rapide ou long, avec ou sans péridurale, parturientes de classes sociales favorisées ou défavorisées, femmes transférées d’une maison de naissance, etc.). Une fois que les sages-femmes avaient choisi une situation, je me rendais auprès de la sage-femme correspondante à la situation sélectionnée85 et lui demandais si je pouvais l’accompagner (en lui réexpliquant si nécessaire mon rôle et la nature de ma recherche). Si elle acceptait (ce qui était presque toujours le cas), je suivais la transmission entre elle et la sage-femme précédente. Dans la plupart des cas, la sage-femme allait ensuite se présenter à la parturiente et lui présentait ma recherche, en décrivant la thématique et en insistant bien sur le fait qu’elle était totalement libre de participer (je demandais systématiquement à la sage-femme d’appuyer ce point). Si la parturiente acceptait, ce qui a été toujours le cas sauf dans deux situations86, je rentrais à mon tour dans la salle, me présentais ainsi que la recherche, et disais à nouveau que la parturiente pouvait ne pas souhaiter ma présence, et me demander de sortir (ou le demander à la sage-femme) et ce à tout moment du processus et sans que cela n’ait d’impacts sur les soins.

Conformément aux exigences du comité d’éthique, je remettais une feuille d’information à la parturiente et lui demandais de signer le formulaire de consentement. Ces démarches ont été facilitées par le fait que l’immense majorité des femmes bénéficiaient d’une péridurale.

Par ailleurs, j’ai essayé autant que possible de sélectionner des femmes qui n’étaient pas trop avancées dans le travail de l’accouchement afin de pouvoir me présenter.

Au total, j’ai suivi l’accouchement de quarante femmes (pour lesquelles j’ai presque toujours eu accès à leurs dossiers médicaux), dont deux accouchements avec une sage-femme agréée, et un accouchement avec le groupe des sages-femmes qui pratiquent un accompagnement dit global87. J’ai aussi croisé plusieurs dizaines d’autres femmes dans des interactions courtes et j’ai récolté des données (dans le bureau des sages-femmes, ou dans les colloques médicaux par exemple) concernant de nombreuses autres situations. J’ai également assisté à onze colloques médicaux (dans lesquels sont présentés les situations compliquées ou qui se sont compliquées), trois colloques sages-femmes (qui concernent surtout l’organisation des soins ou du travail) et à plusieurs conférences qui ont eu lieu dans l’hôpital (certaines après la fin de mon terrain).

Au niveau des professionnelles j’ai suivi 21 sages-femmes et cinq médecins (interne ou adjoints) différents, certaines à plusieurs reprises, d’autres une seule fois. J’ai également récolté des documents tels que: les dossiers des patientes, les protocoles, les documents d’information à destination des parturientes, les formulaires de consentement, les notes de service relatives à l’organisation du travail (en particulier des médecins).

Le terrain à La Maternité m’a permis, en plus de la récolte des données à proprement parlé, de me familiariser avec la pratique des sages-femmes et des médecins, les techniques à disposition, le jargon utilisé, l’organisation du travail, etc. Cette connaissance s’est révélée indispensable pour comprendre les enjeux qui se jouent sur le terrain et conduire ensuite des

85 Il m’arrivait parfois de choisir une situation plutôt en fonction de la sage-femme qui la suivait.

86 Il s’agissait de femmes de classe moyenne à supérieure, avec un niveau d’éducation élevé. J’y reviendrai.

87 Malgré le rythme soutenu du nombre d’accouchements pris en charge à La Maternité tous les jours, le flux était variable, tout comme les cas, et il m’est arrivé quelques fois de ne pas pouvoir suivre une sage-femme dans une situation. Cela était d’autant plus fréquent lorsque les étudiant.e.s sages-femmes étaient présentes. Je me contentais alors d’assister aux échanges entre professionnel.le.s dans le bureau des sages-femmes ou lors du colloque médical.

entretiens de qualité. Comme le soulignent Gosjean et Lacoste (2005) : « pour donner un sens à ce qu’il voit et entend, le chercheur de terrain ne saurait faire l’économie d’un apprentissage des savoirs spécifiques des agents, qu’ils soient sociaux, situationnels ou techniques » (p.21)

2.3. La Maison de Naissance, l’accouchement à domicile et autres

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