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Le cas suisse : une multiplicité de possibilités pour une diversité de situations situations

Chapitre 3 Dispositif méthodologique

1 Le cas suisse : une multiplicité de possibilités pour une diversité de situations situations

La Suisse constitue un pays particulièrement favorable pour s’intéresser aux modalités de construction des risques qui donnent lieu à des pratiques spécifiques. Une diversité de choix est accessible aux femmes, par exemple : petit ou grand hôpital, maison de naissance (accolée à l’hôpital ou non), domicile, hôpital avec une sage-femme agréée, etc. La plupart de ces possibilités sont prises intégralement en charge par l’assurance maladie. Les médecins et les sages-femmes peuvent intervenir dans le suivi de la grossesse et de l’accouchement.

En 2015, plus de 86 000 naissances ont eu lieu en Suisse55. Brailey et al. (2015) estiment qu’environ 90% des femmes enceintes ont été suivies par leur gynécologue-obstétricien.

Lors de l’accouchement, au minimum une sage-femme est normalement présente. En fonction des hôpitaux, un médecin sera appelé pour la fin de l’accouchement, viendra faire des contrôles en cours d’accouchement, ou ne sera appelé par la sage-femme qu’en cas de complications56.

55 Source : Office Fédéral de la Statistique (OFS) / BEVNAT.

56 Je ne dispose pas de données concernant la possibilité de « free birth » (ou accouchement non-assisté) en Suisse, c’est-à-dire d’accouchements qui se sont déroulés, par choix, sans sage-femme ou médecin. Ces pratiques très minoritaires, sont plus visibles dans les pays anglo-saxons (en particulier Australie et Etats-Unis), notamment car une partie de ces femmes sont actives sur internet (Jackson, Dahlen, et Schmied 2012; Miller 2012).

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En 2010, 98,8% des accouchements se sont déroulés à l’hôpital (Hanselmann et von Greyerz 2013). Parmi ceux-ci, près de 80% ont été pris en charge en hôpital public, et les 20% restant dans les hôpitaux privés. Selon ces chiffres, seules 1,2 % des naissances ont eu lieu en dehors d’un hôpital (Hanselmann et von Greyerz 2013b). Une progression de l’accouchement à domicile et en maison de naissance est mise en évidence par la Fédération suisse des sages-femmes (Fédération suisse des sages-femmes et al. 2015)57. Sur les 85'287 naissances qui ont eu lieu en 2014, 1254 se sont déroulées en maison de naissance et 877 à domicile, soit un total de 2,5% des naissances. Les taux de transferts en cours d’accouchement ont été de 10,9% pour les accouchements prévus à domicile et de 15,5% pour ceux prévus en maison de naissance (p.27)58. Les accouchements à l’hôpital avec une sage-femme indépendante dite « sage-femme agréée »59 ont été au nombre de 1410 (p.28).

En Suisse (comme c’est le cas dans de nombreux autres pays comme la France), les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher disposent d’une protection sociale, notamment en matière de santé, particulièrement étendue. Depuis la modification de la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal), entrée en vigueur en mars 2014, tous les frais médicaux (pour maladie) des femmes enceintes à partir de la treizième semaine de grossesse et jusqu’à huit semaines après l’accouchement sont pris intégralement en charge (sans participation aux coûts, ni franchises ni quote-part). Jusqu’alors seules les prestations qui concernaient la maternité bénéficiaient d’une telle couverture. Le Parlement a ainsi clairement inscrit le suivi médical des femmes enceintes et jeunes accouchées comme un cas particulier et prioritaire. Il s’agit de garantir et de favoriser l’accès de toutes les femmes et de tous les nouveau-nés à une surveillance et des soins médicaux.

En ce qui concerne les prestations de maternité (art. 29, LAMal), ce sont les suivantes qui sont prévues en cas de « grossesse normale » : sept consultations (dont six peuvent être réalisées par une sage-femme (art.16, Ordonnance sur les prestations de l'assurance des soin (OPAS)), deux échographies (entre la 12è et la 14è semaine de grossesse et entre le 20e et la 23e semaine) réalisées par un médecin, un test du premier trimestre, un contrôle post-partum ainsi que 10 à 16 visites à domicile par une sage-femme. L’assurance prend également en charge des cours de préparation à la naissance à la hauteur de 150 CHF (Art.

14, OPAS). En cas de grossesse à risque ou de complications, ces prestations sont étendues sur prescription médicale (visite à domicile d’une sage-femme pendant la grossesse ou après l’accouchement, échographies supplémentaires, consultations et examens complémentaires, etc.).

L’assurance de base prend en charge les coûts lors d’un accouchement à domicile, d’un accouchement dans un hôpital, et depuis 2012, dans une maison de naissance (pour autant

57 Voir aussi l’article paru sur le site internet du journal 24 heures : « Record des accouchements avec sage-femme » le 30 avril 2014 : http://www.24heures.ch/vivre/societe/record-accouchements-sagesfemmes/story/24427690 (consulté le 1.05.2015).

58 Les auteures du rapport précisent que seulement 0,3% de l’ensemble des accouchements suivis par une sage-femme ont conduit à un « transfert urgent en raison d’une situation mettant en jeu le pronostic vital » (ce qui représente 3,6% de l’ensemble des transferts, soit moins de 30 cas) (p.28). La cause la plus fréquente de transfert a été la stagnation du travail ou le travail prolongé, suivi par un souhait de la parturiente d’être transférée, puis une anomalie de la position fœtale (p.28-29), et d’autres causes.

59 Ces sages-femmes sont sous-contrat avec un hôpital pour pouvoir utiliser le plateau technique.

Elles sont soumises aux règles institutionnelles et aux protocoles de l’hôpital en question.

que l’hôpital ou la maison de naissance figure sur la liste hospitalière du canton de résidence de la patiente)60. Certains coûts doivent être néanmoins supportés par les femmes / les familles qui choisissent l’accouchement en maison de naissance. Il s’agit par exemple des frais de garde de la sage-femme dans certaines maisons de naissance61 ou des frais d’hôtellerie du conjoint ou des enfants qui accompagnent la parturiente (une centaine de francs par nuitée). Les cours de préparation à la naissance dispensés par des sages-femmes indépendantes dépassent en général le montant alloué par la LAMal de 100 à 200 francs. Dans la maison de naissance dans laquelle j’ai fait mon terrain, il faut ajouter également le coût de l’inscription et de la cotisation pour devenir membre de l’association62. En obstétrique, la frontière entre le normal et le pathologique participe à organiser les prises en charge, entre hôpitaux et entre professionnel.le.s. En Suisse, les hôpitaux universitaires accueillent des accouchements normaux et pathologiques. Ils sont en mesure de prendre en charge les cas les plus risqués et/ou graves en ce qui concerne les pathologies fœtales ou maternelles. Les cliniques privées et les hôpitaux périphériques ne peuvent accueillir que des accouchements faiblement ou moyennement risqués en fonction de leurs équipements et organisations respectives, en plus de prendre en charge les accouchements normaux63. Bien que comme en France, un mouvement de fermeture des petites maternités, au profit de structures plus grandes s’est opéré, le plus grand hôpital de Suisse n’accueille que 4000 naissances par an, plus de la moitié des accouchements ont lieu dans des institutions qui pratiquent entre 500 et 1500 accouchements par an, et 20% dans des institutions qui en pratiquent moins de 500 (Vuille 2016)64. En ce qui concerne les professionnel.le.s, la frontière entre le normal et le pathologique peut organiser la division du travail entre médecins et sages-femmes (c’est typiquement le cas aux Pays-Bas (Akrich et Pasveer 1996)), ou plus souvent servir à délimiter l’exercice des sages-femmes, comme c’est le cas en Suisse. Les médecins peuvent en effet prendre en charge le suivi des grossesses et des accouchements physiologiques et pathologiques tandis que l’exercice autonome des sages-femmes est limité à la physiologie.

Les médecins installés en cabinet accompagnent les accouchements des patientes en clinique privée. Celles-ci doivent soit disposer d’une assurance privée ou semi-privée, soit accepter de payer comptant l’accouchement. La clinique des Grangettes à Genève propose par exemple un forfait accouchement par voie basse pour un séjour de cinq jours à 12'000 CHF. Il faut y ajouter les honoraires du médecin, ainsi que les « frais liés à d’éventuelles complications médicales ». Une césarienne en urgence par exemple sera facturée 1'700

60Source :http://www.bag.admin.ch/themen/krankenversicherung/04114/11250/11263/index.html?lang

=fr (consulté le 2.11.16) et http://www.geburtshaus.ch/main/naissance_couts.php (consulté le 2.11.16)

61 Pour les maisons de naissance de « Dix Lunes » à Genève, de « La Grange Rouge » à Grens (Vaud) et de « Lunaissance » à Lully (Vaud), ceux-ci représentent un forfait de 350 CHF.

62 Cela représente entre 150 et 300 CHF. Il est cependant précisé que des aides peuvent être apportées aux parents qui ne pourraient pas être en mesure de financer leur accouchement en maison de naissance.

63 En France les hôpitaux sont classés entre catégorie 1, 2, et 3. Tous peuvent accueillir des situations normales, mais plus le niveau de risque où la pathologie augmente, plus la parturiente sera orientée vers une maternité d’un niveau élevé. Pour une analyse de cette situation, je renvoie aux travaux de Carricaburu (Carricaburu 2005, 2007).

64 La source à laquelle recourt Vuille est la suivante : Euro-Peristat, SCPE et EUROCAT, « European Perinatal Health Report. The health and care of pregnant women and babies in Europe in 2010 », mai 2013, table 3.1. “Main sources of data used by Euro-Peristat in 29 European coutries in 2010”, p.46.

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CHF65. La Suisse est au-dessus de la moyenne de l’OCDE concernant le nombre de gynécologues-obstétriciens pour 100 000 femmes (respectivement 35.7 et 27.3) (OCDE 2013). C’est une spécialité dont la féminisation ne cesse de progresser et qui comprend déjà une plus grande proportion de femmes (en 2014 55% des gynécologues sont des femmes selon l’OFSP (Grutter et al. 2015)).

L’article 16 (OPAS) précise les contours des compétences professionnelles attribuées aux sages-femmes. En dehors des « grossesses normales », elles sont tenues de travailler en collaboration, ou sous délégation d’un médecin : « lors d'une grossesse à risque, sans manifestation pathologique, la sage-femme collabore avec le médecin; lors d'une grossesse pathologique, la sage-femme effectue ses prestations selon la prescription médicale ». Ce sont les réglementations cantonales qui définissent plus précisément, et de manière plus ou moins détaillée (canton de Genève versus du Valais), les activités des sages-femmes.

L’activité autonome des sages-femmes y est limitée aux suivis des grossesses ou accouchements « physiologiques » ou « normaux » et aux soins des femmes et nouveau-nés qui s’inscrivent dans ce cadre66. La survenue de complications doit obligatoirement conduire à un avis / un suivi médical (bien que dans une situation d’urgence, la sage-femme puisse intervenir)67. La sage-femme a aussi le droit de prescrire certains examens et d’administrer des médicaments « nécessaires à l’exercice de sa profession » (Vaud : LSP, art. 122h, Neuchâtel : RePMéd art.56 ; Genève RPS art.56) et selon une liste établie par l’ordonnance sur l’assurance maladie (OAMal) ou la direction générale de la santé. Son rôle de « promotion de la santé publique » est également mentionné dans la LSP (art. 122h).

Dans tous les cantons, la sage-femme a le devoir d’annoncer les naissances à l’état civil (si les parents ne le font pas). En outre, les sages-femmes sont tenues, dans le canton de Neuchâtel, de « tenir un registre spécial des accouchements auxquels elle[s] procède[nt] à domicile » (RePMéd Art.59). En Suisse, les sages-femmes sont très majoritairement des

65 Source : http://www.grangettes.ch/en/content/excellence-maternity-care?id=6955 (consultée le 9.11.16).

66 Dans le canton de Vaud, la loi sur la santé publique (LSP), entrée en vigueur en janvier 1986 précise que l’activité de la sage-femme consiste à: « assurer le suivi des grossesses physiologiques (…) assister la mère et l'enfant pendant l'accouchement, ainsi que conduire de façon indépendante un accouchement présumé normal. » (art. 122h). Dans le canton de Neuchâtel, le Règlement concernant l'exercice des professions médicales universitaires et des autres professions de la santé (RePMéd) de mars 1998 confère le droit à la sage-femme « d’accompagner, assister et conseiller une femme lors de sa grossesse et de son accouchement physiologique, dans le post-partum et jusqu'au sevrage; de conduire de façon indépendante un accouchement présumé normal » (art.56). Dans le canton de Genève, le Règlement sur les professions de la santé (RPS) d’août 2006 instaure le droit pour les sages-femmes de « pratiquer les contrôles de grossesse physiologique, (…) pratiquer des accouchements normaux, de surveiller et assister la mère et l’enfant pendant l’accouchement physiologique, de prodiguer des soins aux femmes enceintes, aux parturientes, aux accouchées et aux nouveau-nés en situation physiologique » (art.77).

67 Dans le canton de Vaud la sage-femme peut « dispenser les soins curatifs que prescrit le médecin ou que nécessite l'état de la patiente en cas d'urgence (…); s'il se présente des complications [pendant l’accouchement], elle est tenue de faire immédiatement appel à un médecin » (LSP, art.

122h). Dans le canton de Genève : « Toute anomalie de la grossesse, de l’accouchement ou des suites de couches oblige les sages-femmes à faire immédiatement appel à un médecin. Les cas d’extrême urgence et l’assistance à personne en danger sont réservés » (RPS art.78). Elle peut ainsi en cas d’urgence et « jusqu’à l’arrivée du médecin » : expulser le placenta par des manœuvres externes, administrer des utéro-contractants intraveineux (…) ». Les sages-femmes n’ont pas le mais

« n’ont pas le droit de « faire un accouchement par le siège, pratiquer des accouchements instrumentaux (…) ». A Genève, contrairement aux autres cantons romands, cette liste est très détaillée.

femmes : selon l’association des médecins du canton de Genève (AMG), le premier homme sage-femme a été diplômé en 2004 en Suisse68. Elles deviennent sages-femmes par l’obtention d’un Bachelor délivré par les Hautes Ecoles de Santé (d’une durée de trois à quatre ans), qui sont indépendantes des facultés de médecine. Celles qui sont infirmières ont accès à des voies spécifiques qui permettent de devenir sage-femme après deux ans d’études supplémentaires. Contrairement à la situation des gynécologues-obstétriciens, le nombre de sages-femmes pour 100’000 femmes en Suisse est inférieur à la moyenne de l’OCDE (respectivement 69.9 et 57.9) (OCDE 2013). Celles-ci restent cependant plus nombreuses que les gynécologues-obstétriciens en nombre absolu.

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