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Gouverner par le risque: une ethnographie comparée des lieux d'accouchement en Suisse romande

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Gouverner par le risque: une ethnographie comparée des lieux d'accouchement en Suisse romande

GOUILHERS, Solene

Abstract

Si l'accouchement est défini comme un moment à risque, des controverses autour du niveau de sa technicisation prennent cependant de l'ampleur. Ma thèse s'inscrit dans cette actualité en analysant les modalités de régulation de l'accouchement par des dispositifs concurrents : accouchement intra et extra hospitalier. Je questionne l'usage des techniques, de la médecine et du risque sur la reproduction, en me défaisant de l'idée qu'ils représentent a priori une contrainte pour les femmes, mais en analysant ce qu'ils produisent. J'ai ainsi conduit une ethnographie comparée en Suisse romande auprès de professionnel.le.s et de parturientes. Mettre en évidence les points d'achoppements et de similarités des dispositifs rend compte de comment ils font système, avec ce que cela comprend d'ajustements, de compromis et de rapports de force. Cette thèse invite à renouveler la recherche sur le risque dans le domaine de la naissance, en insistant sur l'importance de se centrer sur les usages.

GOUILHERS, Solene. Gouverner par le risque: une ethnographie comparée des lieux d'accouchement en Suisse romande. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. SdS 63

URN : urn:nbn:ch:unige-1017304

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:101730

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:101730

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ethnographie comparée des lieux d’accouchement en Suisse romande

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Solène Gouilhers-Hertig

sous la codirection de

professeure Mathilde Bourrier et professeure Claudine Burton-Jeangros

pour l’obtention du grade de

Docteure ès sociologie

Membres du jury de thèse:

Mme Danièle CARRICABURU, Professeure, Université de Rouen, France Mme Delphine GARDEY, Professeure, Université de Genève, présidente du jury

Mme Irene MAFFI, Professeure, Université de Lausanne, Suisse

Thèse no 63 Genève, 29 juin 2017

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ii

Gouverner par le risque

La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 14 février 2015

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteure

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Table des matières

Résumé xi

Remerciements ... xiii

Introduction générale ... 1

Partie 1 Etudier l’accouchement dans une « société du risque » : controverses, enjeux théoriques et dispositif méthodologique ... 7

Chapitre 1 L’accouchement comme cas typique des transformations du champ de la santé 9 1 Accoucher au XVIIIe siècle ou au XXIe siècle : entre continuités et bouleversements 9 1.1. « Le grand déménagement » : du domicile vers l’hôpital (XVIIIe – XXe siècle). 9 1.2. Sortir à nouveau de l’hôpital ? Mouvements contestataires et « humanisation » des maternités (1960-2016) ...13

2 Accoucher dans une « société du risque » ...17

2.1. De la distinction du normal et du pathologique à la classification des risques .17 2.2. Médecine, risques et techniques : instruments d’aliénation ou outils d’émancipation ? ...24

3 Controverses scientifiques: vers une reconfiguration de l’obstétrique ? ...30

Chapitre 2 Gouverner l’accouchement par le risque ...37

1 Approche théorique et concepts ...37

1.1. Vers l’analyse des usages ...37

1.2. L’approche socio-culturelle des risques : articuler le niveau structurel et individuel ...41

2 Questions de recherche ...47

Chapitre 3 Dispositif méthodologique ...51

1 Le cas suisse : une multiplicité de possibilités pour une diversité de situations ...51

2 Recueil des données ...55

2.1. Des dispositifs qui font système : multiplier les angles de vue ...55

2.2. La Maternité : ethnographie d’un milieu hospitalier ...61

2.2.1 Une maternité de référence : présentation du terrain...61

2.2.2 Présentation des données produites ...63

2.3. La Maison de Naissance, l’accouchement à domicile et autres lieux : ethnographies de milieux extrahospitaliers ...65

2.3.1 Une maison de naissance récente et à proximité de l’hôpital ...65

2.3.2 Présentation des données produites ...67

(5)

iv Gouverner par le risque

2.3.3 Diverses observations : faire « feu de tout bois » pour pallier les difficultés d’entrée 68

2.4. Les entretiens : récolter des informations, combiner pratiques et discours ...69

Conclusion de la première partie ...73

Partie 2 Du risque intolérable à surveiller, au moment magique à préserver . 75 Chapitre 4 Construction du risque: « c’est toujours un risque parce que ce n’est pas tolérable » ...77

1 Des risques incontestables et incontestés : un discours dominant ...77

1.1. Démonstration par les preuves scientifiques ...77

1.2. Démonstration discursive par l’expérience ...79

1.3. Le corps de la femme enceinte comme « bombe à retardement » ...83

2 Des risques construits comme intolérables ...88

2.1. La mère et l’enfant, des êtres innocents à haute valeur symbolique ...88

2.2. Des complications rendues impossibles, invisibles et anachroniques par le progrès médical ...89

Conclusion du chapitre 4 ...91

Chapitre 5 Construction du moment magique : « un des plus beaux jours de votre vie » 93 1 Un évènement extraordinaire et transcendant ...93

2 L’accouchement comme acquisition d’un nouveau statut ...96

2.1. De femme à mère ...96

2.2. D’homme à père ...98

2.3. De couple à famille ...99

2.4. De fœtus à personne ... 101

3 Le « mal joli » : des sensations à éprouver dans son corps ... 102

3.1. Une douleur qui a du « sens » ... 102

3.2. Une douleur tolérable ... 103

3.3. Des sensations agréables: « the best-kept secret » ? ... 107

4 Un processus physiologique ... 110

Conclusion du chapitre 5 ... 114

Chapitre 6 Entre risque intolérable à surveiller et moment magique à préserver : tensions et tentatives de conciliation ... 117

1 Tendre vers une incertitude maîtrisée ... 117

2 Tendre vers une incertitude normalisée ... 125

Conclusion du chapitre 6 ... 130

Conclusion de la deuxième partie ... 133

(6)

Partie 3 Gouverner l’accouchement par le risque : surveillance et

catégorisations dans le contexte hospitalier ... 137

Chapitre 7 La construction formelle des risques : le cadre protocolaire ... 139

1 La fabrication des protocoles ... 139

1.1. Une standardisation globale : l’evidence-based-medicine comme impératif .. 139

1.2. Une standardisation locale pour réduire l’incertitude ... 141

1.2.1 Une classification des risques définie ... 141

1.2.2 Un monopole des médecins responsables ... 143

2 Une régulation perçue comme nécessaire ... 148

2.1. Un pilier de la « culture de la sécurité » ... 148

2.1.1 Protéger les parturientes et les fœtus… ... 148

2.1.2 … et protéger les professionnelles ... 152

2.2. Réglementer et standardiser : une nécessité organisationnelle ... 152

2.2.1 Homogénéiser les pratiques ... 153

2.2.2 Contrôler la temporalité de la naissance... 155

Conclusion du chapitre 7 ... 158

Chapitre 8 La construction des risques en acte : gouverner l’accouchement ... 161

1 Des corps de parturientes sous surveillance : le biopouvoir en salle d’accouchement 162 1.1. Une surveillance omniprésente, omnisciente et rationalisée : une « médecine de monitoring » ? ... 162

1.1.1 Une surveillance omniprésente ... 162

1.1.2 Une surveillance omnisciente ... 169

1.1.3 Une surveillance rationnalisée ... 171

1.2. Quand le normal ne suffit plus : des résultats parfaits de surveillance comme objectif ... 173

1.2.1 Les courbes de dilatation ... 174

1.2.2 Les poussées actives ... 176

1.2.3 Les tracés de monitoring ... 180

1.3. Entre auto-surveillance et anxiété: les parturientes face à la surveillance ... 186

2 Des professionnelles sous surveillances: gouverner par l’argumentation ... 192

2.1. Développer « son sens clinique » : un impératif soumis à un travail de justification ... 193

2.2. « Documenter tout ce qu’on fait tout le temps » : se justifier pour se protéger des risques médico-légaux ... 198

2.3. Le colloque comme instance de régulation des pratiques ... 204

3 La gestion des risques en contexte ... 210

(7)

vi Gouverner par le risque

3.1. Le cas de la pratique privée : une définition du risque élargie ... 210

3.2. Quand la définition du risque est contingente à sa responsabilité : la coordination interservices ... 214

3.3. La gestion du risque sous la contrainte des conditions matérielles : « Il faut que ça accouche, on ne peut pas le nier ». ... 215

Conclusion du chapitre 8 ... 221

Conclusion de la troisième partie ... 225

Partie 4 Négociations et gouvernement des corps dans le contexte hospitalier 229 Chapitre 9 Sages-femmes et médecins : entre rapport de force normalisé et pratiques à couvert ... 231

1 L’illusion d’un ordre négocié: les juridictions professionnelles entre sages-femmes et médecins ... 231

1.1. La physiologie, juridiction des sages-femmes... 231

1.2. Les « zones de gris » : une juridiction partagée ? ... 234

1.2.1 Ressources expérientielles et discursives ... 234

1.2.2 L’ « autonomie des patientes » comme ressource ... 238

1.2.3 Des médecins débordés : une ressource pour l’autonomie des sages- femmes 239 1.2.4 Les ressources relationnelles ... 240

1.3. Quand l’« ordre négocié » reste limité : un compromis en faveur des médecins 240 1.3.1 Une responsabilité statutaire de tous les accouchements ... 240

1.3.2 Accepter d’être subordonnée pour acquérir des espaces de liberté ... 241

1.3.3 Les « savoirs faisant autorité » comme enjeu de pouvoir. ... 242

2 Individualiser la prise en charge de l’accouchement par les transgressions : « un secret d’institution » ... 252

2.1. Transgresser pour défendre la physiologie ... 253

2.2. Des transgressions sous conditions ... 255

2.3. Pratiques clandestines ou secrets de polichinelle ? ... 257

Conclusion du chapitre 9 ... 262

Chapitre 10 Des parturientes à la marge de la construction des risques ... 267

1 Quand les parturientes négocient ... 267

1.1. L’autonomie entre impératif éthique et valeur professionnelle ... 267

1.2. Quelques traces de négociation par les parturientes ... 270

2 Inégalités face à l’autonomie ... 271

2.1. Assurance privée : l’assurance de privilèges ... 272

(8)

2.2. Des « femmes natures » aux « cas psycho-sociaux » : de l’étiquetage

ressource à l’étiquetage stigmate... 274

2.2.1 Les femmes « natures » : une étiquette qui protège ... 274

2.2.2 Les cas « psycho-sociaux » : une étiquette qui stigmatise ... 277

3 Quand l’autonomie menace : gouverner les comportements pour le bien des femmes et des professionnelles ... 282

3.1. Stratégies de cadrage de l’autonomie ... 282

3.1.1 Un service d'urgence ... 282

3.1.2 Gouverner par l’espace, la parole, et la gentillesse : réguler en incitant . 282 3.1.3 Gouverner par la peur et discipliner par la force : réguler en contraignant 285 3.2. L’autonomie comme menace pour les femmes et les fœtus ... 287

3.2.1 S’en remettre aux professionnelles : une garantie d’être « sauvés » ... 287

3.2.2 S’en remettre aux professionnelles : un rempart au sentiment de culpabilité 292 3.3. L’autonomie comme menace pour les professionnelles ... 294

3.3.1 Des corps indisciplinés ... 294

3.3.2 Des habiletés professionnelles en voie de disparition... 296

3.3.3 « Si ça te convient pas, tu accouches ailleurs » : un contrat tacite ... 298

3.3.4 Les contraintes matérielles ... 300

Conclusion du chapitre 10 ... 305

Conclusion de la quatrième partie ... 309

Partie 5 Sortir l'accouchement de l’hôpital: « le meilleur que je pouvais donner [à mes enfants] » ... 313

Chapitre 11 Mettre à distance la culture biomédicale du risque ... 317

1 Accepter l’incertitude et repousser le concept anxiogène de risque : un système de valeurs ... 317

2 La naissance : un événement naturel, banal et familial… ... 320

3 …ou une expérience extraordinaire et conjugale ? ... 321

Conclusion du chapitre 11 ... 324

Chapitre 12 Accoucher en dehors de l'hôpital comme protection des risques iatrogènes 327 1 Se protéger des effets iatrogènes: « c'était un risque d'aller à l'hôpital ! » ... 327

1.1. Se protéger des « cascades d'intervention » ... 327

1.2. Se protéger d'un environnement hostile : des microbes toujours « plus costauds » ... 330

1.3. Protéger la collectivité ... 331

(9)

viii Gouverner par le risque

2 Soutenir activement la physiologie ... 332

2.1. Préparer l'espace ... 332

2.2. Préparer et soutenir le corps ... 334

2.3. Préparer et soutenir le psychique ... 335

2.4. Préparer pour réguler ? ... 338

3 Construire la sécurité: « c'est pas que je me jette par la fenêtre sans cordes! » ... 342

3.1. Trier les risques ... 342

3.2. Agir en cas de complications: outils médicaux et outils de sages-femmes .... 346

3.2.1 Une science de la maïeutique pour consolider l'indépendance ... 346

3.2.2 Savoirs et outils médicaux : de l'intervention à la délégation ... 349

Conclusion du chapitre 12 ... 354

Chapitre 13 Combiner preuves et valeurs pour reconstruire les risques médicaux 359 1 A la recherche d'une « juste médicalisation » ... 359

1.1. « L’extrême urgence » : une situation trop rare pour déterminer le dispositif . 359 1.2. Une vision élargie et variée de la normalité ... 361

1.2.1 Des limites formalisées dans des protocoles ? ... 363

1.3. Un savoir médical désenchanté ... 365

1.3.1 Une médecine sous influences ... 365

1.3.2 Epidémiologie contre estimation des risques en situation ... 367

2 Revaloriser d'autres risques en fonction des valeurs : vers une value-based medicine ? ... 369

2.1. Les atteintes au corps maternel ... 369

2.2. Empowerment et risques psychosociaux ... 370

2.3. Le vécu de l'enfant et les atteintes corporelles ... 372

3 Des limites négociées entre sages-femmes et parturientes ... 373

3.1. A la recherche d'une garantie d'auto-détermination : « rester maître des décisions » ... 373

3.2. Une négociation en acte ou anticipée ... 375

3.3. Les injonctions de l'alternative au biomédical : « être une vraie » ... 381

Conclusion du chapitre 13 ... 383

Chapitre 14 De l’accouchement à domicile aux « salles nature » de l’hôpital : un compromis ? 387 1 L’accouchement à domicile ou en maison de naissance : des pratiques sous contrôle ? ... 387

1.1. Une régulation externe : l’hôpital et l’entourage ... 387

1.1.1 Les transferts : entre dépendance et droit de regard ... 387

(10)

1.1.2 Des injonctions à entrer dans la norme ... 391

1.2. Une régulation intériorisée... 393

1.2.1 Les sages-femmes : une socialisation hospitalière ... 393

1.2.2 Les parturientes : le maintien de l’ambivalence ... 397

1.3. Normaliser la déviance en faisant « profil bas » ... 400

2 L’accouchement à l’hôpital : en voie de réformation ? ... 405

2.1. « Une philosophie de la physiologie » ... 405

2.2. Faire venir « la maison à l’hôpital » ... 406

Conclusion du chapitre 14 ... 409

Conclusion de la cinquième partie ... 417

Conclusion générale ... 421

Bibliographie ... 439

Annexes i Liste des tableaux ... i

Liste des dessins ... ii

Liste des vignettes ...iii

Entretiens : tableaux récapitulatifs ...iv

Guides d’entretiens ... x

Photos / images des outils de surveillance ... xvi

(11)
(12)

Résumé

L’accouchement est défini par le monde médical comme un moment à risque et incertain, qui doit donc prendre place à l’hôpital. Des controverses croissantes sur le niveau de technicisation (autour par exemple de l’« épidémie de césariennes ») ne cessent cependant de prendre de l’ampleur. Ma thèse s’inscrit dans cette actualité et propose d’analyser les modalités de régulation de l’accouchement par des dispositifs concurrents (accouchement à domicile, en maison de naissance, à l’hôpital). Je questionne l’usage des techniques, de la médecine et du risque sur la reproduction, en me défaisant de l’idée qu’ils représentent a priori une contrainte pour les femmes, mais en cherchant plutôt à analyser ce qu’ils produisent.

J’ai ainsi recours au concept de gouvernement développé par Foucault et à la perspective socio culturelle des risques proposée par Lupton (Lupton 2013b, 2006; Tulloch et Lupton 2003). La « fabrication » du risque au quotidien est analysée en tant qu’entreprise de pouvoir ; le risque n’existe pas en soi, en dehors des dispositifs, des individus et de leurs relations, il émane de ceux-ci. Dans la continuité des travaux de Lupton, il s’agit d’articuler un niveau microsociologique à l’échelon des pratiques individuelles, et plus meso et macro, qui prennent en compte les structures sociales et politiques, et notamment les règlements (institutionnels, la loi, etc.) qui organisent les activités médicales. L’enjeu n’est pas de comprendre pourquoi la naissance est médicalisée, mais comment elle l’est effectivement, par qui, sous quelles conditions et avec quelles nuances (d’appropriation, de distanciation, de résistance, d’instrumentalisation, etc.).

Pour réaliser ce projet, j’ai conduit une ethnographie multi sites (Marcus 1995) en Suisse romande. J’ai mené un terrain principal dans une maternité universitaire composé de 6 mois d’observations et de 44 entretiens approfondis avec des sages-femmes, des médecins et des parturientes (/des couples). Un terrain secondaire a été conduit dans le monde de l’accouchement extrahospitalier. Celui-ci a combiné des observations variées dans une maison de naissance, de débats/projections, de cours de préparation à la naissance, etc. 30 entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de sages-femmes qui accompagnent des accouchements à domicile et/ou en maison de naissance, et des femmes (/des couples) qui avaient fait ce choix. Dans l’ensemble de ces terrains, j’ai en plus récolté des documents institutionnels (protocoles, dossier de patientes, etc.) et associatifs.

Ces outils m’ont permis d’analyser les processus complexes de co-construction des prises en charge légitimes – ou plus contestées – de la naissance et de construction des risques.

L’ethnographie comparée à un niveau local a conduit à analyser les dispositifs parallèles (voire concurrents) de prise en charge de l’accouchement et d’analyser les points d’achoppements et de similarités pour montrer comment cela tient ensemble, comment les dispositifs font système, avec ce que cela comprend d’ajustements, de compromis, de prises de pouvoir, de justifications, etc. Ils s’inscrivent plus sur un continuum de pratiques et de représentations qu’en rupture les uns par rapport aux autres.

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Remerciements

J’aimerais commencer par remercier très chaleureusement mes co-directrices de thèse, Mathilde Bourrier et Claudine Burton-Jeangros, pour leur compagnonnage scientifique tout au long de ce parcours de thèse. Leur soutien et leur disponibilité, leurs relectures, suggestions et commentaires, ont été très précieux pour mener à bien ce processus. Vous avez définitivement marqué mon identité de chercheuse et j’espère que nos collaborations se poursuivront longtemps.

Je remercie ensuite les membres de mon jury, Danièle Carricaburu, Delphine Gardey et Irene Maffi pour nos échanges riches et leurs remarques pertinentes. Vos commentaires m’ont aussi fait prendre conscience du travail accompli et me poussent à poursuivre mon engagement de sociologue ! Un clin d’œil spécial à Delphine Gardey, par qui la simple présence m’a poussé à découvrir plus en profondeur un domaine de recherche qui m’était peu familier : le genre. Soyez prévenu.e.s : une fois que l’on commence à s’y intéresser, difficile de ne pas vouloir s’y plonger totalement !

Merci à Deborah Lupton pour m’avoir soutenue et accueillie à l’Université de Canberra. J’y ai bénéficié d’un environnement serein pour me concentrer sur l’écriture de ma thèse et ses remarques ainsi que celles des chercheuses du Synergy group, ont constituté une contribution intéressante à mon travail. Merci également à plusieurs professeur.e.s du département de sociologie pour leurs conseils et encouragements (je pense en particulier à André Ducret ou Cornélia Hummel), ainsi qu’aux chercheur.euse.s du groupe de recherche romand Lucine.

Merci également aux différentes institutions qui ont supporté, financièrement ou logistiquement, ma carrière académique en devenir : le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Fondation Schmidheiny, L’institut de recherches sociologiques, le département de sociologie de l’Université de Genève.

Toute ma reconnaissance se porte bien sûr vers toutes les personnes qui m’ont fait confiance, on ouvert les portes de leurs institutions, ou de leurs maisons, m’ont permis d’assister à la naissance de leur enfant, et ont partagé avec moi leurs parcours et leurs points de vue. J’aimerais tout particulièrement remercier Manuela pour son soutien indispensable dans l’accès à La Maternité, sa confiance et son intérêt pour ma recherche.

Notre rencontre a été déterminante et m’a fait prendre conscience de l’intérêt de certain.e.s professionnel.le.s de santé pour les sciences sociales. Merci pour ton enthousiasme, ton amitié et ton précieux soutien ! Plus généralement, je remercie le chef de service ainsi que les sages-femmes responsables, sans qui je n’aurais pu accéder au terrain. Du côté de la pratique indépendante, j’adresse toute ma reconnaissance à une association de sages- femmes qui a facilité la prise de contact avec leurs collègues ainsi qu’aux sages-femmes de La Maison de naissance pour m’avoir ouvert leurs portes. Nos échanges ont été (et sont encore !) passionnants et indispensables dans la conduite de ce travail.

Pour ne pas violer l’anonymat que j’ai garanti, je ne pourrai citer le nom des sages-femmes et médecins que j’ai rencontrés et qui ont été déterminant.e.s pour la récolte de données et ma compréhension du monde de l’obstétrique. J’espère que vous vous reconnaitrez et je renouvelle ma profonde gratitude pour votre chaleureux accueil, le temps que vous m’avez consacré et le partage de vos réflexions sur vos pratiques. A toutes les femmes, les hommes

(15)

xiv Gouverner par le risque

et leurs bébés : je vous remercie du fond du cœur de m’avoir fait une place lors de la naissance de votre enfant ou dans son récit. Cela a constitué à chaque fois des rencontres très riches. Voir vos bébés grandir, se mettre à parler et à marcher m’a aussi bien aidé à prendre la mesure du temps qui passe et à boucler cette thèse !!

J’ai souvent entendu dire par mes collègues maintenant docteur.e.s, à quel point le parcours de thèse est à la fois cruellement solitaire par moment, mais aussi tellement collectif. C’est à mon tour de m’ancrer dans cette certitude : ma thèse n’aurait pas été ce qu’elle est, sans le soutien, les réflexions sociologiques communes, l’amour et l’amitié constants dont j’ai bénéficié. Chères et chers ami.e.s, chère famille, chers et chères collègues, merci mille fois.

Merci aux assistant.e.s qui ont traversé le département de sociologie depuis les années 2010 pour nos très riches échanges, vos suggestions, nos partages de situations.

Certaine.e.s sont devenu.e.s des ami.e.s très précieux.ses…

Merci à mon trio de choc de toujours, Magali, Géraldine et Gaëlle. Vos relectures, suggestions, conseils de sociologues avisées et brillantes ont été déterminants dans la construction de mon parcours. Merci pour les longues soirées à Uni Mail, les fous-rires, les débats, les mots doux dans les jours de blues… Vous êtes incroyables et irremplaçables.

Merci Vincent pour ton soutien continu, nos échanges, tes nombreux coups de pouce, tu es tout précieux et tout autant irremplaçable. J’envoie aussi ma reconnaissance à plusieurs autres ami.e.s d’ici et jusqu’en Australie qui ont été tellement important.e.s dans tout ce parcours de thèse, par votre présence, nos échanges scientifiques ou existentiels, pour m’avoir poussée à continuer et à croire en moi , pour nos soirées de fête à visée décompensatoire et relaxante… : Elise, Mélinée, Leah, Loïc, Marlyse, Marilène, Patricia, David, Isabelle, Virginie, Aline, Ivan, Anne, Katja, Jonathan, Sami, Maxime, Samuele, Jee, Fitrih, Catherine, Chantal. Toute ma gratitude va aussi vers Anna qui a patiemment pris soin d’éradiquer les fautes de grammaire et d’orthographe disséminées dans le texte : un immense merci pour ton amitié et ta générosité ! Une pensée également pour Manu qui a réalisé des dessins d’une incroyable qualité pour illustrer ma thèse : je t’en suis extrêmement reconnaissante !

A ma famille de sang et d’adoption, merci d’avoir nourri depuis mon enfance ma curiosité et éveillé mon envie de comprendre le monde qui m’entoure, en restant ouverte et critique.

Mimou, Manu, Zoé, Tao, Djess&co, Djo, et les Coux d’origine et pièces rapportées, votre humour, votre présence, votre excentricité, notre complicité et notre amour sont autant de perles qui m’accompagnent. Sev&Steph, Manon&PJ merci de m’avoir fait une si grande et douce place dans vos vies. Une dédicace spéciale à ma maman dont le soutien logistique comme émotionnel a été plus qu’indispensable dans la gestion thèse/travail/enfants….

J’aimerais remercier finalement avec beaucoup d’émotions mes enfants, Etanéo et Lia, pour leur présence joyeuse, leur soutien tellement fort, leur fierté d’avoir une maman docteure (« même si elle ne sait rien soigner »), leur joie de vivre contagieuse. Malgré une maman parfois très occupée, vous grandissez comme de belles pousses, fières, vibrantes, créatives, enthousiastes et rayonnantes. Je vous aime très fort mes loulous. Julien, comme une évidence, c’est vers toi que va ma plus profonde reconnaissance. Ton amour, ta confiance, ton soutien, ton implication, ta foi en moi quoi qu’il arrive, ta capacité à me suivre dans tous mes délires, même quand ils nous poussent à des milliers de kilomètres, sont incroyablement importants pour mon équilibre professionnel et personnel. Je t’aime et je te dis : en route pour de nouvelles aventures !

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Introduction générale

La prise en charge de l’accouchement a connu des évolutions rapides ces cent dernières années en passant d’un événement peu médicalisé et accompagné au domicile par des matrones, à un événement médical, pris en charge en milieu hospitalier par des professionnel.le.s (Gélis 2008; Knibiehler 2007a, 2012; Charrier et Clavandier 2013). Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale presque partout en Europe, et notamment en Suisse, ce type de prise en charge concerne la majorité des femmes (Rieder 2007). Dès les années 1970 elle fait cependant l’objet de critiques par des militantes féministes, y compris en Suisse (Burgnard 2015; de Dardel 2007; Fussinger, Rey, et Vuille 2006). Deux positions sont en tension depuis quarante ans, et connaissent des transformations depuis cinq à dix ans.

Une première position a pour caractéristique de mettre en avant le caractère normal, physiologique de l’accouchement d’une part et de chercher d’autre part à « humaniser » la naissance (Luisier 2006). Déplacer l’accouchement de l’hôpital vers le domicile et/ou en confier la prise en charge à une sage-femme permettrait d’affirmer le caractère social de l’événement, et pas uniquement son caractère médical (Malacrida et Boulton 2014).

Une seconde position consiste à insister sur la nécessité de réduire les potentielles complications de la naissance en intensifiant la surveillance et l’interventionnisme, grâce au développement des technologies médicales. L’accouchement est perçu comme un événement à risque et incertain puisque des complications graves et imprévisibles sont susceptibles de se produire et que la naissance ne pourrait être considérée comme normale qu’a posteriori (Jacques 2007) .

Ces deux positions ont été mises en opposition par de nombreuses chercheuses en sciences sociales (voir par exemple Davis-Floyd 1994, 2003, 2001), mais on sait jusqu’à présent peu de choses sur la manière dont elles s’articulent. Certains indices laissent pourtant entrevoir une porosité croissante de ces deux positions. Si les engagements des féministes (Luisier 2006; Burgnard 2015) ont participé à transformer les hôpitaux depuis les années 1970, des initiatives de certains obstétriciens (bien que minoritaires et minorisés) doivent être également mentionnées. On peut citer « l’accouchement sans douleurs » qui est importé en Suisse dès les années 1955 sur la base des enseignements de l’obstétricien français Lamaze, « l’accouchement comme à la maison » de l’obstétricien français Michel Odent à la fin des années 1970 (Odent 1976), ou le mouvement initié par le pédiatre Leboyer pour « une naissance sans violence » (Leboyer 1974), qui met l’accent sur un accueil

« doux » du nouveau-né.

De plus, depuis moins de dix ans, un phénomène de diversification de l’offre à l’intérieur de l’hôpital s’est accéléré, en Suisse romande et ailleurs en Europe et en Amérique du Nord, attesté par les programmes de suivi global par une équipe de sages-femmes, les pôles physiologiques, les maisons de naissance accolées aux hôpitaux (aussi expérimentées en France depuis quelques mois), etc. Ces programmes ont cependant fait l’objet de très peu d’analyses à ce jour.

Enfin, ces cinq dernières années, les controverses scientifiques sur les risques générés par la prise en charge médicale (les « effets iatrogènes ») se sont renforcées. La sécurité du modèle biomédical est ainsi questionnée de l’intérieur. Des professionnel.le.s de la santé, des chercheuses et chercheurs et des organisations internationales (l’Organisation mondiale

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2 Gouverner par le risque

de la santé en particulier) formulent de plus en plus de doutes sur la pertinence des prises en charges hospitalières actuelles et réévaluent la balance des risques et des bénéfices (Coxon et al. 2016). La question de l’augmentation des taux de césariennes (Ye et al. 2014;

E. Declercq et al. 2007; WHO 2015b), qualifiée d’« épidémie de césariennes » (Simonds, Rothman, et Norman 2006), en constitue un marqueur significatif. Parallèlement, la thématique des « violences obstétricales » a depuis peu pris de l’ampleur (Chadwick 2016).

L’ambition de cette thèse est ainsi de se saisir de ces domaines encore en friche, en analysant comment les différents mouvements se sont construits et surtout comment ils s’articulent concrètement aujourd’hui dans les pratiques liées à l’accouchement. Ceci est d’autant plus pertinent que la majorité des recherches se sont à ce jour davantage concentrées sur les discours, notamment des femmes.

Selon les estimations construites à travers la recherche médicale, 70 à 80% de l’ensemble des accouchements sont physiologiques et ne nécessitent pas d’interventions et « le taux de césariennes idéal se situe entre 10 et 15% » (WHO 2015b, 2, 1996). En Suisse, 98,8 % des femmes ont pourtant accouché à l’hôpital en 2010, sous surveillance médicale (Hanselmann et von Greyerz 2013b). Des proportions semblables sont observables dans tous les pays développés (les Pays-Bas faisant figure d’exception). Par ailleurs, plus d’un bébé sur trois naît par césarienne en Suisse aujourd’hui (Hanselmann et von Greyerz 2013a).

Le monde médical justifie cette prise en charge technicisée par le caractère incertain de tout accouchement, considérant que celui-ci peut basculer de la physiologie à la pathologie rapidement et sans qu’il existe nécessairement de symptôme préalable (Maffi 2012b). Dans ce contexte, l’hôpital est considéré comme l’endroit le plus sûr et le plus adapté pour prendre en charge les possibles complications et préserver la santé maternelle et néonatale (Olsen et Clausen 2012). Les accouchements sont construits comme des événements à risque, chacun étant classé sur une échelle les déclinant entre bas risques et hauts risques en fonction d’événements survenus en cours de grossesse ou d’accouchement (Carricaburu 2007; Charrier 2011; Jacques 2007). C’est sur cette base que des interventions et des niveaux de surveillance seront décidés par les professionnel.le.s. La notion de risque est ainsi placée au centre du système obstétrical des pays développés et justifie la surveillance et la médicalisation de toute grossesse et de tout accouchement (Bitouzé 2001; Carricaburu 2005; Lane 1995; Viisainen 2000).

De nombreuses recherches ont mis en évidence le fait que cette médicalisation de la grossesse et de l’accouchement serait relative à une prise de pouvoir des médecins sur le corps des femmes à travers les techniques (Ehrenreich et English 2015; Davis-Floyd 2003;

Davis-Floyd et Sargent 1997). Dans ces travaux, les sages-femmes sont souvent considérées comme étant les plus à mêmes de défendre la « normalité » de la naissance et de valoriser les compétences des femmes à donner naissance, surtout dans le contexte d’un accouchement à domicile, dans une vision naturalisée et essentialisée du corps féminin (Davis-Floyd 2009; Davis-Floyd et al. 2010; Walsh 2006; 2010).

Certains travaux ont pris de la distance avec ces approches en mettant en évidence le fait que la rhétorique de « l’accouchement naturel » peut être tout aussi contraignante pour les femmes que son alternative (Malacrida et Boulton 2012, 2014, Brubaker et Dillaway 2009, 2008; Wolf 2003). Ces auteures insistent sur la défense du droit des femmes à faire leurs propres choix, qu’ils consistent à avoir recours à la technique, en bénéficiant par exemple d’une césarienne, ou de s’en éloigner et d’accoucher à domicile (Beckett 2005). Pour d’autres chercheuses, la médecine et ses techniques peuvent être appropriées par les

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femmes et ainsi représenter un moyen de dénaturaliser la maternité. La conception et l’engendrement pourraient ainsi être relégués, dans le futur, à une machine (Iacub 2004a).

Selon Haraway (2007, 2009), c’est la possibilité de devenir toutes et tous des cyborgs qui pourrait offrir un horizon pour dépasser une vision binaire du genre et abolir l’inégalité entre les hommes et les femmes dans la reproduction.

A la suite de ces travaux, je considère qu’il est fondamental de questionner les usages de la technique et de la médecine dans le champ de la reproduction, avant de conclure sur ce qu’ils produisent comme effets. J’analyse la prise en charge de l’accouchement ainsi que les usages (et les contrôles des usages) de la médecine, de la technique et des risques dans les différents dispositifs qui existent en Suisse : l’accouchement en milieu hospitalier, en maison de naissance et à domicile. Je me distancie ainsi des travaux qui considèrent que la médecine, les techniques et le risque sont a priori des instruments de contrainte pour les femmes. Pour autant, leur organisation, leur utilisation, de même que les choix que font les femmes, ne doivent pas être conçus comme anhistoriques et sans rapport avec les structures sociales. Les modalités de prise en charge de l’accouchement sont politiques et doivent être analysées comme telles. L’accouchement est en effet traversé par des normes particulièrement fortes qui s’articulent autour du concept de risque.

Dans le contexte d’une « société du risque » telle que décrite par Beck (2003), le concept de risque est devenu central pour penser l’action. Cette mise en forme probabiliste d’un danger permettrait de prévoir le futur et ainsi de le maîtriser (Giddens 1994; Peretti-Watel 2010;

Castel 2003). Cette conception est particulièrement présente dans le champ de la médecine.

Le développement de la santé publique (Berlivet 2001; Massé 2001), puis de l’Evidence Based-Medicine (ou médecine fondée sur les preuves) en sont la cristallisation : le calcul des risques sur la base des recherches scientifiques guiderait la standardisation des pratiques en réduisant l’incertitude et en favorisant les interventions préventives et thérapeutiques identifiées comme étant les meilleures (Timmermans et Berg 2010).

Dans ces perspectives adoptées par le monde médical, notamment en obstétrique, le risque est conçu comme étant « neutre », objectif (Lupton 1993, 2013b; Skinner et Maude 2016;

Helman 2001; Berlivet 2001). Les travaux théoriques comme empiriques produits par les sciences sociales ont cependant montré que le risque est plutôt politique et moral (Lupton 2011, 2013b; De Vries et al. 2013; De Vries et Lemmens 2006; Chadwick et Foster 2014;

Scamell 2014; Le Breton 2010b). Celui-ci entraîne une injonction à la responsabilité individuelle et à la prise en main de sa santé (Robert Crawford 1994; A. E. Clarke et al.

2003; Rose 1999; Lupton 2012c, 2006, 1993; Peretti-Watel 2003). Sur la base de cette nouvelle information prenant la forme d’une probabilité, l’individu est en effet censé être en mesure d’agir en adoptant des mesures préventives, qui pourraient prévenir la transformation du risque en un évènement indésirable (Burton-Jeangros 2007; Peretti-Watel 2005; Berlivet 2001).

Les femmes enceintes font particulièrement l’objet de cette injonction : elles sont considérées comme étant responsables d’assurer la bonne santé du fœtus, en particulier en respectant les recommandations médicales (Lupton 1993, 2011, 1995; Bogdan-Lovis et De Vries 2014; McCourt et al. 2007; E. Martin 2001; B. K. Rothman 1982; Bryant et al. 2007;

Hammer et Inglin 2014). Ce contexte d’omniprésence du risque et des injonctions à s’engager pour rester en bonne santé est d’autant plus prégnant que la raréfaction de la mort et des séquelles graves pendant l’accouchement ont diminué de manière spectaculaire :

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4 Gouverner par le risque

lorsque ces événements se produisent, ils sont socialement insupportables (Amalberti 2012;

Memmi 2011; Viisainen 2000; Lupton 2012c, 1993)

Dans cette thèse, j’adopte ainsi une perspective constructiviste sur le risque, et plus précisément la perspective socio-culturelle développée par Douglas puis Lupton. Ces dernières considèrent la construction des risques comme étant relative à un contexte historique, social, culturel et politique donné. Le risque n’existe pas en soi dans la réalité, il est construit par les acteurs sociaux (Douglas 1982, 1992, Lupton 2013b, 2006; Tulloch et Lupton 2003; Lupton et Tulloch 2002b; Zinn 2008, 2006).

Le concept de gouvernement développé par Foucault sera également utilisé. Il s’agit ainsi moins de concevoir la médecine comme entreprise de domination que de penser la participation de tous et toutes dans la transmission des normes au sein de relations de pouvoir. En ce qui concerne le risque, je le prends comme un concept pleinement construit dans ces relations de pouvoir : il n’existe pas en dehors des dispositifs et des individus.

Cette démarche épistémologique ne se réduit ainsi pas à analyser les modalités de médiation des risques par les individus, mais à réfléchir à la fabrication du risque par les opérations de désignation et de catégorisation des risques. Il ne s’agit pas de nier l’existence de complications, parfois très sérieuses, autour de la naissance mais d’offrir un autre regard que celui apposé par le modèle biomédical positiviste (Le Breton 2010b).

Le risque comme concept sert le gouvernement – ici de l’accouchement –, c’est-à-dire qu’il a la capacité d’organiser, d’instituer la vie (Foucault 1985). Dans le contexte de la naissance, dans lequel les normes sont très prégnantes, la conception foucaldienne du pouvoir permet de penser les effets contraignants mais également incitatifs du risque, dans la mesure où les individus participent de la reproduction et de la transmission des normes (Foucault 1975).

Des travaux ont mis en évidence cet effet à propos des femmes enceintes (Lupton 2013b;

Chadwick et Foster 2014; Jacques 2007). Scamell (2011, 2016) a également montré comment la conception de la naissance comme moment à risque a été incorporée par les sages-femmes anglaises, qui participent désormais de sa transmission. Ces dimensions doivent nous rendre attentives à interroger les choix qui sont faits, notamment par les femmes, à partir de ces normes très fortes à respecter les recommandations médicales (Lupton 2011, 1993; Bessett 2010; Helén 2004, 2002; Quéniart 1989). Il faudra ainsi se demander quels choix les femmes et les professionnel.le.s peuvent faire, aussi bien d’un point théorique que pratique. En d’autres termes, il s’agira d’interroger les conditions de production des décisions.

Je vais ainsi me concentrer sur l’analyse des pratiques pour voir comment les normes se transmettent, et surtout comment elles sont construites, notamment en référence au risque, dans les interactions quotidiennes et en fonction des contraintes structurelles en présence.

Cela me permettra de sortir d’une dichotomie fixée a priori opposant la médecine, les techniques et le risque comme instruments d’aliénation d’une part, et la libération des femmes d’autre part (Descarries et Corbeille 2002a; Gardey et Löwy 2000).

La sociologie du travail et des organisations, et notamment le concept de « situations de travail » (Weick 1993; Strauss et al. 1985; Strauss 2014) et de régulation sociale du travail (Reynaud 1988, 1997) seront utiles pour mener à bien ce projet. Il s’agit, dans la continuité des travaux de Lupton, d’articuler un niveau microsociologique à l’échelon des pratiques individuelles, et un niveau plus macrosociologique, qui prenne en compte les structures sociales et politiques, et notamment les règlements (institutionnels, légaux, etc.) qui organisent les activités médicales.

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L’enjeu est moins de comprendre pourquoi la naissance est médicalisée, que comment elle l’est effectivement. C’est-à-dire : comment la prise en charge est-elle construite ? Par qui, dans quels lieux et sous quelles formes (formelles, procéduralisées et stables ou informelles, tacites et mouvantes) ? Avec quelles ressources, en fonction de quelles contraintes, sous quelles conditions et avec quelles nuances (d’appropriation, de distanciation, de résistance, d’instrumentalisation, etc.)? Il s’agira aussi d’interroger la manière dont les différents dispositifs institutionnels (maternité, maison de naissance, domicile) se saisissent du risque et dans quelle mesure cela donne lieu à des prises en charge spécifiques de l’accouchement.

Mener des ethnographies comparées et multi-sites (Marcus 1995) a permis de réaliser ce projet en étant au plus proche des pratiques. J’ai conduit un terrain principal dans une grande maternité de Suisse romande, comprenant plus de six mois d’observations.

Quarante-quatre entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des médecins et des sages- femmes qui exercent dans cet hôpital, ainsi qu’avec des femmes (ou des couples) qui avaient fait le choix d’y accoucher. Un terrain secondaire a été conduit dans le contexte de l’accouchement extrahospitalier dans plusieurs cantons romands. Des observations ont ainsi été menées dans une maison de naissance proche de la maternité étudiée, dans des débats/projections organisées par des associations en faveur de la « naissance respectée/naturelle » ou par des sages-femmes indépendantes, des visites de maisons de naissance, des cours de préparation à la naissance, etc. Trente entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de sages-femmes qui accompagnent des accouchements à domicile et/ou en maison de naissance, et auprès de femmes (ou de couples) qui avaient fait ce choix. Dans l’ensemble de ces terrains, j’ai en plus récolté des documents institutionnels (protocoles, dossier de patientes, etc.) et associatifs, qui ont été analysés et utilisés comme appui pour réaliser les entretiens et soutenir les analyses.

Ces outils m’ont permis d’analyser les processus complexes de co-construction des prises en charge légitimes – ou plus contestées – de la naissance et de construction des risques.

L’ethnographie comparée à un niveau local a conduit à analyser les dispositifs1 parallèles (voire concurrents) de prise en charge de l’accouchement, leurs points d’achoppements et leurs similarités. S’inscrivant plus sur un continuum qu’en rupture les uns par rapport aux autres, il s’agit également d’analyser comment les dispositifs font système, avec ce que cela comprend d’ajustements, de compromis, de prises de pouvoir, de justifications, etc.

Le manuscrit est organisé en cinq parties. La première consiste à restituer le contexte historique dans lequel s’inscrit la prise en charge de l’accouchement, à situer mes travaux parmi ceux qui sont produits en sciences sociales, à développer le cadre théorique qui a structuré le travail, et enfin à présenter et à justifier le dispositif méthodologique que j’ai déployé et les terrains que j’ai conduits.

La deuxième partie est consacrée à l’analyse des représentations de l’accouchement entre sa perception comme moment magique et merveilleux d’une part, et comme moment

1 Le terme de dispositif fait référence aux travaux de Michel Foucault. Celui-ci définit le dispositif comme « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit (…). Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments » (Foucault 2001, 299 [1977]). On verra en quoi l’accouchement extra hospitalier d’une part, et l’accouchement intra-hospitalier d’autre part, constituent des dispositifs, dont cette thèse vise à analyser l’assemblage.

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6 Gouverner par le risque

comprenant des risques intolérables impliquant une surveillance étroite et des interventions médicales d’autre part. Ces éléments en tension sont présents chez l’ensemble des personnes rencontrées et les analyses permettent d’avancer sur ce qui fait la spécificité de l’organisation de la prise en charge de l’accouchement et de la fabrication du risque.

Les parties suivantes concernent l’analyse des dispositifs de prise en charge et des pratiques. La troisième et la quatrième partie sont consacrées à l’analyse de l’accouchement à l’hôpital. Je commence par décortiquer l’organisation du travail et les protocoles qui régissent les pratiques, avant de plonger au cœur des pratiques quotidiennes pour montrer comment la surveillance et les interventions se déploient, qui les décide, comment, et quelles formes de négociations des risques se jouent, que ce soit entre professionnelles ou entre les professionnelles et les femmes (/les couples).

Dans la cinquième partie, j’analyse les dispositifs de l’accouchement en maison de naissance et à domicile. Je montre quelles utilisations sont faites du concept de risque, qui est à la fois approprié par les sages-femmes et les parturientes, et importé du monde médical. Celui-ci reste en effet un élément central de structuration des pratiques et des représentations de l’accouchement extrahospitalier.

J’ai traité séparément l’accouchement à l’hôpital et l’accouchement en dehors de l’hôpital (domicile ou maison de naissance) afin de mieux restituer leurs spécificités (notamment organisationnelles), les nuances, les ambivalences, les résistances propres à ces contextes.

Analyser ensemble l’accouchement extra et intra-hospitalier, par thèmes par exemple, m’aurait poussé à lisser les pratiques et les représentations à l’intérieur des différents contextes et d’exagérer certains traits pour faciliter la comparaison, risquant de retomber sur les stéréotypes qui circulent à propos des deux dispositifs. Pour autant, j'ai tissé autant que possible des liens entre les parties, en comparant les données et les analyses produites, dans les conclusions des parties et particulièrement dans la conclusion générale. Celle-ci constitue à la fois un moyen de conclure sur les analyses des pratiques que j’ai observées et de penser l’avenir de la prise en charge de l’accouchement dans un contexte de controverses médicales, éthiques, politiques et scientifiques.

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Partie 1 Etudier l’accouchement dans une « société du risque » : controverses, enjeux théoriques et dispositif méthodologique

L’accouchement a fait l’objet de recherches en sciences sociales dont la plupart ont développé une approche critique de la médicalisation de sa prise en charge. Après avoir retracé rapidement l’histoire de la prise en charge de l’accouchement, je présenterai les travaux qui en font un cas typique de la société du risque, puis restituerai les débats, notamment féministes, autour des particularités de l’accouchement et de la capacité de la médecine, des techniques et du risque à être des instruments de libération ou d’aliénation des femmes. Je définirai ensuite d’une part mon ancrage théorique qui s’inscrit dans une perspective constructiviste du risque, et d’autre part mon dispositif méthodologique.

Je montrerai l’intérêt de ne pas statuer a priori sur le caractère aliénant ou émancipateur de la médicalisation et du risque mais de proposer une opérationnalisation empirique qui s’attache à analyser les processus de constructions des risques et d’usages des techniques telles qu’ils sont produits, discutés et vécus par les professionnel.le.s2 et les femmes dans différents dispositifs de prise en charge de l’accouchement (à domicile, en maison de naissance, à l’hôpital). J’analyserai également comment ces différents dispositifs sont connectés ou déconnectés, en quoi ils se ressemblent, s’influencent ou s’opposent lorsqu’ils fonctionnent en parallèle dans un même espace. En Suisse romande, la majorité des femmes accouchent à l’hôpital, mais certaines choisissent le domicile ou la maison de naissance, autant de possibilités reconnues et financées par l’assurance maladie. La littérature produite dans le champ de la sociologie du travail et des organisations sera mobilisée pour mieux prêter attention aux situations de travail spécifiques qui participent à façonner les modalités de construction des risques et l’attribution des responsabilités associée à cette construction.

2 Dans les deux premiers chapitres qui concernent l’état de la littérature et le cadre théorique, je parlerai de professionnel.le.s puisque ce terme comprend des femmes ou des hommes. A partir du chapitre concernant la méthode et jusqu’à la fin de la thèse, j’écrirai professionnelles puisque toutes les sages-femmes que j’ai rencontrées sont des femmes et que plus de la moitié des médecins sont des femmes également. Ce choix ne doit cependant pas contribuer à gommer les effets de genre et les rapports de pouvoir existant autour du genre. Ainsi, quand cela est nécessaire pour l’analyse, je préciserai si les personnes en présence sont des femmes ou des hommes. Cela apparaitra également systématiquement lorsque j’ai recours à des citations (a minima par le pseudonyme des personnes).

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Chapitre 1 L’accouchement comme cas typique des transformations du champ de la santé

D’un événement quotidien et « domestique » (Gélis 2016, 24), l’accouchement est progressivement devenu médicalisé et professionnalisé. En Suisse, comme dans la plupart des autres pays développés, l’immense majorité des accouchements se déroule aujourd’hui à l’hôpital, sous la surveillance des sages-femmes et des médecins, prêts à intervenir au cas où une complication imprévue surviendrait. Si des contestations, notamment féministes dans les années 1970, ont ébranlé le modèle et ont contribué à le transformer, l’accouchement à l’hôpital est toujours celui qui fait très largement référence aujourd’hui.

Depuis quelques années, la contestation de ce modèle semble cependant se réactiver sous la forme de nouvelles modalités. Ces critiques, parfois relayées par les travaux de chercheuses en sciences sociales, circulent à travers les blogs et les réseaux sociaux, et sont médiatisées par des associations de parturientes, notamment en Europe (Akrich et al.

2014; Rabeharisoa, Moreira, et Akrich 2014). Par ailleurs, à l’intérieur même du modèle biomédical, que ce soit au niveau des professionnel.le.s de la santé ou d’organisations internationales (l’Organisation mondiale de la santé en particulier), des doutes sur la pertinence, les risques et les bénéfices des prises en charges hospitalières actuelles se font de plus en plus entendre (Coxon et al. 2016). Les débats concernant une « épidémie de césariennes » (Simonds, Rothman, et Norman 2006) prennent par exemple de l’ampleur.

On peut ainsi se demander aujourd’hui quel est l’avenir de la prise en charge médicale de l’accouchement pris d’une part entre une légitimité et une reconnaissance sociale qui continue à être très forte (même si contestée dans les marges) et d’autre part un niveau de technicisation qui augmente, suscitant une multiplication de controverses qui concernent à la fois l’augmentation des coûts de la santé et la production d’effets iatrogènes.

J’aborderai dans une perspective historique les évolutions de la prise en charge de l’accouchement. Celles-ci sont directement liées à la naissance du métier de sage-femme et à la transformation des pratiques médicales qui y seront également décrites. Ensuite, j’insisterai sur la prise en charge actuelle de l’accouchement, qui est organisée autour de la classification des risques, une surveillance et des interventions médicales. Finalement, j’analyserai les controverses scientifiques qui se sont progressivement renforcées autour de la prise en charge contemporaine de l’accouchement dans les pays développés3.

1 Accoucher au XVIIIe siècle ou au XXIe siècle : entre continuités et bouleversements

1.1. « Le grand déménagement » : du domicile vers l’hôpital (XVIIIe – XXe siècle)

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la naissance est « organisée par la communauté des femmes (…) [et] la venue au monde des enfants intervenait dans des cercles intimes fondés sur des compétences féminines, certes ésotériques mais néanmoins opérantes » (Charrier et

3 Les développements qui suivent sont plutôt valables pour le contexte suisse, voire français. Des histoires différentes se sont jouées dans d’autres régions, par exemple aux Etats-Unis ou au Canada, mais aussi à l’intérieur des pays européens. Les sources mobilisées ont ainsi principalement été produites pour les cas suisses et français.

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10 L’accouchement comme cas typique des transformations du champ de la santé

Clavandier 2013, 20). Une matrone (ou sage-femme traditionnelle) accompagne les femmes qui accouchent, en s’appuyant sur sa propre expérience de maternité, des formes de savoirs profanes et l’interconnaissance développée avec la femme, la confiance entre les deux femmes étant considérée comme fondamentale (Gélis 2008). La naissance est comprise comme un processus « naturel », qui se déroule dans le secret des chaumières. Si dans les milieux populaires, il n’y a guère de préparatifs de la maison en vue de la naissance, il en va différemment pour les milieux favorisés. Les familles qui disposent de plusieurs résidences doivent sélectionner celle qui servira de lieu de naissance (le plus souvent la ville pour rester à proximité des meilleurs chirurgiens), puis préparer la chambre (lit spécial, chambre spacieuse, pièce chauffée, alaises, etc.) (Berthiaud 2016).

Au cours du XVIIIe siècle en France, le pouvoir de la matrone est attaqué par l’église et l’Etat et sa pratique de plus en plus limitée et encadrée : une campagne de dévalorisation est entreprise en signifiant son ignorance, voire sa dangerosité (Gélis 2008, 1988). Pour Charrier et Clavandier (2013) « l'avènement des compétences obstétricales sépare deux conceptions du savoir sur la naissance. L'un est empirique et ésotérique (exercé par la matrone), l'autre est scientifique et clinique (exercé par la sage-femme et le médecin obstétricien) » (p.27). Lupton (2012c) établit elle aussi cette distinction : les femmes et les sages-femmes traditionnelles sont décrites comme «irrationnelles et irresponsables » et associées à la nature, tandis que les hommes possèdent le « savoir scientifique » et sont associés à la « culture » (p.69, ma traduction). Gélis (2008, 1988) met en évidence la crainte de la dénatalité, qui s’exprime également en Suisse (Vuille 2009), et sert la progression des médecins et des sages-femmes formées et patentées face aux matrones. Pour Cesbron et Knibiehler (2004) les médecins étaient « animés par l’espoir de vaincre la mort néonatale et la mort maternelle » grâce à l’institutionnalisation et la médicalisation de la naissance (p.9- 10). En Suisse, la pratique de sage-femme est ainsi de plus en plus réglementée dans la deuxième partie du XVIIIe siècle et leur formation par des médecins (ou des chirurgiens) s’organise dans différentes régions (Rieder 2007; Tanner 2001). Cette nouvelle concurrence fait rapidement régresser la pratique de matrone qui disparait au début du XXe siècle.

L’avènement du métier de sage-femme se fait ainsi dès le départ « sous la tutelle du pouvoir politique et du pouvoir médical » (Vuille 2009, 10), à laquelle on peut ajouter, pour l’époque, les autorités ecclésiastiques (Clerc 2004). Vuille (2009) insiste sur la différence entre les matrones et les sages-femmes. Les premières ne peuvent être considérées comme une profession puisqu’elles sont peu ou pas rémunérées, non formées et non reconnues par les autorités.

Dès la fin du XVIIIe siècle, les sages-femmes intègrent de plus en plus les hôpitaux. A cette époque, les maternités publiques sont des lieux « refuges » pour « toutes celles qui ne peuvent accoucher chez elles », c’est-à-dire des femmes célibataires et/ou très pauvres (Rieder 2007, 13). L’accouchement à l’hôpital est encore le « signe de la marginalité sociale » (Sage Pranchère 2016, 79). La prise en charge de la naissance s’inscrit ainsi dans le processus d’institutionnalisation de différents moments de la vie qui sont perçus comme des moyens de garantir la cohésion sociale et la moralité en régulant la déviance (Harcourt 2009). Ces institutions recouvrent par exemple la prison (Goffman 1968), l’asile (Foucault 1972), l’orphelinat ou l’hospice (D. J. Rothman 1971). Ces institutions représentent ainsi :

« un premier recours, la solution privilégiée aux problèmes de pauvreté, de criminalité, de délinquance et de folie » (D. J. Rothman 1971, 131; cité par: Harcourt 2009).

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Pour toutes les femmes qui n’appartiennent pas à ces groupes stigmatisés, l’accouchement a lieu au domicile, la parturiente étant entourée d’un groupe de femmes4 et d’une sage- femme appelée à la fin de l’accouchement (Rieder 2007). Le père n’est normalement pas présent5. Accoucher à la maternité comportait à l’époque de nombreux dangers, en particulier celui d’être atteinte de « fièvre puerpérale » (une maladie infectieuse qui survient en particulier après un accouchement), qui était liée à la proximité entre les femmes et le manque d’hygiène, et qui était souvent fatale. A la fin du XIXe siècle à Genève, les taux de mortalité maternelle sont de 6‰ à la maison et de 24‰ à la Maternité (Floris et Rieder 2007).

Les médecins, en particulier chirurgiens, souhaitant élargir leur champ d’activité, ont progressivement développé des instruments d’extraction des fœtus. Ces outils leur sont réservés : les sages-femmes n’ont pas le droit de les utiliser. C’est le forceps qui « marque le début des ambitions masculines dans le domaine de l’obstétrique » (Knibiehler 2012, 43) dans sa version améliorée au XVIIIe siècle. Les chirurgiens-accoucheurs insistent sur l’importance de ces outils qui permettent « ‘d’abréger les souffrances’ [le supplice] de parturientes désemparées. Ils ont recours à un langage imagé, voire métaphorique, qui permet d’ancrer ‘rapidement dans l’opinion publique l’importance de cette profession particulière’ » (St-Amant 2016 qui cite ; Murphy-Lawless 1998, 51). La césarienne devient une technique plus sûre à la fin du XIXe siècle (jusqu’alors elle ne permettait jamais de sauver la mère) et peut dès la moitié du XIXe être réalisée sous anesthésie (Vuille 2008).

Carricaburu (1994) affirme ainsi que « les chirurgiens-accoucheurs ont réussi à casser ce monopole » de la prise en charge de l’accouchement qui appartenait auparavant aux

« matrones » et plus largement « à la communauté des femmes » (p.283). Pour Schweyer (1996), l’histoire de l’obstétrique s’inscrit ainsi directement « dans une lutte pour l’exercice de la profession entre les accoucheurs, essentiellement des hommes, et les sages-femmes»

(p.67) qui sont uniquement des femmes. Comme on l’a vu, cette situation est cependant plus complexe que cela : les sages-femmes modernes, formées par les médecins, sont aussi à la source de la disparition des matrones (ou sages-femmes traditionnelles).

Au milieu du XIXe siècle, l’obstétricien Ignace Semmelweis introduit la solution de chlorure de chaux dans un hôpital viennois qui « fait chuter spectaculairement la mortalité due aux fièvres puerpérales » (Schindler 2014, 6). Le respect des règles d’asepsie se diffuse et les taux de mortalité maternelle et néonatale à l’hôpital diminuent6. Dès le début du XXe siècle un mouvement progressif en faveur de l’accouchement en maternité s’effectue ainsi et concerne désormais des femmes de tous milieux sociaux. L’image des maternités comme

4 L’accouchement, quand il se passe bien, est un moment joyeux, de fête entre les femmes. Après l’accouchement, elles se réunissent pour célébrer l’événement. Pour Knibiehler (2012) « ces réunions chaleureuses constituaient des moments forts de la sociabilité féminine » (42).

5 Knibiehler (2012) relativise cependant l’absence de rôle social du père pendant l’accouchement.

Celui-ci prend différentes formes selon les régions. Il peut prendre en charge des tâches comme attiser le feu, chauffer l’eau, s’occuper du nouveau-né en l’enveloppant dans sa chemise, etc. Par ailleurs, dans les témoignages publiés d’Adeline Favre (2009 [1981]) on trouve des traces très concrètes de la présence, et de la participation des pères à la naissance. Sage-femme originaire de Sierre (canton du valais), Adeline Favre a commencé son activité professionnelle en 1929 après des études à la maternité de Genève. Elle raconte : «quand venait le moment d’accoucher, je demandais l’aide du mari pour pousser. Il devait se mettre d’un côté, moi de l’autre » (Favre 2009, 93). Elle précise : « le mari, lui, devait tenir la jambe [de sa femme]» (p.87). Elle précise également que le père participait aux soins, notamment de toilette, après la naissance.

6 L’exclusion du père de la salle d’accouchement est alors motivée par l’évitement des contaminations qui pourraient avoir lieu par son intermédiaire (« ère pasteurienne ») (Knibiehler 2007a).

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