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La Maison de Naissance, l’accouchement à domicile et autres lieux : ethnographies de milieux extrahospitaliers lieux : ethnographies de milieux extrahospitaliers

Chapitre 3 Dispositif méthodologique

2 Recueil des données

2.3. La Maison de Naissance, l’accouchement à domicile et autres lieux : ethnographies de milieux extrahospitaliers lieux : ethnographies de milieux extrahospitaliers

2.3.1 Une maison de naissance récente et à proximité de l’hôpital

La maison de naissance dans laquelle j’ai conduit mon terrain (désignée ensuite sous le terme de La Maison de naissance) a ouvert récemment. Au moment où j’ai effectué mes observations, l’association bénéficiait de subventions, notamment de la ville dans laquelle elle est implantée et de plusieurs autres communes alentours. La Maison de naissance est inscrite sur la liste cantonale des institutions hospitalières. A ce titre, les prestations délivrées sont prises en charges par la LAmal. Seules les femmes qui sont en bonne santé et présentent une grossesse normale et un accouchement sans risques peuvent y être admises. Si les sages-femmes considèrent qu’une situation n’est plus physiologique mais à risques ou pathologiques, elles transfèrent le cas vers un médecin ou l’hôpital, que ce soit en cours de grossesse ou d’accouchement88. Le nombre de parturientes qui fréquentent La Maison de naissance est en augmentation. De 63 suivis de grossesses en 2012, 115 ont été effectués en 2015. Concernant les accouchements, cela représente 32 accouchements en 2012 et 70 en 2015 (certains ont été transférés).

J’ai sélectionné ce lieu pour plusieurs raisons. D’abord parce que je connaissais plusieurs des sages-femmes qui y travaillaient grâce à une précédente recherche. De plus, l’ouverture récente de la maison de naissance permettait de saisir des discussions sur l’élaboration des règles de prise en charge et des protocoles, et donc sur l’établissement des catégorisations des risques. Ensuite, une équipe assez nombreuse y travaillait, ce qui pouvait faciliter les occasions d’observations. Enfin, La Maison de naissance, contrairement à d’autres de la région, entretenait des rapports plutôt apaisés avec La Maternité et donc avait probablement plus de liens que d’autres structures, qu’il m’intéressait d’analyser, d’autant plus que les deux lieux sont géographiquement très proches. De nombreuses sages-femmes qui y exercent ont d’ailleurs une longue expérience hospitalière, et plusieurs d’entre elles ont des liens avec La Maternité (elles connaissent bien le personnel en place par exemple). En ce sens, La Maison de naissance n’est pas nécessairement représentative de l’ensemble des maisons de naissance de Suisse qui peuvent être beaucoup moins proches des hôpitaux et des médecins. Il faut ainsi prendre garde de ne pas trop généraliser les propos présentés ici, mais bien les relier à leur contexte de production.

La Maison de naissance est une vaste et belle maison ancienne qui a été rénovée et décorée avec soin, et qui dispose d’un grand jardin. Elle est proche de La Maternité. Deux salles d’accouchements sont proposées avec baignoire, grand lit dit « parental », « lianes »

89 en tissu pour se suspendre90. Si du matériel médical est présent (en partie visible, en

88 Entre 2012 et 2015, les transferts en cours de grossesse ont représenté 18 à 25% des situations, et les transferts au début ou pendant l’accouchement ont représenté de 35 à 56% des situations. Les transferts en cours d’accouchement ont diminué avec les années La grande majorité des transferts n’a pas nécessité un transfert en ambulance.

89 Je ne connais pas l’origine de ces lianes, mais elles sont certainement liées à des pratiques anciennes, les sages-femmes ayant constaté que les parturientes ont parfois besoin d’être soit en

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partie dissimulé dans les placards), le lieu s’apparente à un domicile qui aurait été aménagé spécifiquement pour accueillir un accouchement. Les parents peuvent y séjourner plusieurs jours après la naissance. Huit sages-femmes91 y accompagnent des accouchements.

Chacune d’entre elles suit la même parturiente pendant sa grossesse et son post-partum.

Pour l’accouchement, les sages-femmes se répartissent les gardes (de douze heures pour la première sage-femme, qui est celle qui est responsable de l’accouchement, et de vingt-quatre heures pour la deuxième sage-femme qui ne vient que lorsque la naissance est imminente). Cette organisation a été mise en place pour faciliter la conciliation vie personnelle / vie professionnelle des sages-femmes92. La plupart des sages-femmes complètent leur activité à La Maison de naissance par des suivis post-partum de femmes qui ont accouché à La Maternité ou dans des cliniques privées.

Les sages-femmes se retrouvent lors de différentes réunions plusieurs fois par mois, autant pour l’organisation administrative, que pour faire des retours de certains accouchements difficiles, modifier les protocoles, etc. Elles participent également régulièrement à des formations continues (réanimation des nouveau-nés jusqu’à phytothérapie par exemple).

Leur équipe est complétée par des intendantes, un cuisinier et une secrétaire.

Les négociations pour accéder à des observations dans La Maison de naissance ont été très longues et compliquées (environ deux ans)93. Les sages-femmes étaient intéressées par la recherche, et disposées à participer à des entretiens, mais les observations posaient plus de problème. L’obstacle majeur a été sans doute le fait que la maison de naissance soit récente et que beaucoup d’éléments restaient à mettre en place : elles ne souhaitaient probablement pas qu’une personne extérieure à la structure assiste à ces ajustements. Ensuite, l’association a vécu plusieurs périodes de tensions entre les sages-femmes, l’équipe étant alors focalisée sur la résolution de ces conflits. De plus, les sages-femmes travaillaient beaucoup (y compris bénévolement) et ma présence éventuelle apparaissait certainement comme une contrainte supplémentaire, d’autant plus qu’elles étaient déjà beaucoup sollicitées, notamment par les médias, et plus récemment par des stagiaires. Enfin, et c’est l’argument qu’elles ont le plus avancé au début de l’enquête, elles craignaient que les position verticale, tout en étant soutenue, soit d’exercer un effet de traction. Adeline Favre, sage-femme dans le Valais dès la fin des années 1920 raconte : « j’ai donc préparé une corde attachée au bout d’un manche à balai. C’est Marcel Fournier qui m’a inventé cela, à la naissance de sa première fille. Je tirais le lit soit vers une porte soit vers un radiateur ou une fenêtre, où je pouvais attacher la corde (…) ainsi les femmes tiraient sur le manche à balai passé dans la corde » (Favre 2009, 93).

90 Je renvoie au dessin présenté au début de la cinquième partie.

91 La plupart ont eu un parcours de sage-femme hospitalière. Plusieurs avaient exercé quelques années comme sage-femme agréée. Peu d’entre elles avaient fait des accouchements extrahospitaliers (en maison de naissance ou à domicile) avant de travailler à La Maison de naissance. Depuis la fin de mon terrain, l’équipe s’est agrandie.

92 Les sages-femmes qui font des accouchements à domicile sont de gardes en continu à partie de la 37è semaines et jusqu’à l’accouchement ou le transfert vers l’hôpital de la parturiente. C’est aussi le cas pour certaines sages-femmes qui exercent dans d’autres maisons de naissance.

93 Au début du printemps 2012, j’ai rencontré quelques sages-femmes pour leur présenter mon projet de recherche (et officiellement lors d’une présentation lors d’une réunion de l’association des sages-femmes indépendantes de la région). Bien que celui-ci les intéressaient, elles m’ont demandé de le différer car l’ouverture de la maison de naissance était trop récente. J’en ai rencontré plusieurs en entretiens pendant quelques mois, puis en avril 2013, j’ai officiellement fait la demande lors d’une Assemble Générale et j’ai envoyé un protocole de recherche un mois et demi plus tard. Fin octobre 2013, les sages-femmes ont accepté ma demande et fixé ma période d’observations entre mars et juin 2014, afin de ne pas télescoper ma présence avec celle d’étudiantes sages-femmes.

femmes ne souhaitent pas qu’une tierce personne soit présente, puisque la plupart d’entre elles venaient accoucher à La Maison de naissance pour gagner en « intimité »94.

Ce qui a été déterminant dans mon accès au terrain, finalement, a été d’une part le soutien d’une des sages-femmes fondatrices de l’association qui voulait développer les recherches sur l’accouchement à domicile et en maison de naissance, et d’autre part, le lien que j’ai renforcé avec les sages-femmes au cours du temps. Le fait que j’ai effectué un terrain à l’hôpital a aussi facilité les négociations : elles craignaient que seules des données de l’accouchement hospitalier soient produites, voire qu’on les accuse d’entraver la recherche.

2.3.2 Présentation des données produites

Le terrain à La Maison de naissance s’est déroulé de mi-mars à juin 2014. J’ai assisté à peu d’accouchements: sur les trois accouchements, deux d’entre eux se sont finalement déroulés à La Maternité (dont un auquel j’ai pu assister jusqu’à la naissance). Par ailleurs, lors des observations à La Maternité, j’ai pu suivre trois autres femmes qui avaient prévu d’accoucher à la maison de naissance mais qui avaient été transférées à l’hôpital avant ou en cours d’accouchement. J’ai assisté également à deux réunions d’équipe des sages-femmes avec des partages de situations compliquées (équivalent du colloque médical à la maternité)95, deux réunions de parents « à terme », et quatre rencontres publiques (assemblées générales, fête de l’association, projection). J’ai enfin passé plusieurs demi-journées dans la maison pendant lesquelles j’ai pu m’entretenir avec une ou plusieurs sages-femmes et récolter des informations sur la vie de la maison de naissance.

Nous avons organisé ainsi le recrutement des parturientes : les sages-femmes informaient les femmes de ma démarche et leur transmettaient une feuille d’information. Je venais ensuite me présenter lors des réunions des femmes à terme, et répondais à leurs éventuelles questions. Lorsqu’une femme acceptait ma présence et que l’accouchement s’annonçait, les sages-femmes m’appelaient pour me proposer de venir à la maison de naissance. Je n’ai pas pu exactement connaître le nombre de femmes qui n’ont pas souhaité ma présence, j’estime qu’il était environ de 30 à 40 %. Par ailleurs, les sages-femmes ont plusieurs fois oublié de me prévenir lors d’un accouchement, bien que la parturiente ait donné son accord, ou ont estimé que la parturiente allait accoucher trop vite pour que cela soit utile. Le fait de ne pas être sur place en permanence, le caractère aléatoire des accouchements, la situation de fatigue de certaines sages-femmes pendant cette période, le fait que je sois moi-même enceinte et que certaines voulaient me préserver, et le fait enfin que les sages-femmes apprécient d’accompagner des accouchements avec un nombre restreint de personnes, ont participé à expliquer cette situation.

94 Cet argument a aussi été beaucoup présenté par les sages-femmes indépendantes qui accompagnent des accouchements à domicile. Comme la négociation avec le terrain de la maison de naissance et de l’hôpital a demandé beaucoup d’investissements, j’ai moins insisté sur l’accouchement à domicile que j’avais pensé au départ pouvoir réaliser dans un second temps, une fois les deux autres terrains réalisés. De plus, à la même période, une sage-femme suivait déjà ses collègues lors des accouchements à domicile dans le but de faire un reportage photographique. Ces dimensions font partie intégrantes de la réalité du « bricolage » entre impératifs méthodologiques, réalités du terrain et conditions matérielles des chercheuses et chercheurs, bien qu’elles soient souvent non présentées comme telles (Beaud et Weber 2010; Bizeul 2007).

95 Il était prévu que j’assiste à beaucoup plus de réunions et ce dès la fin de l’année 2013 mais des conflits récurrents d’équipe ont poussé les sages-femmes à ne pas souhaiter m’inviter dans celles-ci, puisqu’elles n’étaient plus consacrées aux débriefings des situations obstétricales mais à régler les tensions et réorganiser le travail.

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J’ai enfin récolté des documents institutionnels tels que les rapports d’activité de plusieurs années, les protocoles, les formulaires de consentement, les fiches qui récapitulent les attitudes à adopter en cas d’urgence ou pour des situations particulières. Analyser ces documents et les comparer avec ceux de La Maternité a été particulièrement riche pour alimenter les réflexions sur les modalités de construction des pratiques et du risque dans les deux endroits.

2.3.3 Diverses observations : faire « feu de tout bois » pour pallier les difficultés d’entrée

La difficulté à réaliser des observations à La Maison de naissance m’ont incité à faire « feu de tout bois » (Bourrier 2013, 30; voir aussi: Agier 2015), en accord avec l’approche d’ethnographie multi-sites. J’ai ainsi diversifié les lieux d’observations y compris dans d’autres cantons : trois cours de préparation à la naissance menées par une sage-femme indépendante (avec cinq couples), deux visites de maisons de naissance (en même temps que des femmes enceintes), deux visites de lieux qui accueillent des femmes enceintes (cours, suivi de grossesse, etc.) et sont tenus par des sages-femmes indépendantes, quatre projections/débats organisés par des associations de « naissance respectée » et/ou des sages-femmes indépendantes, observations de stands tenus par des sages-femmes ou des associations dans des festivals, des conférences publiques organisées par les écoles qui forment des sages-femmes dans les cantons de Vaud et de Genève. J’ai aussi multiplié les entretiens informels avec des sages-femmes, des femmes et quelques hommes. Ainsi, si j’ai beaucoup moins de données basées sur l’observation de naissances à l’extérieur de l’hôpital, je dispose d’une plus grande variété de données qui concernent des lieux et des sources différentes et sur une période de temps plus étendue (permise y compris par le fait que j’ai côtoyé ces sages-femmes, dont certaines sont des amies, pendant plusieurs années). Ces dimensions ont permis de réduire les limites de n’avoir pas observé d’accouchements à domicile, et peu en maison de naissance.

Par ailleurs, la négociation de terrain représente plus « qu’une condition de possibilité de l’enquête », mais fait déjà partie des données d’enquête (Darmon 2005, 98) : cela m’a fourni des premières informations sur le fonctionnement de La Maison de naissance et la valorisation de l’accouchement comme moment important pour les couples, un moment qu’ils souhaitent (en tout cas dans la projection qu’en font les sages-femmes) intime et réservé à des personnes sélectionnées et privilégiées. A l’hôpital, la négociation a été longue, mais une fois l’aval des médecins responsables puis du comité d’éthique obtenu, le terrain s’est ouvert en grand, manifestation de la structure hiérarchique de l’hôpital (en particulier médical), de la structure – y compris administrative – prévue pour accueillir des chercheurs ou chercheuses. Par ailleurs, cela a déjà apporté des éléments de différence sur la population qui fréquente le contexte hospitalier ou extrahospitalier, à savoir une population plus ou moins captive et qui négocie plus ou moins le déroulement des situations de soins et l’accès des individus (professionnelles de santé ou chercheuse) à ces situations.

2.4. Les entretiens : récolter des informations, combiner pratiques et

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