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3-2 LES TECHNIQUES DE PLANIFICATION D’INFRASTRUCTURE

L’adaptation des méthodes américaines au cas britannique

En juin 1961, une commission du Parlement fut mise en place pour étudier les problèmes à long terme du trafic automobile en ville. L’étude fut confiée à Colin Buchanan, un planner anglais travaillant pour le ministère des Transports. Bien qu’étant ingénieur de formation, il consacra toute sa carrière à travailler comme planner (planification des transports et urbanisme) dans la région londonienne ; son métier l’amena à examiner le bien-fondé des demandes de permis de construire dans un environnement urbain. Sa profession de planner ne devait pas masquer le fait qu’il était avant tout un serviteur de l’État. Sir Colin Buchanan correspondait à une génération ayant intégré

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les critiques d’Ebenezer Howard tout en restant dans la logique voulue par le ministère des Transports de l’époque.

Dans le rapport qu’il délivra au Parlement, en 1963, Colin Buchanan posa les constats suivants :

► La Grande-Bretagne est une île petite et densément peuplée. Elle n’est pas en mesure de

suivre l’exemple des États-Unis, ni leur politique de construction intensive d’infrastructures routières.

► La croissance automobile est très importante. L’automobile est un signe extérieur de réussite

sociale, et tout foyer ayant les moyens d’en acquérir une le fera. Dans cette hypothèse, il suivit la prédiction de la croissance économique de l’époque et projeta l’accroissement du trafic automobile ; les années 1970 représentant le pic de croissance vis-à-vis de l’accession à l’automobile.

► La croissance du trafic automobile sera très supérieure à l’augmentation des infrastructures

routières, même dans le scénario le plus optimiste.

Dès le départ, la démarche de Buchanan est claire : il ne s’agit pas de développer une méthode pour construire un réseau répondant aux besoins de la demande. Ce point méthodologique est très important, car c’est précisément de cette manière que le réseau est construit en Amérique du Nord. En effet, la démarche américaine consiste à :

► identifier les zones de croissance urbaine – encore une fois, il faut comprendre « urbain » au

sens large, et le plus souvent au sens de Frank Lloyd Wright ;

► planifier la temporalité des besoins ; ► construire l’infrastructure.

Dans cette logique, les développeurs du réseau sont au service de la croissance urbaine et doivent y répondre de manière mécanique.

Dans un second temps, il adapte les outils de planification dans le cadre britannique. Ce faisant, il passe en revue différentes études de cas :

► une petite ville, Newbury ; ► un centre régional, Leeds ; ► un centre historique, Norwich ;

► un block urbain à proximité d’Oxford Street, à Londres.

Buchanan voulait montrer, au travers de ces exemples, la nature différente des problèmes auxquels devaient faire face ces échelles urbaines. La petite ville aurait des difficultés à financer son infrastructure, le grand centre devrait hiérarchiser son réseau, et le centre historique

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restreindre son accès à certains types de véhicules. Oxford Street, rue commerçante de Londres, présentait cependant plus de difficultés, car elle englobait à la fois beaucoup d’activités piétonnières et un axe de circulation primordial de la capitale. Buchanan tenta alors de montrer les conséquences qu’aurait l’application des principes du Mouvement moderne. Il décrivit une architecture toute en verticalité, cédant la place à une voirie omniprésente sur plusieurs niveaux ; elle-même n’étant pas en mesure d’absorber l’augmentation du trafic routier. La critique du projet de Le Corbusier et de sa ville nouvelle était évidente.

Face à cette description, Buchanan conclut que détruire les villes pour les remplacer par une nappe de béton, tout en sachant que cela n’apporterait pas de réponse au problème, n’était pas une voie dans laquelle il fallait s’engager.

Malgré l’aspect pédagogique de cet ouvrage et son apparente fluidité théorique, ce travail reste une commande ministérielle avec une vocation de guide technique. Une autre manière d’interpréter la série d’exemples présentés est de voir son application dans le cadre britannique. En effet, chaque municipalité reste libre d’organiser le développement de son réseau comme bon lui semble. Il faut convaincre les collectivités du bien-fondé de la démarche, car les moyens de pression sont très limités.

La transformation de la pratique professionnelle

En dépit de toutes les subtilités apportées par Colin Buchanan au système de planification, bon nombre de détracteurs du réseau routier l’accusent d’être responsable du système qui a bétonné les îles Britanniques. Dans un certain sens, ils n’ont pas tort, car c’est en effet ces méthodes d’analyses qui étaient au cœur d’un développement routier très important et concentré sur le mode de transport automobile. Ces dernières avaient bien pour ambition de planifier la croissance du réseau.

Contrairement à la situation française, cette croissance reste subordonnée à plusieurs éléments :

► la primauté de l’autorité locale en charge du réseau ;

► le fait que l’infrastructure doive se justifier sur la base de besoins existants et exprimés au

travers d’une demande automobile excessive ;

► le fait que le budget du ministère exerce indirectement une forme de tutelle et que les projets

doivent entrer en compétition pour obtenir un financement.

Toutes ces couches de complexité font que la justification d’un projet routier dans le cadre administratif britannique est un exercice de planification en soi, exercice qui n’a aucune garantie d’aboutir.

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À la suite de l’analyse de l’infrastructure existante et des ouvrages techniques des années 1960 et 1970, deux choses interpellent :

► l’américanisation des ouvrages qui se comparent, dans leur structure et vocabulaire, aux

ouvrages contemporains d’Amérique du Nord ;

► l’évolution rapide de la structure de ces ouvrages.

En effet, le travail de Colin Buchanan, avec ces techniques de planification, a entraîné l’établissement d’une profession, celle de planificateur en transport ; professionnel en charge des études de planification de l’infrastructure en fonction des contraintes démographiques, économiques et d’usage du sol.

La question qui n’avait pas été abordée par ces professionnels concernait le système de construction. L’Institute of Highway and Transportation (IHT) est un organisme qui, comme l’Institute of Transportation Engineer des États-Unis, édicte la littérature doctrinaire technique. En l’absence d’un système normatif de construction de l’infrastructure à l’échelle nationale, il est nécessaire de produire des livres précisant l’explication de chaque type d’ouvrage et de replacer les modes de justification dans le cadre légal général. Il revient aux autorités locales en charge du réseau de choisir la variante de l’aménagement qui leur convient.

IHT produit donc, environ tous les 15-20 ans, un ouvrage mis à jour permettant aux professionnels, principalement consultants, de naviguer dans la logique générale qui sous-tend leur travail dans de multiples juridictions. En 1966, le ministère des Transports a publié un ouvrage intitulé Roads in Urban Areas. Cet ouvrage précise les spécifications techniques à apporter en phase de conception, une fois que la planification des transports a décrit les besoins en infrastructure. Il s’agit donc d’un système linéaire de planification puis de construction. Cet ouvrage démontre la façon d’adapter les normes américaines au contexte routier britannique. Il n’est fait nullement question de problèmes de nuisance de l’infrastructure dans le cadre bâti. La consultation avec les populations locales n’est pas non plus prise en compte. De façon identique à un autre ouvrage publié à la même date, Urban Traffic Engineering Techniques traite de son domaine technique de manière isolée.

En 1987, un autre ouvrage était publié, Roads and Traffic in Urban Areas. Ce manuel venait remplacer la publication précédente. Le constat était clair : la croissance de l’équipement automobile des ménages était bien là, et le déplacement des populations vers la banlieue induisait de nouveaux problèmes. Dans ce contexte, les autorités ont réagi et élaboré une vision intégrée du développement de l’infrastructure, vision devant s’attacher à conserver un équilibre acceptable pour tous. Les considérations que tout nouveau projet d’infrastructure devait prendre en compte étaient :

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► l’impact sur les services de transports en commun ; ► les considérations environnementales (cadre bâti) ;

► des critères stricts concernant les nouveaux projets (objectifs de succès) ; ► la priorité qui devait être donnée aux transports en commun ;

► la prise en compte des modes de transport actifs (marche, vélo, personnes à mobilité réduite) ; ► la sécurité routière.

En 1987, le changement de méthode de travail fut relativement radical dans le sens où il obligeait à prendre en compte le milieu urbain et la mobilité dans son ensemble. Dans la page de préambule, le secrétaire d’État – ministre des Transports – indique : « The road system must be managed so as to reduce transport costs, improve the environment, and enhance safety. The art of traffic management and road building is to get the right balance. »115 De toute évidence, le

gouvernement de l’époque assignait à la profession le devoir de gérer le développement du réseau dans un sens radicalement nouveau. Il ne s’agissait pas de répondre aux besoins de la croissance, mais de gérer le réseau afin d’optimiser son efficacité et de prendre en compte les contraintes locales. Le message était clair, il fallait arrêter de construire de l’infrastructure autant que possible, même si, pour cela, le développement urbain devait être contraint dans sa croissance. Les permis de construire comportaient donc aussi un chapitre « transport » analysant l’impact de ces derniers sur le réseau.

Une telle évolution dans la mentalité de gestion du réseau ne fut que la suite logique des propos de Colin Buchanan dans les années 1960, qui exprimait un refus de la ville américaine où la mobilité automobile était au cœur de tout. À un moment donné, il fallait arrêter de construire ; une telle prise de position était issue des mouvements de protestation contre les autoroutes urbaines de la région londonienne.

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