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CONCLUSION DU CHAPITRE 3 : COMPARAISON DES SITUATIONS FRANÇAISE ET BRITANNIQUE

La comparaison des situations française et britannique dans cette période souligne un renforcement des différences entre les deux territoires.

La situation administrative des routes

En France comme en Grande-Bretagne, les logiques administratives sont restées dans leur inertie passée. Certes, un ministère des Transports fut créé dans les deux pays pendant la période précédente, mais le positionnement de chacun dans le système administratif général fut très différent.

En France, dans le cadre de la gestion du réseau dans l’espace parisien, les services de l’État semblent en apparence avoir renoncé à la mise en place d’un équipement uniforme du réseau routier national. La région parisienne fit l’objet d’un plan d’aménagement particulier d’accompagnement du mouvement de périurbanisation. En parallèle, une doctrine d’aménagement du territoire à l’échelle nationale se polarisa sur le renforcement de villes d’équilibre afin de limiter la concentration des activités sur Paris.

Dans les faits, il apparaît clairement que le pouvoir exécutif de l’État s’appuie sur un petit groupe de fonctionnaires qui se connaissent bien et travaillent dans le secret. Ces fonctionnaires créent des commissions et des institutions qui doivent contourner la structure administrative classique. En outre, cette dernière continue d’observer les principes d’équipement du territoire car il existe des obligations légales et que rien n’est venu abroger ce principe de fonctionnement. Les fonctionnaires d’État continuent de contourner les institutions démocratiques lorsque cela est possible, car cette nécessité d’équiper tout le territoire est absurde.

Les instances démocratiques locales continuent d’être perçues comme un obstacle au bon déroulement d’actions jugées nécessaires. La région parisienne fut découpée selon des contraintes de gestion administrative, mais cela correspondait aussi à la stratégie de « diviser pour mieux régner ». Le découpage départemental adopté rend en effet cette agglomération quasiment impossible à gérer sans les services de l’État. Il est important que cette incapacité à être autonome soit la raison d’être du découpage départemental et communal depuis la Révolution. Une partie du réseau routier fut rendu aux services départementaux, mais cela resta la conséquence d’une contrainte administrative. Il fallait en effet que le ministère des Transports concentre ces moyens humains à la construction des autoroutes.

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En Grande-Bretagne, l’excès inverse fut observé. En effet, dès le départ, il était clair que la nature locale de la gestion administrative du réseau routier ne pouvait pas permettre le développement rapide d’un réseau routier stratégique. Un ministère fut donc créé, mais ce dernier a dû limiter son action aux routes nouvelles. Dans le cadre de la région londonienne comme dans le cadre de la région parisienne, le développement d’un réseau d’autoroutes urbaines était vu comme nécessaire par le pouvoir central. Dans la mesure où le développement d’un ministère des Transports fort n’était pas acceptable en Grande-Bretagne, le pilotage stratégique a été donné au Greater London

Council, version étendue du London County Council.

Deux choses cependant ont arrêté le projet de développement du réseau autoroutier :

► les erreurs de conception de l’institution du GLC ; ► l’opposition des habitants et des instances locales.

Le GLC fut en effet plus une source de conflit et de paralysie qu’une institution stratégique. Les documents de politique stratégique ne furent jamais émis et le GLC empiéta sur les prérogatives des boroughs. Concernant l’opposition des habitants et des instances locales, cela s’est fait ressentir à chaque étape du développement de l’infrastructure. Les consultations avec le public ont provoqué des débats d’experts et il apparut clairement que la construction du réseau n’était pas justifiée en raison des problèmes de congestion. Comme aucun autre argument justifiant le développement de ce dernier ne fut avancé, le projet fut abandonné.

Les autorités locales ont donc réussi à conserver leur autonomie de gestion sur le territoire local. Elles gèrent leurs affaires comme elles l’entendent, sans tutelle de l’administration centrale. Il serait toutefois trompeur de croire que cela n’implique pas de contrôle politique. En effet, l’administration centrale est faible dans le système britannique, mais le pouvoir réside principalement dans la capacité du Parlement d’édicter des lois et d’imposer une pression financière de la Treasury.

En raison des coûts de plus en plus importants des projets d’infrastructure, la seule chose qui était nécessaire pour exercer un contrôle indirect était la limitation des sources autonomes de financement des autorités locales. Une réforme des impôts locaux fit tomber le gouvernement de Mme Thatcher, mais au final, les autorités locales vont devenir de plus en plus dépendantes du support financier de la Treasury.

L’infrastructure routière et le développement technologique

Comme dans la période précédente, les administrations en charge des réseaux n’ont que peu ou pas d’influence sur le développement de la mobilité automobile. Le seul élément important qui ressort dans la comparaison entre les agglomérations de Londres et Paris est la présence de la ceinture verte à Londres. Contrairement à ce qui pourrait être attendu, c’est Paris qui voit une

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croissance en tache d’huile alors que Londres s’organise dans le développement de villes satellites desservies par les trains de banlieue. Mettre les villes nouvelles hors de portée d’un déplacement pendulaire automobile semble avoir été une manière efficace pour limiter la taille de Londres. D’un point de vue local, les déplacements automobiles ont dominé.

Ce qui questionne le plus durant cette période, c’est que la paralysie importante du système britannique et le volontarisme extrême du système français ne semblent pas avoir eu d’impact à une échelle macroscopique. Les milieux périurbains et rurbains se sont développés comme des nouvelles formes de ville et les centres-villes ont vu leur niveau de congestion augmenter.

Les structures administratives, au travers de la forme de développement du réseau, ont cependant grandement influencé le développement technologique des équipements routiers. En France, des technologies autoroutières se sont développées alors que les technologies britanniques se sont concentrées sur les problèmes de gestion du trafic urbain.

Les modes de développement

Enfin, les méthodes de développement du réseau entre la France et la Grande-Bretagne restent fondamentalement opposées. Les modes de fonctionnements identifiés dans la période précédente restent valides.

La France développe toujours son réseau par couche, même si l’urgence ressentie de la situation parisienne conduit à la mise en place d’un programme d’aménagement spécifique. Le réseau n’est pas justifié pour les besoins de la circulation, mais en raison des contraintes administratives de l’action publique en France. En effet, nulle part il n’est fait mention d’un document tentant de démontrer, du point de vue de la planification des transports, le besoin du réseau autoroutier de la région parisienne. Dans ces conditions, les techniques de planification du réseau évoluent peu, car l’objectif est de développer ce dernier au moindre coût.

En Grande-Bretagne, la pression du lobby ferroviaire est moindre par rapport à la période précédente, et les administrations en charge du réseau routier semblent avoir pris une certaine confiance en elles. Malgré tout, chaque projet routier fait l’objet d’une procédure de consultation et doit se justifier techniquement et économiquement sur ses propres mérites. Cette situation permet le développement d’un panel de professionnels très compétents techniquement, mais au final, le processus de développement de l’infrastructure conduit à une paralysie du système.

En conclusion, aucun des deux systèmes en place dans cette période ne semble satisfaisant. Le système français produit efficacement des infrastructures, mais au détriment de la démocratie, et le risque est grand de voir la mauvaise infrastructure se construire. Dans cette période, la construction à la fois du réseau autoroutier et du réseau RER apparaît comme un gaspillage et comme des mesures contradictoires. À l’inverse, le système britannique démontre que les grands

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projets ne peuvent voir le jour que dans le cadre d’un pouvoir exécutif fort, sinon, rien ne se construit. Le cadre administratif et juridique du développement de l’infrastructure a donc une forte influence sur la forme du réseau qui se développe, même si les contraintes démographiques et économiques poussent l’urbanisation dans les mêmes directions. Comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, le développement du réseau devra au final s’adapter à d’autres formes de mobilité.

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