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1-4 COMPARAISON DES SITUATIONS FRANÇAISE ET BRITANNIQUE

Cette section résume les spécificités des situations française et britannique dans le cadre historique. Ces spécificités ont comme caractéristique de se maintenir jusqu’à la période actuelle.

52 Les structures de l’État et des groupes sociaux dominants

En France, la figure royale a une longue tradition historique de centralisation du pouvoir sur sa personne. Tradition qui déboucha sur un exécutif très fort s’opposant le plus souvent au droit et aux traditions locales. L’outil d’affirmation du pouvoir est le principe de tutelle ainsi qu’une administration centrale directement sous les ordres du roi. Après la Révolution, une telle tradition se poursuivit, mais la personne royale fut remplacée par d’autres figures incarnant un pouvoir exécutif fort. Les élites intellectuelles bourgeoises peu fortunées voient dans l’administration centrale une opportunité de promotion sociale.

Au Royaume-Uni, les élites féodales se sont rebellées très tôt contre les excès de l’absolutisme royal, ouvrant la voie à une tradition parlementaire fondée sur le droit, un pouvoir exécutif faible et une incapacité du pouvoir central d’imposer une quelconque tutelle aux autorités locales. La période qui précède la mise en place du Parlement britannique est trop antérieure à la mise en place des routes pour qu’elle soit considérée.

La Révolution française ne constitue pas une rupture historique dans le domaine de l’administration des routes en France, et la différence entre les deux systèmes émane de variations historiques dans les prérogatives royales qui découlent du Moyen Âge. La tutelle royale ou son absence semble donc bien marquer la différence entre les deux systèmes.

Les principes législatifs au cœur de la gestion du réseau sont donc conservés en France comme au Royaume-Uni au moins depuis le XVIIIe siècle.

L’impact des situations géographiques nationales

Une autre différence importante entre la France et le Royaume-Uni est l’insularité de ce dernier. En l’absence de frontières terrestres à garder, la couronne britannique n’avait pas besoin de conserver son réseau routier pour des besoins militaires. Une fois l’Empire romain hors d’Angleterre, ce type d’infrastructure devint difficilement justifiable. Comme les voies navigables offrent une bonne alternative pour les déplacements commerciaux, le réseau routier se confina dans un rôle de chemin.

En France, en revanche, les routes permettent à la fois de remplir un rôle militaire et d’affirmer la présence du roi dans le territoire. Les routes font l’objet de travaux d’embellissement importants, les gabarits routiers sont respectés, les ponts ont des architectures dont le but est d’impressionner, etc. Très souvent, le corps des Ponts et Chaussées sera accusé de trop dépenser dans des ouvrages de prestige qui auraient pu coûter beaucoup moins cher.

53 Conséquences sur les politiques d’aménagement

La structure de l’État et les conditions géographiques des deux pays influencent grandement les politiques d’aménagement. En France, le pouvoir central exerce un contrôle très étroit sur tous les ouvrages qui le symbolisent, que ce soit l’aspect physique de la capitale ou les routes interurbaines. La question de l’utilité économique des ouvrages commissionnés est secondaire car :

► les motifs initiaux sont le plus souvent politiques ;

► l’État central n’offre généralement pas de sources de financement (et donc ne paye pas).

La préoccupation majeure de l’État central est de conserver l’unité du pays et la prééminence de son pouvoir sur ce qui est perçu comme des concurrences locales dangereuses.

Au Royaume-Uni, l’unité du pays ne semble jamais posée comme une préoccupation. Ce dernier se compose de nations bien identifiées (anglaises, galloises, écossaises, irlandaises et autres). L’unité du pays repose sur des aspects législatifs qui ne sont pas nécessairement en contradiction avec les coutumes locales. Il existe bien des conflits et oppositions, mais cela ne remet quasiment jamais en question la destinée commune de ces nations ou l’appartenance à la couronne britannique. Les politiques d’aménagement routier, dans ce contexte, n’existent pas. Il faudrait plutôt parler de politiques d’équipement, soit la mise en place d’infrastructures pour répondre aux besoins exprimés (nouvel accès, routes défoncées, congestion).

La technique et les politiques d’aménagement

Dans ce contexte, les outils techniques agissent dans un double sens. D’un côté, la technologie des véhicules progresse, indépendamment des politiques d’aménagements routiers, ce qui fait évoluer les avantages compétitifs des différents modes de transport. De l’autre, les politiques d’aménagement et les structures administratives limitent la capacité des administrations à mettre en œuvre une technologie de réseau.

Le développement de l’activité économique au XVIIIe s. crée donc une croissance du trafic routier, ce qui déclenche la création de routes, quelles que soient les politiques d’aménagement en place. Ensuite, le développement du réseau ferré, au XIXe s., rend le trafic routier non compétitif sur certains segments et on observe un net déclin des investissements dans le réseau routier interurbain.

Concernant la conception des chaussées, la logique française de l’Ancien Régime, qui consiste à construire des routes très résistantes avec de lourdes fondations, découle clairement du fait que l’entretien de ces dernières ne pouvait être effectué que durant une ou deux semaines par an, au moment de la corvée (impôt payé au moyen d’un travail non rémunéré par les paysans, pour la

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construction et l’entretien des routes royales). Les paysans étaient aussi en charge de l’entretien continu des chemins vicinaux.

Cette contrainte de maintenance annuelle n’existait pas au Royaume-Uni, car un voyageur à longue distance devait emprunter une série de chemins locaux. Réseau qui pouvait s’entretenir avec la mobilisation en continu de petits groupes tout au long de l’année. Une conception routière sans fondation mais avec un entretien constant fut adoptée outre-Manche pour les chemins très fréquentés. Il est important de noter que le système de corvée britannique bénéficiait au tissu économique local en ne concernant que les chemins vicinaux (tous les chemins l’étaient, même les routes des Turnpike Trusts). En raison de son mode de fonctionnement jugé inefficace, ce dernier fut néanmoins aboli dans la première moitié du XIXe siècle. En France, les taxes locales pour la maintenance des chemins sont très semblables au système britannique, mais leur paiement en nature restera en usage pendant très longtemps, jusqu’au XXe siècle.

Sur le réseau routier supérieur français, la corvée est en usage jusqu’à la Révolution. La création du poste de cantonnier après la Révolution française ne semble pas avoir modifié les choix techniques de construction des chaussées alors qu’en toute logique, il aurait dû si les considérations de prestige n’étaient pas aussi importantes.

De la même manière, lors du déclin de l’avantage compétitif du transport routier avec l’avènement du réseau ferré, le Royaume-Uni démantela doucement le système de financement des routes, et par conséquent le réseau lui-même. Dans le cadre français, l’administration alla construire des routes dans les zones de montagne, ce qui donna du sens vis-à-vis de la concurrence du chemin de fer, mais pas du point de vue de l’investissement des fonds dans les zones du pays économiquement peu productives.

Les conséquences pour Paris et Londres

Pour les agglomérations de Paris et de Londres, les conséquences de tous ces développements historiques sur la capacité administrative des États furent opposées.

À Paris, l’action de l’administration se concentra sur le cœur historique dans lequel le pouvoir de tutelle était juridiquement le plus fort. Cela mena aux travaux haussmanniens, qui donnèrent naissance à un cœur de ville bourgeois et rejetèrent la population ouvrière à la périphérie. L’action de l’administration centrale conduisit aussi à une quasi-faillite de la municipalité de Paris, contre laquelle elle ne fut pas en mesure de s’opposer.

À Londres, en revanche, les élites bourgeoises purent toujours s’opposer avec succès aux volontés du pouvoir central. Une situation inverse à celle de Paris se produisit, soit le développement d’un centre insalubre et la coordination de la banlieue dans un effort conjugué d’assainissement. Les élites politiques et économiques sont donc allées s’installer en banlieue et

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les populations ouvrières se sont concentrées dans les zones centrales et à proximité des infrastructures portuaires (East End).

Le développement du réseau de métro, qui servait principalement la population des employés de bureaux, reflète bien la différence dans la répartition spatiale des catégories socio-économiques de la population.

Paris est donc une ville sous tutelle ceinturée d’une banlieue dans l’ensemble moins aisée alors qu’à Londres, une tradition d’auto-organisation et de création d’organes centralisés de planification des infrastructures date du milieu du XIXe siècle.

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