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L’aménagement de la région parisienne (1961 – 1969) – Le témoignage de Paul Delouvrier, Paris, Presses de

2-1 L’ÉVOLUTION DE L’AGGLOMÉRATION PARISIENNE

86 L’aménagement de la région parisienne (1961 – 1969) – Le témoignage de Paul Delouvrier, Paris, Presses de

l’École nationale des ponts et chaussées, 2003.

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l’École nationale des ponts et chaussées, 2003.

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prendre une telle décision, dans un contexte où le chef de l’État, Charles de Gaulle, n’était même pas élu au suffrage universel ?

Paul Delouvrier, dans un ouvrage89 sur l’aménagement de la région parisienne entre 1961 et 1969,

relate bien la situation. Dans un premier temps, il est important de rappeler qui étaient les acteurs en présence. Les gens au pouvoir dans la région parisienne étaient des fonctionnaires d’État, car la Ville de Paris et le département de la Seine étaient des entités sous tutelle, sans élu démocratiquement à leur tête. Les décisions furent donc prises par des fonctionnaires et le général de Gaulle. De façon identique à la période de la Seconde Guerre mondiale, ces fonctionnaires ont pris l’opportunité qui se présentait de faire passer des décisions importantes sans le concours des élus.

Paul Delouvrier est un haut fonctionnaire assigné à des postes à haut risque, politiquement hors du schéma classique menant au poste de préfet. Il est donc un gestionnaire, professionnel du fonctionnement de l’administration française, et c’est lui qui est choisi pour structurer l’aménagement de la région. Ce n’est pas un professionnel de l’aménagement du territoire ni des questions d’urbanisme dans lesquelles il n’a aucune expérience. Au sein de son équipe, une seule personne avait une expérience dans le domaine, sans être un expert.

Face au problème de la croissance de l’agglomération parisienne, plusieurs problèmes se posent :

► la ville est en manque de ressources administratives pour permettre un ajustement des

infrastructures dans de bonnes conditions ;

► le poste de préfet de la Seine est un poste très prestigieux et le plus important de France ; ► la ville, comme toute grande ville industrielle, comporte des municipalités résolument de gauche

voire communistes dans un contexte de guerre froide ;

► Paris est toujours vu comme une ville turbulente source de révolutions et de troubles.

Dans ce contexte, les contraintes purement administratives de l’administration française sont les suivantes :

► la mobilisation en personnel d’un département est liée à l’entité administrative et non à la

population qui y vit ;

► les préfets en place sont très puissants et respectés ;

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► l’administration centrale n’a pas de pouvoirs en matière d’urbanisme.

Les solutions finalement adoptées furent :

► la création de plus de départements afin de permettre le développement d’une administration

plus importante ;

l’entrée de la Ville de Paris dans le cadre général français, mais seulement un Paris intra-muros

et donc nécessairement faible politiquement et probablement non communiste ;

► la création de villes nouvelles ayant un statut spécial permettant à l’administration centrale de

s’immiscer dans les affaires d’urbanisme ;

► le transfert ou le renforcement des grands syndicats dans la gestion et le développement des

grandes infrastructures de l’agglomération (métro…).

Dans ces conditions, et tel était l’objectif de ce dispositif, l’agglomération parisienne ne pouvait pas opérer sans le pilotage de l’État. En outre, qu’il s’agisse du découpage des départements ou de l’allocation des réseaux de transport, tout le dispositif mis en place est fait pour polariser les acteurs.

Dans l’analyse du développement du réseau routier, cette dimension politique de la situation de l’espace parisien est très importante.

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Figure 25 Évolution territoriale des départements d’Île-de-France en 196890

Figure 26 Évolution du département de la Seine en 196891

90 http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_no_64-

707_du_10_juillet_1964_portant_r%C3%A9organisation_de_la_r%C3%A9gion_parisienne.

133 Les villes nouvelles

Les villes nouvelles étaient une initiative courante en Europe à l’époque. La création de ces villes avait pour objectif de canaliser la croissance périurbaine dans des espaces aménagés pour cela.

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Une fois encore dans le contexte parisien, l’équipe menée par Paul Delouvrier s’en chargea dans le cadre du schéma d’aménagement de la région parisienne et avec le soutien de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (IAURP). Comme pour le reste du schéma d’aménagement, ces opérations furent menées avec la plus grande discrétion, sans concertation et en voyant les intérêts locaux comme nuisibles. Les cinq sites choisis, visibles sur la Figure 27, étaient : ► Cergy-Pontoise ; ► Evry ; ► Marne-la-Vallée ; ► Saint-Quentin-en-Yvelines ; ► Sénart.

Toutefois, il faut se rappeler que l’urbanisme de l’après-guerre avait conduit aux grands ensembles, aux tours de logements sans équipement public. Si ces derniers étaient préférables aux bidonvilles, ils ont néanmoins causé bien des mécontentements.

Les zones à urbaniser en priorité (ZUP) puis les zones d’aménagement concerté (ZAC) furent créées pour forcer les promoteurs à prendre en compte les services de base92.

Ces opérations d’urbanisme prirent place principalement sur les plateaux non développés de la région parisienne, ce qui fait sens car l’automobile permettait de s’affranchir des contraintes d’un relief aussi doux.

D’un point de vue administratif, il est important de souligner que l’État a déplacé son centre d’intérêt de Paris vers les villes nouvelles. Il a donc logiquement déplacé le statut administratif particulier qui lui permettait de prendre l’initiative avec un minimum de concertation.

D’un point de vue routier, ces villes nouvelles sont bien desservies par le récent réseau autoroutier et, dans l’ensemble, les transports en commun sont assurés. Sur ce point, en revanche, la rhétorique accompagnant ces villes semble faire l’objet d’une certaine confusion.

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Figure 27 SDAURP 65 axes préférentiels de développement93

En effet, la volonté initiale était de créer des villes ayant des pôles d’activités et de services importants, en raison probablement des difficultés rencontrées dans les grands ensembles. L’équipement de ces villes pour la mobilité automobile et à proximité de l’agglomération principale dénote une erreur de jugement.

En Amérique du Nord, les zones d’habitation sont « zonées », ce qui implique une distinction stricte entre les différents usages du sol (habitat, commerce, industrie). L’automobile est l’outil de mobilité qui permet de se déplacer entre ces différentes zones. Bien sûr, il s’agit d’un parti pris d’aménagement, mais il s’agit aussi de bénéficier des possibilités offertes par la mobilité automobile. Mobilité automobile, propriété individuelle et zonage des espaces permettent de créer

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cette distance entre le logement et les nuisances de la vie moderne. Dans ce contexte, en revanche, la ville ou l’agglomération est l’entité économique de référence. La commune locale n’a pas d’identité économique.

En Grande-Bretagne, les villes nouvelles ont été conçues loin du centre-ville, entouré d’une ceinture verte, et avec pour ambition de créer une communauté autonome reliée par le train à Londres. Il s’agit bien d’une ville car son isolation est relativement importante, et la mobilité pendulaire en dehors de cette agglomération est découragée.

En ce qui concerne la région parisienne, les aménageurs ont créé les conditions d’une mobilité automobile dans le cadre de la proche banlieue. Certes, ces espaces ont été aménagés comme des villes, mais dans le cadre d’une mobilité automobile. S’attendre à ce que les habitants consomment les services de proximité est contradictoire, surtout en matière d’emploi. Inscrire ces espaces dans une zone urbaine existante est aussi synonyme de nuisances et engendre donc une perte considérable de l’avantage lié à l’automobile.

Paul Delouvrier et son équipe ont par ailleurs fait des choix d’urbanisme confus qui se sont opposés à des forces locales, conduisant à ne pas installer les grandes surfaces sur les échangeurs autoroutiers comme en Amérique94. Aujourd’hui, le résultat de ce bras de fer entre l’État et les grandes surfaces en région parisienne est celui d’une solution mixte. Les Parisiens vont principalement faire leurs courses en automobile dans ces grandes surfaces, et ces dernières sont localisées dans des espaces semi-urbanisés voire urbanisés, avec toutes les nuisances que génère un tel afflux de trafic.

Au final, ce que ces villes ont de nouveau, c’est qu’elles sont sous la tutelle de l’État. Elles ne représentent pas vraiment une alternative souhaitable comparé au modèle de développement de la région parisienne, ce qui se remarque car elles restent sous-représentées en cadres dans leur population95.

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