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Les stratégies d’accès au terrain de recherche

Dans le document tel-00845413, version 1 - 17 Jul 2013 (Page 151-156)

Une méthodologie de recherche mixte et longitudinale

3.1. Le design de la recherche

3.1.1. Les stratégies d’accès au terrain de recherche

La recherche de nos terrains a été précédée d’un cadrage méthodologique du dispositif dont nous présentons le design initial160 en annexe 1. Celui-ci devait être initialement conduit auprès d’entreprises en restructuration au regard de la destabilisation présentie de ce type de changement organisationnel sur le rapport d’emploi des salariés restants dans l’entreprise.

L’abandon du « terrain idéal » des restructurations organisationnelles

Le protocole initial prévoyait cinq phases distinctes. La première phase, dite « préparatoire », portait sur la préparation des outils de recueil des données, des supports de présentation de la recherche aux entreprises et de contextualisation des sites (recueil des documents internes des entreprises et des entretiens individuels avec des personnes des Directions). La seconde consistait à recueillir les données concernant les termes et dimensions du CP par l’intermédiaire d’un questionnaire. Ce recueil devait se faire en 3 temps : avant, pendant et après la restructuration161. A l’issue de chaque temps, nous envisagions de réaliser une restitution intermédiaire de nos résultats auprès des entreprises. Entre chaque temps de recueil quantitatif, nous souhaitions réaliser des entretiens individuels pour suivre qualitativement l’évolution des termes du contrat psychologique. La troisième et dernière phase devait nous conduire à une restitution finale auprès des entreprises engagées dans le projet (avec possibilité de préconisations).

160 Pour chaque étape, nous avons précisé le calendrier, les contenus et objectifs, les instruments de recueil (questionnaire, entretiens individuels, entretiens collectifs) et d’analyse des données (logiciel de traitement statistique), les populations concernées et le lieu d’intervention.

161 « L’avant » correspondait à la période précédant la notification des salariés, le « pendant » à celle du dispositif opérationnel d’accompagnement des collaborateurs (ex : l’ouverture d’un « espace emploi-mobilité » ou « cellule de reclassement » temporalisés à une durée limitée de 6 à 12 mois) et, enfin, « l’après » à toute la période postérieure au dispositif.

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La principale difficulté que nous avons rencontrée pour nous ouvrir ce type de terrain tient à la

« sensibilité » de l’évènement de restructuration organisationnelle. Celui-ci exacerbe les jeux de pouvoir intra-organisationnels et peut constituer, pour l’ensemble des acteurs de l’entreprise, une véritable « épreuve »162 :

 Pour la Direction de l’entreprise, l’enjeu réside dans sa capacité à dérouler de manière optimale la procédure (au niveau temporel et social) et maintenir la performance organisationnelle. Elle doit proposer et gérer la mise en œuvre du dispositif dans ses aspects « endogènes » (l’élaboration économique et juridique, le cadre des négociations, les modalités d’accompagnement, la communication interne et externe163, etc.) et

« exogènes » (la redéfinition organisationnelle, l’anticipation des conséquences sur les

« survivants » ou encore le suivi de l’accompagnement des « sortants », etc.).

 Pour les partenaires sociaux, qui se posent en « contradicteurs164 » dans le jeu des négociations, se jouent leur légitimité (et crédibilité) par leur capacité à veiller de manière concomitante sur la viabilité économique et sociale du dispositif proposé et les intérêts des salariés qu’ils représentent (ils portent dans le temps la responsabilité des résultats obtenus lors des négociations).

 Pour les salariés, cet évènement est anxiogène car il génère des doutes et interrogations quant à leur avenir professionnel (quels seront les « survivants » ou les prochaines

« victimes » ?) et favorise la diffusion des rumeurs, de sentiments de suspicion entre collègues ou encore de dégradation de l’ambiance de travail.

L’intrusion d’un intervenant extérieur peut, dès lors, être vécue comme une « menace » c’est-à-dire comme un élément (une variable) pouvant déstabiliser l’implémentation et l’équilibre du dispositif par ses effets sur les acteurs165. L’intervenant se trouve pris dans les filets du processus et, concernant ce dernier, est inclus dans les réseaux perceptifs des uns et des autres166 ce qui peut le tenir à distance du « matériau » de sa recherche. Par exemple, l’intervenant sera dans l’impossibilité de rencontrer les salariés ou d’en rencontrer certains préalablement

162 Notre pratique nous a montré qu’elle était tout autant difficile à vivre pour le dirigeant d’entreprise qui a la charge d’implémenter le processus, le salarié qui craint la perte de son emploi ou encore le représentant du personnel qui doit porter la responsabilité des résultats des négociations lorsque celles-ci sont perçues par les salariés comme non favorables

163 La première tenant à la communication au sein de l’organisation (entreprise et groupe), la seconde tenant à la communication auprès des acteurs du territoire dans lequel s’inscrit l’entreprise (politiques, institutionnels, entreprises sous-traitantes, etc.)

164 « Contradicteur » ne signifie pas « contestataire » (même si certains peuvent en prendre le trait de caractère) mais plutôt

« force de contradiction » pouvant être, selon sa nature, plus ou moins constructive (allant de la proposition à la contestation) 165 Par exemple, un risque d’une perception « d’espionnage » ou de « ciblage » des salariés générant une anxiété organisationnelle, une cristallisation de la défiance entre acteurs, de divulgation(s) et de remontée(s) d’information(s), etc.

166 Notre terrain de recherche en DEA a montré la manière dont nous représentions, pour les salariés, le signe univoque d’une restructuration à venir en prenant à la fois le visage de « l’oiseau de mauvais augure » mais surtout celui de « l’espion » de la direction chargé de « choisir » les salariés concernés par les futurs licenciements. Selon eux, sous couvert d’un travail de recherche (fondé sur la confidentialité et neutralité des propos tenus), notre véritable mission consistait à réaliser un audit pré-restructuration.

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« sélectionnés » pour ce qu’ils pourraient dire de l’entreprise ou encore la retenue des interlocuteurs à laquelle il doit faire face dans leur discours par crainte de se rendre « éligible » au licenciement. Par conséquent, le « risque perçu » que notre présence faisait encourir aux acteurs, dont Fabre (1997) a souligné les nombreux phénomènes de résistances167, a remis en cause notre accessibilité à ce type de terrain. Derrière l’intérêt manifeste porté à notre étude était sous-tendue la crainte, notamment, de réactions antagonistes à l’efficience du dispositif en ouvrant la voie à une éventuelle détérioration du climat social. Etant à cette étape de notre thèse contraint par le temps, nous avons envisagé un accès aux terrains de recherche par le biais de « groupes de travail par souscription ». Nous avons rédigé en ce sens un support de présentation/sollicitation (annexe 2) présentant les objectifs suivants :

 Réaliser des groupes de travail composés de décisionnaires d’entreprises (clients ou non du groupe) et de chercheurs traitant des thématiques de notre recherche,

 Doter ces décisionnaires des connaissances théoriques leur permettant de penser l’intérêt pratique d’une inscription dans un tel projet de connaissance,

 Donner des gages de confiance par une démonstration de notre expertise et de notre positionnement afin de nous ouvrir les terrains de recherche.

Cependant, cette stratégie aurait exigé d’une part que nous sollicitions auprès des entreprises une participation financière (aussi minime soit-elle) afin de couvrir tout ou partie de nos frais d’organisation et, d’autre part, nous aurait engagé dans une démarche plutôt lourde du point de vue logistique et organisationnel (mailing d’invitation, relances téléphoniques, rendez-vous

« commerciaux »168 pour accrocher entreprises et chercheurs, organisation des ateliers). Nous aurions alors pris le risque à la fois de faire face à de multiples incertitudes (notamment sur la durée nécessaire à ce processus pour nous ouvrir l’accès aux terrains) mais aussi de nous inscrire dans un temps « hors thèse » mettant en péril le recueil de nos données (ou de recueillir celles-ci de manière non longitudinale).

Les modalités d’accès aux terrains de recherche

Nous avons donc fait le choix de ne plus poser notre question de recherche dans le seul contexte de restructuration. Nos échanges avec Laurence169, responsable de la structure interne au groupe dans lequel nous exerçons (rencontrée début septembre 2006), nous ont confirmé l’intérêt que

167 Pour sa thèse, Fabre (1997) n’avait pu compter, sur plus d’une centaine de courriers envoyés, seulement sur trois entreprises. Il avait par conséquent relevé la difficulté d’appréhension de ce champ de recherche

168 Nous employons sciemment le terme « commercial » pour souligner qu’une recherche n’échappe pas à la nécessité de

« vendre » son projet de recherche en usant de techniques commerciales

169 Nous avons attribué des prénoms d’emprunt pour garantir l’anonymat de nos interlocuteurs

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nous pourrions avoir de conduire notre recherche auprès du groupe lui-même (auquel notre société est rattachée). Le Groupe AD, essentiellement connu en tant que leader international du travail temporaire, a vécu des changements considérables depuis ses quarante années d’existence.

Sans que nous anticipions sur sa présentation, les divers changements qu’il a connu laissaient supposer une transformation profonde de la relation d’emploi des salariés qui le composent. Les retours que nous avions avant d’entrer sur notre terrain170 faisaient état de difficultés tenant à l’adhésion des salariés aux nouvelles valeurs de l’entreprise, à ses nouveaux modes de fonctionnement économiques et managériaux, à la transformation de leur métier et aux nouvelles attentes du groupe les concernant. Notre projet de recherche glissa ainsi des collaborateurs d’entreprises en restructuration organisationnelle aux collaborateurs permanents de l’entreprise AD (et non sur les intérimaires) qui vivent la mutation globale opérée par le groupe et les mutations propres à leurs régions.

Même s’il existe un cloisonnement entre notre société et le groupe AD, nous étions conscients que cette opportunité offerte face aux contraintes (de temps) et nos objectifs universitaires soulevait de facto la limite de notre ambivalence (chercheur/salarié) quant au terrain retenu. Pourtant nous considérons cette position comme un avantage méthodologique. La « reconnaissance » de notre appartenance au groupe par nos interlocuteurs et la réputation dont jouit notre société auprès d’eux nous ont permis, par exemple, de lever une perception de défiance concernant notre intervention et de faciliter l’échange par le cadre symbolique que nous partagions avec les différents acteurs (identité, culture, langage, cadre de référence, etc.). De plus, au cœur des jeux politiques organisationnels, l’appui de nos « garants », le lobbying qu’ils ont réalisé171 ou encore la position de la structure interne dans l’organisation172 nous ont permi de sécuriser, tout au long de notre démarche, l’accès au terrain. La collaboration avec Laurence nous a également permis de pouvoir compter sur un « allié » organisationnel au fait de la culture, de l’histoire et des évènements de l’organisation mais, surtout, de la spécificité de ses métiers et de ses modes de fonctionnement. Laurence nous fût également « utile » à la fois dans le décodage de l’organisation mais aussi en tant que gage de confiance auprès des interlocuteurs que nous devions solliciter (particulièrement les premiers mois).

170 La structure interne avec laquelle nous collaborons avait engagé plusieurs entretiens, sur une autre thématique de recherche, auprès des collaborateurs de cette société d’où les retours sur le vécu que nous avons obtenu et qui nous ont confirmé l’intérêt du site de recherche

171 Eux-mêmes inscrit dans le jeu organisationnel, ces personnes, par leur position dans l’entreprise, nous ont appuyé et accompagné de l’accès au terrain à la valorisation des résultats de la recherche en interne (notre société et le groupe) et particulièrement Laurence auprès du DRH Groupe ou encore du DG de notre société

172 Cette capacité d’écoute permanente étant le résultat d’une configuration organisationnelle où la structure interne de recherche, par sa situation (au siège social du groupe), ses liens avec la direction ou le réseau (c’est-à-dire l’ensemble des agences), est informée de la plupart des évènements qui se produisent ou se disent

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Nous avons ainsi réalisé un support de présentation de notre projet de recherche (annexe 3) pour notre entretien fin 2006 avec Valérie173 (Directrice Opérationnelle Est-Sud). Nous avons précisé l’objet théorique de notre étude et l’importance qu’il recouvrait du point de vue pratique à la fois pour l’ensemble des collaborateurs mais aussi pour les managers de proximité au regard de leur position duelle (cible et vecteur du changement organisationnel). L’appui de Laurence aura été de renforcer l’opérationnalité de la démarche proposée en illustrant nos propos par des faits organisationnels. Ce travail de « vulgarisation » avait pour objectif de gagner son intérêt en soulignant son caractère pratique. A l’issue de cet entretien, Valérie a adressé un courriel (annexe 5) à trois de ses Directeurs Régionaux (DR) confrontés à des situations de changements plus ou moins profondes : un nouveau modèle de distribution pour l’un, une intégration de nouveaux collaborateurs pour un autre et, enfin, la manifestation prégnante d’un mécontentement174 des collaborateurs pour le dernier. Une nouvelle présentation a été réalisée auprès de deux DR début décembre 2006 sur la base du support présenté à Valérie (annexe 3). L’objectif était d’obtenir leur adhésion. Notons que ceux-ci étant des praticiens, nous devions leur parler et placer notre échange sur la base d’un discours de « professionnel à professionnel ». Nous avons donc mis en avant notre expérience professionnelle de Consultant et Chef de Projet pour légitimer notre capacité de compréhension des enjeux et problématiques pratiques qu’ils pouvaient rencontrer175. La figure suivante résume les différentes étapes dans l’accès au terrain de recherche.

Figure 7. Le cheminement d’accès au terrain de recherche

173 Nous présentons en annexe 4 le courriel adressé par Laurence à Valérie à l’origine de l’organisation de cette rencontre 174 Que nous ignorions à la date de mise en œuvre du projet de recherche

175 Nous avons mis en avant notre expérience de gestion des projets pour de grandes entreprises, d’équipes, d’atteinte des objectifs, de relation avec divers acteurs qu’ils soient politiques, institutionnels, syndicaux ou dirigeants d’entreprises. Il s’agissait de montrer, par notre pratique, notre compréhension des contraintes et difficultés organisationnelles (de réactivité, de résultats, de gestion, etc.).

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