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L’ambition scientifique de la psychanalyse

Dans le document tel-00845413, version 1 - 17 Jul 2013 (Page 84-88)

L’extension des processus de brèche et de violation par la théorie du deuil

2.1. La métapsychologie freudienne

2.1.2. L’ambition scientifique de la psychanalyse

L’ambition scientifique de la psychanalyse est essentielle aux yeux de Freud55. Selon lui, c’est d’abord comme « science de l’inconscient » qu’elle prend son relief propre et engage sa légitimité, bien plus encore que sa vocation thérapeutique : « l’avenir jugera vraisemblablement que l’importance de la psychanalyse comme science de l’inconscient surpasse de loin son importance thérapeutique » (Freud, 1928, p 301).

Le modèle des sciences de la nature

Dès son origine, il y a bien une ambition scientifique de la psychanalyse comme « psychologie », sur le modèle des « sciences de la nature ». La psychanalyse a affaire à des « processus » et cherche à expliquer leur fonctionnement et leurs « lois » sur le modèle des sciences physico-chimiques. Ceci permet de comprendre que les trois coordonnées de la « présentation métapsychologique » (topique comme lieux, dynamique comme forces, économique comme quantités) s’appuient sur des concepts-clés de la pensée physique même s’il n’y a qu’homologie56. En adhérant à la famille des « sciences de la nature », la psychanalyse cherche d’abord à expliquer là où les « sciences de l’esprit » cherchent à comprendre. La psychanalyse est donc une forme d’explication fût-elle compréhensive. De plus Freud adhère à un mode de pensée général qui se réfère à une conception du devenir (évolutionniste) selon laquelle comprendre un phénomène, c’est l’insérer dans le mécanisme de transformation c’est-à-dire « comment se déroule la séquence des évènements ? ». Par là, en tant qu’explication, la métapsychologie s’oppose à la phénoménologie qui est une description des phénomènes. Néanmoins, comme le rappelle Assoun (1997, p 440), « il est essentiel de remarquer que chaque progrès de la capacité explicative de la métapsychologie est susceptible de renvoyer l’état précédent de l’explication à une simple valeur phénoménologique c’est-à-dire que l’explication est une démarche par approximations bien plus que l’assignation d’une cause ».

L’usage même du terme par Freud, « Wissenschaft » en allemand, comme le souligne Assoun (1997, p 63), implique une référence à un mode particulier du savoir constitué par « (1) l’acquisition de connaissances, (2) que celles-ci soient articulées entre elles de façon systématique ou cohérente, (3) qu’elles puissent arguer d’un principe d’ordonnancement des connaissances et

55 Avant de découvrir la psychanalyse, Freud était un scientifique en sciences naturelles (neuro-anatomie, neurophysiologie et chimie)

56 La dimension dynamique, par exemple, a été élaborée en rapport avec l’idée d’une dynamique des représentations introduites par Herbart au début du XIXe siècle

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des énoncés et (4) qu’elles soient transmissibles c'est-à-dire inscriptibles dans un certain code universel et intelligible ». Cette conception de la science, dominante au XIXe siècle, caractérise un expérimentalisme rationnel qui réduit progressivement la signification du mot « science » à une stricte « phénoméno-technique » (Bachelard, 1938). D’autre part, la juxtaposition du terme

« inconscient » témoigne du projet freudien de rendre compte scientifiquement des « processus psychiques » et/ou désigner un « système psychique ». Le propre de la psychanalyse est de ramener cet « Inconscient » à un mode de fonctionnement psychique spécifique, ou dit autrement à un « système », qui, par là même, peut être soumis à une investigation dont l’outil métapsychologique en opère « l’autopsie » (Assoun, 1997). Dans l’introduction de son ouvrage l’ « Esquisse » de 1895, Freud (cité par Gori, 2002, p 1620) l’exprime clairement : « nous avons cherché à faire entrer la psychologie dans le cadre des sciences naturelles c'est-à-dire à représenter les processus psychiques comme des états quantitativement déterminés de particules matérielles distinguables, ceci afin de les rendre évidents et incontestables ».

Il situe à ce moment-là sa découverte dans le champ d’un matérialisme positiviste57 où les processus psychiques sont représentés à l’aide des concepts de la neurophysiologie et à partir des phénomènes donnés empiriquement par la clinique, décrits, ordonnés et reconstruits selon la méthodologie des sciences naturelles. Dire que la psychanalyse s’inscrit dans l’idéal de ces dernières, c’est, pour Freud, manière de chercher à expliquer les phénomènes en y discernant les

« processus » à l’œuvre et en dégageant des « lois » à partir de ces processus « phénoménaux ».

L’adhésion initiale de Freud aux exigences positivistes sur le travail scientifique a produit un bénéfice : celui de situer la spécificité de la psychanalyse dans la mise en œuvre d’une méthode à même d’élever la résistance et le transfert comme leur analyse au rang d’opérateurs de la connaissance de l’Inconscient. Pourtant, ses préjugés positivistes et réalistes l’ont parfois empêché de reconnaître que le dispositif de la psychanalyse créait ses objets tout autant qu’il les découvrait (Gori, 1997). Comme « science naturelle », la psychanalyse s’étaie sur des « concepts fondamentaux » dont la « pulsion » en sera son concept de fond. Freud (1915, p 210) écrit ainsi

« qu’une science doit être construite sur des concepts fondamentaux clairs et définis de façon tranchante », mais « qu’aucune science, fût-ce la plus exacte, ne commence avec de telles définitions », elle s’amorce en réalité avec « la description des phénomènes », ensuite « groupés, mis en ordre et insérés dans des ensembles ». Aussi, ces « idées-concepts », du point de vue épistémique, comme compromis entre l’expérience et cette « autre chose » que l’expérience,

« doivent porter en elles tout d’abord un certain degré d’indétermination ». Ce sont des « formes »

57 L’adhésion de Freud à une « conception scientifique du monde », dans sa fidélité aux idéaux positivistes, l’a conduit d’ailleurs à co-signer avec Albert Einstein, David Hilbert et Ernst Mach un Appel en faveur de la création d’une société pour la diffusion de la philosophie positiviste.

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en attente ou, comme le souligne Assoun (1997), « en anticipation de contenu » : d’une part leur signification s’acquiert par « la référence répétée au matériel d’expérience » et, d’autre part, celui-ci, auquel elles « semblent empruntées », leur est « en réalité soumis ». Celles-ci sont déterminées par des relations significatives à la matière empirique que l’on est présumé deviner dès avant que l’on ne puisse les reconnaître et les démontrer.

Une science des processus psychiques

De plus, poursuit Freud (1915, p 211), « dès la description, on ne peut éviter d’appliquer certaines idées abstraites au matériel, que l’on va chercher quelque part et certainement pas dans la seule expérience nouvelle ». Par là s’opère un processus de « remplissage » des « concepts scientifiques fondamentaux » au fur et à mesure de « l’investigation du domaine d’expérience concerné ». Ce n’est qu’une fois atteint un point de détermination acceptable que les définitions peuvent advenir :

« ce n’est qu’une fois utilisables en leurs grands contours et relativement débarrassés de leurs contradictions que les concepts peuvent s’enchaîner en définitions » (Assoun, 1997, p 377).

Comme l’auteur le précise, c’est à cet endroit que l’on a un portrait édifiant du concept métapsychologique en tant que compromis entre une exigence de rigueur de forme et de mobilité de contenu58. Aussi, la scientificité suppose une tolérance, selon Freud, à l’indétermination relative des concepts fondamentaux et leur « remplissage » progressif par l’expérience et ainsi reconnaître le droit dans le travail scientifique à l’imagination. Ces « idées », germes des

« concepts fondamentaux » ultérieurs de la science, sont « indispensables » comme outils d’élaboration de la matière. Comme le note Assoun (1997), « amorcé sous le signe de l’empirisme, le discours freudien réaffirme, conformément à un balancier classique dans la théorie de la connaissance, une sorte de rationalisme méthodologique ». Il est cependant essentiel d’indiquer que pour Freud « l’identité épistémique de la psychanalyse demeure celle des sciences de la nature » et non celle des « sciences humaines ».

La construction d’une « métapsychologie », c’est-à-dire d’un ensemble de concepts spécifiques à la psychanalyse, conduira Freud à abandonner les représentations neurophysiologiques sans pour autant abandonner son idéal de science qui perdurera tout au long de son œuvre. En 1938, Freud (cité par Gori, 2002, p 1620) écrit : « la conception d’après laquelle le psychique est en soi inconscient a permis de faire de la psychologie une branche semblable à toutes les autres des sciences naturelles. Les phénomènes étudiés par la psychologie sont en eux-mêmes aussi

58 « Un concept métapsychologique est fait pour vivre et l’on sent en lui le cycle même du contenu qui en fait la chair » (Assoun, 1997, p 377)

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inconnaissables que ceux des autres sciences, de la chimie ou de la physique, par exemple, mais il est possible d’établir les lois qui les régissent et de suivre en de longues séries sans lacunes leurs relations réciproques et leurs interdépendances ». Pour autant, cette adhésion aux idéaux de la science se trouve tempérée par un relativisme épistémologique lorsqu’il écrit que « ce serait une erreur de croire qu’une science ne se compose que de thèses rigoureusement démontrées, et on aurait tort de l’exiger » (cité par Gori, 2002, p 1621). Freud va donc poser le travail de la science comme renoncement à toute forme de « vision du monde » qu’il décèle dans le savoir absolu de la métaphysique et de la religion de son époque c'est-à-dire, dans l’idéologie et la pensée germanique d’alors à savoir une vision « globalisante » du monde et de l’homme dans ce monde59. La science ne s’en abstrait donc que dans le respect de ses protocoles méthodologiques et de son rationalisme critique (Assoun, 1997). Dès lors, la psychanalyse ne saurait détenir sa scientificité que de la mise en œuvre d’une méthode dans une pratique.

Cette option épistémologique apparaît constante dans le cheminement de la pensée freudienne :

« en tant que science, la psychanalyse n’est pas caractérisée par la matière qu’elle traite, mais par la technique avec laquelle elle travaille » (Freud, 1917, p 492). Il s’agirait non d’appliquer la psychanalyse aux objets des sciences (c'est-à-dire une sorte de « psychanalyse appliquée » qu’Enriquez et d’autres contestent), notamment sociales, mais de ressaisir le mouvement par lequel « l’inconscient » tend à s’appliquer au social. L’exemple de la « famille » comme unité de base du lien social et lieu des conflits fondateurs du devenir du sujet est, à ce titre, éclairante.

Celle-ci correspond à un ensemble de personnes liées par la parenté ou l’alliance où se reconnaissent les rôles de père, mère et enfants. Comme le souligne Assoun (1997), ce lieu familial60 va supporter un modèle de constitution du sujet à la fois individuelle et sociale et confirmer par là-même sa puissance sur l’inconscient. Récusant un « sens supérieur » aux complexes psychiques, à la différence de Jung, Freud pose la famille comme le lieu où tout ce qui est déterminant pour le « petit d’homme » s’y joue. La considération selon laquelle les conflits de base de la « personnalité » sont des « conflits de famille » écarte ainsi toute interprétation

« transcendantale » de l’inconscient. La famille est donc le premier « marqueur » de toute la suite de la vie du sujet en une mise en jeu dynamique à la fois déterminée mais aussi ouverte. Freud adhère donc à un mode de pensée général qui se réfère, via l’évolutionnisme darwinien, à une conception du devenir c’est-à-dire à comprendre un phénomène et l’insérer dans un mécanisme de

« transformation ».

59 Une « vision du monde » est, selon Freud (1932, p 170), « une construction intellectuelle qui résout de façon homogène tous les problèmes de notre existence qui commande le tout, où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert, et où tout ce à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée ».

60 En tant que lieu d’élaboration de l’identité psychosexuelle du sujet, de ses idéaux et de structuration du désir

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