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Une combinaison des perspectives analytique et managériale managériale

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L’extension des processus de brèche et de violation par la théorie du deuil

2.2. Légitimité de la psychanalyse dans les sciences de gestion ? de gestion ?

2.2.4. Une combinaison des perspectives analytique et managériale managériale

Malgré les risques de son utilisation dans une recherche en sciences de gestion, plusieurs auteurs nous invitent à les « combiner ». Comme le souligne Arnaud (2005), il s’agit de relativiser ces difficultés au regard notamment de la précarité même du statut épistémologique des sciences de gestion (Arnaud, 2005).

Un « positionnement épistémologique » psychanalytique spécifique

Tout d’abord, plusieurs défenseurs de l’approche psychanalytique revendiquent le fait que l’étude de l’inconscient n’a pas à se plier aux mêmes critères de validité que le travail scientifique (Dor, 1988, p 9). C’est tout le sens de la « rupture épistémo-clinique » (Gori & Miollan, 1983) introduite par la doctrine freudienne dans le champ du savoir. De plus, malgré la référence

« classique » aux conceptions popperiennes, il n’existe pas de consensus épistémologique sur ce que la science est véritablement. Comme le souligne Arnaud (2005, p 17), « chaque discipline tend même à développer, non seulement sa propre épistémologie interne (analyse de ses fondements), mais aussi son épistémologie dérivée (analyse des relations entre sujet et objet, en connexion avec d’autres domaines du savoir) ». Toute conceptualisation permettant d’établir un programme de recherche serait dès lors qualifiable de scientifique (Lakatos, 1984). Aussi, selon Feyerabend (1979), il n’est pas légitime de disqualifier la psychanalyse, comme s’y emploie Popper, en fonction de principes extrinsèques à son champ : il convient d’abord d’examiner les connaissances qu’elle produit avec sa propre méthode, puis de se demander si l’on pourrait les obtenir concurremment par des moyens traditionnels. Or, dans le domaine psychanalytique, les connaissances produites ne sont précisément pas celles de la pensée rationnelle classique (Gori &

Hoffmann, 1999) et nécessitent un mode d’approche tout à fait spécifique (Freud, 1927).

Ainsi, précise Dorey (1991, p 2), « ce qui peut être considéré comme scientifique dans l’œuvre de Freud tient au fait qu’il a toujours été fidèle aux critères qui lui étaient propres. C’est donc la cohérence même de son discours qui, d’une certaine façon, fait de sa découverte une science, une science à part sans aucun doute ». Par conséquent, écrit Arnaud (2005, p 18), la psychanalyse, si tant est que son qualificatif « scientifique » soit perçu comme abusif, peut tout au moins prendre

« place (dans un projet de recherche scientifique) comme connaissance approfondie du psychisme, parmi les projets intellectuels les plus ‘respectables’ (Craib, 1989, 12) en ouvrant une

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troisième voie refusant les contraintes d’une problématique qui pose l’accès au savoir dans les termes d’une démarcation exclusive entre science et non-science (Stengers, 1992, 11 ; Green, 1991, 145) ». D’autre part, poursuit Arnaud (2005), la psychanalyse a été l’objet de critiques épistémologiques de la part des positivistes et des rationalistes qui n’ont-elles-mêmes, par leur violence, rien de rationnelles et, qui, dans une certaine mesure, tendent à nier l’existence du

« sujet inconscient ». Aussi, par exemple, les contestations neurobiologiques porteront sur la pensée qui, selon eux, est une émanation chimique cérébrale sans qu’ils ne puissent pour autant apporter plus d’explications concernant le contenu des rêves, leur interprétation en reléguant l’inconscient à une butée de la conscience sans existence (David, 1991).

Aussi, Arnaud (2005) pointe précisément ce qui caractérise la psychanalyse à savoir qu’elle « ne se situe pas au même niveau d’interprétation » car la question de la « vérité » (c’est-à-dire la

« véracité ») des propos de l’analysé, à la différence du « scientifique » positiviste qui cherchera à valider l’exactitude du récit (Laplantine, 1973), n’est pas recherchée par l’analysant. Sa posture l’amène à considérer que ce que l’analysé lui dit est vrai dans le sens où l’énonciation portée par cet énonciateur (sujet) parle de lui, c’est-à-dire, comme nous le soulignerons plus loin, que l’Autre parle du sujet. « Même parmi les biologistes du cerveau, renchérit Arnaud (2005, p 19), des objections comme celle de l’inexistence matérielle des processus inconscients ne font pas l’unanimité, puisque certaines théories (comme celle de Damasio) donnent une base neuronale à la libido et tentent même de ‘réconcilier’ Freud avec les sciences exactes (…) les sciences de la nature99 elles-mêmes (ajoute l’auteur) ont recours à l’interprétation et à certains postulats indémontrables, ainsi que l’ont montré nombre d’épistémologues (Lakatos & Musgrave, 1970).

Bourdieu (1997, p 198) appelle également clairement à une collaboration scientifique entre sociologues et psychanalystes car selon lui « la sociologie et la psychanalyse devraient unir leurs efforts pour analyser la genèse de l’investissement dans un champ de relations sociales, ainsi constitué en tant qu’objet d’intérêt et de préoccupation », pour surmonter « les préventions mutuelles et scientifiquement ruineuses » qui les séparent.

99 A leur sujet, il est intéressant de noter qu’elles ont souvent critiqué la position poppérienne en montrant que ce modèle de scientificité s’appuyait sur un état historiquement dépassé des sciences de la nature

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Un « objet de connaissance » psychanalytique spécifique

Freud (1919, p 26), en se livrant à une véritable critique de la psychologie, indique que « ni la philosophie spéculative ni la psychologie descriptive ni encore ce qu’on appelle la psychologie expérimentale et qui se rattache à la physiologie sensorielle. Aucune de ces disciplines que l’on enseigne dans les écoles n’est en mesure de vous dire quelque chose d’utilisable sur la relation entre le corporel et le psychique et de vous mettre en main les clefs qui vous permettraient de comprendre une perturbation possible des fonctions psychiques ». La raison pour laquelle tous ces discours ne peuvent rien dire sur la réalité psychique tient à leur définition erronée de la vie psychique en assignant à la conscience une place centrale contradictoire avec la psychanalyse.

« La conscience vaut très exactement pour nous comme le caractère qui définit le psychique, la psychologie passe pour être la théorie des contenus de la conscience » déclarera Freud (1919, p 27). Or, comme le souligne Péquignot (2006), c’est cette identification que l’hypothèse de l’Inconscient vient mettre en cause : la conscience n’est plus qu’une « fraction de la vie psychique », le psychique se définit par les processus inconscients.

Partant de là, l’objet de la psychanalyse n’est plus les conduites ou les comportements, ou la conscience, mais bien ce que Lacan (1966) nomme « les formations de l’Inconscient ». Par conséquent, dans son mouvement, cette définition fait sortir la psychanalyse du champ étroit de ce qui tourne autour de l’individu pour l’élargir au champ des sciences sociales et côtoyer

« histoire » et « sociologie ». Ces deux dernières disciplines, relevant d’une « épistémé du récit », se trouvent d’ailleurs radicalement non-poppériennes, en ce que ce qui tient lieu de preuve ne peut relever de ce que Popper donnait comme critère de scientificité, la possibilité de falsification. Pour avoir un champ empirique incontestable, ces disciplines ne sont pas pour autant

« expérimentales ». Les sciences historiques, par exemple, sont composées de récits, d’archives, d’observations, voire de données chiffrées recueillies par l’enquête, toutes formes de

« documents » qui excluent la production de « modèles » d’explication qui pourraient faire l’objet d’un protocole de vérification expérimentale. La sociologie manie des statistiques qui peuvent faire apparaître des « moments de raisonnement expérimental » (Passeron, 1991) toujours mêlés à un travail de type interprétatif qui est le seul permettant d’accéder à une connaissance de la dimension historique du phénomène (Péquignot, 2006).

Passeron (1991, p 71) écrit ainsi que « la sociologie est (…) une discipline historique » c’est-à-dire que « ses énoncés ne peuvent, lorsqu’il s’agit de les c’est-à-dire vrais ou faux, être désindexés des contextes dans lesquels sont prélevées les données ayant un sens pour ses assertions ». La

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psychanalyse est tout à fait compatible avec cette définition. Si Popper incluait la théorie de Marx et celle de Freud hors de son histoire de la science, Passeron (1991), en dégageant les sciences historiques du joug positiviste du modèle unique de scientificité et en énonçant trois points essentiels100 qui délimitent les « conditions » et les « contraintes » des sciences historiques (en tant qu’elles sont aussi des sciences empiriques), ouvre la porte à un nouveau débat épistémologique dans lequel la psychanalyse (et le management dans une certaine mesure) peut s’y reconnaître. En tant que « science empirique qui travaille sur des récits, toujours situés dans un contexte, son matériau est discursif et donc relève d’une interprétation, et porte sur une histoire, celle singulière d’un sujet, mais dont aucun des éléments ne lui est propre, sa singularité ne venant pas du contenu concret de son discours mais du croisement des lignées ou des histoires auxquelles il participe » (Péquignot, 2006, p 51-52). L’objet de la psychanalyse n’est pas l’individu mais l’individu inscrit dans une foule, une histoire, un milieu social et linguistique101.

Les intérêts heuristique, pragmatique et épistémologique d’une interdisciplinarité

Les théories analytiques ont fait l’objet de nombreux débats, de relectures, de nouvelles conceptualisations selon les auteurs qui les maniaient. Les mutations subies par la psychanalyse dans son histoire, à travers à la fois la validation ou l’infirmation empirique de ses énoncés dans la rencontre entre l’interprétation proposée par l’analyste et le sujet qui la reçoit, mais également des

« confrontations » théoriques entre courants de pensée, attestent du caractère de « réfutabilité » cher à Popper auquel s’est soumise la psychanalyse102. D’ailleurs, souligne Arnaud (2005), les disciplines managériales elles aussi semblent contestées épistémologiquement. Une critique semblable à la psychanalyse leur est faite concernant les racines hétérogènes de leurs différents objets, objets qui puisent leur genèse dans des disciplines comme l’économie, le droit, la sociologie, la psychologie, les mathématiques, l’anthropologie, l’histoire ou les sciences politiques (Savall, 1997 ; Martinet et alii, 1990 ; Marmonier & Thiétart, 1988). De plus, à cette

« diversité paradigmatique et théorique » se mêlent des disparités méthodologiques qui opposent démarches quantitatives et formalisées, et, approches qualitatives et monographiques. Ceci, à l’image des antagonismes des tenants de l’egopsychology en France et aux Etats-Unis, conduit

100 (1) « Les sciences empiriques sont des langages de description du monde qui doivent produire un type particulier de connaissance aux épreuves empiriques que la structure logique de ces langages rend possibles et nécessaires » ; (2) « Il n’existe pas et il ne peut exister de ‘langage protocolaire’ unifié de la description empirique du monde historique » ; (3) « La mise à l’épreuve empirique d’une proposition théorique ne peut jamais revêtir en sociologie la forme logique de la

‘réfutation’ (‘falsification’) au sens popperien » (Passeron, 1991, p 359)

101 Comme le souligne Freud, l’individu est l’entrecroisement de foules diverses auxquelles il appartient par les différents éléments de son histoire.

102 Même si, s’empresse de le préciser Arnaud (2005) avec raison, il est nécessaire, cependant, pour avoir accès à cette clinique de la falsifiabilité, d’être formé à l’écoute et à l’interprétation analytiques, ni plus ni moins de la même manière qu’une formation à la physique est indispensable au physicien

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aussi à des zones de clivages entre nord-américains et européens (Koza & Thoenig, 1995).

Pourtant, nous considérons avec Arnaud (2005) que loin de féconder un champ de recherche stérile, ces divergences de vue et d’appréhension des objets étudiés peuvent, au contraire, permettre de « mieux rendre compte de la complexité des phénomènes en cause ».

De plus, les situations explorées par les deux perspectives sont, pour l’une et l’autre,

« irrémédiablement singulières ». Dans les deux cas, les tenants des deux approches doivent faire avec des individus (ou groupe d’individus) qui existent dans leurs différences et ne sont jamais totalement identifiables les uns aux autres (ni interchangeables). De même, les deux approches nécessiteront, comme le rappelle Arnaud (2005, p 22), de « toujours, dans l’instant, inventer, faire surgir des gestes et des paroles qui ne relèvent d’aucun protocole expérimental ». Toutes deux sont confrontées à la concurrence de données ou notions issues de la pratique elle-même susceptibles de contester les outils conceptuels ou méthodologiques de leurs théories (Fraisse, 1985) voire de produire de la connaissance (le gestionnaire en sciences de gestion, le psychologue/psychanalyste clinicien en psychanalyse). Enfin, conclut Arnaud (2005, p 22),

« chacune d’elles doivent considérer la nécessité d’accroître conjointement le degré d’abstraction des connaissances produites et leur faculté d’application opérationnelle » d’où des difficultés de

« positionnement » scientifique conduisant l’analyste comme le chercheur à choisir une « voie moyenne » entre une orientation modélisatrice et une approche empirique103.

103 Arnaud (2005, p 23) précise que « les critères de validité mobilisés en regard de ces deux objectifs peuvent être contradictoires, tant dans le domaine psychanalytique (Bergeret, 1987) que dans le cadre d’une recherche en gestion (Godelier, 1998, 49), constituant par-là une véritable double-contrainte épistémologique »

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