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Des difficultés « d’assimilation »

Dans le document tel-00845413, version 1 - 17 Jul 2013 (Page 108-112)

L’extension des processus de brèche et de violation par la théorie du deuil

2.2. Légitimité de la psychanalyse dans les sciences de gestion ? de gestion ?

2.2.3. Des difficultés « d’assimilation »

Si l’intégration des deux champs est possible et souhaitable, un chercheur nourrissant cet espoir devra néanmoins faire face à un certain nombre de difficultés. Comme l’énonce Leclaire (1996, p 48), cité par Arnaud (2005, p 3), « l’apport psychanalytique aux sciences humaines ne peut se concevoir autrement qu’hétérogène, voire inassimilable ». Arnaud (2005) nous met ainsi en garde face à 5 difficultés majeure auxquelles sera confronté le chercheur en sciences de gestion tentant l’inclusion psychanalytique96.

Difficulté n°1 : la complexité de la théorie analytique

La première difficulté tient en la complexité de la théorie analytique qui mobilise des concepts peu accessibles et éloignés de la discipline des sciences de gestion. Le chemin pour couvrir cet écart nécessite alors un investissement intellectuel au long cours de la part du chercheur (Arnaud, 2005) d’une part face à l’étendue des concepts proposés et, d’autre part, face à leur caractère

« multi-référentiel » émanant des divers courants de pensée. D’ailleurs, chacun d’eux, comme le souligne Arnaud (2005) a développé une propension à l’autoréférence et à la « fétichisation » de leurs concepts (Leclaire, 1998). Ceci accentue l’impression de « babélisme » (Ouimet, 1993) c’est-à-dire une forme de langage propre à un courant de pensée ne pouvant être audible que de ses initiés. De plus, la vulgarisation de la psychanalyse depuis une trentaine d’années tend à laisser croire que celle-ci est accessible par tous. Pourtant il faut compter avec les nombreuses

« obscurités » du discours psychanalytique dont les auteurs « abusent » afin de se rendre inintelligibles des non-initiés. Ici, nous justifions la levée de cette première objection par notre formation initiale en psychologie clinique et plus particulièrement des écrits lacaniens, reconnus pour leur opacité, sur lesquels nous développerons les futurs commentaires de notre modèle théorique.

Difficulté n°2 : le piège d’une « psychanalyse appliquée »

La seconde difficulté évoquée par Arnaud (2005, p 4), tient à l’articulation de la psychanalyse dite

« individuelle » avec le champ organisationnel qui, « malgré les nombreux travaux dont celle-ci peut se prévaloir, se trouve toujours à l’état prototypique, en particulier en matière de

96 Du point de vue « éthico-méthodologique », nous gageons notre légitimité d’appropriation et d’assimilation de la psychanalyse par notre formation initiale en psychologie clinique, par l’appui qui nous a été apporté par G. Arnaud ou encore par la confrontation et les échanges sur nos écrits présents avec de « véritables » psychanalystes

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conceptualisation spécifique à son objet ». Il s’agit, en effet, de (re)travailler les concepts analytiques, pour éviter que leur application immédiate au fonctionnement des organisations ne conduise « à des représentations tronquées et à des interprétations abusives, sinon erronées » (Lévy, 1997, p 47) comme celle d’« inconscient organisationnel » qu’Amado (1997, p 19) dénonce en tant « qu’imposture scientifique »97. Notre position épistémologique d’inscription du sujet dans le social (de leur interrelation), notre démarche singulière de conduite en deux temps méthodologique et analytique concernant notre objet de recherche (que nous développerons dans le chapitre suivant) ont justement pour objectif d’éviter cet écueil de « psychologisation » des phénomènes organisationnels.

Difficulté n°3 : une difficulté de reproduction et de généralisation des résultats

La troisième difficulté porte sur le caractère impropre de la psychanalyse à fournir au chercheur en gestion des données d’observation reproductibles et généralisables. Cette forme d’aléa est essentiellement liée à deux particularités épistémologiques majeures :

 La psychanalyse est une « science du concret » (Enriquez, 1992, p 328), qui procède d’une épistémologie « contextualiste » dont la connaissance est « indissociable de l’expérience relationnelle d’où elle est issue » (Lévy, 1998, p 4)

 La psychanalyse se revendique comme une forme de compréhension de l’individuel et du particulier (Leclaire, 1996) qu’Enriquez (1983) qualifiera de « science du singulier ».

Aussi, ces principes semblent à première vue antagonistes à la concomitance d’un projet de recherche en sciences de gestion prenant appui sur la théorie analytique. Pourtant, la psychanalyse, au contraire, à son mot à dire, non pour affirmer le caractère « réplicable » des faits au sens poppérien du terme, mais pour en expliquer l’expression. Aussi, de manière cohérente avec la démarche des sciences de gestion et corollairement à la posture psychanalytique, nous répondrons à cette difficulté par une description des contextes d’analyses (les sites de recherche) desquels nous recueillerons nos données. De plus, afin d’éviter toute dérive interprétative, nous nous appuierons sur des concepts traditionnels en sciences de gestion (dont la scientificité a été largement validée) en tant que construits scientifiques opérationnalisables permettant (1) de valider, au sens poppérien, leur fréquence et donc l’existence objective d’un réel phénomène

« subjectif » dépassant le sujet et (2) d’étayer et de cibler les populations concernées pour avancer

97 Freud (1939, p 195) lui-même a indiqué dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste « ne pas croire que nous atteindrons quelque chose si nous introduisons le concept d’un inconscient collectif.»

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dans la compréhension du processus d’interprétation individuelle dont la connaissance se limite à la cognition du phénomène.

Difficulté n°4 : l’éthique de la psychanalyse dans la recherche en management

La quatrième difficulté relevée par Arnaud (2005) pose la question de l’éthique de la psychanalyse qui est contraire au « projet de maîtrise » inhérent au management des organisations (Lévy, 1997) et au développement des sciences de gestion (maîtrise de l’action managériale, de l’atteinte d’objectifs, de la performance des ressources humaines, de la conduite du changement, etc.). Le chercheur doit ainsi, nous dit-il, avoir conscience, d’une part, que par essence, la psychanalyse vise à révéler les processus psychiques inconscients, y compris ceux qui sous-tendent la vie sociale et dont le dévoilement peut être vécu comme une menace pour l’organisation (par la remise en cause de son fonctionnement à travers ses règles ou relations de pouvoir) et, d’autre part, que la psychanalyse impose le respect de deux prescriptions fondamentales dans sa conduite. La première tient à la « neutralité » à l’égard des opinions de

« l’autre » (interlocuteur, acteur de l’organisation, etc.) et, la seconde, à la « bienveillance », c’est-à-dire au refus d’exercer sur lui la moindre pression ou autorité, même pour de prétendues bonnes raisons (Green, 1995). Pourtant, la posture même de chercheur doit le contraindre à ces principes vis-à-vis de ses terrains (et les sujets qui les composent) qui placent, par conséquence, l’éthique de la recherche scientifique sur des bases peu éloignées à celle de la conduite psychanalytique98.

Difficulté n°5 : des difficultés méthodologiques et d’opérationnalisation

La cinquième difficulté avancée par Arnaud (2005) tient au fait que la psychanalyse n’est pas une simple discipline des sciences humaines et sociales, ni une pure technique thérapeutique cumulable avec d’autres (Gori & Hoffmann, 1999). Echappant à toute saisie « objectivante » et quelle qu’en soit l’utilisation opératoire (Enriquez, 1991), le « savoir inconscient », en tant qu’il désigne l’ensemble des déterminations régissant l’existence du sujet, peut, sous l’effet du refoulement, résister à toute forme d’investigation ou d’instrumentation consciente (Arnaud, 2005). Si le chercheur en gestion peut espérer en appréhender quelques manifestations (actes manqués, compulsions, etc.), leur décryptage ne peut s’opérer que dans des conditions précises (relation transférentielle, écoute analytique, etc.) à la fois exigeantes et contraignantes (gestion du contre-transfert, etc.) qui sont la plupart du temps peu compatibles avec la « sismographie » du

98 Même si, convenons-en, une recherche qui tend vers l’action (action-research) implique la remise en cause du principe de

« neutralité ». Le chercheur devra en conséquence tenter l’objectivation de ses effets sur son terrain d’investigation

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terrain (stratégies de pouvoir, conflits intra-organisationnels, etc.). En particulier, l’écrit Arnaud (2005), il lui faudra (au chercheur) apprendre à gérer les conséquences du « retour du refoulé » au sein de l’organisation investiguée, dans la mesure où celui-ci s’accompagne de résistances massives (dénis, rationalisations, etc.) pouvant conduire à l’arrêt du processus de recherche engagé. Ceci nécessitera ainsi de notre part, dans le chapitre suivant, une présentation concernant notre méthodologie de recherche, notre position même d’objet « chercheur » ainsi qu’un récit objectivé sur le déroulement du projet. Enfin, conclut Arnaud (2005), au-delà de ces difficultés méthodologiques, le concept même d’inconscient (comme ceux de sujet, de désir ou de pulsion de mort, entre autres) pose d’importants problèmes d’opérationnalisation que ce soit au chercheur en gestion qui voudrait l’intégrer aux modèles théoriques qu’il utilise habituellement (Craib, 1989) ou au gestionnaire praticien désireux de mieux contrôler ce paramètre capricieux (Bricon, 1983). Nous préciserons, dans cette optique, les concepts sur lesquels nous appuierons notre lecture analytique de notre modèle de recherche.

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2.2.4. Une combinaison des perspectives analytique et

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