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Chapitre 1. Méthodologie et terrains d’étude

1.2 La méthodologie

1.2.2 Une recherche-action clinique

1.2.2.2 Les entretiens semi-directifs de recherche

Dans le cadre de nos entretiens semi-directifs nous mobilisons la clinique du travail, que nous venons de définir, et l’analyse biographique. Le travail et les usages de psychotropes, liés ou non, que nous cherchons à décrire et comprendre, s’inscrivent dans une histoire qui précède l’instant (celle des sujets, intime, et celle de leur métier, de la prévention, de l’entreprise, etc.). Il convient d’y avoir accès pour pouvoir comprendre le sens des activités et des relations sociales du présent. Ce travail favorise un partage accru du sens, explicite et implicite, de l’activité professionnelle, de l’organisation du travail, de la culture de commandement, de la gestion des risques, des stratégies de santé, des cultures de convivialité, etc., entre le sujet et nous-même (et entre les professionnels dans le cadre des entretiens collectifs). Le récit et l’analyse se construisent dans les sujets sous l’effet de notre intervention. Cette connaissance nouvelle, co-construite avec nous (et les autres professionnels dans le cas d’entretiens collectifs) permet de repérer de nouvelles marges de manœuvre. Le récit lui-même et la connaissance produite conjointent deviennent leur propre outil de changement.

Toutes les personnes engagées dans l’étude sont volontaires. Elles reçoivent une information détaillée quant au but et à la nature de l'intervention. Elles peuvent, à tout moment et librement, quitter le projet. La conduite des entretiens se fait dans un cadre déontologique fondé, en recherche scientifique, sur le principe d’une bonne information et du respect des personnes dans leur autonomie. Dans le cadre des entretiens nous nous efforçons de « respecter la liberté de décision des personnes et de faire le plus de bien (et le moins de mal) possible » (CCNE, Avis n°58, 1998). Nous traitons toutes les informations échangées de manière strictement confidentielle et anonyme.

Les entretiens individuels

La conduite des entretiens est orientée par les processus que nous cherchons à identifier avec nos interlocuteurs. Dans la mesure du possible, nous chercherons à rencontrer les personnes deux fois, à six mois d’intervalle. Nous partons d’une grille de questions de base et celles-ci évoluent, se construisent et se formulent dans le dialogue avec les sujets (généralement sous l’effet de leur fonction et de leurs activités). Nous pouvons les répertorier comme suit :

 Quelles fonctions, quelles tâches actuelles effectuez-vous ?  Quelle est votre trajectoire professionnelle ?

 Que consommez-vous comme substances (alcool, tabac, cannabis, somnifère, antidépresseur, etc.) ?

 Comment consommez-vous ? Avec qui ?

 Comment vous fournissez-vous ? Auprès de qui ?  Quelle est votre histoire de consommation ?

 Quand, comment, avez-vous rencontré la question des usages de drogues (alcool et autres) au travail ?

 Quels liens faites-vous, observez-vous, entre le travail et les usages de SPA ; entre les usages et travail ?

 Quand, comment, avez-vous rencontré la question des usages de psychotropes au travail ?

 Développez des exemples, des « cas », des situations-problèmes rencontrés ?

 Quels liens faites-vous, observez-vous, entre le travail et les usages de psychotropes ; entre les usages et travail ?

 Quelles sont vos activités personnelles vis-à-vis des usages de psychotropes : information, prévention, traitement, interdiction/sanction ?

 Quelles représentations et quelles attentes avez-vous des acteurs et des activités de prévention (des risques du travail et des usages de psychotropes ?

 Que faudrait-il faire pour améliorer la prévention (des risques du travail et des usages de psychotropes ? Avec qui ?

Les entretiens collectifs sont conduits avec des groupes d’opérateurs, d’encadrants et d’experts santé-sécurité. Moins centrés sur l’expérience singulière de chaque personne, ces entretiens sont présentés et animés comme des temps d’échanges d’expériences et d’élaboration de récit à partir de la même question initiale que pour les entretiens individuels. On cherche à repérer ce que les membres de ces groupes pensent avoir en commun dans leur expérience ou leur perception vis-à-vis du travail et des usages de drogues (alcool, tabac, médicaments, etc.) comme risque ou comme facteur de régulation et des conditions et des effets pratiques de la prévention. Ces entretiens visent à faire émerger les savoir et les savoir-faire formels et informels produits dans, et par, l’activité déployée dans la relation au travail et dans la relation aux consommations de psychotropes. Ils visent à identifier les métiers et les fonctions dans leurs interactions avec ces consommations ; et à dégager une histoire d’entreprise vis-à-vis du travail (son organisation et ses évolutions) et vis-à-vis des usages de drogues et de la prévention.

Ce travail collectif apporte un éclairage complémentaire aux entretiens individuels. La définition progressive des situations de travail par les professionnels (comme performance, risque, erreur, habitude, plaisir, peur, etc.) ne correspond pas nécessairement aux caractéristiques de la situation telles qu’un professionnel isolé, ou un observateur, pourrait les définir. L’articulation individu-collectif se trouve ici convoquée pour répondre à deux questions clefs en clinique du travail : quels modes de sociabilité existent dans l’entreprise ou le collectif de travail (autour de métiers, de valeurs, d’une histoire commune, etc.) ? Pour quel sens commun, quelle intention de performance ?

L’animation des groupes est centrée sur l’analyse de leurs propres pratiques professionnelles. Cette analyse pourra mobiliser les outils de : l’étude de cas, d’incidents critiques, du récit de vie, des traces de l’activité (rapports, plaquettes d’information, supports pédagogiques, etc.). Il s’agit de favoriser la réflexivité, l’élaboration d’une histoire collective des métiers, des cultures et des pratiques et l’élaboration d’un sens collectif en matière de travail, d’usages de psychotropes et de prévention.

Deux groupes sont à part, il s’agit du groupe « prévention des addictions » de chacune des deux entreprises terrain de notre recherche (une entreprise aéroportuaire et une société de transport routier, nous les présentons plus loin). Ces groupes préexistent à notre recherche et maintiendront leurs activités au-delà de la recherche. Dans ces deux cas précis, les entretiens de recherche sont des situations de travail « extraordinaires » de collectifs « ordinaires ». Une

période de 12 mois. Cette approche, avec un aller-retour entretien/situation de travail/entretien, permet de ne pas s’intéresser uniquement à une relecture stabilisée des expériences des protagonistes des groupes mais à susciter de nouvelles questions et un approfondissement des processus d’arbitrages et de compromis mobilisés en lien avec les usages de substances psychoactives et l’action des protagonistes.