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Chapitre 3. L’usage de psychotropes (drogues)

3.1 Les produits psychoactifs en France

3.1.4 Histoire et valeurs sociales des produits consommés en France

3.1.4.1 Des substances précieuses aux produits industriels

Si elles sont des substances pharmacologiques, les drogues sont aussi des phénomènes culturels et sociaux. Comme le fait remarquer l’historienne Catherine Ferland (dans Courtwright, 2008)

« l’histoire des drogues se superpose à (et, dans certains cas, se confond avec) l’histoire de la médecine, l’histoire économique, l’histoire politique, l’histoire religieuse, ou l’histoire culturelle des peuples. » (Préface p.1).

Alcool, café, tabac, cannabis, cocaïne, opium, etc., sont indissociables de l’histoire des sociétés humaines, de leurs rites, de leurs croyances et de leur développement ; de la souffrance, de la science et des techniques ; de l’accélération et de l’intensification des activités de consommation et de production du monde contemporain.

Les études archéologiques et anthropologiques montrent que, depuis des millénaires, les hommes ont utilisé, de façon très socialisée, les drogues trouvées dans la nature (plantes, racines, fruits ; fermentation, concoction, etc.) (Escohotado, 1998 ; Courtwright, 2008 ; Rosenzweig, 1998). Avec la sédentarisation progressive des peuples, les produits naturels sont

commerce, ils sont échangés et valorisés économiquement (Courtwright, 2008). Historiquement, dans toutes les régions et les cultures du monde, les psychotropes sont considérés comme des relais vers les esprits, divins ou maléfiques, des remèdes précieux et des poisons ou des vices pour qui ne peut les maîtriser (Rosenzweig, 1998). Produits d’apprentissage, de soin, et parfois d’excès, ce sont généralement les souverains, les élites et les clergés qui en contrôlent l’usage et le commerce, ou peuvent les interdire. A partir du XIXème siècle et l’avènement de la chimie organique, les principes actifs (appelés aussi alcaloïde) sont de mieux en mieux isolés et synthétisés. Sous l’influence de l’industrialisation, de l’augmentation de l’offre, et des nouvelles conditions de vie, de travail et de santé, les psychotropes se consomment beaucoup plus massivement (Courtwright, 2008 ; Nourrisson, 1999 ; Mauro, 2002 ; Fillaut et coll., 1999). Aujourd’hui, la production industrielle (légale ou illégale) invente chaque année de nouvelles molécules (à visée thérapeutique ou de confort ; pour le dopage sportif ou militaire ; pour le narcotrafic, etc.) (OFDT, 2015).

Nous proposons ici une histoire des principaux psychotropes consommés en France. Les connaissances associées à cette perspective s’avèrent indispensables pour saisir à la fois la trajectoire et les multiples composantes et fonctions de la problématique « drogue ». Elle constitue le socle de la construction de notre objet de recherche « usage de psychotrope »

Présentées par produit, ces histoires ne sont pas cloisonnées, elles se croisent en permanence, portées par les mêmes dynamiques humaines et sociales sous-jacentes. Nous observons à quel point les dynamiques culturelles, morales, économiques et médico-juridiques à l’œuvre pour chacune de ces substances (de la plus anodine aujourd’hui, le café, à la plus stigmatisée, l’héroïne ou le crack), sont ambivalentes et se superposent entre elles : panacée un temps, « ruée vers l’or » un autre, déviance encore un autre (Rosenzweig, 1998 ; Courtwright, 2008). Avec Max Milner (2000), professeur de littérature et essayiste français, nous observons que

« la consommation des drogues dépend de facteurs sociaux, ne serait-ce que leur mise sur le marché, ou leur invention, ou l’information répandue à leur sujet. Il y a bien entendu des ressemblances entre les effets qu’elles produisent quelle que soit l’époque envisagée, mais ceux-ci dépendent, pour une large part, de l’attente du consommateur, qui est elle-même fonction de l’image que la société lui renvoie de lui-même. Celui-ci, par le rejet, la curiosité, voire la fascination qu’il suscite est, à son tour, le révélateur des peurs, des doutes et des tentations qui la travaillent. » (p.10).

Même si les finalités évoluent, le constat de cette « circularité » fait par Milner, à partir des textes « De Thomas De Quincey à Michaux » (2010), est d’une grande contemporanéité. Aujourd’hui, les drogues et leurs usages sont omniprésents, plus accessibles, plus puissants, plus ciblés, plus prescrits et parallèlement plus cachés, plus combattus et plus stigmatisants. C’est de notre point de vue l’historien David T. Courtwright (2008) qui chronique le mieux ce paradoxe et le désastre associé

« L’histoire des substances psychoactives ressemble à une course aux armements. Les changements technologiques augmentent continuellement la mise. » (p.25).

3.1.4.2 Café et caféine

Le café est la drogue la plus consommée au monde (Courtwright, 2008). Vraisemblablement originaire de l’Éthiopie, où ses fèves sont mastiquées pour leurs effets stimulants, le café apparaît au Yémen et dans le monde arabo-musulman à partir du XVème siècle. Dans cette région, il est consommé en boisson infusée et rencontre un grand succès. Très prisé par les imams et les souverains pour ses effets tonifiants sur l’esprit et le corps, le café est aussi apprécié par les hommes du peuple, qui le consomment dans des lieux collectifs dédiés, les kaveh kanes (Mauro, 2002). Il peut aussi être utilisé comme remède. C’est d’ailleurs en tant que plante médicinale que le café est importé dans le sud de l’Europe au début du XVIIème siècle. Dès les années 1640, il se diffuse comme produit de consommation courante (Courtwright, 2008). En Europe, comme dans les pays perses et arabes, il est apprécié pour ses effets psychostimulants. Avec sa diffusion s’établissent des lieux de préparation et de consommation, les maisons du café, les premiers « cafés » (sur le modèle de ceux des régions arabo-musulmanes). Dès la seconde moitié du XVème, des « cafés » s’ouvrent à travers toute l’Europe (Venise, Londres, Paris, Marseille, Vienne, Stuttgart, etc.). Ce sont d’abord des milieux d’hommes. Ils deviennent progressivement des espaces de débats et de mouvements politiques. Dans l’histoire arabo-musulmane et européenne, le café est un produit très apprécié, mais son usage est régulièrement réprouvé ou interdit par les autorités religieuses ou séculaires, dès lors qu’il est assimilé aux mobilisations sociales fomentées dans les cafés. Dans les pays anglo-saxons et leurs colonies, le café s’impose progressivement face au thé, consommé lui aussi pour ses vertus stimulantes et tonifiantes. Aujourd’hui, la consommation et la production du café sont mondiales. En 2002, il est la seconde matière

La caféine, principe actif du café, présent aussi dans le thé, le chocolat, le kola, etc., est consommée dans toutes les cultures. En plus de ses diverses formes naturelles (café, thé, chocolat), elle est aussi proposée sous des formes synthétiques, plus concentrées. Des gélules de caféine, de 50mg (l’équivalent d’un café) à 200mg (forte dose, l’équivalent de 4 expressos) sont aujourd’hui proposées en vente libre dans les pharmacies et les détaillants de produits fitness. Ces compléments alimentaires sont consommés pour leurs effets sur la vigilance, la concentration et la tonicité musculaire. Pour potentialiser son action, la caféine est aussi vendue associée à d’autres molécules (taurine, guarana, éphédra) dans des boissons industrielles dites énergisantes ou tonifiantes, ou dans des comprimés pharmaceutiques.

Cette substance n’est pas déclarée comme dopante, au sens légal du terme (droit du sport), mais elle fait l’objet d’un « programme de surveillance », au cours des compétitions sportives, de la part de l’Agence mondiale antidopage (AMA, 2016).

3.1.4.3 Alcool

L’alcool est aujourd’hui la seconde drogue la plus consommée au monde (Courtwright, 2008, p.31). Elle est utilisée à travers le monde depuis des millénaires (traces d’éthanol fermenté découvertes dans des sites archéologiques d’Égypte, d’Asie, d’Amérique et d’Europe). Il est obtenu par la fermentation naturelle de végétaux : fruits, céréales ou racines en fonction des régions et des cultures. En Europe, c’est d’abord le vin qui connaît le plus grand succès. Originaire, il y a 6000 à 4000 ans avant notre ère, de la région s’étirant entre la mer Noire et la mer Caspienne, il se dissémine ensuite dans le pourtour méditerranéen (Courtwright, 2008). Très apprécié des Romains, il se diffuse largement dans les pays avec lesquels Rome commerce, ou qu’elle conquiert. En s’étendant dans les mêmes contrées, et au-delà, la chrétienté s’approprie cette boisson et l’incorpore à ses rites (eucharistie, fêtes religieuses) et à l’activité de ses monastères. L’Église associe le vin au divin et à la médecine (qu’elle place sous sa tutelle) mais elle condamne les excès et l’ivresse. Au Moyen-Âge c’est aussi le brassage et l’usage de la bière qui se développent aux côtés du vin. En Europe, à cette époque, l’eau potable des villes est souvent polluée et impropre à la consommation, le recours aux boissons alcoolisées fermentées, au titrage alcoolique faible, se généralise pour faire face à cette menace. A l’inverse, dans le monde arabo-musulman, dès son origine au VIIème siècle, l’Islam interdit l’alcool et toutes ses dérives.

Utilisé par les Grecs et les Romains, amélioré par les Arabes, l’alambic arrive en Europe au XIème siècle et ouvre une nouvelle ère pour la production et la consommation de boissons alcoolisées (Courtwright, 2008). Initialement dédiée à distiller les essences et les huiles aromatiques, cette technologie est progressivement utilisée pour distiller l’alcool. Ce nouveau genre de breuvage, très concentré en éthanol, est appelé « eau de vie », pour sa réputation de boisson fortifiante. Difficile à produire jusqu’à la fin du XVème siècle, elle reste longtemps un remède vendu par les apothicaires aux riches citadins (Verdon, 2002). A partir du milieu du XVIIème siècle, une fois la technologie maîtrisée et le commerce organisé, on trouve des eaux de vie locales de l’Irlande à la Russie, et dans les colonies (Courtwright, 2008).

Le XIXème siècle constitue un tournant. L’alcool - dans ses différentes formes (vins, bières et boissons distillées) – se conserve mieux, il est produit de manière industrielle et se diffuse largement. Parallèlement, en Amérique comme en Europe, et dans leurs pays colonisés, les classes sociales aux conditions de vie difficiles, et les peuples indigènes, adoptent les boissons distillées. Pour David T. Courtwright, ce choix répond à deux logiques complémentaires, « Les eaux de vie constituent une source peu coûteuse d’ivresse et de calories » (Courtwright, 2008, p.21). De nouveaux troubles sanitaires et sociaux, liés à ces usages intensifs d’alcool et aux conditions de vie associées, apparaissent chez les classes populaires et les peuples colonisés (ivresses chroniques, violences, maladies, incapacité à travailler, morts prématurées). En 1849, Magnus Huss, médecin suédois, décrit ces troubles comme une intoxication à l’éthanol de l’organisme et de l’esprit, doublée d’une dégénérescence des classes populaires. Il appelle cette épidémie sociale l’alcoolisme (Fillaut et coll., 1999). L’idée d’alcoolisme comme fléau sanitaire et social vient de naître. Parallèlement, les ligues contre l’ivrognerie et l’alcoolisme se créent. De grandes mobilisations anti-alcool s’organisent et, de la fin du XIXème au début du XXème siècle, des politiques prohibitionnistes s’imposent (Coppel et Bachmann, 1989). Mais, en Europe comme en Amérique, les enjeux sociaux, culturels, « psychoactifs », économiques, etc., de l’alcool sont trop importants. Globalement, cette drogue résiste à l’anathème et demeure finalement, ou redevient, un produit légal encadré. En France, les différentes vertus de l’alcool sont associées au vin qui est promu « boisson nationale » (Morel dans Morel, Couteron et Fouillant, 2015, p.6). Les déviances et les abus sont, pour leur part, assimilés aux boissons distillées jugées responsables de l’alcoolisme et de toutes ses dérives. Pour étayer ce compromis social, sans véritable fondement scientifique, les boissons distillées sont plus

notamment). Elles sont aussi parfois appelées, sans plus d’argument scientifique, « alcools durs » ou « alcools forts » par opposition au vin ou à la bière (Craplet, 2005, p.28).

Depuis le milieu du XXème siècle, sous l’influence du commerce international, du marketing et des réglementations diverses, les manières de boire se transforment : les consommations dites de table (habitudes des pays du Sud de l’Europe) se réduisent au profit de la recherche d’ivresse (usages du Nord de l’Europe) ; à volume égal consommé, les boissons fermentées sont plus alcoolisées (le vin peut titrer jusqu’à 18°, la bière jusqu’à 15°, le cidre jusqu’à 7°) ; le recours à l’alcool se féminise et ouvre de nouveaux marchés (stratégie marketing agressive des alcooliers).

Le nombre et la gravité des dommages sanitaires et sociaux associés à l’alcool (cancers, maladies cardiovasculaires et digestives, violences, alcoolémie routière positive, surmortalité, etc.) sont globalement en diminution en France mais ces dommages restent élevés. Ils impliquent plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année (OFDT, 2015). Avec le durcissement de la réglementation et des contrôles, les dépistages positifs d’alcoolémie routière sont en hausse (350000 en 2012). En 2011, les tribunaux ont prononcé plus de 150000 condamnations pour conduite en état alcoolique (OFDT, 2015). Il est à noter, qu’en matière d’alcoolémie positive, c’est autant les usages que l’évolution de la réglementation qui définissent l’abus.

3.3.1.4 Tabac

Le tabac est la troisième drogue la plus consommée au monde (OMS, 2015). C’est une plante originaire d’Amérique centrale, considérée avant l’arrivée des conquistadors comme sacrée et curative. Sa feuille, fumée, chiquée ou prisée, est utilisée dans la vie quotidienne et dans les cérémonies religieuses et les rites de passage. Elle élève l’esprit et permet d’apaiser les douleurs. Découverte et importée en Europe à la fin du XVème siècle par Christophe Colomb, cette plante est d’abord utilisée par les explorateurs espagnols et portugais, en dehors de toute dimension spirituelle ou médicinale. A son arrivée en Europe, le tabac apparaît comme une plante exotique sans grande importance, elle se diffuse dans les ports, les tavernes et les armées, appréciée en usages ludiques, seule ou associée au vin ou à la bière (et plus tard au café). Parallèlement, elle est progressivement utilisée par l’aristocratie européenne à des fins médicinales. En 1560, Jean Nicot, ambassadeur français au Portugal, l’introduit auprès de Catherine de Médicis. Cette drogue permet de soigner les migraines de son fils et devient

« l’herbe de la reine » qui en impulse la culture et la diffusion sur tout le territoire (Nourrisson, 1999). Progressivement, son usage, à la fois médicinal, psychotrope et social, transcende les milieux. Misérables ou riches, tous « se mettent au tabac, par la chique, la pipe ou la prise selon la classe sociale, le sexe et les pratiques locales » (Courtwright, 2008, p.28). Les médecins utilisent le tabac comme une panacée, ils en conseillent l’usage sous diverses formes : goutte, pilule, infusion, huile, inhalation, etc. Le tabac devient « le médicament universel » (Nourrisson, 1999). La valeur de ce nouveau commerce conduit les pays européens à imposer des taxes (en France, Richelieu instaure la première dès le XVIIème siècle), à produire du tabac dans leurs colonies et à organiser des monopoles d’état pour en assurer la distribution. Parallèlement, ces pratiques sont condamnées par l’Église, qui lutte pour conserver le contrôle des esprits et des corps. Dans certains pays, les autorités civiles et les monarques la désapprouvent aussi, voire l’interdisent violemment. Entre les XVIIème et XVIIIème siècles, en Angleterre, Chine, Russie, Turquie, les fumeurs risquent la bastonnade, l’exil, la torture ou la mort. Mais le tabac n’est pas moins consommé, il l’est illégalement. « Cette drogue s’avère si puissante - l’historien V.G. Kiernan la qualifie de plaisir le plus universel que l’humanité ait pu se donner - qu’elle triomphe de tous les obstacles juridiques et de toutes les susceptibilités » (Courtwright, 2008, p.29).

Au début du XIXème siècle, un chimiste français, Louis Nicolas Vauquelin, isole la nicotine, le principal alcaloïde du tabac (Nourrisson, 1999). Avec l’industrialisation, le commerce et les modalités d’usage du tabac se transforment. Progressivement, la pipe et le cigare remplacent la prise. Dans la première moitié du XXème siècle, c’est la cigarette qui s’impose. Sous cette forme, le tabac devient un produit de consommation courante, un « langage universel parlé par toute l’Europe, les États-Unis, la Turquie, la Chine, et à peu près l’ensemble du monde » (Goodman dans Courtwright, 2008, p.29). Des voix moralistes, américaines notamment, s’élèvent rapidement contre cette « petite esclavagiste blanche » (Courtwright, 2008, p.30) mais la cigarette triomphe. En 2015, on estime à 1 milliard le nombre de ses fumeurs dans le monde.

La cigarette facilite l’utilisation et la diffusion du tabac mais elle permet aussi aux industriels d’en manipuler la composition et d’en accroître le pouvoir addictif. Rapidement, certains additifs (arsénique, goudrons, papier, etc.) empoisonnent des centaines de milliers de fumeurs et leur entourage. Les premiers travaux épidémiologiques d’envergure sont publiés aux USA dans les années 1960. S’ensuivent de grands procès pour fraude et empoisonnement gagnés contre l’industrie du tabac, des millions de cas de cancers et de maladies

moins drastique des politiques nationales et des règles de commercialisation. Le tabac reste un « produit à tout faire » (Delorme dans Morel et coll. 2015, p.124) qui peut procurer conjointement une stimulation psychique et une détente musculaire (Molimard, 2003) mais, dans sa forme et ses usages contemporains, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comptabilise « qu’il tue » près de 6 millions de personnes chaque année, dont 80% vivent dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires (OMS, 2015). En France, sous l’influence des lois et des discours de responsabilisation individuelle (fumer tue), la cigarette revêt un caractère plus péjoratif, plus menaçant pour la société : elle quitte la catégorie de produit de consommation courante pour intégrer celle d’addiction et de drogue ; la hausse continue des prix du tabac en diminue l’usage, mais en augmente le trafic. Pour toutes ces raisons, maladies physiologiques, dépendance et criminalité associées, la figure du tabagique rejoint progressivement celle du drogué.

3.1.4.5 Cannabis

Le cannabis (nom latin du chanvre) est originaire d’Asie centrale où il est cultivé depuis plus de 6000 ans. Cette plante présente le grand intérêt de s’adapter à tous les environnements et d’offrir de multiples usages. Elle produit une drogue puissante, une huile de cuisson, des graines comestibles, du fourrage pour les animaux ou des fibres très solides, utilisées pour les tissus et les cordages divers (Phan, dans Morel et coll. 2015). Arrivée en Inde dans les mêmes périodes, son usage comme drogue psychotrope et remède s’intègre profondément aux pratiques culturelles, médicinales et religieuses. Les guérisseurs hindous et musulmans le prescrivent pour combattre les épidémies et les rhumatismes. Il est aussi une drogue traditionnelle contre l’ennui et la fatigue, pour favoriser la prière et stimuler l’ardeur sexuelle (Courtwright, 2008).

En Europe, ce sont les médecins et les botanistes grecs qui les premiers utilisent le cannabis pour ses vertus médicinales et psychoactives mais, contrairement aux Indiens, ils n’en font pas une panacée. C’est toutefois par leur intermédiaire et celle des marchands iraniens, qu’autour du VIème siècle, cette plante et ses usages arrivent dans le monde arabo-musulman. Son utilisation y est controversée. Les Soufis s’approprient les propriétés mystiques du cannabis, les musulmans orthodoxes les condamnent. Différentes prohibitions seront entreprises mais aucune n’aboutira. A partir du XIVème, la production du haschisch s’établit durablement dans le monde arabe et en Afrique : dans le delta du Nil, dans l’Est du

continent, puis au Centre et à l’Ouest (Courtwright, 2008, p.62). Parallèlement, les pays d’Europe ont besoin de chanvre pour leurs cordages et leurs tissus. Au XVIème siècle, pour faire face à la demande, l’Espagne, la France et l’Angleterre établissent des plantations de cannabis dans leurs colonies nord-américaines. Les colons européens ne s’approprient pas son usage psychoactif, dans leur mode de vie d’alors, ils se satisfont très bien des effets de l’alcool et du tabac. En Amérique du Sud, à la même époque, ce sont les esclaves angolais qui introduisent le cannabis. A leur contact, les indiens et les métisses autochtones s’approprient et diffusent cette plante et ses usages multifonctionnels. Fin XIXème, début XXème, le cannabis arrive dans les Caraïbes (Jamaïque, Cuba, Costa Rica, Panama, etc.). A la faveur de l’abolition de l’esclavage, 500 000 travailleurs y débarquent en provenance d’Inde. Ils apportent leurs forces de travail, leurs traditions et le « complexe ganja » (Courtwright, 2008, p.64) nom donné par l’anthropologue Véra Rubin (Rubin, 1975, p.4) à la multiplicité des usages (psychotropes, nutritionnels, sociaux, techniques) liés au « ganja » qui en Inde décrit la préparation du cannabis la plus concentrée en THC.

Ce n’est qu’au début du XXème siècle que la consommation à visée psychotrope du cannabis se développe aux États-Unis. Cette habitude est importée par les travailleurs mexicains, les troupes américaines de retour du canal de Panama, et les marins des Caraïbes et de l’Amérique du Sud. Les grandes plantations de chanvre ont disséminé des plants sauvages un peu partout dans le pays, les graines sont facilement collectées et cultivées. L’usage du