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Chapitre 3. L’usage de psychotropes (drogues)

3.1 Les produits psychoactifs en France

3.1.2 Définitions

3.1.2.1 Les psychotropes

Les psychotropes (appelés aussi drogues, substances psychoactives ou simplement psychotropes) recouvrent l’ensemble des principes actifs chimiques qui agissent sur le cerveau et le système nerveux central, et peuvent provoquer des modifications psychiques et comportementales (Morel et Couteron, 2008). Dans le cadre de notre étude, nous retenons la

définition établie par le médecin addictologue Bertrand Lebeau (2002). Elle présente le vocable de psychotrope comme

« terme général désignant toute substance présentant un tropisme pour le système nerveux central. La plupart des substances psychotropes ou psychoactives peuvent être classées en stimulants, calmants et hallucinogènes. »

Toutes ces molécules, naturelles ou synthétiques, licites ou illicites, sont proches des neuromédiateurs endogènes, elles interagissent avec les mécanismes biochimiques de l’activité neurocérébrale. Ces substances « pharmakon » sont à la fois « remède et poison » (Platon dans Derrida, 1972 ; Rosenzweig, 1998 ; Stiegler, 2007), à la fois ressource et danger, pour le sujet et la société. La différence entre effet remède ou toxique n’est pas une question de produit (Roques, 1997), leur caractère licite ou illicite est d’ailleurs essentiellement une convention sociale qui varie en fonction des cultures, des croyances et des pays (Morel et Couteron, 2015).

3.1.2.2 La drogue

« Drogue » est l’un des substantifs originels pour qualifier les produits ou préparations thérapeutiques, les remèdes. Dans son ouvrage « Les drogues dans l’histoire entre remède et poison » (1998), le philosophe et psychanalyste belge, Michel Rosenzweig situe l’apparition de ce terme entre le XIVème et le XVIème siècles. Le mot drogue « semble tirer ses origines étymologiques du néerlandais « droog » (chose sèche) et du latin « drogia » (dragée) » (p.40). Cette affirmation rejoint celle établie par Charles Buchet, pharmacien et ancien président de la Société d’Histoire de la Pharmacie, dans son « Histoire de la droguerie » en 1921. Citant un extrait du « Dictionnaire du Commerce » de Savary (1740), « Les Hollandais ont accoutumé d’appeler droog-goed tout ce qui est de forme sèche servant à la médecine, et ce sont eux qui en ont toujours fait le plus grand commerce » (Savary, 1740, tome II, p.173), Buchet conclut que « Les étymologistes modernes n’ont pas trouvé mieux : Savary nous semble avoir dit le dernier mot sur la question. » (p.360).

Au XVIIIème siècle, les drogues désignaient les produits de base (épices, plantes, racines, préparations pharmaceutiques, etc.) vendus par les drogueries aux apothicaires (premiers pharmaciens), aux médecins, ou parfois directement aux usagers, à des fins de soin

et de prévention, de bien ou de mieux-être. Ce commerce était déjà réglementé, sur un axe économique (taxes de l’état), juridique et sanitaire (contrôle des poisons).

Aujourd’hui, pour le dictionnaire Larousse (Larousse, 2016) comme pour l’Académie nationale de pharmacie, une drogue demeure un « remède », cette substance ambivalente ayant des propriétés médicamenteuses. Dans l’espace public, son sens commun s’est transformé. Depuis un siècle, le terme de drogue ne renvoie plus qu’à une partie limitée de ses caractéristiques. Sous l’influence du régime juridique occidental (puis international) sur les drogues, « toute la diversité des recours aux drogues illicites est systématiquement occultée par l’unique catégorisation médico-juridique du malade/délinquant » (Rosenzweig, 1998, p.17). Cette catégorisation malade/délinquant s’est cristallisée dans le terme de drogue dont la signification s’est progressivement rabattue du côté exclusif du poison, de la menace sanitaire et sociale. Dans les représentations sociales dominantes, toute la dimension remède est effacée au profit de l’interdit, de la dépendance, de la déchéance et de la mort. Faute de limite pharmacologique stricte entre produit ressource et produit danger, c’est l’usage du substantif « drogue » qui organise les frontières morales et sociales, entre les bons et les mauvais produits (l’alcool et les médicaments VS les drogues), les bons et les mauvais usagers (consommateurs, amateurs, usagers, patients VS drogués, toxicos, malades, criminels). De nombreux auteurs internationaux, en sciences humaines et sociales (Rosenzweig, Ehrenberg, Peele, Castel, Ogien, Coppel, Peretti-Watel, Bergeron, Saint-Onge, Saint-Germain) et en psychiatrie (Morel, Auriacombe, Corcos, Valleur), alertent depuis des années sur les effets sanitaires et sociaux délétères de ces catégorisations, socialement fortes mais scientifiquement faibles. En désaccord, scientifique et clinique, avec l’idée de bonnes ou de mauvaises drogues, de drogues douces ou dures, tous ces auteurs utilisent le terme de drogue dans son sens premier de substance psychoactive, à la fois remède et poison.

Notre recherche s’inscrit dans la tradition de ces travaux. Aussi, dans cette thèse, c’est dans son sens scientifique de psychotrope plutôt que dans son sens commun péjoratif, que nous recourrons au terme de drogue. Pour parler de produit licite, nous utiliserons indifféremment les synonymes précédemment définis de drogue, substance psychoactive ou simplement psychotropes. Pour parler des produits illicites (cannabis, cocaïne, opiacés, etc.) nous emploierons le terme spécifique de stupéfiants, de substances ou de drogues illicites. Dans les cas où le terme est utilisé dans son sens péjoratif, il sera mis entre guillemets : « drogue », « drogués ».

3.1.2.3 La dangerosité des psychotropes

Une des préoccupations sociétales vis-à-vis des produits psychotropes porte sur leur « dangerosité » (voir annexe 4) (Parquet, 1998 ; Rosenzweig, 1998 ; Roques, 1998 ; Reynaud, 2002 ; Kopp et Fenogli, 2006 ; Reynaud, 2013). Cette notion polysémique (en fonction du point de vue sur les nuisances sanitaires, sociales, ou sur le statut légal des produits) caractérise les effets potentiellement néfastes des produits pour la santé et la sécurité, pour le sujet et la société. La notion de dangerosité est au cœur des enjeux sanitaires, sécuritaires et politiques de la production, de la commercialisation et des modalités d’usage (dont l’abstinence) des drogues. Cette notion se construit sur quatre dimensions dynamiques indissociables : la toxicité (la capacité à provoquer des lésions physiologiques), la modification psychique (la faculté de modifier les perceptions, les cognitions, l’humeur, etc.), le potentiel addictif (la capacité à créer une dépendance psychique, psychosociale et/ou physiologique) et le statut social (le statut licite protège le consommateur vis-à-vis de la loi, le statut illicite le met en danger ; le statut de « bonne drogue » insère socialement l’usager, celui de « mauvaise » l’exclut) (Morel, Couteron, 2008 ; Morel et coll., 2000).

En 1998, le « rapport Roques » (voir annexe 4) sur la dangerosité des drogues (tabac, alcool, médicaments, stupéfiants), première et unique étude comparative multicritère française, souligne qu’elle ne se superpose pas avec le statut légal des produits. La dangerosité des drogues est en fonction de la dose consommée, des modalités d’usage, de leur utilité fonctionnelle et de l’association de potentialisateurs (substances qui augmentent la réceptivité du cerveau) (Roques, 1997, 1998). En 1998, Michel Rosenzweig rappelait que

« D’un strict point de vue pharmacologique, entre un poison, un médicament et un narcotique, tout est donc question de dosage et d’usage. » (p.17).

En avril 2016, la déclaration finale de la Commission d’audition publique pour la réduction des risques et des dommages (RdRD) liés aux drogues sous l’égide de la FFA, de la Direction générale de la santé (DGS), de la MILDECA et de la Haute autorité sanitaire (HAS) (FFA, 2016), constate que la dangerosité effective (les dommages) des drogues en France est, entre autres facteurs, une conséquence directe des politiques publiques de « guerre à la drogue » (Kokoreff, 2010). Ils recommandent, aux côtés des études sur les produits et les effets des dosages, de développer les connaissances du côté des usages et des savoirs associés. Il s’agit d’ « Encourager la recherche académique à travers le développement d’études

participatives fondée sur la reconnaissance de savoirs expérientiels des usagers » (p.18). Pour les 15 membres de la Commission d’audition (FFA, 2016)

« L’ensemble de cette démarche n’est pas un postulat philosophique ou idéologique mais elle repose sur le constat du désastre des politiques précédentes, qui contraste avec le succès d’autres expériences européennes et françaises » (p.4).