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Chapitre 1. Méthodologie et terrains d’étude

1.2 La méthodologie

1.3.2 Une grande entreprise aéroportuaire

1.3.2.2 La recherche-action

L’étude conduite dans cette entreprise s’est déroulée sur 22 mois (entre septembre 2012 et juin 2014) sur deux sites aéroportuaires différents.

Nous avons travaillé avec :  Un comité de pilotage

 Deux groupes d’encadrants et d’opérateurs d’un premier aéroport  Un groupe de préventeurs/agents de sécurité (de Roissy)

 Plusieurs entretiens individuels avec des cadres-dirigeants et des responsables de la prévention des risques professionnels

Trois chercheurs se sont impliqués dans les travaux de terrain : Dominique Lhuilier, Renaud Crespin et nous-même.

Le comité de pilotage

Le comité de pilotage est un groupe constitué de 5 personnes volontaires pour superviser l’étude en interne : deux ergonomes, une médecin du travail et une assistante sociale (issues du groupe ressource alcool), et un encadrant de proximité.

Nous nous sommes rencontrés à deux reprises, en milieu et en fin d’étude (Octobre 2013 et juin 2014) pour discuter des premières analyses, valider les conclusions et définir les modalités de présentation, à l’intérieure de l’entreprise, des travaux réalisés au cours de la recherche, de leurs effets et des perspectives de transformations associées. Au cours de la recherche, les deux ergonomes, coordinatrices du comité de pilotage et de l’étude en interne, ont été nos contacts privilégiés pour la mise en œuvre et le suivi des différentes étapes du projet : prise de rendez-vous pour les entretiens individuels, organisation des groupes pour les entretiens collectifs, etc. Dans le principe même de notre recherche-action, au cours des 22 mois de collaboration, ces deux personnes ont été immergées dans la recherche. Elles en ont été simultanément, actrices et sujets et principales bénéficiaires.

Le groupe « Ressource alcool »

Le groupe « ressource alcool » de l’entreprise est pluridisciplinaire. Il est constitué de 24 personnes : 4 médecins du travail, 9 infirmières, 4 assistantes sociales, 4 animateurs de sécurité, 2 ergonomes (pilotes du groupe et pilotes de notre recherche) et un représentant de la DRH, tous volontaires pour cette mission et pour participer à notre recherche.

En fonction des circonstances, ce groupe est unitaire ou scindé en deux sous-systèmes. Officiellement il est unique depuis la fusion des deux aéroports sous une seule direction générale. Dans les faits, les deux sous groupes existent toujours. Ils interagissent avec le groupe centralisé et fonctionnent de manière non-homogène. Dans le cadre de la recherche,

nous travaillons avec les trois entités : les deux groupes « ressources alcool » historiques (que nous appellerons n°1 et n°2) et le groupe unifié (somme des groupes n°1 et n°2).

Le groupe n°1 rassemble 2 médecins du travail, 4 infirmières, 2 assistantes sociales, 2 animateurs de sécurité, les 2 ergonomes animatrices du groupe et communes aux deux groupes historiques, et un représentant de la DRH (soit 13 personnes).

Tableau 1 : Groupe ressource alcool n°1

Le groupe n°2 est formé de 2 médecins du travail, 3 infirmières, 2 assistantes sociales, 2 animateurs de sécurité, les 2 ergonomes animatrices et un représentant de la DRH (soit 12 personnes). Dans les faits, le représentant de la DRH est peu impliqué dans le fonctionnement du groupe. Il n’a pas participé à l’étude.

Prénom Emploi Sexe

Dominique Médecin du travail F

Valérie Médecin du travail F

Sylvie Infirmière du travail F

Catherine Infirmière du travail F

Patricia Infirmière du travail F

Véronique Infirmière du travail F

Charles Infirmier du travail M

Nadine Assistante sociale F

Mathilde Assistante sociale F

Agathe Animatrice de sécurité F

Marc Animateur de sécurité M

Fabienne Ergonome F

Marie Ergonome F

Total 13 2 hommes 11 femmes

Prénom Emploi Sexe

Virginie Médecin du travail F

Julie Médecin du travail F

Liliane Infirmière du travail F

Lydie Infirmière du travail F

Yacine Infirmier du travail M

Joëlle Assistante sociale F

Sophie Assistante sociale F

Tableau 2 : Groupe Ressource alcool n°2

Le groupe unifié est réuni une fois au lancement de l’étude, animé par Dominique Lhuilier et nous-même (24 personnes présentes, en comptant les deux chercheures, pendant une demi-journée). A la fin de cette première réunion, les 24 personnes présentes (membres du groupe et chercheuses) décident que les deux groupes, Orly et Roissy, seraient réunis séparément pour la suite de l’étude. Ils le sont à deux reprises (deux demi-journées) sur une période de 12 mois, animés par Dominique Lhuilier et nous-même. Ces réunions se construisent sous forme d’entretiens collectifs.

ÉTUDE DE CAS : La 1ère réunion du groupe « Ressource alcool »

La réunion rassemble 24 personnes, en comptant les deux chercheures, pendant une demi-journée. Dans la première partie, Dominique Lhuilier et nous-même faisons un tour de table approfondie sur la prévention des usages d’alcool et de drogues dans l’entreprise et sur les usages eux-mêmes, ainsi que sur le fonctionnement du groupe et les réflexions qu’il suscite pour chaque personne présente. A chaque tour de prise de parole, les autres membres du groupe et nous-mêmes pouvions demander des clarifications ou des explicitions des propos entendus. De vraies discussions s’engagent, dans le cadre offert par le tour de parole, sur la diversité de vécus et des points de vue, la polysémie des notions, les savoirs communs, etc. Dans la seconde partie de la réunion, nous engageons un nouveau tour de table sur les attentes de chacun vis-à-vis de la prévention des usages de psychotropes et du groupe ressource. Les réflexions individuelles sont discutées par le groupe dans les conditions similaires au premier tour de parole. Nous présentons ici la synthèse des attentes formulées.

Question : « Qu’est-ce que j’attends du Groupe ressource ? » Réponses :

Échanges de pratiques

Repérer la place des autres produits

Comprendre pourquoi certains services consomment et pas nous (service santé au travail) ?

Questionner la cible des actions de prévention et de l’analyse : visons-nous les alcooliques ou/et les autres consommateurs ?

Fabienne Ergonome F

Marie Ergonome F

Définir la position/positionnement du groupe face à la réglementation interne sur les produits : relayer la réglementation peut-être contre-productif vis-à-vis du terrain, de la relation de confiance avec les managers de proximité et les équipes notamment.

Débattre et produire des propositions d’action, de procédure, vis-à-vis de la direction Être porteur individuellement de la position du groupe

Avoir une légitimité, une reconnaissance, une représentativité sur la question de l’alcool (autres produits ?) par rapport au terrain

Être proactif par rapport à nos missions, nos services : communiquer vers le terrain, se faire connaître, faire de la sensibilisation

Se remettre en démarche d’action, de sensibilisation

Analyser des observations faites sur le terrain autour de l’alcool (consommations observées en situation professionnelle) : que peut-on faire, comment faire avec ses observations ?

A la fin de cette première réunion, les 24 personnes présentes (membres du groupe et chercheuses) décident que les deux groupes, Orly et Roissy, seraient réunis séparément pour la suite de l’étude. Ils le seront à deux reprises (deux demi-journées) sur une période de 12 mois, animés par Dominique Lhuilier et nous-même. Ces réunions se construisent sous forme d’entretiens collectifs. Nos questions sur la prévention des usages d’alcool ou de drogues dans l’entreprise, et sur les usages eux-mêmes, ouvrent des échanges d’expériences et de récits. Les situations vécues et les réflexions exposées par les personnes sont issues de leur participation au groupe ressource autant que de leur vécu à leur poste de travail. On cherche à repérer ce que les membres de ce groupe pensent avoir en commun dans leur expérience ou leur perception sur les usages de psychotropes dans leur entreprise : quels usages repérés, usages comme plaisir, comme ressources individuelles ou collectives face aux exigences du travail, et/ou comme risque ? Les réunions sont très vivantes, la parole est libre et les analyses pratiques des actions de prévention et des usages se construisent peu à peu. Nous observons leurs effets sur les membres du groupe de travail, leurs usages, leurs postures face à ceux des collègues. Les récits réinterrogent la polysémie du travail, de la santé et de la prévention. Les discussions rouvrent la question de la prescription, du travail réel, des dilemmes et des renormalisations quotidiennes (des opérateurs et des encadrants et des membres du groupe ressource). Elles mettent à jour des injonctions contradictoires de la part de la direction et des membres des groupes eux-mêmes, et un émiettement progressif du sens de l’action et du collectif.

Les entretiens individuels et collectifs

Les entretiens individuels ont été organisés avec 10 personnes : 5 directeurs et 3 directrices de sites et de services et 1 animatrice sécurité et le responsable de la prévention des risques psychosociaux. Quatre entretiens ont été conduits par Dominique Lhuilier, deux par Renaud Crespin et quatre par nous-même. Les entretiens duraient de 1h à 2h, en fonction des personnes et de leur disponibilité.

Les entretiens collectifs avec les groupes d’encadrants et d’opérateurs sont difficiles à mettre en place. Nous arrivons dans un contexte de forte intensification du travail, il est de plus en plus délicat d’organiser des réunions qui sortent les agents de leur fonction opérationnelle, particulièrement dans les équipes de l’exploitation et du trafic aérien. Deux groupes, un de 4 operateurs et un de 7 managers opérationnels, volontaires et issus de directions différentes, ont pu être organisés sur un aéroport et un groupe de 5 animateurs de sécurité volontaires sur le second aéroport. Tous ces entretiens ont été organisés sur des durées de 1h30 à 2h. Le premier est animé par Dominique Lhuilier et nous-même et les deux autres par Renaud Crespin et nous-même.

Situations de recherche Nombre de personnes Femmes Hommes

Animation du groupe ressource alcool 24 20 4

Entretiens collectifs 16 6 10

Entretiens individuels 10 4 6

Total 50 30 20

Tableau 3 : Synthèse des entretiens conduits dans l’entreprise aéroportuaire

ÉTUDE DE CAS : Un groupe d’encadrants et d’opérateurs

Les entretiens avec les agents (employés, encadrement de proximité et animateurs de sécurité) sont toujours très vivants. La parole sur le travail est libre. Les agents n’ont globalement pas eu de mal à aborder les questions de leur travail réel, des usages et de la santé, pour eux-mêmes et pour leurs collègues. Les interlocuteurs acceptent de parler de leurs expériences autour de la question des consommations de psychotropes (alcool, tabac, stupéfiants, médicaments) dans l’entreprise, de la prévention de ces usages dans l’entreprise. Ils acceptent aussi, généralement de parler de leurs propres usages de psychotropes. On cherche à repérer

ici quelles sont les perceptions et les expériences des opérateurs, des encadrants et des animateurs de sécurité vis-à-vis des drogues diverses et de la prévention dans l’entreprise : quels usages repérés, les usages valorisés, les usages cachés, les usages stigmatisés, au cœur du travail d’employés ou d’encadrant, quels usages comme risque et/ou comme plaisir, comme ressources individuelles ou collectives face aux exigences du travail. Ils visent à dégager une histoire d’entreprise vis-à-vis du travail, des usages de psychotropes et de la prévention. La nature des liens entre toutes ces dimensions n’est toutefois pas évidente. Ils mobilisent aussi des stéréotypes.

ÉTUDE DE CAS : Jacques, cadre dirigeant

Les entretiens avec les directeurs et les directrices sont généralement plus cadenassés sur le travail prescrit et les éléments de langage gestionnaire. De nombreux interlocuteurs ont rencontré des difficultés pour aborder leur travail réel et celui de leurs agents (discours de niveau général, souvent réglementaire ou procédurier) et pour aborder leurs propres usages de psychotropes. Les professionnels consomment des drogues. Ils recourent aux effets calmants, stimulants, sociaux, hédoniques, etc., de l’alcool, du tabac, du café, des dérivés morphiniques, des benzodiazépines, du cannabis, etc., pour des raisons privées, pour travailler ou se remettre des effets de leur travail. Être professionnel peut nécessiter de trouver de l’énergie sans limite et de remédier aux manquements de la gestion. La pharmacochimie peut y contribuer. Elle s’inscrit dans des dynamiques de renormalisation pour produire et rester employable malgré les tensions entre défis de l’entreprise (productivité, intensification, flexibilité, etc.) et ressources collectives pour les soutenir. Les raisons repérées sont de deux niveaux. Ces cadres dirigeants ne sont généralement pas au fait de ces questions : ni le travail réel de leurs équipes ni sur l’analyse des usages comme question professionnelle. Ils mobilisent plus facilement des stéréotypes et des discours plutôt « convenus » qu’une élaboration de la question des activités, des usages de psychotropes et de la santé. En prenant le temps de la construction de la réflexion et de la confiance, avec des questions et relances ouvertes qui s’intéressent au concret et font entendre que ça concerne tout le monde et pas seulement « l'alcoolique de service » le dialogue a toujours été possible. Inversement, les cadres « engagés » sur la question du travail réel et de la santé, n’ont pas eu de mal à aborder ces questions, pour eux-mêmes et pour leurs agents.