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Chapitre 1. L’activité de travail

1.3 L’activité

1.3.1 L’activité selon les ergodisciplines

1.3 L’activité

1.3.1 L’activité selon les ergodisciplines

Les ouvertures scientifiques que Daniellou (2015) appelle les « ergodisciplines, soit au moins l’ergologie, la clinique de l’activité, la psychodynamique du travail, la clinique médicale du travail, une petite part de la sociologie du travail et l’ergonomie, qui ont en commun la référence – qui n’est pas rien – au travail réel et au travail prescrit, qui ont en commun le fait que la santé est une construction, qui ont en commun le fait que la femme ou l’homme qui est au travail est là avec toute son histoire, etc. » (p.14) a abandonné la notion de tache pour celle d’activité. L’activité déborde et complexifie la notion de tâche (Montmollin, (dir.)1995 ; Hubault, 1996 ; Daniellou, 1996 ; Falzon dir. 2004 ; Rabardel, 2005 ; Schwartz, 2008), c’est une « unité d’analyse plus ample » (Clot, 2008a). D’après Larousse (Larousse.fr, 2016), son périmètre comprend l’idée de faire et de vivant, « un ensemble de phénomènes par lesquels se manifestent certaines formes de vie, un fonctionnement, une faculté ou une puissance d'agir ». Pour la psychologie du travail et l’ergonomie, cette définition peut être dépliée. Derrière le faire et le vivant, se trouvent toujours soi et les autres.

Depuis la fin des années 90 et le début des années 2000, l’ergonomie privilégie le concept d’activité comme représentant

« Tout ce que l’individu met en œuvre, dans ses aspects observables et inobservables pour réaliser la tâche. On distingue : l’activité comme processus se déroulant dans le temps et l’activité comme réalisation, par opposition à la tâche comme prescription d’objectifs et procédures. » (Montmollin, 1995).

En plus de la mécanique et de l’énergie du corps, l’activité tient compte des composantes affectives, cognitives, sociales de l’action (Falzon dir. 2004, p.24). Elle complexifie la tâche effective qui est progressivement abandonnée (Hubault, 1995 ; Daniellou, 1996). Parallèlement, les notions de tâches et tâches prescrites se superposent (Montmollin, 1995). En 2006, Daniellou constate que « Les dimensions subjectives, interpersonnelles, sociales, historiques de l’activité humaine ont acquis droit de cité dans une partie de la production en ergonomie ». En 2015, dans un entretien pour la revue Travailler, il précise que, pour lui, la question de la subjectivité ne peut plus être exclue des questions de sécurité souvent hermétiques à la centralité du sujet VS la règle et la conformité. « Dès qu’on travaille sérieusement les questions de fiabilité, de sécurité des systèmes à risques, on retombe sur la question des espaces de débats sur le travail, des espaces de discussion, et donc sur la question de la subjectivité. » (Daniellou, 2015, p.12). Il souligne que c’est aussi un enjeu pour les questions de santé. « On ne peut pas travailler sur les questions de santé sans s’intéresser à la subjectivité. C’est évident pour les RPS, mais, dès qu’on creuse un peu, ça l’est aussi pour les TMS » (Daniellou, 2015, p.12). Comme Daniellou, Falzon (dir. 2004) affirme qu’« il faut élargir considérablement le champ des régulations de l’activité inventoriée. » (p.24).

A l’origine de l’utilisation de ce concept, la psychologie du travail (comme une partie de la psychopathologie du travail avant elle) a toujours inscrit la notion d’activité du côté de la subjectivité des travailleurs. Pour Dejours (2010), le professionnel est toujours « sujet du travail » (p.28). Mais il est aussi « sujet doté d’un corps » (Lhuilier, 2006a), subjectif et social (Clot, 2008a). L’activité couvre le large périmètre « des rapports à soi, aux autres et à la société » (Rabardel, 2005, p.18). Dans ses travaux sur le travail thérapeutique, François Tosquelles (2012) précise l’enjeu de cette notion du coté de toute son humanité

« Activité ne veut pas dire mouvement quelconque ni mouvement adapté. Activité veut dire activité propre : activité qui part et s’enracine dans le sujet actif pour s’épanouir le cas échéant dans le contexte social. »

Elle n’est pas une simple exécution, ni une somme d’aptitudes et de compétences en action. Selon Sznelwar et Hubault (2015) la notion d’activité porte une « vision non réifiée de l’être humain au travail » (p.54). Elle recouvre « la possibilité de se frayer une voie vers l’émancipation, le développement professionnel, la réalisation de soi, la construction de valeurs éthico-morales » (p.54). Elle constitue une dynamique d’engagement personnel et de transformation de la tache et de soi. Elle mobilise et transforme le réel (Barbier et Galatanu, 2000). L’activité prend en compte toutes les dimensions subjectives, interpersonnelles, sociales, physiques et psychosomatiques (Lhuilier, 2006a) de l’action et du travail. Selon Clot (2008a) et Schwartz (2008), l’activité est une unité d’analyse qui fonde mieux que tout autre la question complexe du travail. Schwartz (2008) écrit que le concept d’activité

« ne peut pas appartenir à une discipline particulière. Parce que là, aussi bien le champ du discursif – de ce qui peut être mis en mot – que les champs de la psychanalyse, de la psychologie, du social, de l’éthique, du marchand, sont convoqués pour dire ce qui se passe. »

Pour Schwartz, comme pour les ergodisciplines (ergologie, clinique de l’activité, psychodynamique du travail, psychosociologie du travail, disciplines cliniques du travail, ergonomie) la notion d’activité porte le modèle simultané de l’individu, de son travail et de leur complexité ontologique.

1.3.1.2 L’activité réelle

Clot (2006) déplie encore d’avantage ce concept en l’ouvrant aux activités présentes dans le non mouvement et le non réalisé, aux activités qui se cachent dans le sujet, derrière une apparente inertie

« Il ne faut pas confondre l’activité réelle du sujet avec l’activité réalisée dans la tâche qu’il accomplit. De ce point de vue, même une inactivité manifeste peut trahir une activité psychologique débordante. » .

Cette idée est au fondement de la clinique de l’activité. Elle ouvre l’analyse à ce que Clot (2006) appelle l’activité empêchée et l’activité réelle

« L’activité réalisée dans les objets n’a pas le monopole du réel de l’activité. (…) Ainsi, l’activité empêchée comme l’activité rêvée ne peuvent être écartées du champ de l’activité réelle. »

Nous retiendrons cette notion d’activité réelle. Ainsi dépliée, elle enracine le travail dans tout ce qui se passe, irréductible aux activités réalisées et aux faits bruts. La distinction entre réel et réalité est centrale pour Clot (2006, 2008a, 2010) et plus généralement en clinique du travail (Lhuilier, 2006a ; Clot et Lhuilier, 2010). Dans cette perspective, les conflits et les remaniements du travail ne se résument pas à leurs dimensions interpersonnelles, organisationnelles ou techniques, ils s’inscrivent dans le sujet lui-même. Dans cette perspective, Clot (2006) souligne que « l’opérateur étant toujours plus grand que l’opération », le travail réel est toujours plus ample que les prescriptions. Il s’élargit à l’homme qui est simultanément acteur de son intégrité et de ses productions. L’activité de travail c’est l’activité réelle qui est toujours une activité de production et de vie. Cette perspective fait l’objet d’une importante littérature en cliniques du travail (Lhuilier, 2006a, 2006b, 2010 ; Clot, 2006, 2008 ; Clot et Lhuilier, 2015 ; Dejours, 2000 ; Schwartz, 2007, 2008 ; Fernandez, 2009 ; Molinier, 2010 ; Almudever et coll., 2013). Dans cette tradition, Schwartz (2007) constate, pour sa part, que l’activité est tout à la fois action et lutte pour la conservation de soi dans l’action. Il souligne aussi que cette dynamique n’est pas univoque. Si l’activité est toujours un effort et une peine, elle ne contribue pas uniquement à la préservation de soi en minimisant ou en transformant les effets de cette peine, elle permet aussi de produire du développement et de la reconnaissance de soi. En référence aux travaux de Georges Canguilhem (1966), Schwartz (2007) définit l’activité, ambiguë et coûteuse, comme vitale. « La Vie peut être définie à travers l'activité qui est en lutte permanente avec « l'inertie et l'indifférence ». » (Canguilhem dans Schwartz, 2007).

L’activité réelle, c’est la manière dont les travailleurs vivent et transforment toutes les résistances (physiques, sociales, psychiques) du réel, à des fins de travail et de vie. Selon Clot et Leplat (2005), son issue est généralement la réalisation du travail visé mais elle peut parfois conduire à des effets inattendus : erreurs, incidents, accidents

« Des effets non souhaités accompagnent aussi éventuellement des effets qui eux étaient bien visés. Ces effets parasites ont été souvent décrits en analyse du travail : par exemple, le conducteur a bien évité un obstacle, mais, ce faisant, il en a heurté un autre. »

Pour ces auteurs (2005) « La connaissance et l’analyse de ces effets indésirés sont particulièrement utiles pour l’analyse de l’activité. Ils sont des symptômes révélateurs des caractéristiques de l’activité ». De notre point de vue, ces connaissances s’avèrent particulièrement utiles dès lors que nous nous intéressons à la santé. Nous y reviendrons.

1.3.1.3 La théorie du système des activités

Nous l’avons vu, l’activité de travail se rapporte à l’activité réelle. Cette notion est une unité d’analyse qui déborde tous les cadres de la prescription et notamment les espaces et les temps officiels de travail. En 1987, Jacques Curie et Violette Hajjar observent des activités beaucoup moins délimitées par l’organisation formelle du travail que le cadre réglementaire et gestionnaire (contrat de travail, fiche de poste, procédures, etc.) le laissent penser. Ils montrent que, particulièrement pour les cadres, les sphères de la vie de travail et de la vie privée sont en interactions étroites, qu'il existe des effets du travail sur la vie hors travail et inversement. Curie et Hajjar (1987) affirment

« le travail apporte à la vie hors travail des contraintes et des ressources multiples. [...] Mais la vie hors travail constitue réciproquement pour la vie de travail une source de contraintes et de ressources (attentes, compétences, ressources relationnelles etc.) » (p. 44).

Pour rendre compte de l’invariance de l’existence de ces interactions ils parlent du « système des activités » (Curie et Hajjar, 1987) comme

« l'ensemble des activités effectivement réalisées par le sujet (ce qu'il fait) pour résoudre les données du problème qu'il prend en compte [...] et les relations qui existent entre les activités constitutives de ce système. Le fonctionnement de ce système dépend des régulations mises en œuvre par le sujet en fonction de son modèle de vie et des contraintes et ressources de ses conditions de vie » (p. 48).

En 2000, Curie affine la théorie du « système des activités » en s’intéressant d’avantage aux activités elles-mêmes. D’après cet auteur, la compréhension des activités professionnelles passe par celle des actions hors temps de travail

« Dans la vie extra professionnelle se construisent des savoirs, des systèmes de valeurs, des capacités de contrôle émotionnel de l’action, des systèmes explicatifs des événements qui font partie des compétences requises dans le domaine professionnel, mais qui restent largement ignorées en raison d’une approche disjointe des conduites de travail et des conduites hors travail » (p. 396).

Le système des activités de Curie (2000) décrit autant les dynamiques et les interactions entre les activités, entre la vie dans et hors temps de travail, que dans l’activité elle-même. Jacques Curie (2000) privilégie les conceptions du sujet actif et du « Soi unitaire » (Green, 2013),

psychique, somatique et social. Il observe qu’il y a de la vie privée dans le travail et des traces du travail (psychique, somatique et social) dans les activités privées.