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Chapitre 3. L’usage de psychotropes (drogues)

3.1 Les produits psychoactifs en France

3.1.1 Les chiffres

3.1.1.1 En population générale

D’après les grandes enquêtes nationales (Baromètre Santé de l’Inpes, 2005 et 2010 dans Ofdt, 2013), les consommations en population générale de produits psychotropes sont en augmentation globale (Ofdt, 2008, 2010, 2013). Analysées, produit par produit : médicaments, alcool, tabac, cannabis et cocaïne, les données apparaissent plus variables.

La France est l’un des pays les plus consommateurs de médicaments psychotropes d’Europe, cette consommation est en nette augmentation pour les analgésiques (paracétamol, ibuprofène, codéine, tramadol, morphine, etc.) et notamment les dérivés d’opiacés (codéine, morphine, etc.), et les régulateurs de l’humeur (Inserm, 2012). En France, le rapport 2014 de l’Agence nationale pour la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, 2014) indique d’ailleurs que ces deux classes de psychotropes sont les médicaments les plus vendus : les analgésiques (740 millions de boîtes vendues en officines en 2013) et les psycholeptiques (somnifères, régulateurs de l’humeur, etc. ; 164 millions de boîtes). Viennent ensuite les antibiotiques (134 millions de boîtes).

l’année, nous buvons en moyenne 2,6 verres d’alcool par jour et par habitant. Nous sommes le pays le plus consommateur de vin au monde (47 litres par habitant/an) (Ofdt, 2013).

Les usages de tabac sont en légère diminution mais demeurent très importants. En population générale adulte, l’expérimentation du tabac en 2014 concerne 86 % des hommes et 78 % des femmes. 25% des adultes et près d’un jeune sur deux, déclarent avoir déjà utilisé une cigarette électronique (Ofdt, 2013).

De leur côté, les usages de cannabis augmentent. C’est, de loin, la substance illicite la plus consommée : 42% des adultes déclarent en avoir déjà consommée dont 11% au cours de l’année. Parmi les jeunes 15 % déclarent avoir consommé du cannabis dans le mois, ce qui est le niveau le plus élevé d’Europe. La France est globalement l’un des pays les plus concernés en Europe. L’usage de la cocaïne, encore très marginal, se développe et se démocratise. La part des 18-64 ans ayant expérimenté la cocaïne a été multipliée par quatre en deux décennies (de 1,2 % en 1995 à 2,6 % en 2005, 3,8 % en 2010 et 5,6 % en 2014) (Ofdt, 2015). Les niveaux d’expérimentation pour les substances psychostimulantes synthétiques (MDMA, ecstasy et amphétamines) sont respectivement de 4,3 % et de 2,3 %. Dans la même tranche d’âge, la proportion d’usagers d’ecstasy a significativement augmenté entre 2010 et 2014 (de 0,3 % à 0,9 %), elle atteint son niveau maximal depuis une décennie (Beck, Richard, Guignard, Le Nézet et Spilka, 2015).

D’après ces mêmes enquêtes (Inpes, 2005 et 2010 ; et Inpes 2014 dans Ofdt.fr),

analysées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Ofdt.fr), ces consommations (alcool, médicaments psychotropes, tabac et stupéfiants), sont globalement le fait de sujets, hommes et femmes, insérés socialement : demandeurs d’emploi, employeurs, cadres, employés, étudiants, lycéens (Ofdt, 2015). Parmi ces personnes insérées, les chiffres montrent que les chômeurs consomment davantage de produits psychotropes que les personnes en emploi, l’Ofdt en conclue que le travail est facteur de protection des consommations de psychotropes. Cette conclusion et la manière dont elle est utilisée par les pouvoirs publics, les sciences positivistes traditionnelles et les acteurs de la santé au travail et de l’entreprise, seront discutées ultérieurement dans notre recherche. Nous alertons, d’ors et déjà ici, sur le fait que les données de l’Ofdt indiquent effectivement que le paramètre « emploi » (VS « sans emploi ») limite statistiquement les usages de substances psychoactives mais qu’elles ne disent rien de la nature des interrelations entre le travail et les psychotropes. Cette précaution est à rapprocher des études sur les liens entre la santé et le chômage qui nous invitent à explorer le sens de la relation entre exclusion du marché du travail et état de santé

au moins autant que leurs corrélations (Coutrot et Molinié, 2006 ; Lhuilier et Waser, 2016). Le questionnement des conclusions de l’Ofdt est d’autant plus pertinent que, toujours selon les enquêtes Inpes (2005, 2010 et 2014), les analyses différenciées produit par produit - montrent l’existence de corrélations très variables. Entre 2005 et 2010, le niveau d’usage des médicaments psychotropes des travailleurs s’est nettement rapproché de celui des demandeurs d’emploi. Moins importante que pour les médicaments, une augmentation des consommations de cannabis parmi les seuls actifs occupés apparaît également entre 2010 et 2014 (Ofdt, 2015). Et les études montrent aussi un effet « milieu professionnel » et « tensions au travail » sur les consommations.

3.1.1.2 En milieu professionnel

Dans ces mêmes grandes enquêtes nationales (Inpes, 2005, 2010 et 2014), certains actifs déclarent consommer, ou avoir augmenté leur consommation, du fait de problèmes liés à leur travail ou à leur situation professionnelle. C’est le tabac qui est clairement identifié comme une réponse à des tensions professionnelles, avec plus du tiers des fumeurs qui dit avoir augmenté son tabagisme en lien avec de telles difficultés, tandis que 9 % des consommateurs d’alcool et 13 % des consommateurs de cannabis disent avoir augmenté leur consommation à cause de tels problèmes. Les substances consommées peuvent être licites ou illicites, utilisés sur prescriptions, en automédication ou par identité et sollicitation culturelles (alcool, tabac, cannabis, cocaïne, etc.) en fonction des milieux. Plusieurs secteurs d’activité s’avèrent particulièrement liés à des usages de substances psychoactives : il s’agit du secteur des transports et du secteur agricole, de la pêche et de la marine, ainsi que des métiers des arts et du spectacle. D’autres secteurs apparaissent aussi plus consommateurs que les autres : la construction, la restauration ou l’information / communication. Pour ce qui est des consommations d’alcool, qu’il s’agisse de l’usage quotidien ou des consommations ponctuelles importantes (avoir bu 6 verres ou plus en une même occasion), elles sont particulièrement fréquentes dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche (16,6 % d’usage quotidien contre 7,7 % parmi l’ensemble des actifs âgés de 16 à 64 ans) et de la construction (13,4 % d’usage quotidien). Ces secteurs sont également particulièrement touchés par les consommations ponctuelles importantes mensuelles (30,7 % dans le secteur de l’agriculture et de la pêche et 32,7 % dans le secteur de la construction contre 19,2 % parmi l’ensemble des

%). La consommation actuelle de cannabis (au moins une fois au cours de l’année) s’avère plus fréquente dans la construction (13 % de consommateurs dans l’année contre 6,9 % parmi l’ensemble des actifs), l’hébergement et la restauration (12,9 %), mais de manière encore plus prononcée dans les arts et spectacles (16,6 % de consommateurs dans l’année). Concernant l’expérimentation d’autres drogues illicites, le milieu de la construction apparaît plus souvent expérimentateur de cocaïne et de champignons hallucinogènes, tandis que le milieu de la restauration, celui de l’information/communication, des arts et spectacles, sont particulièrement consommateurs de toutes les substances étudiées (cocaïne, ecstasy, poppers, champignons hallucinogènes).

En mai 2000, 2 106 sujets ont été interrogés par auto-questionnaire au cours de l’examen périodique de médecine du travail (Ngoudo-Mbongue et coll., 2005). Près d’un sujet sur trois a recours à des médicaments en lien avec son travail : 20 % utilisent un médicament pour être « en forme au travail », 12 % prennent leur médicament sur leur lieu de travail pour traiter un « symptôme gênant », et 18 % utilisent un médicament « pour se détendre au décours d’une journée difficile ». Les médicaments les plus utilisés sont des psychotropes dépresseurs : hypnotiques, antalgiques, anxiolytiques, tranquillisants. Une étude transversale complémentaire a été menée, tous les dix ans depuis 1986, parmi des salariés de la région toulousaine, par questionnaire au cours de l’examen périodique de santé au travail. En 2006, les réponses de 2 213 salariés ont été comparées à celles de 1986 et 1996 (Boeuf-Cazou et coll., 2011). Les médicaments consommés ont évolué, avec une augmentation significative de ceux utilisés pour faire face à la progression des troubles musculosquelettiques dont les lombalgies (antalgiques forts, dérivés morphiniques).