Une lecture aux contours incertains
2. La lecture impliquée dans le contrôle préalable du livre : l’exemple de l’autorisation des pièces de théâtre
Les œuvres littéraires doivent passer l’épreuve de la lecture des juges avant même qu’une procédure soit ouverte à leur encontre. Cette lecture en amont va déterminer si l’œuvre respecte les lois et si elle peut légalement être publiée, qu’il s’agisse d’une publication par l’imprimé, ou par la mise en scène dans le cas d’une pièce de théâtre. C’est surtout ce dernier cas qui révèle des données d’histoire littéraire permettant de se représenter ce « moment » de lecture, qui fait intervenir la figure transhistorique du censeur. Pour notre étude, on peut postuler des ressemblances entre la manière dont les juges lisaient des pièces de théâtre et de la poésie, du simple fait que ces deux genres se composent de textes en vers.
L’expression « visiter un livre » et le verbe « examiner » sont utilisés fréquemment dans le langage judiciaire du XVIe siècle pour nommer cette lecture. Dans la nomencla‐ ture institutionnelle française de l’époque, la fonction d’« examinateur », telle qu’elle apparaît dans le titre des « commissaires enquesteurs examinateurs » dépendant du lieutenant criminel de Paris24, indique la responsabilité de mener une enquête, d’informer sur un cas, mais cette recherche d’informations peut constituer un geste de contrôle préalable d’une activité, comme c’est le cas pour l’examen des textes avant publication. Ce type de contrôle conditionne à ce point l’existence de certaines pièces de théâtre qu’on peut voir le censeur apparaître dans les manifestations destinées à faire la publicité d’une représentation : à Paris, en décembre 1540, figurent ainsi quatre « com‐ missaires examinateurs au Chastelet de Paris » dans la procession qui annonce la
24 Sur les commissaires examinateurs et l’histoire du nom de leur fonction, voir Nicolas de La Mare,
représentation du Mystère des Actes des Apôtres par la Confrérie de la Passion25 ; les examinateurs défilent aux côtés des deux « meneurs de jeu » (nous dirions de nos jours « metteurs en scène ») et des quatre « entrepreneurs » (nous dirions de nos jours « producteurs ») du spectacle, ce qui, symboliquement, leur confère un rôle actif dans la construction de l’œuvre dramatique. La présence des autorités judiciaires dans ce défilé renforce la dimension officielle et civique de la représentation du mystère, mais c’est l’ensemble de la production théâtrale qui, tout au long du siècle, est la cible de mesures de police26 prévoyant un examen préalable du texte à jouer27 par des experts chargés d’émettre un avis favorable ou défavorable pour l’autorisation – experts que l’on pourrait désigner du nom d’« examinateurs28 » par allusion aux officiers de la justice criminelle du
25 Voir G. A. Runnalls, « La Confrérie de la Passion et les Mystères. Recueil de documents relatifs à l’histoire de la Confrérie de la Passion jusqu’au milieu du XVIe siècle », Romania, 122, 2004, n°17 et 18, p. 167‐183, citation du livret retraçant la procession, publié en marge de l’événement, p. 161 (Cry et
proclamation publicque du 16 décembre 1540 pour jouer le Mistere des Actes des Apostres).
26
Sur les mesures de contrôle judiciaire du théâtre des farces, voir les remarques de M. Rousse, « Mystères et farces à la fin du Moyen Âge. Problèmes de théâtre populaire », dans La Scène et les
tréteaux. Le théâtre de la farce au Moyen Âge, préf. J. Dufournet, Orléans, Paradigme, « Medievalia »,
2004, p. 229‐260, en particulier p. 257. Sur le contrôle des mystères et le débat sur les spectacles dans la littérature chrétienne, voir K. Loukovitch, « Le théâtre et l’Église au XVIe siècle » (I, 1), L’Évolution de
la tragédie religieuse en France, Genève, Slatkine Reprints, 1977 [1933], p. 1‐24, et R. Lebègue, « La place
des mystères dans la vie sociale » (chap. III), La Tragédie religieuse en France. Les débuts (1514‐1573), Paris, Champion, 1929, p. 47‐65, en particulier p. 59‐61. Sur la question du contrôle du théâtre dans son ensemble, voir les travaux de K. Lavéant, « Une scène incontrôlable ? L’encadrement juridique des pratiques théâtrales à Lille et dans sa région à l’époque de la Réforme », Tangence, n°104, 2014, p. 11‐26, en particulier p. 15‐16 sur le système de délivrance d’autorisations de jouer ; Un théâtre des frontières :
la culture dramatique dans les provinces du Nord aux XVe et XVIe siècles, préf. D. Hüe, Orléans, Para‐
digme, « Medievalia », 2011, en particulier « Le théâtre et le pouvoir : rapports de force ou rapports privilégiés ? » (chap. IV) et « Le théâtre et la Réforme dans le sud des Pays‐Bas » (chap. V), p. 181‐232 et 233‐286 ; « Le théâtre du Nord et la Réforme : un procès d’acteurs dans la région de Lille en 1563 »,
European Medieval Drama, n°11, Turnhout, Brepols, 2007, p. 59‐77. On regrette de ne pouvoir encore
consulter le collectif La Permission et la sanction : théories légales et pratiques du théâtre (1400‐1600), dir. M. Bouhaïk‐Gironès, J. Koopmans et K. Lavéant, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », à paraître.
27 La lecture effectuée par les juges ne porte d’ailleurs pas que sur le texte à jouer ; les commis organisateurs du Mystère de la Passion qui demandent l’autorisation de l’évêque de Maurienne en 1573 lui font lecture du registre qui consigne tous leurs efforts pour organiser le spectacle : « [les commis] ensemblement ont remonstré audict seigneur reverendissime toutes procedures et deliberacions pour le faict dudict mistere par eulx cy dessus faictes, lesquelles aprés lecture faicte il les a trové bonnes » (édité par G. A. Runnalls, « Le registre du Mystère de la Passion joué à Saint‐Jean‐de‐Maurienne en 1573 », dans Les Mystères dans les provinces françaises (en Savoie et en Poitou, àAmiens et àReims),
Paris, Honoré Champion, 2003, p. 160). 28 Voir la manière dont R. H. Helmotz distingue, en s’inspirant de l’existence d’un examiner general à la cour de York, les rôles de l’examiner et du judge dans la procédure civile de l’Angleterre médiévale – l’examiner étant chargé de prendre et de mettre en forme la déposition des témoins sur laquelle le juge se prononcera (Marriage Litigation in Medieval England, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 128‐129).
temps, afin d’insister sur les tâches d’inspection et de questionnement suspicieux des œuvres littéraires qui leur confèrent un rôle dynamique au sein de l’appareil de censure.
Si l’on peut imaginer que le caractère systématique du protocole d’autorisation devait conduire les examinateurs à opter pour une lecture rapide et standardisée, il arrivait qu’ils prennent la peine de lire attentivement le texte qui leur était soumis, et qu’ils se battent pour faire respecter le temps de cette lecture. Telle est l’attitude du chanoine de Lille Jehan Simon, dont Katell Lavéant cite la lettre envoyée à l’évêque de Tournai en septembre 158529, dans laquelle l’examinateur se plaint des pressions que les rhétoriciens, c’est‐à‐dire les membres de la chambre de rhétorique de la ville – une association développant des activités théâtrales –, exercent sur lui pour accélérer et faire aboutir l’autorisation des pièces de leur répertoire. Ce document fait état de tensions entre le pouvoir communal – les Magistrats de Lille – et les ecclésiastiques impliqués dans le contrôle des œuvres dramatiques, auxquels les Magistrats abandonnent la responsabilité de faire interdire le théâtre religieux conformément à la législation impériale en vigueur sur le territoire des Pays‐Bas auquel appartient la ville de Lille. La lettre dessine aussi les contours de cette lecture du censeur théologien :
Merquedy dernier passé, XXVIe de ce mois de septembre, vint a mon logis pour la premiere fois quelque commis de messieurs les Magistrats de Lille, m’aportant une tragedie tiree des premiers chapitres du premier livre des Roys, corrigee et signee par le pater de Sainte‐Clare, et me requérant de la visiter et approuver, si en icelle rien ne trouvoie contraire a la foy et bonnes meurs. Je prins temps jusques a samedy ensui‐ vant pour l’examiner. Apres l’avoir bien reveu, l’ay monstré a nostre doyen, pour con‐ formement nous reigler, lequel ay trouvé entierement d’ung meme advis avec moy. C’est asscavoir que, non obstant que ledit jeu ne contenoit choses contraire (sic) au texte duquel estoit tyré, neantmoins pour l’ordonnance de V. Rme. P., laquelle n’entend que jeux prins des textes de la Sainte Escripture fussent ordinairement en publicques exhibés, n’apertenoit a nous de le signer, comme approuvant pour le jouer […].
Dans le récit du chanoine, le soin apporté pour « visiter » la tragédie religieuse, au cours d’une lecture qui s’étale sur plusieurs jours, est d’autant plus étonnant que la décision finale de refuser la signature d’autorisation se fonde non sur le contenu de la pièce, qui apparaît irréprochable, mais sur l’interdiction des pièces à sujet religieux énoncée dans l’ordonnance impériale de 156030. Bien sûr, l’interdiction de l’ordonnance laissait une marge aux pouvoirs locaux, tant civils que religieux, pour autoriser certaines
29 Lettre du 29 septembre 1585, publiée par la première fois par des érudits du XIXe siècle, mais dont les originaux ont disparu, transcrite par K. Lavéant, Un théâtre des frontières, op. cit., p. 253‐254.
œuvres après avoir vérifié qu’elles ne seraient pas matière à scandale ou à détournement du texte de la Bible ; d’où l’intérêt de cette lecture. Mais il est frappant de voir que les censeurs ecclésiastiques de Lille n’entendent pas se servir de cette marge, préférant appliquer la loi de manière très stricte, ce qui les place en situation de conflit avec les Magistrats, partisans d’une application souple ; dès lors, l’examen de la tragédie est moins destiné à justifier le refus d’autorisation qu’à renseigner les autorités sur l’écriture des textes de théâtre et à sonder les opinions des rhétoriciens, suspectés d’adhérer à la Réforme.
Outre les deux critères pénaux servant à interroger le texte – « la foy et bonnes meurs », servant à identifier les énoncés hérétiques ou immoraux –, le circuit juridique dans lequel s’insèrent les différentes lectures des examinateurs apparaît dans les lignes citées : un religieux a déjà effectué un premier examen pour le compte des Magistrats, qui renvoient ensuite le livre au chanoine, lequel le transmet ensuite au doyen de la cathédrale. Or, la suite de la lettre montre que le rapport de forces entre les censeurs et le monde du théâtre prend la forme d’un blocage dans le circuit, correspondant à un désaccord sur l’exercice de la lecture :
Ledict samedi apres disné, vinrent lesdicts joueurs troys foys envers moy : premiere‐ ment repetant31 leur livre et requerant la cause laquelle on refusoit la signature ; ausquels fust respondu que icelle avoit esté suffisamment communiquee au deputé de Messieurs ; apres vespres, m’aportant ung aultre jeu des gestes de Charlemain, fai‐ sant instance de le vouloir signer sur le coulp et a leur bon plaisir pour le jouer le di‐ menche ensuivant, comme si telle visite se debvoit faire legierement et en une heure ou deux accomplies. Lesquels, pour n’avoir commodité, lors envoyay vers nostre doyen, affin que iceluy voulust satisfaire a leurs importune requeste. Depuis, sur les cinq heures, de rechief me vindrent aggrever, simulant estre envoiés et poussés d’aulcuns du magistrat, instamment me pressant de signer leur histoire sacree, at‐ tendu que l’avoie eu assez par longe (sic) espace pour veoir si elle contenoit chose repugnante a la verité ; ce que seullement (comme ils disoient leur avoir esté dict) apertenoit a nostre office, non pas de permettre ou donner congié de jouer, lequel ils avoient de Messrs. de la halle.
Le circuit est interrompu, les « joueurs » n’ont toujours pas récupéré le texte de leur tragédie ; ils cherchent d’abord à contourner ce blocage de leur activité en deman‐ dant l’autorisation d’une autre pièce moins suspecte, parce que son sujet est historique (les exploits de Charlemagne) et non religieux, puis en tentant de renverser le rapport de forces : pour cela, ils jouent du conflit latent entre autorités civiles et religieuses, en redéfinissant la censure de ces dernières comme une simple vérification de contenu qui
n’a pas valeur d’autorisation ou d’interdiction. Ce propos destiné à faire pression sur le chanoine pose donc la question de la valeur exécutive de la lecture du censeur : le théologien qui examine une œuvre littéraire peut‐il s’attribuer les prérogatives du juge en décidant de manière autonome d’en autoriser ou d’en interdire la publication ?
Appliquée à cette première phase des opérations de contrôle où le livre n’est même pas encore en procès, notre interrogation de départ, « comment les juges lisent‐ ils ? », pourrait se renverser de la façon suivante : les examinateurs lisent‐ils comme des juges ? À quel point leur rapport de lecture constitue‐t‐il une décision de justice ? La réponse à cette question est incertaine, et cette incertitude sur le statut conféré à la lecture des examinateurs par la pratique judiciaire soulève des conflits comme celui‐ci, qui rappelle les tensions traversant la censure des livres religieux dans le Paris du début des années 1520. Au moment où la Faculté de théologie s’apprête à ordonner la destruc‐ tion des écrits de Berquin et à le faire punir par le Parlement comme hérétique luthérien, le roi François Ier essaie de maintenir les théologiens dans un simple rôle d’experts en doctrine, en leur demandant par lettre de rédiger un rapport sur les erreurs contenues dans les livres ; cette demande revient implicitement à interdire aux théologiens d’engager trop avant la procédure contre l’humaniste, et devant l’obstination de la Sorbonne le roi explicite dans une deuxième lettre cette interdiction – qui ne suffit pas à empêcher la destruction des livres32. Pour clarifier encore ce débat sur les prérogatives des examinateurs, on peut remarquer, à titre de comparaison, que les fonctions des collaborateurs de l’Inquisition espagnole au XVIe siècle étaient séparées théoriquement entre deux statuts, le consultor et le calificador33 : le calificador était un théologien chargé
de rédiger un rapport détaillé (dictamen) sur le dossier d’instruction rassemblé par l’inquisiteur, qui pouvait inclure les papiers et les livres du prévenu, tandis que le
consultor, en sa qualité de juriste, participait au procès en donnant un avis consultatif
sur la sentence. Ainsi, tout en se prononçant sur la présence d’énoncés hérétiques dans le dossier, le calificador n’était pas censé intervenir dans le jugement lui‐même, même si
32 Voir N. Weiss, « Louis de Berquin, son premier procès et sa rétractation d’après quelques documents inédits (1523) », Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français, t. 67, 1918, p. 162‐183, en
particulier p. 171‐173.
33 Voir R. López Vela, « El calificador en el procedimiento y la organización del Santo Oficio. Inquisi‐ ción y órdenes religiosas en el siglo XVII », dans Perfiles juridicos de la Inquisición española, dir. J.-A. Escudero López, Madrid, Universidad Complutense de Madrid, 1989, p. 345‐390, en particulier p. 349‐351.
dans les faits cette limite pouvait se déplacer. Comme le note Roberto López Vela, « l’Inquisiteur se comportait en juge, le calificador en théologien, une curieuse dichoto‐ mie qui ne laisse pas d’attirer l’attention dans un tribunal de la Foi34. » Si une telle séparation entre jugement et calificación se négociait au sein de la justice inquisitoriale pour distinguer les rôles des ecclésiastiques, elle pouvait à plus forte raison constituer une norme instable de la collaboration entre justice civile et savoir théologique dans le contrôle de l’écrit. Pour revenir au cas du chanoine de Lille face aux rhétoriciens, il est intéressant de voir que le débat traduisant cette instabilité s’exprime par un désaccord sur la durée de la lecture : aux acteurs qui s’impatientent de voir leur texte détenu « par longe espace », répond l’intransigeance du religieux, qui veut prendre le temps de traquer l’infraction possible entre les lignes (« comme si telle visite se debvoit faire legierement et en une heure ou deux accomplies »).
Le geste de déléguer l’examen du texte à un lecteur spécialisé ne se fait pas tou‐ jours des autorités civiles en direction des autorités religieuses ; la cour de justice choisit souvent un de ses membres pour être rapporteur sur la demande d’autorisation d’un texte ou d’un corpus de textes particulier, et l’avis qu’il émet est en règle générale suivi par la cour. Il se trouve que des auteurs, poètes à l’occasion, ont endossé cette fonction de rapporteur, comme l’a fait Étienne de La Boétie en examinant, pour le compte du Parlement de Bordeaux dont il était membre, les textes d’un corpus théâtral soumis par les écoliers du collège de Guyenne avant une de leurs représentations35, signe que les poètes, s’ils avaient une expérience de juriste ou des contacts avec le milieu juridique, pouvaient se représenter à l’avance les critères suivant lesquels leurs textes seraient examinés. La décision de nommer un rapporteur n’est pourtant pas automatique, surtout quand le texte paraît avoir déjà fait l’objet d’un examen par les autorités : ainsi, en 1560, à Amiens, les avis divergent au sein du pouvoir municipal sur la demande d’autorisation déposée par une troupe qui veut mettre en scène une Apocalypse et des farces ; un des échevins considère que l’on peut autoriser la représentation « attendu que les joeux qu’ils 34 Ibid., p. 350. 35
Voir la conclusion de l’arrêt du Parlement de Bordeaux du 3 février 1559 : « Icelle Court, ouy le rapport de Me Estienne de la Boetie, conseiller commis pour veoir les dites comédie, moralité et farce, qui aurait dit n’y avoir trouvé aucunes choses scandaleuses, a permis et permet audit Jehan Denisers icelles faire jouer publiquement. » (A.D. Gironde, B 130, édité dans Archives historiques de la Gironde, Paris ; Bordeaux, Aubry ; Gounouilhou, 1862, t. III, p. 466, cf. E. Gaullieur, Histoire du Collège de
voeillent jouer sont imprimés avec privileges du Roy », mais ses collègues se rangent à l’avis contraire et exigent que le texte des pièces soit tout de même contrôlé par des experts qui, d’après leur titre de « docteur » et leur prédicat de « Maîtres », semblent être des théologiens36. La censure des autorités locales doit ici trouver sa raison d’être face à la censure préalable des officiers du roi, attestée par le privilège d’imprimerie accordé au texte que les acteurs veulent mettre en scène.
Il arrive que cette concurrence entre les différentes instances judiciaires com‐ plique le travail d’une troupe qui pensait s’être mise en règle auprès de la justice locale : c’est ce qui se produit à Rouen en 1556, comme nous l’enseigne cette plainte déposée devant le Parlement de Normandie par la troupe d’un acteur local connu sous le surnom du Pardonneur, qui a vu sa représentation interrompue par des représentants de la loi :
en vertu du congié a eulx donné par le bailly de Rouen ou son lieutenant, ilz ont commencé a jouer, en cested. ville de Rouen, en la salle et maison ou pend pour en‐ seigne le Port de Salut, pour moralité la Vye de Job et plusieurs farces joyeuses, en quoy ilz se sont conduictz honnestement sans nulle reproche pour la recreation des habitans de lad. ville. […] A parfaire lesquelz jeuz, ils auroient esté empeschez par maistres Thomas Moysy et Robert Seheult, huissiers en la court, et deffenses a eulx faictes de ne plus jouer37.
En envoyant ses huissiers, le Parlement intervient pour faire respecter les préroga‐ tives de la justice du roi sur un sujet aussi sensible que le théâtre religieux, dans ces années de fortes tensions entre catholiques et réformés : cette censure, et la plainte que la troupe dépose en réaction, marquent le début de la procédure judiciaire proprement dite, qui décidera du sort de la représentation. La troupe ne pouvait s’attendre à ces mesures de police, puisqu’elle s’autorisait d’un avis favorable du bailly de la ville, qui selon la procédure normale, ne pouvait accorder une autorisation de jouer sans l’avoir
36 « Sire Adrien Vilian a esté d’advis que avant leur accorder ladite permission, ils doibvent monstrer les jeux qu’ils entendent jouer, pour les communiquer aux docteurs, attendu que par la Saincte Escripture, il est défendu que telle maniere de gens jouent publiquement la parole de Dieu. Watel a