Alors pourquoi étendre ce terme de « littérature » aux œuvres du XVIe siècle ? On sait en effet que la notion de littérature désigne un certain usage de l’écrit doté d’une autonomie qui le distingue d’autres usages plus utilitaires, et que cette autonomie propre aux créations esthétiques ne s’est affirmée qu’après la fin de l’Ancien Régime, lorsqu’ont été réunies les conditions historiques permettant aux écrivains de s’octroyer une double indépendance, politique à l’égard du pouvoir, et économique, grâce aux revenus fournis par un marché du livre consolidé. On pourrait donc marquer l’importance de cette scansion historique en ne parlant qu’entre guillemets de « littérature » ou de texte « littéraire » pour la période qui nous intéresse, ou bien en les remplaçant par les mots « lettres » et « lettré ». La question est évidemment de savoir si l’on préfère insister sur la distance qui nous sépare des œuvres du passé ou sur la continuité qui les relie aux œuvres de notre temps. C’est une question qui se pose à tout universitaire inscrit en « littérature française » pour étudier les œuvres d’une période antérieure à 1800, con‐ traint par là de repenser le lien entre le caractère spécifique de son corpus et son inscription administrative. C’est aussi une question qui amène à se demander si l’on est prêt à conférer à chaque mot une charge théorique : après tout, les termes de « texte » ou de « poétique » étaient des emblèmes de la théorie structuraliste il y a cinquante ans, ce qui ne les a pas empêchés de se couler dans l’usage universel des commentateurs, quelle que soit leur théorie.
En ce qui nous concerne, nous avons fait preuve de souplesse dans l’emploi des termes, alternant spontanément les adjectifs « lettré » et « littéraire ». Ce qui importe à nos yeux est avant tout la passion interprétative et le goût de la transmission qui anime autant les littéraires assumés que les historiens de la poétique et de la rhétorique, sceptiques à l’égard de l’idée d’une « littérature » traversant les époques – « Qu’importe
le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? » Mais, de façon plus ou moins consciente, le choix de travailler sur la poésie du XVIe siècle nous permet d’approcher un objet qui nous paraît profondément littéraire, tout en goûtant le dépaysement induit par sa situation histo‐ rique. En effet, dans notre esprit, la poésie de la Renaissance invite à ressentir une respiration essentielle à la littérature, qui tient à une étrange correspondance entre le majeur et le mineur, entre l’œuvre durable et le geste futile. Ce serait l’impression, sensible dans la pratique des poètes, que de petits vers peuvent passer à la postérité aussi bien que les grands poèmes, et que les grands poèmes peuvent se révéler de peu de prix comme les petits vers, dès lors que l’écriture qui aspire à défier le passage du temps peut toujours être réduite à l’état de simple passe‐temps, de même que le poète glorieux et glorificateur peut soudain apparaître, aux autres et à lui‐même, comme un rêveur inutile. Cette tentative de définition ne se veut pas originale ; on voit qu’elle tend à pro‐ longer de quelque manière ce qui a été dit de la situation des études littéraires, dont le labeur fructueux peut toujours se (voir) reprocher de n’être qu’un loisir improductif. Si l’idée n’est pas destinée à guider notre démonstration, elle éclaire néanmoins l’attention que nous avons prêtée aux arguments changeants qu’élaborent nos poètes dans la justification de leur art. Ceux‐ci tentent, en effet, d’échapper aux accusations par le haut et par le bas, présentant tour à tour la poésie comme une vocation sacrée qui mérite l’admiration, puis comme un « folâtre métier » qui ne mérite pas qu’on s’en inquiète, selon l’expression de Ronsard dans l’épître liminaire « Au lecteur » des Nouvelles poësies de 156449. Nombreuses seront dans cette étude les apparitions de cette alternance, au sein de l’apologie de la poésie, entre mégalomanie et auto‐dérision, grandiloquence et simplicité, dramatisation et dédramatisation. Nous qualifierions volontiers cette alter‐ nance de proprement littéraire. Mais on peut l’apprécier, si l’on préfère, avec les catégo‐ ries de la rhétorique, y voir, plus concrètement, l’adaptation de l’èthos aux circonstances, ou bien l’extension du principe de variété qui est à l’œuvre dans les recueils, à travers les déplacements de la voix poétique du style grave au style léger50. En tout cas, nous aurions tendance à mesurer la pertinence du métalangage rhétorique à sa capacité à rendre compte de ces revirements dans la conception de la poésie. 49 Ronsard, Discours des misères de ce temps, éd. M. Smith, Genève, Droz, 1979, p. 221. 50 Voir notamment C. Noirot‐Maguire, « Entre deux airs ». Style simple et ethos poétique chez Clément Marot et Joachim Du Bellay (1515‐1560), Paris, Hermann, 2013.
Rien n’empêche en effet de considérer l’alternance de l’inflation et de la déflation dans le discours apologétique des poètes comme un aperçu de la construction d’un èthos adaptable aux situations. On peut néanmoins se demander si cette reformulation rhétorique nous permet de bien comprendre cette « manie » des poètes de se prendre trop au sérieux ou pas assez, de se louer plus que de raison pour, l’instant d’après, se moquer d’eux‐mêmes. Bien sûr, l’exemple de Cicéron suffit à nous apprendre que l’orateur a aussi l’habitude de sauter de la vantardise et à la modestie pour capter la bienveillance de l’auditoire. Mais il n’est pas sûr que ces changements de ton affectent la valeur attribuée à l’éloquence de la même manière que les contradictions des poètes modifient la valeur assignée à la poésie, car l’éloquence ne saurait se définir que positi‐ vement, comme puissance de persuader, tandis que l’art poétique peut intégrer à sa définition une part négative, une incertitude sur sa puissance.
Le titre de François Cornilliat en rend bien compte, Sujet caduc, noble sujet : ca‐ ducité et noblesse sont l’envers et le revers d’une même médaille51. Le critique montre comment, de Pétrarque à Du Bellay, la poésie amoureuse ne cesse d’exprimer en termes contradictoires la dignité de son objet comme la dignité de son propre discours, démon‐ trant son pouvoir d’élévation par l’éloge de la femme aimée, pour aussitôt se dire incapable d’atteindre à la grandeur de cette icône féminine. À cet égard, le poète est un Pygmalion si fier de son art qu’il tombe amoureux de sa création, mais d’un amour plus inquiet que celui du personnage des Métamorphoses, car il craint que sa sublime sculpture ne le juge indigne d’elle, et craint même de découvrir que cette passion n’est que le délire d’un artisan solitaire, qui a joué trop longtemps avec les formes d’ivoire. Puisque cette référence au mythe accentue plus qu’il n’est souhaitable la différence entre l’activité masculine et la passivité féminine, rappelons que des poétesses ont pu tirer partie de ce modèle instable pour chanter à la fois la passion et les doutes sur sa légitimi‐ té morale, pour céder à l’exaltation sans rompre avec l’humilité inscrite dans le rôle social
51 Voir F. Cornilliat, Sujet caduc, noble sujet : la poésie de la Renaissance et le choix de ses arguments, Genève, Droz, 2009. Précisons que, dans la démonstration de l’auteur, la rhétorique et la poésie ne sont en rien des essences immobiles. La rhétorique ne représente pas « l’autre » de la poésie, abstrac‐ tion faite de tout contexte historique, mais le système organique et hiérarchisé en vigueur à la fin du Moyen Âge, où viennent se ranger les différents arts du discours, et dont la poésie s’écarte au XVIe siècle à mesure qu’elle se définit comme la renaissance d’un absolu antique (voir en particulier ibid., p. 38).
des femmes de leur temps52. Il y a bien, dans ce façonnement de soi par le langage qui tient compte des contraintes sociales, la plasticité qu’on associe à l’èthos ; du reste, l’identité auctoriale d’une Christine de Pizan s’est forgée aussi bien par la rhétorique que par la poésie. Mais, tout de même, l’autorité de l’orateur maître des foules semble moins accueillante à l’expression d’une voix qui se cherche, que celle du chanteur majestueux mais « chétif », selon le mot célèbre des Regrets53. C’est cette différence d’autorité et d’exercice hiérarchique de la parole que l’application à tous les textes des mêmes catégo‐ ries rhétoriques risquerait de faire oublier.
Mais les termes de poète et de poésie désigneraient donc une catégorie d’auteurs et de textes bien circonscrite ? On sait que les usages de ces termes au XVIe siècle sont plus complexes qu’il n’y paraît, dès lors que l’association de la poésie à la fable, en tant que fiction merveilleuse ou allégorique, ou même en temps qu’héritage de la mythologie païenne, peut amener à qualifier de poète le Boccace du Decameron, l’Érasme de l’Éloge
de la Folie, ou le Rabelais des narrations gigantales54. Pensons au sous‐titre embléma‐ tique du Cymbalum mundi de Des Périers, Contenant quatre Dialogues Poetiques fort
antiques, ioyeux et facetieux55. Quoiqu’il soit rédigé en prose, à la manière des dialogues philosophiques, l’ouvrage revendique une appartenance à la poésie, qui a à voir avec l’héritage de la satire classique. On aurait pu dès lors considérer que la procédure étonnante dont il a fait objet en 1538 (n. st.) était une manifestation de la censure de la poésie à cette époque. Mais, alors même que notre questionnement sur la littérature aurait pu nous conduire à nous écarter du canon d’une histoire littéraire répartie en genres cloisonnés, nous avons décidé de nous en tenir au classement conventionnel, pour nous concentrer sur la production versifiée des auteurs, une manière d’épouser la
52 Voir notamment L’Émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance, 1520‐1560, dir. M. Clément et J. Incardona, Saint‐Étienne, Presses de l’Université de Saint‐Étienne, 2008, et la puissante synthèse d’É. Berriot‐Salvadore, « Les femmes et les pratiques de l’écriture de Christine de Pisan à Marie de Gournay », Réforme, Humanisme, Renaissance, n°16, 1983, p. 52‐69.
53 Voir Du Bellay, Les Regrets, éd. J. Jolliffe et M. Screech, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1974, sonnet 24, v. 9, p. 91 ; s. 39, v. 14, p. 107 ; s. 42, v. 2, p. 110. Sur la création d’une « voix » unifiée à partir d’une identité plurielle, voir N. Dauvois, La Vocation lyrique. La poétique du recueil lyrique en
France à la Renaissance et le modèle des Carmina d’Horace, Paris, Classiques Garnier, 2010, en
particulier le chapitre « Voix », p. 209‐232 ; Le Sujet lyrique à la Renaissance, Paris, Presses Universi‐ taires de France, 2000, en particulier p. 41‐58.
54 Voir F. Cornilliat, Sujet caduc, noble sujet, op. cit., p. 21‐37, et J.‐C. Monferran, L’École des Muses. Les
arts poétiques français à la Renaissance (1548‐1610). Sébillet, Du Bellay, Peletier et les autres, Genève,
Droz, 2011, p. 92‐97.
55 Voir B. Des Périers (?), Cymbalum mundi, éd. P. Hampshire Nurse, préf. M. Screech, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1983.
perspective des Arts poétiques français qui, comme le souligne Jean‐Charles Monferran, retiennent le critère du vers, au détriment d’autres marqueurs, pour identifier ce qui relève de la poésie à la Renaissance56. Ainsi, nous n’avons retenu ni le Cymbalum ni l’œuvre de Rabelais parmi les œuvres poétiques à prendre en considération, préférant évoquer leurs péripéties judiciaires à titre de comparaison ou pour introduire le propos. Ce choix opératoire vise évidemment à donner une limite raisonnable à notre objet d’étude, mais aussi à observer la continuité des modèles poétiques au sein des genres constitués, qui n’est pas sans rapport avec l’affirmation d’un art poétique dépassant le statut de « seconde rhétorique » qui lui est encore assigné au début du XVIe siècle.
Cette délimitation ne résout pourtant pas la question de savoir s’il suffit d’avoir commis quelques vers pour être considéré comme un poète. En effet, au XVIe siècle comme à notre époque, les auteurs s’adonnent à la poésie comme à une activité parmi d’autres, sans pouvoir en faire leur métier, ou même une source de revenus conséquents. Certes, Marot et Ronsard sont parvenus à se forger un statut de poète assez solide pour qu’on puisse avoir l’impression que faire des vers est pour eux l’équivalent d’un métier, à la fois au sens d’un art qui les occupe pleinement, les détournant des autres genres d’écriture, et au sens d’une activité rémunératrice, puisqu’elle leur permet d’obtenir, l’un, l’office de valet de chambre du roi, l’autre, d’importants bénéfices ecclésiastiques. Mais une pratique si constante de la poésie récompensée par la reconnaissance sociale est l’exception plutôt que la règle, et c’est bien ce statut exceptionnel qui fait de ces deux hommes les « princes » de la poésie de leur siècle. La même question s’est posée à Julien Goeury dans sa récente étude des « pasteurs poètes », deux étiquettes relativement « flottantes », et son choix a été de privilégier la production en vers et d’appliquer à tout versificateur le nom de « poète », tout en soulignant les écarts entre différentes pratiques et différents statuts sociaux57. En adoptant une démarche semblable, nous avons librement usé du nom de « poète », créant ainsi un semblant de communauté artistique entre les individus étudiés, mais avec le souci de faire apparaître la diversité des emplois et des positions sociales au sein de ce semblant de communauté. Il s’agissait surtout de marquer les nombreux cas où la justice s’intéresse à un auteur pour une activité qui n’est pas directement la poésie, fût‐elle une activité culturelle proche comme l’enseignement 56 Voir J.‐C. Monferran, L’École des Muses, loc. cit.
57 Voir J. Goeury, La Muse du consistoire. Une histoire des pasteurs poètes des origines de la Réforme
des lettres dans un collège humaniste, si l’on pense, par exemple, aux enquêtes menées par l’inquisition portugaise sur les années d’enseignement en France de l’Écossais George Buchanan58. C’est aussi ce que nous avons voulu suggérer par le choix de notre titre : la condition commune à ces individus est avant tout celle de justiciables, mais ils font chœur en chantant leurs « travaux » judiciaires, en traduisant ce vécu en poésie.
On comprend, à cette dernière remarque, que le problème majeur de notre étude est de déterminer dans quelle mesure les procès intentés à nos poètes ont porté vérita‐ blement sur leur poésie, et inversement, de quelle façon leur poésie a pu entrer en ligne de compte dans leurs procès. Notre réflexion en la matière avait en point de mire les travaux novateurs sur le procès de Théophile de Viau parus cette dernière décennie59. On trouve dans certains d’entre eux la catégorie de « procès littéraire » pour désigner une phase particulière de la procédure contre le libertin, où les juges, en particulier le procureur général du roi, Mathieu Molé, ont recherché dans son œuvre la preuve de son crime60. Pour ce faire, le magistrat s’est mué en commentateur ou en interprète de l’écriture théophilienne, sélectionnant des extraits de poèmes et de la Première journée pour illustrer la débauche et la doctrine impie du prévenu, lequel fut amené à répondre du sens de ces passages en interrogatoire. Une opération semblable a lieu dans le procès des Fleurs du mal, où le parquet se concentre sur l’identification des pièces les plus immorales dans le recueil – treize au départ dans la lettre de dénonciation du ministre de l’Intérieur, mais seulement six interdites à la publication, ce qui suffit à briser l’équilibre de la composition mise au point au point par le poète, qui espérait pour sa part qu’on le jugerait sur son dessein d’ensemble61. Dans cette phase, la procédure prend la forme d’un affrontement herméneutique au cours duquel l’accusateur et l’accusé cherchent à tirer
58 Voir The Trial of George Buchanan Before the Lisbon Inquisition, éd. J. Aitken, Édimbourg ; Londres, Oliver and Boyd, 1939 ; I. McFarlane, Buchanan, Londres, Duckworth, 1981, p. 131‐151.
59 Voir notamment S. Van Damme, L’Épreuve libertine. Morale, soupçon et pouvoirs dans la France
baroque, Paris, CNRS Éditions, 2008 ; H. Merlin‐Kajman, « “Depuis qu’il me souvient d’avoir vécu
parmi les hommes” : la division du sujet théophilien », Cahiers Textuel, n°32, Les Œuvres poétiques de
Théophile de Viau. « Écrire à la moderne », dir. P. Debailly et F. Dumora, novembre 2008, p. 21‐39 ;
M. Rosellini, « Écrire de sa prison : l’expérience de Théophile de Viau », Cahier du Centre de recherches
historiques, n°39, 2007, Écriture et prison au début de l’âge moderne, dir. J.‐P. Cavaillé, p. 17‐38.
60 Voir en particulier S. Van Damme, L’Épreuve libertine, op. cit., en particulier p. 24‐31 et 74‐80, et l’article précurseur de J. DeJean, « Une autobiographie en procès. L’affaire Théophile de Viau »,
Poétique, n°48, 1981, p. 431‐448.
61 Voir le « Dossier des Fleurs du mal » dans Baudelaire, Œuvres complètes, éd. C. Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliohèque de la Pléiade », 1975, t. I, p. 1166‐1224.
du texte une signification conforme à leur discours. La poésie se retrouve alors au centre de l’arène judiciaire et l’écrit apparaît comme un instrument du crime.
Mais on ne voit pas spontanément quel poète du XVIe siècle aurait pu connaître un tel « procès littéraire ». On pense bien sûr aux humanistes Louis Berquin et Étienne Dolet, qui ont connu le même sort tragique à cause de leur rôle éditorial actif dans les débats autour de la Réforme, tous deux exécutés par le feu pour le crime d’hérésie, l’un en 1529, l’autre en 1546. On connaît par ailleurs la poésie néo‐latine et française de Dolet. Mais peut‐on établir un lien entre cette poésie et les multiples procès de l’auteur ? En expliquant les raisons de la condamnation des deux hommes dans un texte intitulé « Les bûchers de l’humanisme », Michèle Clément a une phrase révélatrice :
Ce sont leurs travaux d’humanistes, leurs choix linguistiques qui les ont menés au bûcher : traductions de textes de Luther puis d’Érasme pour Berquin, couplées à quelques créations personnelles aux contours incertains, impression de livres inter‐ dits, traduction déviante d’un pseudo‐Platon pour Dolet, adossées à de nombreuses œuvres personnelles pour l’humaniste et aussi poète, tel que le comprendra finement Colletet en rangeant Dolet parmi ses « poètes français62 ». On voit que c’est avant tout en tant que traducteurs et éditeurs de livres sur la foi que les deux hommes ont été poursuivis. Dolet ne peut être nommé poète qu’en dernier lieu, et ce pour deux raisons contradictoires. D’abord parce que sa poésie n’est pas explicitement évoquée dans l’arrêt du Parlement qui le condamne pour « blasphemes et sedition et exposition de livres prohibez et dampnez63 ». Elle fait donc partie des « œuvres personnelles » qui ont pu influencer le regard de la justice, mais la portée exacte de cette influence reste à préciser. Pourtant, Dolet n’a pas déserté l’écriture poétique durant son dernier bras de fer avec la justice, au contraire, puisqu’il a adressé aux différentes autorités du royaume les épîtres en vers du Second Enfer, dont la réédi‐ tion en 2012 inclut le texte cité de Michèle Clément. Dolet a donc réagi en poète au dernier procès qui allait lui être fatal, et c’est l’autre raison de le nommer poète en fin d’énumération. C’est ici que se noue « l’intrigue » de notre recherche, dans le décalage entre une poésie qui ne semble pas représenter un matériau de premier ordre pour les juges occupés par la recherche de l’hérésie, et une poésie qui offre aux auteurs inculpés
62 M. Clément, « Les bûchers de l’humanisme », dans Dolet, Le Second Enfer. Autodafé d’un choix, éd. P. Turlais, Paris, Artulis, 2012, texte mis en ligne sur dolet.editionsartulis.fr, consulté le 12 octobre 2017. Voir G. Colletet, Vie d’Étienne Dolet, éd. M. Magnien d’après le ms. B.N., N.A.F. 3073, Genève, Droz, 1992.
63 A. N. X2A 98, f. 535 v°, arrêt du 2 août 1546, édité dans Documents d’archives sur Étienne Dolet,