Le commentaire de l’auteur face au commentaire du juge
1. L’importance de l’interrogatoire dans les procès pour infractions langagières
Le passage de l’examen de l’œuvre à l’interrogatoire de l’auteur est le geste princi‐ pal qui distingue le contrôle préalable de l’écrit et les phases plus avancées d’une procédure judiciaire proprement dite. C’est évidemment la recherche du degré de culpabilité de l’auteur, davantage qu’un souci de compréhension totale du texte, qui fonde ce recours à l’interrogatoire. Si les juges peuvent ordonner la destruction d’un livre sans avoir jamais consulté son auteur, ils doivent interroger celui‐ci pour décider si les pages scandaleuses qu’il a composées sont l’expression d’une attitude délibérément criminelle ou d’une nature dangereuse. À cet égard, on pourrait considérer que la démarche de questionner un auteur sur son texte est analogue à celle d’interroger un prévenu sur ses propos scandaleux : comme nous l’avons déjà suggéré, un juron blas‐ phématoire constitue un délit manifeste, mais toute personne qui jure n’est pas nécessai‐ rement un blasphémateur délibéré ou de caractère, les juges ne peuvent donc prononcer la peine sans interroger le prévenu sur la situation dans laquelle il a tenu de tels propos (pour tenir compte des circonstances atténuantes) ainsi que sur ses habitudes langa‐ gières et les opinions qui les sous‐tendent93. Dans la plupart des cas, l’examen sera donc centré sur le prévenu, mais pour autant il ne sera pas sans conséquences sur l’interprétation de ses propos ou de ses écrits94.
Cette focalisation du soupçon sur la personne délinquante faisait de l’interrogatoire du prévenu une étape importante des procès ouverts pour juger des infractions langagières. Les théologiens de la Sorbonne qui interviennent dans les premières phases des affaires d’hérésie ont l’habitude de convoquer les prédicateurs ou les imprimeurs audacieux pour les questionner et s’assurer qu’ils restent à disposition des
93 Voir O. Christin, « Sur la condamnation du blasphème (XVIe‐XVIIe siècles) », dans Revue d’histoire de
l’Église de France, t. 80, n°204, 1994, p. 43‐64, en particulier p. 49.
94 Voir C. Walravens‐Creff, « Insultes, blasphèmes ou hérésie ? Un procès à l’officialité épiscopale de Troyes en 1445 », Bibliothèque de l’école des chartes, t. 154, n°2, 1996, p. 485‐507, affaire dans laquelle la justice ecclésiastique se prononce sur des propos scandaleux tenus en public et un libelle diffamatoire affiché à la porte des églises : le juge menace, dans sa sentence, de requalifier la diffamation des prévenus envers leur évêque en crime d’hérésie, si ces derniers faisaient preuve de récidive ou d’obstination. Cette affaire illustre la façon dont les juges tissent un lien entre la parole et l’écrit dans le maniement des preuves de la subversion et prennent en compte l’attitude des inculpés dans la qualification de leur crime.
juges au cas où ils devraient être punis95. La justice séculière procède de la même façon à l’interrogatoire des suspects, ou à défaut, des témoins, si les auteurs présumés du crime sont introuvables : dans le cas des enquêtes menées sur des pièces de théâtre, les juges interrogent ainsi les acteurs, ou des spectateurs que leur statut social rend particulière‐ ment crédibles (clercs ou officiers de justice en priorité)96. Clément Marot a consacré toute la seconde moitié de son Enfer à la description acerbe de la confrontation entre juge et prisonnier97 : leur dialogue est biaisé par les questions piégées de l’enquêteur98 et par la présence d’un tiers de mauvaise foi, le greffier chargé de rédiger le procès‐verbal de l’interrogatoire, dont Marot dénonce la partialité à l’encontre du prévenu99. Le poète met
95 Voir la manière dont les théologiens s’alarment de l’absence du prévenu Claude Guillaud à l’audience où sont discutées les propositions tirées de ses écrits, fin juillet 1545 : « In eadem congrega‐
tione lecte sunt propositiones collecte ex libris magistri nostri Claudii Guillaud inscriptis Collationes in
epistolas Pauli et canonicas ; quarum lectura audita et relatione quorundam magistrorum nostrorum
qui aseuerarunt dictum Guillaud recessisse die sabbati nouissima insalutato hospite, matura omnium deliberatione censuit predicta facultas quod scriberetur ad eum non sic abeundum, cum promisisset se ad futurum pressenti congregationi ; et prouincia est commissa magistro nostro Stephano Ruffy, quod quantocius dictus Guillaud submissionem mitteret suam ; et quod interim porrigeretur libellus supplex supremo senatui, a quo supplicantur inhibitiones fieri Oudino Petit, librario jurato, ne uenderet predictos
libros a se impressos, multas propositiones falsas et hereticas continentes. – Dans cette même
assemblée ont été lues les propositions extraites des livres de notre maître Claude Guillaud intitulés
Comparaisons des épîtres de Paul et des épîtres canoniques ; après qu’on en a écouté la lecture, ainsi
que le rapport de certains de nos maîtres qui ont affirmé que ledit Guillaud est parti samedi dernier sans avoir salué son hôte, par une délibération rapide ladite faculté a jugé qu’on lui écrirait pour lui interdire de s’en aller ainsi, étant donné qu’il avait promis qu’il assisterait à la présente assemblée ; et mission a été donnée à notre maître Étienne Ruffy de faire en sorte que ledit Guillaud se soumette à lui au plus vite ; et que pendant ce temps on adresserait une requête au Parlement suprême, deman‐ dant qu’on interdise à Oudin Petit, libraire juré, de vendre lesdits livres par lui imprimés, qui contiennent de nombreuses propositions fausses et hérétiques » (Registre des conclusions de la
faculté…, op. cit., p. 325 ; sur l’affaire Guillaud, voir ibid., p. 322 note 109 : les poursuites à son encontre
dureront deux ans, de 1545 à 1547). La procédure d’interdiction de la mise en vente des livres semble précipitée par l’impossibilité d’agir directement sur leur auteur. À comparer au récit quasi‐burlesque fait par l’imprimeur royal Robert Estienne d’une de ses convocations devant la faculté au sujet de la parution de son édition du Nouveau Testament en grec (Les Censures des Theologiens, op. cit., f. 23 v°‐ 24 v°).
96 Voir K. Lavéant, « Les pièces polémiques de Tournai (1559) et Mouvaux (1563) » (V, 4), Un théâtre
des frontières, op. cit., p. 261‐278. À Mouvaux, les quatre témoins entendus sont deux prêtres, un
lieutenant du bailli et un clerc sacristain (ibid., p. 270‐271).
97 Marot, L’Enfer, dansŒuvres poétiques complètes, op. cit., t. II, p. 25‐33, v. 220‐488.
98 « Rhadamantus (Juge assis à son aise) / Plus enflammé, qu’une ardente fournaise / Les yeulx ouverts, les oreilles bien grandes, / Fier en parler, cauteleux en demandes » (ibid., p. 25, v. 221‐224, nous soulignons). On le voit, « l’ouverture » apparente du juge, dans le portrait qu’en fait Marot, n’est pas une ouverture au dialogue mais l’attitude d’un chasseur aux aguets, prêt à coincer sa proie.
99 « Le Griffon doncq’ en son Livre doubla / De mes propos ce que bon luy sembla » (ibid., p. 33, v. 481‐ 482). La version poétique de la déposition de Marot apparaît alors comme un nouveau « doubl[e] » des propos tenus devant le juge, une mise en forme concurrente de celle du document judiciaire. La dénonciation par le poète de la trahison du greffier rencontre le soupçon des historiens de notre époque à l’égard de la reformulation déformante que subit la parole des inculpés lorsqu’elle est
en scène sa longue réponse à la première question du juge sur son identité. Tout en préservant l’anonymat des autorités par le filtre de noms mythologiques, il rattache sa critique du système judiciaire à un référent bien précis en désignant l’espace du Châtelet dans les premiers vers de sa composition100. Le lecteur est donc encouragé à reconnaître dans la figure de Rhadamantus (le juge d’Enfer) le lieutenant criminel de Paris. Si l’interrogatoire est à n’en pas douter un moyen pour les autorités d’exercer une grande pression psychologique sur les prévenus – le tableau infernal peint par Marot révèle au lecteur la détresse des prisonniers interrogés, et parfois soumis à la question, la torture101 –, ces derniers peuvent cependant y trouver une occasion de se disculper en revenant sur les discours suspects qu’on leur attribue.
La plus simple manière pour un poète de revenir sur ses textes scandaleux reste le
mea culpa : sans chercher à justifier ses poèmes, le prévenu les renie au contraire comme
des discours injustifiés et condamnables, pour lesquels il demande pardon à celui qui est le détenteur de la justice suprême et qui peut le grâcier – son roi. L’interrogatoire du protestant Pierre Desgais (ou Desguez) en novembre 1584, relatée dans les mémoires de
consignée dans les archives judiciaires. Or, C. Ginzburg a pu démontrer, en étudiant les interroga‐ toires de divers procès en hérésie menés dans le Frioul de la fin du XVIe siècle, que si le savoir orienté des juges constitue bien un écran, cet écran a aussi ses failles qui laissent entrevoir les mots et les représentations des personnes interrogées. Si l’on s’efforce d’atteindre ces mots à travers leur retranscription, les archives des procès peuvent se révéler un conservatoire précieux des raisons de vivre des hommes du passé. Voir la prise de conscience, inaugurale dans l’œuvre de l’historien, de la coexistence dans les archives d’un procès inquisitorial d’un témoignage exceptionnel sur les rituels de fertilité des paysans frioulans et de son interprétation en termes de sorcellerie par les inquisiteurs, interprétation déformante, validée par des interrogatoires suggestifs, mais qui n’efface pas le témoi‐ gnage originel : Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIe siècles,
trad. G. Charuty, Paris, Flammarion, « Champs », 1984 [Turin, 1966], en particulier p. 6‐7 et 28‐29. Voir aussi les conséquences méthodologiques que C. Ginzburg tire de ce premier travail dans Le Fromage et
les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, trad. M. Aymard, Paris, Aubier, « Histoires », 1980 [Turin,
1976], p. 12‐15, et Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, trad. J.‐P. Bardos, Paris, Gallimard, Le Seuil, « Hautes Études », 2003 [Milan, 2000], p. 30‐34.
100 « Les passetemps, et consolations, / Que je reçoy par visitations / En la prison claire, et nette de Chartres, / Me font recors des tenebreuses chartres, / Du grand chagrin, et recueil ord, et laid / Que je trouvay dedans le Chastellet » (ibid., p. 19, v. 7‐12). Le poème se présente comme carcéral de part en part, écrit de prison sur la prison, mais le lieu de composition diffère du lieu raconté : resté aux arrêts dans une hôtellerie de Chartres sous la responsabilité de l’évêque de la ville qui a réclamé son transfert, Marot semble avoir bénéficié d’une détention vivable, respirable, qu’il choisit d’opposer ensuite, par un contraste entre lumière et obscurité qui introduit l’allégorie de l’Enfer, à l’incarcération étouffante dans les sous‐sols de la justice parisienne. Voir C. Mayer, La Religion de Marot, op. cit., p. 22.
101 Voir les derniers mots sur le face‐à‐face du juge et de « l’âme » du prévenu (on reste dans la fiction infernale, ce sont donc des âmes qui passent en jugement), qui précèdent la plainte émouvante du poète sur le sort des victimes de la torture : « …et par tourments s’efforce / A esprouver, s’elle dira par force / Ce, que doulceur n’a sceu d’elle tirer » (ibid., p. 27, v. 281‐283). L’interrogatoire, qu’il emprunte ou non les voies de la violence sur les corps, soumet les âmes à un forçage.
L’Estoile, suggère que la demande de pardon constitue un recours prévu dans les pratiques judiciaires de l’époque, une issue ouverte, à condition que l’inculpé veuille bien collaborer avec son accusateur. Poursuivi pour crime de lèse‐majesté en tant qu’auteur de poésie diffamatoire102, Desgais signe pour ainsi dire son arrêt de mort en refusant de se soumettre au roi Henri III et d’implorer sa clémence – nous citons l’anecdote dans son entier en soulignant des éléments clés : En ce mois de novembre, un gentilhomme du pays Chartrain, nommé Pierre Desgais, seingneur de Belleville, Huguenot, aagé de soixante‐dix ans, fut, par commandement du Roy, envoié prisonnier en la Bastille à Paris, pource qu’il avoit esté trouvé saisi de
quelques pasquils et vers diffamans Sa Majesté, et qu’il avoit, sur ce interrogé, re‐ congneu les avoir faits. Le Roy lui‐mesme le voulust ouïr, et lui demanda si la reli‐
gion, dont il faisoit profession, le dispensoit103 de mesdire de son Roy et de son prince ; et si lui ou autre de ceux de sa religion pouvoient prendre juste occasion de ce faire, pour quelque injure ou autre mauvais traittement qu’ils eussent receu de lui. A quoi ledit gentilhomme respondit que non. « Pourquoi donc, dit le Roy, et sur quel subject avez‐vous escrit ce que vous avez escrit, en mesdisant de moi, de moi, dis‐je, qui, outre ce que je suis vostre Roy, ne vous en ai jamais donné d’occasion ? » Alors le gentilhomme, se sentant pressé, au lieu de recongnoistre sa faute et en demander par‐
don à Sa Majesté, s’oublia tant, qu’il lui va respondre « qu’il s’estoit dispensé de ce
faire, sur le bruit tout commun, et que c’estoit la voix de tout le peuple. » Dequoi le Roy indigné dit : « Je sçai quelle est la voix de mon peuple ; c’est qu’on ne fait point de justice, principalement de telles gens que vous ; mais on vous la fera. » Et le ren‐ voiant à sa Cour de Parlement, lui enjoingnist de lui faire et parfaire son procès ; par l’arrest de laquelle, le premier jour de décembre, ensuivant, il fut mené, dans un tombereau, en Grève, et là pendu à une potence et estranglé, puis son corps avec ses libelles diffamatoires brûlé104.
Alors que le poète polémiste pensait justifier ses écrits en les fondant dans la masse des discours oraux inassignables (« le bruit tout commun, la voix de tout le peuple »), sans doute dans l’espoir d’engager avec le roi un débat général sur la politique du royaume, il ne fait que provoquer la colère de son interlocuteur, rajoutant une offense à celles contenues dans ses poèmes, au point de couper court à la discussion qui aurait pu le sauver en le réintégrant dans le corps des sujets obéissants. Son obstination, déjà perceptible dans son geste d’assumer la paternité des textes saisis, confirme que sa poésie est le produit d’un engagement radical et durable, alors qu’il aurait pu plaider l’égarement passager. En voulant montrer que ses vers découlent d’une « occasion » de
102 Sur cette diffamation envers les supérieurs, assimilée à la sédition, voir T. Debbagi Baranova, À
coups de libelles, op. cit., p. 51.
103 « Dispenser » a, en moyen français, le sens positif d’« autoriser à titre exceptionnel », voir le Thresor
de la langue françoyse de Nicot (1606) : « Dispenser, Legibus soluere. Dispenser aucun de pouvoir faire
en un jour ce que ne se pouvoit faire par les loix, Veniam alicuius diei dare. »
104 Pierre de L’Estoile, Mémoires‐Journaux, t. II : Journal du règne de Henri III, 1581‐1586, éd. G. Brunet
s’indigner, le prévenu se méprend sur les codes de la discussion judiciaire engagée avec le roi, et laisse passer l’occasion de sauver sa tête.
2. « Parolles problematiques » et problèmes de lecture
Mais la possibilité de se justifier se ressent surtout lorsque l’énoncé incriminé n’est pas transparent. La qualification des phrases suspectes relevant alors d’un choix entre plusieurs sens, le prévenu peut mettre en doute l’interprétation à charge, en jouant de l’opacité des « parolles problematiques », pour reprendre l’expression d’une archive normande105. Les accusés peuvent se disculper en affirmant qu’ils n’avaient pas cons‐ cience de la portée scandaleuse des textes qu’ils ont mis en lumière : c’est la défense habituelle des acteurs de théâtre poursuivis par la justice pour avoir représenté des pièces transgressives106. Certains prédicateurs interrogés par la faculté de théologie se défendent en deux temps, niant d’abord avoir tenu certains des propos qu’on leur reproche, puis se justifiant sur le reste de leurs déclarations, ce que les registres dési‐ gnent par l’expression « interprét[er] en bonne part » ou « en meilleure part107. » Cette
105 Le procès en diffamation au terme duquel apparaît cette expression agite le Parlement de Rouen en 1547, mettant les juges au défi d’apaiser les conflits entre hommes de loi tout en résolvant des questions d’interprétation du langage écrit et parlé : Jacques Sireulde, huissier au Parlement et poète composant pour la confrérie des Conards, est suspendu et condamné à une forte amende, avant d’être gracié par les lettres de rémission du roi, pour avoir composé un libelle diffamatoire, sans doute en vers, intitulé L’Asne ou l’asnon, contre la personne d’un conseiller au même Parlement nommé Luillier, puis récidivé en tenant des propos injurieux sur son compte. Sireulde conteste le sens injurieux qu’on attribue à ses paroles, et le procureur du roi relaie son plaidoyer : « [le procureur du roi] avoit bien trouvé qu’il [Sireulde] avoit dit qu’il pourroit encores bien avoir une robe rouge, mays par son examen avoit mescongneu l’avoir dit pour faire injure aud. sieur Luillier et ne l’entendoit dire sinon qu’il pourroit estre quelque fois premier huissier et, a ce moyen, avoir une robe rouge » (arrêt du Parlement de Normandie du 26 novembre 1547 entérinant les lettres de rémission de Sireulde, édité par M. Rousse, Le Théâtre des farces en France au Moyen Âge : La confrérie des Conards de Rouen,
textes de farces, documents d’archives, thèse d’État dir. C. Foulon, Université Rennes II, 1983, t. V,
p. 61). La plaisanterie suspecte est difficile à comprendre pour nous hors contexte, mais cette difficulté est le propre des énoncés ironiques ; or, la décision finale du Parlement interdit à Sireulde l’usage de ces « parolles problematiques » et de l’écriture diffamatoire (délibération du 28 novembre 1547, ibid., p. 62).
106 Sur les plaidoyers des membres des chambres de rhétorique accusés d’avoir joué une pièce exprimant les critiques religieuses des réformés, voir K. Lavéant, Un théâtre des frontières, op. cit., p. 268‐269. Mêmes réponses dans l’enquête sur une farce suspecte de contenir des attaques contre la politique concertée du roi de France et du duc de Bourgogne : les acteurs disent ne pas s’être aperçus de la portée polémique de la pièce qu’ils jouaient (M. Bouhaïk‐Gironès, « Le Procès des farceurs… », art. cité, p. 131‐134).
107 Voir chez C. Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum de nouis erroribus…, op. cit., t. II, p. 137‐138, à la date du 25 mai 1543, le résumé lapidaire des interrogatoires de Claude d’Espence et Martial Masurier : « deputantur quidam Doctores, ut scrutentur et examinent multa a M. Claudio Despences
locution récurrente montre bien que les participants de la scène judiciaire, juges et accusés confondus, doivent avoir conscience que le discours des hommes reste large‐ ment ambivalent, dès lors qu’il se laisse partager entre une bonne et une mauvaise part, l’une entraînant la compréhension et l’autre la condamnation108.
On pense à la réaction scandalisée de Panurge, dans le Tiers livre, aux dernières paroles mystérieuses du poète Raminagrobis dans son agonie, déclarant avoir chassé de chez lui « un tas de villaines, immondes et pestilentes bestes109 » qui l’empêchaient de mourir en paix. Panurge s’effraie de ce qu’il entend comme un aveu d’hérésie, une attaque anti‐monachique contre les ordres mendiants qui, selon la vision satirique, se pressent autour des mourants pour leur soutirer de l’argent. On se souvient de la remontrance d’Épistémon :
Et me scandalisez vous mesmes grandement, interpretant perversement des fratres Mendians, ce que le bon Poëte disoit des bestes noires, fauves, et aultres. Il ne l’entend (scelon mon jugement) en telle sophisticque et phantasticque allegorie. Il parle absolument et proprement des pusses, punaises, cirons, mousches, culices, et aultres telles bestes […]. Vous faictes mal aultrement expousant ses parolles. Et faic‐ tez tord au bon Poëte par detraction, et es dictz Fratres par imputation de tel mes‐ hain110. Le mourant se serait donc plaint des insectes et non des moines. La rectification fait sourire, parce qu’elle fait retomber le discours dans les préoccupations concrètes du