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Le précédent historique : le délit d’appartenance

Dans le document Crime contre l'humanité et terrorisme (Page 165-169)

Conclusion de la section

L A RÉPRESSION DE LA PRISE CONSCIENTE DE RISQUE

A. La théorie du dol éventuel

1. Le précédent historique : le délit d’appartenance

248. Les sources — À côté du complot qui avait surtout vocation à assurer la répression

des instigateurs du crime 640, les articles 9 et 10 ont donné lieu à une répression associant

l’intervention du Tribunal de Nuremberg et celle des juridictions nationales ou d’occupation compétentes. Ainsi, conformément à l’article 9, « lors d’un procès intenté contre tout membre d’un groupement ou d’une organisation quelconques », le Tribunal avait la possibilité de « déclarer que le groupement, ou l’organisation à laquelle il appartenait était une organisation criminelle ». Cette déclaration de criminalité du groupement ou de l’organisation qui avait « l’autorité définitive de la chose jugée » 641,

636 DESPORTES Frédéric et LE GUNEHEC Francis. Droit pénal général, op. cit, p. 435. 637 PRADEL Jean. Manuel de droit pénal général, op. cit., p. 468.

638 Au regard de la distinction entre les infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles,

les auteurs considèrent généralement le dol éventuel comme un dol, c’est-à-dire qu’il ne s’applique qu’aux infractions intentionnelles. Mais, il convient de souligner, qu’en réalité, le dol éventuel est « aux confins du dol et de la faute d’imprudence » (MERLE Roger VITU André. Traité de droit criminel.

1, Problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal général. 7e édition. Paris : Cujas, 1997, p 752,

n° 599.

639 DESPORTES Frédéric et LE GUNEHEC Francis. Droit pénal général, op. cit., p. 417. 640 Article 6 in fine du Statut du TMI de Nuremberg.

641 DONNEDIEU DE VABRES Henri. « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit

donnait « le droit de traduire tout individu devant les tribunaux nationaux, militaires ou d’occupation, en raison de son affiliation à ce groupement ou à cette organisation » 642.

249. Le fondement — Il réside dans la notion de complicité 643, mais il ne s’agit pas de la

complicité telle que l’appréhendent les codes pénaux 644. C’est d’une « complicité d’un

caractère particulier érigée en délit sui generis. Le membre « sachant » est puni pour avoir, par son appartenance, renforcé pour l’avenir le potentiel de son organisation » 645.

Cette conception du fondement de l’incrimination de délit d’appartenance repose essentiellement sur l’idée de danger social.

250. Le contenu du délit d’appartenance — Le délit d’appartenance créé par le Statut

du TMI de Nuremberg fut une réponse à la question, posée pour la première fois, au moment de la répression des crimes commis au cours de la Seconde Guerre mondiale, de la répression des individus qui, sans être personnellement coupables de crimes contre l’humanité ou bien, en plus d’être coupables de tels crimes, appartenaient aux groupements ou aux organisations qui furent les instigateurs 646 de la politique mise sur

pied par le régime nazi. Délit d’omission, le délit d’appartenance renvoie, pour certains auteurs, à celui commis par un individu qui, « ayant eu connaissance de l’activité criminelle de son groupement après son adhésion volontaire » 647, avait omis de s’en

retirer. D’autres auteurs, tout comme la jurisprudence, considèrent que « le délit d’appartenance, qu’il ait été réalisé par l’entrée dans l’organisation en connaissance du caractère criminel de cette dernière ou par le maintien de l’appartenance, après

642 Article 10 du Statut de Nuremberg.

643 La précision a été faite par la jurisprudence de l’Oberste Spruchgerichtshof, Cour suprême spéciale des

Spruchgerichte (littéralement, tribunaux de sentence), juridictions spéciales créées par l’ordonnance n° 69 du gouvernement militaire pour juger les délits d’appartenance dans la zone britannique. Soulignons que, si les éléments constitutifs du délit d’appartenance ont été dégagés par le TMI, ce sont, essentiellement, les juridictions spéciales de la zone britannique qui en ont assuré la mise en œuvre. La jurisprudence de Oberste Spruchgerichtshof constitue ainsi la principale référence en matière de délit d’appartenance. Voir MEYROWITZ Henri. La répression des crimes contre l’humanité par les

tribunaux allemands en application de la loi n° 10 du Conseil de contrôle allié, op. cit., n° 71, 72 et 277, p. 130,

131, 450 et 451.

644 En droit commun des infractions intentionnelles, l’imputation d’une infraction au complice

constitue le seul exemple du recours à la théorie du dol éventuel. Le dol éventuel est en effet suffisant pour faire supporter au complice toutes les circonstances aggravantes réelles et mixtes attachées à l’infraction principale punissable, dès lors qu’elles étaient prévisibles, quand bien même elles n’auraient pas été prévues entre les agents.

645 MEYROWITZ Henri. La répression des crimes contre l’humanité par les tribunaux allemands en application de la

loi n° 10 du Conseil de contrôle allié, op. cit., p. 465, n° 289.

646 Il est à noter que dans le chef d’accusation n° 1 devant le Tribunal de Nuremberg, il est fait la

distinction entre les organisateurs et les instigateurs (TRIBUNAL MILITAIRE INTERNATIONAL

(Nuremberg, Allemagne). Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international :

Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946 : texte officiel en langue française. Tome I, documents officiels,

op. cit., p. 30.

647 MEYROWITZ Henri. La répression des crimes contre l’humanité par les tribunaux allemands en application de la

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acquisition de cette connaissance, constitue un délit continu » 648. Réelle incrimination,

l’autonomie du délit d’appartenance dans le Statut du TMI de Nuremberg avait conduit à admettre qu’un individu puisse être poursuivi cumulativement sur le fondement dudit délit et d’un des crimes définis à l’article 6. La règle de cumul réel d’infractions énoncée par l’article 11 du Statut du TMI de Nuremberg apparaît alors comme le corollaire du principe de l’autonomie du délit d’appartenance énoncé par le même texte.

251. L’élément intentionnel du délit d’appartenance — Le délit d’appartenance offrait

la possibilité au TMI de Nuremberg de déclarer certains groupements et organisations criminels. Trois conditions dont les deux dernières se rapportent à l’élément intentionnel 649 étaient alors requises. En effet, le groupement ne pouvait être déclaré

criminel que si la généralité de ses membres était composée de volontaires et si, en outre, elle était consciente de l’activité criminelle de l’organisation. La seule appartenance formelle à un groupement ou à une organisation ne suffisait donc pas à établir le délit d’appartenance. L’élément intentionnel dudit délit requiert la connaissance par les membres de l’activité criminelle du groupement ou de l’organisation et la volonté des membres d’appartenir aux groupes criminels. C’est ainsi que le Tribunal exclut du « groupement déclaré criminel les personnes dont l’adhésion a été forcée et celles qui ne savaient pas que l’organisation servait à commettre les actes déclarés criminels par l’article 6 du statut » 650. Le Tribunal manifesta par là même « sa volonté que le délit

d’appartenance ne soit pas regardé comme un délit purement matériel, mais comme une infraction intentionnelle » 651.Toutefois, l’intention délictueuse ne requérait point que « le

membre eût approuvé les buts et les activités criminelles de son organisation, ni qu’il eût tendu à favoriser cette activité criminelle » 652. Une telle faiblesse de l’élément intentionnel

du délit d’appartenance conduit, inexorablement, à réprimer les comportements de prise de risque. Une telle répression est typique des criminalités collectives.

648 Ibid., p. 464, n° 288.

649 La première qui exige que l’activité extérieure du groupement ou de l’organisation se soit traduite

par la commission de l’un quelconque des crimes définis à l’article 6 du Statut du TMI de Nuremberg (crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité) se rapporte plutôt à la dimension matérielle de l’infraction. Par cette condition, le Tribunal exigeait donc que la criminalité d’un groupement soit réelle et non potentielle. (DONNEDIEU DE VABRES Henri. « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international », op. cit., p. 547et 548.

650 Extrait du jugement de Nuremberg cité dans DONNEDIEU DE VABRES Henri. « Le procès de

Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international », op. cit., p. 553.

651 DONNEDIEU DE VABRES Henri. « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit

pénal international », op. cit., p. 553.

652 Jurisprudence de l’Oberste Spruchgerichtshof, citée et soulignée par MEYROWITZ Henri. La répression

des crimes contre l’humanité par les tribunaux allemands en application de la loi n° 10 du Conseil de contrôle allié, op. cit., p. 459, n° 284.

252. L’influence du caractère collectif dans la construction de l’élément intentionnel — La construction de l’élément intentionnel du délit d’appartenance tient

compte du contexte collectif dans lequel est commis le comportement. Ceci d’autant plus qu’elle se contente d’exiger, de la part des auteurs du délit d’appartenance, la connaissance de l’activité criminelle du groupement ou de l’organisation et la volonté d’y participer mais, aucunement de s’approprier le but criminel du groupe et d’être animés de la volonté de commettre un crime contre l’humanité ou tout autre crime visé à l’article 6. Nous sommes là au cœur de la théorie du dol éventuel caractérisée par la prise consciente de risque.

253. La pratique du dol éventuel — Dans le cadre de la répression, les juridictions se

sont montrées rigoureuses dans l’appréciation des conditions requises surtout pour ce qui est de la preuve de la connaissance de l’activité criminelle du groupe 653. C’est ainsi

qu’elles ont refusé de présumer la connaissance de l’appartenance à un groupe dont le caractère criminel avait été établi par le TMI de Nuremberg.

254. La preuve de la connaissance de l’activité criminelle du groupement —

Cependant, face à la difficulté de prouver de manière certaine la connaissance, par le prévenu, du but de l’organisation à laquelle il appartenait, les juridictions ont été amenées à reconnaître la valeur probante de certains indices et à tolérer la pratique du raisonnement déductif. Aussi, la nature et la gravité des crimes perpétrés par les organisations les plus ostensibles comme les S.S, la Gestapo et le S.D, 654 ont-elles

amené les juridictions à battre en brèche la thèse de l’ignorance de la criminalité du groupement avancée par bon nombre d’accusés. Pour que la responsabilité individuelle de l’agent soit retenue, « il suffisait que le membre, d’après les éléments d’information dont il disposait, eût tenu pour possible que son organisation fût impliquée dans [les] crimes » 655.

255. La preuve de la volonté de participer au groupement — Une telle preuve

demande, quant à elle, d’établir au minimum que, sans avoir partagé le but criminel du groupement, le membre était indifférent à sa mise en œuvre. La difficulté d’apporter la preuve d’un tel état d’esprit a amené les juridictions à le déduire d’éléments négatifs

653 MEYROWITZ Henri. La répression des crimes contre l’humanité par les tribunaux allemands en application de la

loi n° 10 du Conseil de contrôle allié, op. cit., n° 282.

654 Parmi six organisations accusées par le ministère public, seules ces trois ont fait l’objet de

déclaration de criminalité. Les S.A., l’État-major, et le cabinet du Reich échappèrent, quant à eux, à la déclaration de criminalité pour des raisons diverses. Pour approfondir ce point, lire DONNEDIEU DE VABRES Henri. « Le procès de Nuremberg devant les principes modernes du droit pénal international », op. cit., p. 549 et suiv.

655 MEYROWITZ Henri. La répression des crimes contre l’humanité par les tribunaux allemands en application de la

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comme l’absence de contrainte et le fait d’être resté membre même si l’adhésion initiale avait été véritablement contrainte.

256. De manière générale, les juridictions ont apprécié très largement aussi bien la

connaissance de l’activité criminelle du groupement que la volonté d’adhérer des membres des organisations déclarées criminelles, ne considérant que les contraintes ou ignorances flagrantes, à telle enseigne qu’elles ont créé une situation presque équivalente à celle où la responsabilité est fondée sur la simple adhésion. Cette situation se rapproche de celle développée par les TPI dans le cadre du mode participatif que constitue l’entreprise criminelle commune.

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