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L ’exclusion des atteintes au patrimoine de l’humanité

Dans le document Crime contre l'humanité et terrorisme (Page 120-125)

Conclusion de la section

L A SPÉCIFICITÉ DU CRIME CONTRE L ’ HUMANITÉ

A. L ’exclusion des atteintes au patrimoine de l’humanité

161. Dans le but de protéger le patrimoine commun de l’humanité, lors de ses travaux

préparatoires, la CDI a pu proposer que les atteintes à l’environnement et aux biens culturels de l’humanité soient considérées comme des crimes contre l’humanité (1). Divers raisons empêchent cependant que ce puisse être le cas (2).

1. Les travaux de la CDI

162. Nous reviendrons tour à tour sur les propositions que la CDI a faites afin que les

atteintes à l’environnement (a) et aux biens culturels de l’humanité (b) soient considérées comme des crimes contre l’humanité.

a. Quant au patrimoine environnemental de l’humanité

163. D’une atteinte grave à une obligation internationale… — Pendant ses travaux,

la CDI s’est penchée sur la question de la prohibition de l’atteinte grave à

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l’environnement sous différents vocables 483. La difficulté qui restait à résoudre était

celle de la qualification juridique appropriée d’une telle atteinte. S’est alors posée la question de savoir s’il fallait l’inclure dans une notion existante ou en créer une nouvelle. Devant la difficulté à créer une nouvelle notion, la CDI opta pour la première hypothèse. C’est ainsi qu’elle proposa d’inclure parmi les crimes contre l’humanité « toute atteinte grave à une obligation internationale d’importance essentielle pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement humain » 484.

164. …À une atteinte grave à l’environnement humain — Par la suite, la CDI décida

d’incriminer comme un crime contre l’humanité « toute atteinte grave et intentionnelle à […] l’environnement humain » 485. La Commission insista sur ce choix en précisant que

« l’inclusion des atteintes graves à l’environnement parmi les crimes contre l’humanité a été favorablement accueillie par la Commission » 486. Certains membres ont pu suggérer

d’introduire dans le Code « la notion de crime écologique qui serait consacrée comme une catégorie particulière de crimes contre l’humanité » 487. Le choix de la notion de

crime contre l’humanité trouve sa justification dans le préjudice que subit l’humanité toute entière.

165. …En passant par des crimes dépourvus d’intention — La proposition de la CDI

d’utiliser le crime contre l’humanité reflète sa volonté de protéger un bien d’intérêt vital pour l’humanité. Cette volonté ressort de sa proposition d’incriminer même l’atteinte grave à l’environnement « indépendamment de l’existence de l’élément d’intention au moment de [la] commission » 488. Si l’on s’en tient à ce texte qui est d’ailleurs

contradictoire avec la proposition faite par la même institution supra d’incriminer « toute atteinte grave et intentionnelle à […] l’environnement humain » 489, les atteintes à

l’environnement, même involontaires, deviendraient alors des crimes contre l’humanité et, par voie de conséquence, certains de ces crimes seraient dépourvus de l’intention de nuire qui caractérise les crimes de manière générale, à plus forte raison les crimes contre l’humanité. La notion viserait ainsi, non plus une intention, mais un résultat, un dommage. Il en va différemment de la proposition de la CDI quant à l’inclusion de l’atteinte aux biens culturels de l’humanité dans la notion de crime contre l’humanité.

483 Sont ainsi apparues les expressions « crime écologique » par référence à la sécurité internationale et

plus précisément à la sécurité écologique (ACDI, 1989, vol. II, 2e partie, p. 71, § 201) ; « crime

contre l’environnement » (ibid., § 204).

484 ACDI, 1986, vol. II, 2e partie, p. 48, § 95.

485 ACDI, 1989, vol. II, 2e partie, p. 71, § 199.

486 Ibid., § 200. 487 Ibid., § 201.

488 ACDI, 1989, vol. II, 2e partie, p. 71, § 202.

b. Quant au patrimoine culturel de l’humanité

166. Dès 1950, la CDI faisait appel au droit international pénal pour assurer la protection,

parmi les biens de l’humanité, de son patrimoine culturel. Dans ses travaux ultérieurs, une qualification de la division tripartite 490 devait assurer une telle protection et la

notion de crime contre l’humanité fut privilégiée. Aussi, a-t-elle pu soutenir que « la destruction de la culture humaine » 491 pouvait faire l’objet de cette protection si on

étendait le sens du terme humanité au patrimoine de l’humanité et si on la considérait comme un acte inhumain.

167. L’instrumentalisation du terme d’humanité — Lors de ses travaux en 1986, la

CDI avait pu soutenir que le mot « humanité » pouvait avoir trois acceptions différentes parmi lesquelles « celle de culture par référence à l’humanisme » 492. Profitant de la

notion d’humanité protégée par l’incrimination, la CDI a alors proposé d’inclure l’atteinte aux biens culturels dans la notion de crime contre l’humanité. Il s’agit là d’une volonté d’instrumentaliser la notion de crime contre l’humanité du fait même du terme d’humanité qu’il comporte. Un tel raisonnement est le même dont procède la proposition faite par certains précurseurs de l’inclusion de la notion de terrorisme dans celle de crime contre l’humanité. Le chef « autres actes inhumains » est souvent instrumentalisé à cet effet.

168. L’instrumentalisation du chef d’« autres actes inhumains » — Après avoir

reconnu que les « instruments existants relatifs aux crimes contre l’humanité ne visaient pas spécifiquement les atteintes de ce type » 493, certains membres proposèrent que

l’alinéa relatif aux « actes inhumains » dans la notion soit étendu de manière à mentionner « expressément la protection du patrimoine culturel de l’humanité et à réprimer les atteintes aux monuments d’intérêt historique, architectural, artistique ou archéologique » 494.

169. La proposition de la CDI ayant trait aux atteintes aux biens culturels de l’humanité,

au même titre que celle portant sur l’inclusion des atteintes à l’environnement dans la notion de crime contre l’humanité, méritent quelques remarques.

490 C’est-à-dire le trio formé par les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre

l’humanité.

491 ACDI, 1986, vol. II, 2e partie, p. 46, § 83.

492 ACDI, 1986, vol. II, 2e partie, p. 46, § 83. Allant jusqu’au bout de son raisonnement, la CDI a

affirmé que « la destruction de la culture humaine, la cruauté envers l’existence, l’avilissement de la dignité humaine, constituaient divers aspects d’un même crime : le crime contre l’humanité » (ibid.).

493 ACDI, 1989, vol. II, 2e partie, p. 69, § 187.

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2. Des valeurs ne pouvant être protégées par l’incrimination de crime

contre l’humanité

170. L’atteinte aux biens de l’humanité n’est pas discriminatoire — Il n’y a pas de

doute que l’environnement constitue un bien vital pour l’humanité et qu’une atteinte grave à ce dernier nuit à son patrimoine, à la sécurité écologique, à la santé et à la survie des populations. De la même manière, « l’intérêt historique, architectural, artistique ou archéologique » 495 des biens culturels pour l’humanité n’est pas à occulter. Certes, le

préjudice que subirait l’humanité du fait d’éventuelles atteintes à ces biens serait important. Mais, il ne faut pas perdre de vue le fait que la notion consacrée à Nuremberg a pour but de réprimer les situations qui atteignent un individu sur le fondement de son appartenance à un groupe. Il s’agit des situations discriminatoires à la base, celles-ci visant l’exclusion de certains individus de la collectivité humaine sous le prétexte de leur race, religion, opinions politiques, etc. Or, une telle intention n’existe pas dans l’atteinte à l’environnement, pas plus que dans l’atteinte aux biens culturels de l’humanité. Il serait donc dénaturant de rattacher ces deux catégories d’infractions à la notion, celle-ci étant définie essentiellement par l’intention discriminatoire qui la caractérise et par la valeur qu’elle entend protéger, à savoir la personne humaine.

171. Un faux-semblant — Par ailleurs, la notion de crime contre l’humanité se veut

philosophique. Si elle a pour but de protéger l’intégrité de l’humanité et l’humanité en l’homme, elle n’a pas vocation à protéger le patrimoine de l’humanité. À notre avis, le raisonnement qui consiste à expliquer l’assimilation du crime contre l’environnement au crime contre l’humanité par « le rattachement de l’environnement naturel à la notion de patrimoine commun de l’humanité déjà présente en droit international » 496 est un faux-

semblant. Il est à noter que, si l’environnement relève du patrimoine commun de l’humanité, il n’en va pas de même des valeurs qu’est censée protéger l’incrimination de crime contre l’humanité. En effet, l’incrimination est censée protéger la personne humaine et toutes les valeurs y afférentes. Une telle protection ne saurait se mêler dans un tout confus avec celle d’un bien quelconque, quel que soit son caractère patrimonial spécifique ; en témoigne la classification des infractions retenue par la plupart des codes pénaux 497.

172. Une protection déjà existante — S’il s’agit en revanche de protéger les populations

civiles contre les conséquences des atteintes à l’environnement, il y a lieu de relever,

495 ACDI, 1989, vol. II, 2e partie, p. 70, § 196.

496 NEYRET Laurent. « La transformation du crime contre l’humanité », op. cit., p. 100.

497 À titre d’illustration, dans le Code pénal français, les « crimes et délits contre les personnes » dont

font partie les « crimes contre l’humanité » sont incriminés dans un livre (livre II de la partie législative) distinct de celui qui incrimine les « crimes et délits contre les biens » (livre III de la partie législative).

d’une part, que celles-ci sont déjà qualifiables de crimes contre l’humanité sous certains chefs d’incrimination nommés à l’instar des « persécutions », du « génocide » ou des « autres actes inhumains », lorsqu’elles s’inscrivent dans une politique discriminatoire ; d’autre part, l’atteinte grave à l’environnement afin de nuire aux populations civiles dans un conflit armé constitue une infraction grave au droit des conflits armés qualifiable de crimes de guerre 498. L’atteinte à l’environnement utilisée comme arme dans un contexte

spécifique est donc déjà sanctionnée.

De même, l’atteinte aux biens culturels de l’humanité est déjà sanctionnée par le droit des conflits armés. Aussi, les parties contractantes à la Convention de la Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, « guidées par les principes concernant la protection des biens culturels en cas de conflit armé établis dans les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 et dans le Pacte de Washington du 15 avril 1935 » 499, prévoyaient des sanctions pénales, et ce même en « temps de paix » 500

pour l’atteinte aux biens culturels.

Les biens culturels de l’humanité définis de manière large par l’article 1er de la Convention de la Haye de 1954 501 trouvent ainsi une protection même en temps de

paix. L’argument qui consisterait alors à instrumentaliser l’incrimination de crimes contre l’humanité pour la protection desdits biens en ce que celle-ci ne s’applique qu’en temps de paix ne serait donc pas fondée. Par ailleurs, le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève considère comme infraction grave au droit des conflits armés « le fait de diriger des attaques contre les monuments historiques, les œuvres d’art ou les lieux de culte clairement reconnus qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples » 502.

498 Voir notamment l’article 35-3 du Protocole additionnel I qui dispose : « Il est interdit d’utiliser des

méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ». Lire également l’article 55 du même texte.

499 Préambule de la Convention.

500 Préambule de la Convention. Nous soulignons.

501 Rentrent dans la liste « a. Les biens, meubles ou immeubles, qui présentent une grande importance

pour le patrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de constructions qui, en tant que tels, présentent un intérêt historique ou artistique, les œuvres d’art, les manuscrits, livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques et les collections importantes de livres, d’archives ou de reproductions des biens définis ci-dessus ; b. Les édifices dont la destination principale et effective est de conserver ou d’exposer les biens culturels meubles définis à l’alinéa a, tels que les musées, les grandes bibliothèques, les dépôts d’archives, ainsi que les refuges destinés à abriter, en cas de conflit armé, les biens culturels meubles définis à l’alinéa a ; c. Les centres comprenant un nombre considérable de biens culturels qui sont définis aux alinéas a et b, dits "centres monumentaux" ».

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173. Proposition de création de catégories autonomes — Si l’absence de l’atteinte à

l’environnement dans les textes répressifs récents est regrettable pour les dommages causés à l’environnement en temps de paix, il est tout de même satisfaisant que la qualification de crime contre l’humanité n’ait plus été envisagée 503, car une telle

extension lui ferait perdre sa spécificité. À l’exemple du droit communautaire européen, il serait plutôt judicieux que le droit à vocation universelle crée une incrimination autonome d’atteinte grave à l’environnement. Ceci donnerait également toute son importance à la valeur environnement. La CDI avait d’ailleurs donné le ton en proposant la création d’une notion spécifique de « dommages délibérés et graves à l’environnement » 504. Il est regrettable qu’elle n’ait pas été suivie en cela par les

rédacteurs des textes récents 505. De même, tel qu’a pu le suggérer un membre de la

CDI, « l’atteinte grave aux biens culturels aurait mieux sa place […] dans un article distinct » 506. Toutefois, il convient de souligner que l’atteinte à certains biens individuels

peut, sous certaines conditions, tomber sous le coup de l’incrimination de crime contre l’humanité.

B. L’atteinte à certains biens privés pouvant être constitutive de

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