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L ’intention terroriste allégée dans la jurisprudence française

Dans le document Crime contre l'humanité et terrorisme (Page 181-186)

Conclusion de la section

L A RÉPRESSION DE LA PRISE CONSCIENTE DE RISQUE

B. L ’intention terroriste allégée dans la jurisprudence française

La jurisprudence n’a pas une théorie de l’intention, elle a une politique criminelle de l’intention. 695

282. La jurisprudence interprète, quoiqu’implicitement, la référence à l’entreprise dans

l’article 421-1 du Code pénal comme étant assimilable à une organisation criminelle qui prend la forme d’une association de malfaiteurs réunis dans le but de préparer les infractions terroristes 696. La jurisprudence interprète donc l’acte de participation quant à

l’élément matériel de l’infraction terroriste. Il faut toutefois préciser que, dans le cadre des articles 421-1 et 421-2 du Code pénal, la simple participation ne suffit pas 697. En

revanche, dans le cadre de la participation à une association de terroristes, un simple acte de participation suffit pour établir la culpabilité. La jurisprudence subordonne, qu’elle que soit l’infraction terroriste en cause 698, la culpabilité terroriste à

l’établissement connexe d’une association de terroristes, suivant en cela la méthode de qualification qu’elle a développée en application de l’article 421-1 du Code pénal 699.

283. L’adhésion morale à un projet collectif — La conception de l’acte de terrorisme

comme un acte de participation à un groupement terroriste n’est pas sans effet sur l’élément moral des infractions terroristes. Dès lors que la jurisprudence conçoit la criminalité terroriste comme une criminalité collective, la consommation d’une infraction terroriste est subordonnée à la volonté d’adhérer à un projet criminel, et non à une volonté individuelle de provoquer la terreur. L’exigence d’une adhésion à un projet criminel, en termes d’élément moral de l’infraction, se traduit théoriquement par la double exigence de la connaissance du projet terroriste et de volonté d’y participer. Il s’agit de ce qu’une partie de la doctrine 700 qualifie de « dol général participatif » 701 (1).

Cependant, la pratique jurisprudentielle du dol général participatif s’écarte quelquefois de ces exigences, l’intention terroriste étant déduite de l’appartenance de l’individu au groupement terroriste dans ces cas-là (2).

695 MERCADAL Barthélémy. « Recherches sur l’intention en droit pénal ». RSC, 1967, n° 1, p. 7.

696 Pour approfondir ce point, lire ALIX Julie. Terrorisme et droit pénal : Étude critique des incriminations

terroristes, op. cit., p. 235 et suiv.

697 Encore faut-il la matérialité d’une infraction de droit commun (article 421-1) ou alors un acte de

terrorisme écologique (article 421-2).

698 Y compris le délit de financement du terrorisme pour lequel le texte ne requiert pas qu’il soit

commis en relation avec une entreprise terroriste.

699 Pour approfondir ce point, lire ALIX Julie. Terrorisme et droit pénal : Étude critique des incriminations

terroristes, op. cit., p. 235 et suiv.

700 ALIX Julie notamment (Terrorisme et droit pénal : Étude critique des incriminations terroristes, op. cit.,

p. 297 s).

1. La théorie du dol général participatif

284. Une intentionnalité duale — À chacune des composantes matérielles de

l’infraction terroriste, correspond une connaissance et une volonté, respectivement, de commettre l’acte et de l’inscrire dans le contexte terroriste. C’est la théorie de dol général participatif. La notion de dol général participatif, pour évoquer l’élément intentionnel des membres d’une infraction collective, est à rapprocher de celle de « consentement participatif » 702. Caractériser l’intention qui sous-tend le dol général

participatif suppose d’établir, outre l’intention de commettre le comportement individuel, l’intention d’inscrire ce comportement dans un contexte terroriste. Notons 703 que, malgré cette dualité de la preuve requise, le dol général participatif n’est

rien d’autre qu’une application du principe d’intentionnalité des crimes aux criminalités collectives. Il constitue l’élément qui permet de rattacher, du point de vue de l’intention criminelle, l’acte commis à un contexte criminel, et en l’absence duquel le comportement de l’agent ne saurait recevoir la qualification terroriste. La pratique du dol général participatif s’éloigne de cette théorie.

2. La pratique du dol général participatif : la preuve de l’intention terroriste

285. La Méthode : les présomptions — « La faute dans son aspect matériel (actus reus) et

moral (mens rea) est en effet le fondement classique de la répression pénale » 704. La faute

peut être intentionnelle (le dolus) ou non intentionnelle (la culpa). Conformément à l’article 121-3 du Code pénal, pour être punissables, les crimes et les délits supposent la preuve d’une faute intentionnelle ou, lorsque la loi le prévoit, non intentionnelle 705.

Cependant, la culpabilité n’étant pas d’une caractérisation aisée, en matière d’intention, la jurisprudence a assoupli la preuve de la faute en se contentant souvent d’une présomption 706. Une telle pratique jurisprudentielle est tellement répandue dans le

domaine du terrorisme que l’intention terroriste est déduite, d’une part, de la

702 PIN Xavier. Le consentement en matière pénale. Paris : LGDJ, 2002, p. 316 et suiv. L’auteur l’utilise pour

évoquer le consentement à l’infraction des membres d’une « infraction en participation », c’est-à-dire une infraction commune commise par tous les participants. L’auteur précise que l’infraction en participation peut revêtir des formes très variées, allant de la simple adhésion d’un participant à l’entreprise criminelle d’un autre (même à son insu), à la conclusion d’un véritable pacte criminel (p. 307).

703 À la suite d’Alix Julie.

704 PIN Xavier. Droit pénal général, op. cit., p. 19. C’est l’auteur qui souligne.

705 À contrario, dans le cadre de la répression des contraventions, la preuve de l’intention n’est pas

toujours requise.

706 Voir à titre d’illustration Crim., 25 mai 1994, Bull. crim. n° 203 : « la seule constatation de la violation

en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1 du Code pénal ». Sur la même lancée, voir Crim., 27 mai 2003, inédit, n° 02-84425 ; Crim., 14 janvier 2004, Bull. crim., n° 11 ; Crim., 28 juin 2005, bull. crim., n° 196.

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commission matérielle par l’accusé et, d’autre part, de l’établissement de sa commission en relation avec une entreprise terroriste 707.

286. L’objet de la preuve : l’intention de participer à une association de terroristes — L’intention de commettre une infraction en relation avec une entreprise

terroriste est textuellement assimilée par la jurisprudence à l’intention de participer à une association de terroristes. Une telle assimilation est le corollaire de l’assimilation de l’entreprise terroriste à une association de terroristes. Celle-ci est aussi bien théorique que pratique. Les juridictions de fond, soutenues par la Cour de cassation, pour caractériser la relation de participation terroriste, transposent la jurisprudence élaborée en matière de preuve de participation intentionnelle à une association de malfaiteurs. La caractérisation de l’intention de participer à une association de malfaiteurs constitue un exemple typique de la tendance jurisprudentielle à déduire l’intention des faits. L’acte de participation constitutif de l’élément matériel du délit d’association de malfaiteurs étant préparatoire et donc par hypothèse ambigu 708, la difficulté à laquelle se heurte cette

jurisprudence en la matière tient alors à la nature de l’acte à même de révéler l’intention participative. Lorsque les juridictions ne trouvent pas dans l’acte la preuve de l’intention, loin de conclure à l’absence d’intention, elles ne tergiversent pas à chercher cette preuve dans la « permanence » 709 du lien de participation. De cette permanence — situation de

fait —, est déduite la connaissance du but de l’entente et, de cette connaissance, est présumée 710 la volonté. Cette démarche élaborée par la jurisprudence pour caractériser

l’intention participative de l’association de malfaiteurs trouve son application en matière terroriste.

287. L’appartenance à un groupe terroriste et présomptions d’intention terroriste — Comme souligné précédemment 711, c’est de la participation à une

association de malfaiteurs qu’est déduite la commission d’une infraction « en relation avec une entreprise terroriste ». La caractérisation d’une participation à une association de terroristes, loin d’établir la seule participation matérielle à une entreprise terroriste, permet d’imputer à son auteur l’intention de contribuer à une activité terroriste. La

707 Pour approfondir ce point, lire ALIX Julie. Terrorisme et droit pénal : Étude critique des incriminations

terroristes, op. cit., p. 299 et 301.

708 Sauf lorsqu’il constitue un délit autonome, à l’instar du transport d’armes, du recel, etc.

709 GIUDICELLI-DELAGE Geneviève. « La riposte pénale contre la criminalité organisée en droit

français ». In Manacorda Stefano (dir.). L’infraction d’organisation criminelle en Europe : Allemagne,

Espagne, France, Italie, Union européenne. Paris : Puf, 2002, p. 144.

710 Aux termes de l’article 1349 du Code civil français, « les présomptions sont des conséquences que la

loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». La présomption qui part d’un fait pour arriver à un autre fait « procède à la fois de l’induction et de la déduction ». (MERLE Philippe. Les

présomptions en droit pénal. Paris : LGDJ, 1970, p. 3.

preuve de la participation matérielle à l’entreprise constitue ainsi la clé de voûte de la qualification terroriste. Bien souvent, la jurisprudence juge qu’est punissable la participation à une association de terroristes dès lors qu’est établie l’appartenance de l’individu poursuivi à un groupement reconnu comme terroriste ; l’appartenance elle- même étant quelquefois déduite d’une relation de proximité avec les membres connus du groupement.

288. Champ d’application de la présomption — L’intention d’inscrire l’acte dans un

contexte terroriste se déduit quelquefois facilement de la revendication de l’acte par un groupement auquel appartient l’agent, ou encore de la nature fondamentalement terroriste de l’infraction commise, à l’instar de l’infraction contre les personnes ou biens commise dans le cadre d’un attentat à l’explosif. L’imputation des responsabilités dans le cadre d’une action collective étant source de difficultés, lorsqu’apparaissent les problèmes liés à la preuve de la participation et de l’intention, la démarche adoptée par la jurisprudence pour établir la culpabilité terroriste trouve toute son utilité. Elle permet d’escamoter les difficultés intrinsèques à la nature collective de l’infraction et qui constituent un obstacle à l’efficacité de la répression quand le rôle de chacun n’est pas nettement identifié.

Lorsque les poursuites sont exercées sur le seul fondement de la participation à une association de terroristes, la participation est le plus souvent déduite d’un faisceau d’indices qui, pris séparément, sont très peu significatifs. Le seuil minimal de la participation punissable est alors très faible. Il réside parfois essentiellement dans la fréquentation d’individus connus pour leur appartenance à un groupe terroriste, quelquefois associée aux antécédents du prévenu. Dans tous les cas, pour la jurisprudence française, le faisceau d’indices constitue le fondement de la qualification, aussi bien de la participation matérielle, que de la participation intentionnelle au groupement, et donc de la répression.

289. Le rôle moteur de l’appartenance à un groupement terroriste — La pratique

jurisprudentielle française en matière terroriste fait de l’appartenance à un groupement terroriste la pierre angulaire du système de répression. C’est l’appartenance à un groupement terroriste qui justifie la qualification terroriste et constitue l’élément déclencheur du régime répressif antiterroriste, quand bien même elle ne suffit pas à la répression dans le cadre des infractions dérivées de droit commun commises dans un contexte terroriste. La jurisprudence française situe la source de la dangerosité dans la nature collective de la criminalité et non dans son but subversif, elle réécrit alors une des spécificités du terrorisme. Dans cette conception jurisprudentielle, l’intention n’est pas retenue comme un élément spécifique du terrorisme, mais comme la conséquence de la nature collective de la criminalité terroriste. L’intention est ici au service d’une structure

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infractionnelle spéciale. Sur cette lancée, elle est réduite à une intention d’adhésion et présumée, pour ainsi dire, à partir de l’appartenance à un groupement.

Conclusion de la section I

290. La répression du risque emprunte une voie dérogatoire, aussi bien en droit

international pour ce qui est de la criminalité liée au crime contre l’humanité qu’en droit interne pour ce qui est de la criminalité terroriste. Une telle répression trouve son fondement dans le caractère collectif des deux criminalités qui ne sauraient être effectives sans la multiplicité des actes de participation qui y concourent.

S

ECTION

II.

Dans le document Crime contre l'humanité et terrorisme (Page 181-186)

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