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L’entreprise criminelle commune devant les TP

Dans le document Crime contre l'humanité et terrorisme (Page 169-173)

Conclusion de la section

L A RÉPRESSION DE LA PRISE CONSCIENTE DE RISQUE

A. La théorie du dol éventuel

2. L’entreprise criminelle commune devant les TP

257. L’origine du concept — Faisant suite à la proposition faite par la jurisprudence dès

la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans le cadre de l’interprétation des articles 7-1 du Statut du TPIY et 6-1 du Statut du TPIR identiques 656, les deux juridictions

internationales ont développé une conception commune et nouvelle de la responsabilité pénale individuelle, fondée sur le concept d’« entreprise criminelle commune » 657.

L’entreprise criminelle commune, à la différence du délit d’appartenance et à l’instar du complot défini par le Statut du TMI de Nuremberg 658, n’est pas une incrimination, mais

un mode participatif. En effet, les statuts des TPI contiennent une conception large de la participation criminelle. Une telle conception qui se manifeste par la multiplicité des modes participatifs appréhendés par les articles 7-1 et 6-1 précités 659, a été un élément

propice sur la base duquel s’est développé le concept d’entreprise criminelle commune.

656 « Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et

encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime [visé aux articles précédents] est individuellement responsable dudit crime ».

657 Appelé « joint criminal enterprise » ou « common criminal purpose » dans les décisions en langue

anglaise. Pour constater que la répression de la participation à une entreprise criminelle commune relève du droit international coutumier, le TPIY souligne que cette responsabilité est consacrée, non seulement dans la jurisprudence du TMI de Nuremberg, mais aussi dans la Convention internationale de 1997 pour la répression des attentats terroristes à l’explosif. Elle renvoie notamment à l’article 2-3c qui dispose : « commet également une infraction quiconque contribue […] à la commission de l’une ou plusieurs des infractions […] par un groupe de personnes agissant de concert ; sa contribution doit être délibérée et faite soit pour faciliter l’activité criminelle générale du groupe ou en servir les buts, soit en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre l’infraction ou les infractions visées ».

658 L’article 6 in fine précise que tous les participants qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution

d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes définis par le Statut, y compris le crime contre l’humanité, sont responsables de « tous les actes accomplis par toutes

personnes ». Pour aller plus loin sur le complot, lire JUROVICS Yann. Réflexions sur la spécificité du crime

contre l’humanité, op. cit., p. 433 et suiv. Notons que le complot est une infraction politique destinée à

réprimer la résolution d’agir en vue de la commission d’atteintes à la sûreté de l’État.

659 Nous énumérerons ces modes participatifs dans la deuxième section du présent chapitre réservée à

258. L’arrêt fondateur du concept — Il s’agit d’un arrêt de la Chambre d’appel du TPIY

dans l’affaire Tadic. Le tribunal soutient en substance qu’« une interprétation du Statut sur la base de son objet et de son but mène à la conclusion qu’il vise à étendre la compétence du Tribunal à toutes les "personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire" commises en ex-Yougoslavie » 660. Le tribunal conclut

que « toutes les personnes impliquées dans des violations graves du droit international humanitaire doivent être traduites en justice, quelle que soit la manière dont elles ont commis ces violations ou y ont participé » 661. À la lumière des condamnations

prononcées par le TMI de Nuremberg, le TPIY estime que la responsabilité pour participation à un dessein criminel commun est consacrée par le droit international coutumier 662, et que son fondement réside dans la nature essentiellement collective des

crimes commis 663.

259. L’influence de la nature collective du crime contre l’humanité sur la naissance du concept — La reconnaissance de la responsabilité du participant, sur le fondement

de la participation à une entreprise criminelle commune, est directement influencée par cette nature collective. En effet, « on parle d’entreprise criminelle commune lorsque l’entente ou l’arrangement intervenu entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre un crime est assimilable à un accord. Il n’est pas nécessaire que cette entente (ou arrangement) soit exprès, et son existence peut s’inférer de l’ensemble des circonstances qui l’entourent. Il n’est pas indispensable qu’elle soit antérieure au crime » 664.

Le principe d’individualité des poursuites justifie certes que chacun ne réponde que de ses actes. Mais, le crime contre l’humanité étant commis de manière collective, sa répression, sans remettre en cause ce principe, doit nécessairement aller au-delà de la poursuite de celui qui aura effectivement perpétré l’acte. Des individus sont alors poursuivis, non pas pour la matérialité propre de leurs actes répréhensibles, mais pour leur contribution et leur adhésion au projet criminel. Chaque accusé n’est donc pas poursuivi parce qu’il aura commis l’un quelconque des actes inhumains mais il est « tenu pour pénalement responsable des crimes commis par d’autres, au motif qu’il a ordonné,

660 Affaire n° IT-94-1, Tadic, arrêt du 15 juillet 1999, § 189. Les juges renvoient à l’article premier du

Statut à ce propos. Ce sont eux qui soulignent.

661 Ibid., § 220. 662 Ibid., § 220. 663 Ibid., § 191.

664 Affaire n° IT-97-25, Krnojelac, jugement du 15 mars 2002, § 80. Les juges précisent que « les

circonstances dans lesquelles deux ou plusieurs personnes prennent part à un crime donné suffisent en elles-mêmes à établir l’existence d’une entente ou d’un arrangement tacite assimilable à un accord conclu par ces personnes séance tenante en vue de perpétrer ce crime ».

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planifié, incité à commettre ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter lesdits crimes » 665.

260. La contribution apportée à la réalisation du dessein commun, condition de la mise en œuvre de la responsabilité — La responsabilité pénale individuelle mise en

cause pour la participation à une entreprise criminelle commune ne découle pas de la simple adhésion à une telle entreprise mais de la contribution apportée à la réalisation du « projet commun » 666. Une telle contribution constitue l’actus reus de l’entreprise

criminelle commune. Ainsi, à la différence du délit d’appartenance incriminé par le Statut du TMI de Nuremberg, la seule appartenance à un groupement ne suffit pas à fonder matériellement la répression, encore faut-il y apporter sa participation. Le TPIY a dégagé, sur la base des condamnations prononcées par le TMI de Nuremberg, trois degrés de participation à une entreprise criminelle commune, incarnés, chacun, par une attitude psychologique distincte 667.

261. L’intention de participer et de promouvoir l’activité du groupe ou son dessein criminel — Seul le troisième degré 668 nous intéresse, car il propose un système de

répression dérogatoire fondée sur la participation à une organisation criminelle. La responsabilité fondée sur la participation à une entreprise criminelle y est subordonnée à l’intention de participer et de promouvoir l’activité criminelle du groupe ou son dessein criminel et de contribuer à l’entreprise criminelle ou à la commission d’un crime par le groupe. La responsabilité pénale des membres du groupe peut donc être retenue en qualité d’auteurs du crime commis, alors qu’ils ne l’ont pas perpétré matériellement, mais qu’ils ont, par leur participation à l’entreprise, soutenu les actions du groupe et encouragé ses membres.

665 Affaire n° IT-95-14, Blaskic, jugement du 3 mars 2000, § 265. Voir également l’affaire n° IT-95-

14/1, Aleksovski, jugement du 25 juin 1999, § 59.

666 Affaire n° IT-99-36, Brdjanin, jugement du 1er septembre 2004, § 260.

667 Le Premier type de responsabilité fondée sur la participation à une entreprise criminelle commune

concerne la situation dans laquelle tous les participants au dessein commun ont la même intention délictueuse de commettre un crime, bien qu’il soit exécuté par un ou plusieurs membres du groupe (la forme élémentaire de l’entreprise criminelle commune). La deuxième situation, variante de la première, est relative à la responsabilité pour mauvais traitements perpétrés dans les camps de concentration, la responsabilité est alors subordonnée à la connaissance de la nature du système de mauvais traitements perpétrés dans les camps et à l’intention de contribuer à l’objectif commun de mauvais traitement (forme systémique).

668 La forme élargie de l’entreprise criminelle commune. Pour les trois degrés, formes ou catégories (les

termes varient en fonction des décisions) d’entreprise criminelle commune, voir les affaires suivantes : n° ICTR-01-76, Simba, jugement du 24 novembre 2009, § 386 s ; n° IT-98-30/1, Kvocka

et consorts, arrêt du 28 février 2005, § 82 et 83 ; n° IT-98-32, Vasiljevic, 25 février 2004, § 96-99 ;

n° IT-97-25, Krnojelac, arrêt du 17 septembre 2003, § 30 ; n° IT-99-36, Brdjanin, arrêt du 3 avril 2007, § 357 s ; IT-97-24, Stakic, arrêt du 22 mars 2006, § 58.

262. La rigueur du concept d’entreprise criminelle commune et son origine prétorienne

nourrissent de nombreuses critiques à son encontre. Les TPI eux-mêmes, dans leurs décisions ultérieures 669, et la CPI dans ses premières décisions, semblent remettre en

cause la pérennité dudit concept 670. Il reste à préciser que, au-delà de la participation à

une entreprise criminelle commune, les TPI, à la suite des juridictions d’occupation, recourent, de façon plus large à la théorie du dol éventuel 671.

669 L’étude de plusieurs décisions ayant succédé à l’arrêt Tadic révèle que certains juges de ces deux

juridictions sont plutôt pour la distinction entre le complice et le coauteur, notamment en matière de génocide. Cet état de choses pourrait s’expliquer par le fait que la Convention sur le génocide réprime de manière expresse « la complicité dans le génocide » (article III-e). Il faut cependant souligner que les décisions en question présentent quelques incohérences et une absence de distinction nette entre ces deux catégories de participants si proches dans un crime collectif. Pour approfondir ce point, lire JUROVICS Yann. Réflexions sur la spécificité du crime contre l’humanité, op. cit., p. 348 et suiv. Pour les débats relatifs à l’entreprise criminelle commune, voir notamment l’affaire n° IT-00-39, Krajisnik, arrêt du 17 mars 2009.

670 Dans la première affaire portée devant elle, la Chambre préliminaire de la CPI a affiché sa réticence

à l’égard du principe d’entreprise criminelle commune et a plutôt opté pour la notion de coaction (Affaire n° ICC-01/04-01/06, Lubanga, décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007). Le TSL, pour sa part, s’élève contre les critiques dont l’entreprise criminelle commune a fait l’objet, notamment, à travers la jurisprudence des chambres préliminaires de la CPI. Voir à ce propos l’affaire n° STL-11-01/I/AC/R176bis du 16 février 2011 (« la décision préjudicielle sur le droit applicable : terrorisme, complot, homicide, commission, concours de qualifications »). Cette décision comporte de nombreux développements sur l’entreprise criminelle commune et la coaction. Après s’être livré à une opposition entre l’entreprise criminelle commune et la coaction, le TSL prend le contre-pied de la CPI et affirme que seule la première relève du droit international coutumier et que, la seconde trouverait sa source dans le Statut de la CPI. Dans la même optique, en se référant à la coutume internationale, les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) avaient déjà adopté le concept d’entreprise criminelle commune, bien que partiellement. Voir à ce sujet le Dossier n° 001/18-07-2007/ECC/TC, Chambre de première instance, jugement Duch, 26 juillet 2010, § 511-513. Notons que la CPI puise directement sa conception de la coaction dans la doctrine pénaliste allemande, notamment dans l’ouvrage de Claus Roxin (Täterschaft und Tatherrschaft, Walter de Gruyter, Berlin, New York, 7e éd., 2000. Cité dans

ASCENSIO Hervé. « Conclusions ». In Frouville Olivier de. Punir les crimes de masse : entreprise criminelle

commune ou coaction ? : actes de la Journée d’étude du 14 mai 2010 organisée par l’Institut de droit

européen des droits de l’homme. Bruxelles : Nemesis ; Limal : Anthemis, 2012, p. 214). D’aucuns soutiennent que la théorie de la coaction est « plus précise que l’entreprise criminelle commune […] et donc plus respectueuse des droits de la défense » (ASCENSIO Hervé. « Conclusions ». In Frouville Olivier de. Punir les crimes de masse : entreprise criminelle commune ou coaction ? op. cit., p. 221).

671 Dans l’affaire n° IT-95-14, Blaskic, jugement du 3 mars 2000, § 257, le TPIY a estimé que :

« l’élément moral propre au crime contre l’humanité n’exige pas de l’accusé qu’il se soit identifié avec l’idéologie, la politique ou le plan au nom duquel des crimes de masse ont été perpétrés, ni même qu’il y ait adhéré. Il suffit qu’il ait, en conscience, pris le risque de participer à la mise en œuvre de cette idéologie, cette politique ou ce plan, ce qui signifie concrètement qu’il doit être par exemple démontré :

- que l’accusé a accepté volontairement d’exercer les fonctions qu’il occupe ;

- que ces fonctions le conduisent à collaborer avec les autorités politiques, militaires ou civiles qui définissent l’idéologie, la politique ou le plan à la base des crimes ;

- qu’il a reçu de ces autorités des ordres liés à cette idéologie, cette politique ou ce plan ; et enfin - qu’il a contribué à sa réalisation par des actes délibérés ou par le simple fait de refuser volontairement de prendre les mesures qui s’imposent pour éviter leur perpétration ». Le Statut de la CPI semble perpétuer cette solution lorsqu’il prévoit dans son article 30 que : « 1. Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la

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263. Le dol éventuel devant les TPI — Toujours dans le cadre de la reconnaissance de

la responsabilité du participant sur le fondement de la participation à une entreprise criminelle commune, poursuivant sa logique jusqu’au bout, le TPIY, considère que l’accusé peut être responsable pour des crimes auxquels il n’a pas consenti — parce que ne relevant pas du dessein criminel initial —, du moment où la commission de ce crime par l’un des membres du groupe était prévisible et que, partant, l’accusé en a délibérément accepté le risque. Nous sommes en présence du dol éventuel. Pour les TPI, celui-ci à lui seul suffit à la répression 672. La participation à une entreprise

criminelle commune permet donc d’imputer à son auteur l’ensemble de tous les crimes perpétrés par les autres membres du groupe, dès lors que leur commission était prévisible. Ceci découle de ce que l’entreprise criminelle commune est un mode participatif et non une incrimination autonome. Ainsi caractérisée, la participation à une entreprise criminelle commune constitue une voie dérogatoire et extensive de la responsabilité pénale internationale.

264. La répression internationale du crime contre l’humanité met en lumière le

raisonnement selon lequel la répression d’une criminalité collective se passe difficilement de la répression des comportements d’appartenance. Or, la philosophie qui sous-tend la répression de l’appartenance conduit, presque inexorablement, en termes d’élément intentionnel, à réprimer la prise de risque qui anime une telle appartenance, voire l’indifférence sociale que cette dernière révèle. Dans une telle logique répressive, la notion de complicité s’avère inadaptée.

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