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L’organisation institutionnelle pour encadrer le maintien à domicile et accompagner le

Chapitre I : Le vieillissement, un processus individuel

2. La segmentation institutionnelle du vieillissement issue des politiques publiques

2.4 L’organisation institutionnelle pour encadrer le maintien à domicile et accompagner le

Afin de soutenir le maintien à domicile, l’État fixe un cadre législatif au vieillissement et met en place des accompagnements pour les personnes en difficulté. La Prestation spécifique dépendance (PSD), remplacée par la suite par l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), est une aide légale qui considère l’individu dans son environnement physique et social.

La loi sur la PSD s’inscrit clairement dans la promotion du maintien à domicile. Cette loi permet à une personne vieillissante de bénéficier d’une aide financière ; cette dernière est conditionnée à une évaluation réalisée par un travailleur social (ou toute autre structure habilitée) au domicile de l’individu. L’attribution de la PSD, qui tient compte de l’environnement de vie, est répartie de façon différente selon que l’individu vit en institution ou à son domicile. Le terme « environnement » est utilisé dans l’article 15, sans pour autant spécifier s’il s’agit de l’environnement physique ou social : « Le plan d’aide

élaboré par ladite équipe pour répondre à ce besoin tient compte de l’environnement de la personne, et le cas échéant, des aides publiques ou à titre gracieux dont elle disposera » (Loi n° 97-60 du 24 janvier

1997 relative à l’institution d’une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, 1997, p. 15). La PSD peut être versée à l’individu lui-même, au service d’aide à domicile ou à certains membres de la famille reconnus comme aidant. De ce fait, la PSD permet de rendre cohérentes les actions des différents acteurs : « favoriser l’évaluation des prestations servies aux personnes âgées par

les collectivités publiques et institutions concernées, des conventions organisant des dispositifs d’observation partagée peuvent être passées entre l’État, le département, les organismes de protection sociale et toute commune souhaitant y participer » (Loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 relative à

l’institution d’une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, 1997, p. 1). L’article premier illustre la cohésion entre les différents acteurs qui peuvent accompagner les personnes vieillissantes. Cela demande un travail d’harmonisation dans les façons d’aborder le vieillissement : chaque acteur doit avoir la même vision, la même grille d’analyse pour pouvoir définir si une personne vieillissante a besoin d’une aide sociale ou non. Cependant, la cohérence et l’articulation entre les différents acteurs du vieillissement sont critiquées par certains auteurs, comme les anthropologues Bernadette Puijalon et Jacqueline Trincaz qui dénoncent le manque d’articulation dans les aides accordées entre les institutions (Puijalon et Trincaz, 2000). Par exemple, les critères d’attribution d’une aide changent en fonction qu’il s’agisse d’une aide communale ou départementale.

La PSD prend fin en 2001, lorsqu’elle est remplacée par l’APA. « L’allocation personnalisée

d’autonomie, qui a le caractère d’une prestation en nature, est accordée, sur sa demande, dans les limites de tarifs fixés par voie réglementaire, à toute personne attestant d’une résidence stable et

2 Entre 2016 et 2019, la Direction de l’action sociale d’Île-de-France (Dasif) a soutenu une offre d’accompagnement au déménagement. Il s’agit d’une société indépendante qui accompagne les individus pour faire le tri de leurs affaires, à préparer des cartons, à entreprendre des démarches téléphoniques. Les accompagnateurs sont aussi présents le jour du déménagement pour soutenir psychologiquement la personne et aider à l’emménagement dans le nouveau logement.

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régulière et remplissant les conditions d’âge et de perte d’autonomie, évaluée à l’aide d’une grille nationale, également définies par voie réglementaire » (Loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la

prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, 2001, p. 1). S’il existe de nombreuses similitudes entre la PSD et l’APA, l’élaboration de cette dernière s’appuie cependant sur l’utilisation de la grille Autonomie Gérontologique Groupes Iso Ressource (AGGIR ; cf. Annexe n° 1). Stabilisée en 2014, cette grille est identique sur l’ensemble du territoire. L’objectif de la grille AGGIR est d’évaluer de façon harmonieuse les besoins des individus, mais aussi de permettre une meilleure distribution financière des aides : « les acteurs politiques du

système de santé ont développé une conviction : dans l’intérêt des patients et des acteurs sanitaires, il est indispensable d’utiliser au mieux les ressources, limitées par définition, en développant de nouveaux instruments de gestion. Dans cette perspective de rationalisation, les ‘‘Case-Mix Classification Systems’’ (CMCS) naissent dans l’optique de regrouper à l’aide d’un système de classification les patients dans des groupes homogènes d’individus, qui nécessitent des ressources ou qui génèrent des coûts similaires, que l’on appelle Groupes Iso-Ressources (GIR) (Coutton, 2000a) » (Coutton, 2001, p. 113). La grille

AGGIR se compose de dix-sept variables : dix d’entre elles sont dites « discriminantes », c’est-à-dire qu’elles contraignent la vie quotidienne de l’individu (comme la toilette ou l’habillage par exemple) ; sept sont dites « illustratives », elles sont moins contraignantes, mais ont des effets négatifs sur la vie quotidienne (par exemple la capacité pour la personne de réaliser des achats, de gérer son argent, de prendre les transports, etc.). À partir de ces éléments, la grille AGGIR permet de classer l’individu sur une échelle de six groupes iso-ressources, classés de 1 à 63.

La mobilité est abordée plusieurs fois dans la grille AGGIR. Se repérer dans l’espace et le temps, se déplacer dans son logement et à l’extérieur, pouvoir se déplacer en transport collectif sont autant d’éléments qui permettent de comprendre et d’observer si l’individu est dans une situation de fragilité ou de dépendance. Les déplacements à l’intérieur et en dehors du logement font partie des variables « discriminantes » ; le rapport aux transports fait partie des variables « illustratives ». La prise en compte des déplacements dans le logement est importante, car elle concède au logement une place particulière dans le vieillissement. Dans le contexte d’une politique publique favorable au maintien à domicile, observer la façon dont l’individu occupe ce dernier semble important, notamment dans la lutte contre l’isolement social. Le fait que la mobilité se retrouve à la fois dans les variables « discriminantes » et « illustratives » prouve la place centrale de la mobilité dans la définition institutionnelle de la fragilité et de la dépendance.

L’harmonisation des pratiques attendues autour de l’utilisation de la grille AGGIR est cependant délicate. Les critiques portent principalement sur l’interprétation des questions lors de l’évaluation. Comme précisé plus tôt, une « visite d’évaluation à domicile » est mise en oeuvre par des « évaluateurs » (travailleurs sociaux, médecins, infirmiers) afin d’établir, à l’aide de la grille AGGIR, le diagnostic social des besoins auprès de la personne âgée. Si l’ensemble des questions sont identiques, la façon de les interpréter et de les comprendre est possiblement différente suivant l’évaluateur et/ou 3Dans son article consacré à l’évaluation des besoins, Vincent Coutton détaille les GIR de la façon suivante : « – Groupe 1 : personnes ayant perdu toute autonomie mentale, corporelle, locomotrice et sociale imposant une

présence indispensable et continue d’intervenants ;

– Groupe 2 (comporte deux sous-groupes essentiels) : les grabataires lucides ou dont les fonctions mentales ne sont pas totalement altérées, et les déments déambulant ou détériorés mentaux graves. La surveillance est permanente et les actions d’aides répétitives ;

– Groupe 3 : personnes ayant conservé leur autonomie mentale et partiellement leur autonomie locomotrice, n’assurant pas majoritairement leur hygiène de l’élimination et qui nécessitent quotidiennement et plusieurs fois par jour des aides pour leur autonomie corporelle ;

– Groupe 4 (comporte deux sous-groupes essentiels) : ceux qui n’assument pas seuls les transferts, mais qui peuvent se déplacer, ou qui n’ont pas de problèmes locomoteurs, mais qui doivent être aidés ou stimulés pour les activités corporelles ;

– Groupe 5 : personnes nécessitant une surveillance et des aides ponctuelles, ayant besoin pour l’essentiel d’aides ménagères ;

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la personne évaluée. De plus, la visite d’évaluation dure environ une heure à une heure trente ; cet échange réalisé à un instant donné, dans une configuration spécifique, ne permet pas toujours de déceler les problématiques cognitives chez les personnes vieillissantes. En 2005, le rapport « Les personnes âgées dépendantes » (Cour des comptes, 2005) évoquait les limites de la grille quant à la possibilité de dépister des problématiques cognitives en devenir ou déjà développées, comme la maladie d’Alzheimer par exemple. Les façons d’aborder le vieillissement lors de ces évaluations sont très différentes suivant que ces dernières sont réalisées par un médecin, une assistante sociale ou encore une infirmière. De plus, ce que recherche le professionnel lors de la visite d’évaluation diffère suivant son métier et l’institution de rattachement4. Chaque professionnel aborde la grille AGGIR à partir de formations internes. Cette différence de perception du vieillissement et des besoins des personnes vieillissantes rend parfois complexe l’attribution du GIR. Cependant, le GIR est révélateur pour savoir quelle institution va aider financièrement l’individu. En effet, depuis la loi sur l’APA de 2002 et la généralisation de la grille AGGIR, les caisses de retraite prennent en charge les aides en direction des GIR 5 et 6, c’est-à-dire les retraités les plus indépendants. Elles ont alors renforcé les actions de prévention spécifiques à destination du public fragile. Les départements interviennent à partir du GIR 4, c’est-à-dire les GIR les plus dépendantes (GIR 4 à 1) 5. La problématique se situe autour du GIR 4, qui représente la limite entre une prise en charge légale (les départements) ou extralégale (les caisses de retraite). Il arrive qu’une même personne soit à la fois en GIR 4 pour un évaluateur du département et en GIR 5 pour un évaluateur de la caisse de retraite6. Tous ces éléments contribuent à rendre cette harmonisation des pratiques autour des personnes vieillissantes difficile. Malgré les critiques et limites de la grille AGGIR, cette dernière reste un outil privilégié pour répartir la prise en charge financière entre les différents acteurs du vieillissement.

Le processus de vieillissement se construit donc aujourd’hui autour de deux étapes successives selon le public concerné et le financement des aides sociales proposées : la fragilité (prestations destinées aux GIR 5 et 6, prises en charge par les caisses de retraite) puis la dépendance (prestations destinées aux GIR 4 à 1, prises en charge par les départements). Si la mise en oeuvre de prestations telles que la PSD puis l’APA a permis une certaine harmonisation de la prise en charge des personnes vieillissantes, il persiste un problème de perception du vieillissement suivant les corps de métier impliqués, chaque corps du secteur médico-social continuant à interpréter les signes de fragilité ou de dépendance de façon différente. L’État et diverses institutions (caisses de retraite, départements, mutuelles, assurance maladie, etc.) délivrent une politique préventive face aux différents risques du vieillissement ; les caisses de retraite gèrent les GIR les plus indépendants. La partie suivante est consacrée à la façon dont la prévention (notamment les aides financières pour le maintien à domicile) est portée par les caisses de retraite, principaux référents de la fragilité.

4 La participation récente en tant que chargée de mission de l’action sociale de la Cnav à des formations AGGIR, délivrées par le département de Paris dans le cadre de la reconnaissance mutuelle des évaluations entre le département et la Cnav, permet de constater une approche différente de la visite d’évaluation. Les évaluateurs de l’APA semblent aborder l’évaluation pour connaître le besoin en volume d’heures d’aides humaines, alors que les évaluateurs de la Cnav souhaitent connaître les capacités de la personne à faire. Ainsi, certaines questions, comme la temporalité pour faire sa toilette, peuvent être interprétées de façon différente : pour certains évaluateurs, le principal c’est que la personne fasse seule ; pour d’autres, c’est qu’elle puisse respecter un certain rythme de vie. Pour la rentrée universitaire de 2019, l’université de Franche-Comté a lancé une nouvelle formation dédiée à l’évaluation des besoins des personnes vieillissantes : un « Diplôme Universitaire Évaluateur Social de l’Autonomie des Personnes Âgées à Domicile ». Ce type d’initiative a pour objectif d’harmoniser les approches et les pratiques. L’annexe n° 1 retrace notamment une série d’accompagnements d’évaluations avec les évaluateurs de la Cnav sur le territoire normand et francilien, ce qui permet d’aborder quelque peu les pratiques des évaluateurs sur le terrain.

5 Malgré cette répartition (et la création en 2004 de la CNSA, qui dirige ses actions sur les personnes dépendantes), les communes restent généralement le point d’entrée pour l’élaboration des dossiers administratifs.

6 Ce sont généralement des travailleurs sociaux et des infirmiers qui réalisent les évaluations pour les caisses de retraite, alors que ce sont souvent des médecins qui effectuent ces évaluations pour les départements.

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