• Aucun résultat trouvé

Entre proximité physique ou sociale, quelle proximité est la plus recherchée par les personnes

Chapitre III : Étudier les influences du vieillissement sur la mobilité locale

3. Trois hypothèses de recherche pour comprendre les comportements de mobilité locale des

3.4 Entre proximité physique ou sociale, quelle proximité est la plus recherchée par les personnes

La troisième hypothèse fait apparaître les notions de proximité et de distance pour que les retraités et les personnes vieillissantes continuent de pratiquer leur espace vécu. Le terme « proximité » mobilise les notions de distance et de temps. Ces notions ont un aspect très personnel : « la proximité est relative et évolutive selon l’échelle choisie, ce qui semble offrir un spectre trop large

pour permettre une analyse rigoureuse » (Bellet et al., 1998, p. 16). La définition de la proximité

dépend des éléments sur lesquels elle porte. Le géographe Antoine Bailly, qui a réalisé la postface de l’ouvrage collectif et pluridisciplinaire dirigé par Michel Bellet, désigne trois échelles variables de proximité : le premier correspond au « moi » et s’analyse selon l’espace perçu de l’individu ; le deuxième correspond au groupe social auquel l’individu s’identifie et s’analyse entre autres selon le territoire et l’espace vécu de la personne ; le troisième relève plus du réseau chargé de favoriser la coordination des organisations (Bellet et al., 1998, p. 342). La proximité est donc abordée de façon différente selon les disciplines et les recherches. « D’abord utilisée parmi d’autres dimensions spatiales

dans une optique de rationalité économie, de recherche d’optimum, la proximité est devenue le fondement non pas d’une quête de mieux-être, mais d’une affirmation de bien-être » (Bellet et al.,

1998, p. 111).

La notion de proximité fonctionne souvent avec la notion de distance. Ces notions sont spatiales et sociales. Distance et proximité physique se sont vues bouleversées avec le développement des modes de transport, des aménagements territoriaux destinés notamment à l’utilisation de la voiture et favoriser la vitesse (Wiel, 1999). Le développement des aménagements et de la norme de mobilité a creusé les distances physiques et aussi sociales.

La notion de proximité fait enfin appel à la notion de la temporalité. L’espace et le temps sont des notions concernées aussi par les représentations mentales mouvantes tout au long de la vie. En sociologie, on distingue les temps de la société des temps de l’individu. Depuis les années 2000, le temps de la société est caractérisé par une accélération (Angeletti et al., 2012, p. 6), conséquence du développement des possibilités de déplacement : multiplication des modes de transport et développement de la vitesse de déplacement. La mobilité n’est pas la seule raison de l’accélération du temps : il peut se dégager huit tendances de modification temporelle : à la mondialisation, à l’individualisation des modes de vie, à l’entrée des femmes dans le monde du travail, au développement de la flexibilité des temps de travail, au développement de nouveaux types de mobilités, à la transformation de la vie privée, au changement de la structure du temps libre, ou encore au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Boulin et al., 2003). Dans le cadre de la thèse, le temps est abordé en lien avec la proximité (physique et sociale).

Traiter la question du temps de déplacement demande d’aborder aussi la question de l’accessibilité : « celle-ci [l’accessibilité] peut se décliner au plan temporel (les horaires d’ouverture),

spatial (la localisation des services et des activités), conceptuel (la mise en place de guichets uniques, de bouquets de services, de nouveaux services), économique (le coût des services) et social (une articulation temps/espace qui favorise fluidité et égalité des usages du temps tant du point de vie du genre que de celui des différentes catégories sociales et qui sont en même temps constitutives au lien social » (Boulin et al., 2003, p. 10). Cette modification dans le temps de transport (tout comme dans le

temps que la personne peut mettre pour organiser son déplacement) ne semble pas inclue dans les représentations que la société diffuse sur la mobilité pendant la retraite et le vieillissement. Ici, le temps imposé par la société ne semble plus forcément s’apparenter au temps nécessaire pour l’individu vieillissant. En effet, les personnes vieillissantes, ayant des représentations mentales qui exposent leurs capacités physiques décroissantes, peuvent être confrontées à un changement dans le temps de déplacement, ou encore dans le temps de réalisation d’une action (car trop fatigant). Les représentations mentales de l’espace vécu, du temps, de l’accessibilité, de la distance et de la proximité se trouvent alors bouleversées. De plus, l’organisation des temps de déplacements peut aussi changer lorsqu’une aide institutionnelle (ou informelle) intervient dans la vie quotidienne. Ainsi, l’influence du temps sur les représentations mentales de la personne vieillissante ne concerne pas uniquement l’utilisation d’un mode de transport ou la rapidité du déplacement. Cela peut aussi

102

concerner les moments où la mobilité est réalisée. La nuit, par exemple, est un moment peu propice pour les déplacements extérieurs, comme le souligne la géographe Catherine Espinasse : la conduite de nuit est déterminée par le manque de visibilité, les déplacements à pied dans les lieux publics sont marqués par les risques d’insécurité. (Boulin, Dommergues, et Godard 2003 ; Espinasse et Le Mouël 2012). L’ombre de la nuit rend tout déplacement plus coûteux pour la mobilisation des sens. L’attention doit être redoublée. La nuit n’est donc pas forcément, dans les représentations sociales (qu’elles soient publiques ou mentales), le moment le plus propice pour les déplacements d’une population vieillissante (surtout lorsque cette population doute de ses capacités de déplacement). Le temps et la mobilité pendant le vieillissement et la retraite sont donc influencés par les représentations mentales, au sens de Denise Jodelet (Jodelet et al., 1989, p. 115), qui peuvent correspondre ou se distinguer des représentations sociales du temps imposé par la société (la répartition des activités dans une journée par exemple ou encore le temps consacré au déplacement). L’aide d’un tiers dans les déplacements du quotidien, notamment dans les déplacements pour lesquels l’individu doute de ses capacités, peut alors faire évoluer les représentations qu’il a de ses capacités de mobilité locale.

La proximité est une notion centrale pour interroger le rapport à l’espace vécu, mais aussi les relations à l’aide informelle qui intervient parfois pour soutenir la personne vieillissante dans sa pratique territoriale. La proximité sociale prend plusieurs formes : celle de la famille, celle de l’entourage et notamment du voisinage, celle des aides formelles. « La mobilité bouleverse le sens de

la proximité : nous sommes de plus en plus éloignés de personnes que nous considérons comme proches et souvent proches géographiquement de personnes que nous considérons affectivement distantes »

(Martuccelli, 2006, p. 126). Cet extrait évoque l’éloignement des proches provoqué notamment par la norme de mobilité : le fait d’être toujours plus mobile provoque une dispersion familiale sur de longues distances. Ainsi, les individus affectivement proches peuvent parfois être géographiquement lointains. Ce développement des distances a aussi des effets sur les relations au sein des familles : « aujourd’hui,

les relations familiales ne sont plus fixées à l’avance puisque l’individu façonne tout au long de sa vie son entourage de parents et de proches en jouant sur l’espace, les distances et la proximité » (Bonvalet

et Lelièvre, 2012, p. 11). Face à ce constat, il est nécessaire de s’interroger sur la façon dont les personnes vieillissantes mobilisent ou non leur entourage familial dans le cadre de leur mobilité locale. Par ailleurs, l’aide pour la réalisation de la mobilité peut avoir des effets sur la relation au territoire, comme le choix des horaires de déplacement qui peuvent être moins libres pour la personne vieillissante qui doit attendre la disponibilité de l’aidant – formel ou informel ; ou encore sur les échanges pendant le déplacement (qui peuvent se concentrer sur l’aidant et non pas sur d’autres individus susceptibles d’être rencontrés lors du déplacement). Les transformations de la famille ont d’ailleurs mené les politiques publiques du vieillissement à réfléchir à la façon de désigner les aidants : « naturels », « familiaux », « proches aidants ». L’aide apportée par une aide formelle peut être abordée de façon différente d’une aide proposée par le voisinage ou la famille. Dès lors, quelle forme de proximité est sécurisante pour les personnes vieillissantes ? S’agit-il d’avoir une proximité humaine (familiale ou aide professionnelle pour les personnes bénéficiaires d’un PAP) ou bien géographique (proximité des services et des commerces, par exemple) ? Enfin, la notion de proximité est à relativiser : le vieillissement a des effets sur les temps de déplacements et les personnes réduisent leurs habitudes de mobilité locale autour du domicile. Ainsi, ce qui peut sembler proche pour une personne retraitée en pleine possession de ses capacités physiques peut être perçu de manière différente par une personne vieillissante.

Si la proximité sociale semble centrale surtout par rapport à l’aide formelle qui peut être apportée, l’interrogation sur la proximité spatiale est toute aussi importante. Le domicile est central pour la réalisation de la mobilité locale, mais aussi pour examiner au plus près le mode de vie des personnes vieillissantes. Le domicile c’est le territoire de l’intimité, c’est finalement l’espace qui est le plus porche de l’individu, la question de proximité se pose de façon différente au sein du domicile puisqu’il s’agit du point de référence de la mobilité locale. C’est d’une certaine façon l’identité spatiale de l’acteur. Aussi, le logement peut être le lieu de l’aide apportée par les proches ou par les professionnels. C’est un refuge par rapport au monde extérieur et à la société, comme l’exprime le

103

sociologue Ervin Goffman en faisant un parallèle avec le théâtre. Pour lui, la vie courante est répartie entre deux scènes : le théâtre, où se jouent les relations sociales et le domicile, qui représente les coulisses, le lieu de l’intimité et de la préparation de l’acteur pour prendre part au jeu des relations sociales. « En se projetant sur la scène sociale, l’acteur garde un lieu secret où il peut revenir en cas de

danger (…). La coulisse est donc le lieu de solidarité entre l’acteur et son équipe : c’est le lieu qui ne doit pas être vu par le public, mais qui permet à l’acteur de ne pas être seul sur la scène » (Keck, 2012, p.

481). Le domicile tient un rôle central dans l’instauration de la mobilité et des interactions sociales qui en résultent. Les déplacements des personnes vieillissantes peuvent être différents selon qu’ils se jouent dans le domicile (lieu de l’intimité) ou à l’extérieur du logement. Parfois, les personnes vieillissantes ont besoin d’utiliser des aides techniques lors de leurs déplacements. Pour les institutions qui proposent des aides aux personnes vieillissantes, comme la Cnav, la préconisation des aides techniques a pour objectif de sécuriser la personne lors de ses déplacements (cannes, déambulateurs), mais aussi dans son logement (chemin lumineux, volets roulants, téléassistance). Cependant, les représentations sociales liées aux aides techniques sont négatives et les personnes vieillissantes élaborent des stratégies pour occuper leur logement sans utiliser d’aides techniques (Renaut et al., 2017). L’usage d’aides techniques renvoie aux difficultés physiques, à l’incapacité, voire à l’environnement hospitalier comme le décrit la sociologue Fanny Auger (Auger, 2016). Les caisses de retraite développent des actions spécifiques (aide aux travaux, participation à l’achat d’aides techniques) pour sécuriser les individus dans leur logement. Le logement devient un support de prévention et d’harmonisation des conduites pour les politiques du vieillissement. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 2015 renforce l’intérêt d’améliorer l’accès aux aides techniques : « Si l’aide humaine a vocation à rester centrale, il est également indispensable de donner

une plus grande place aux aides techniques, aux nouvelles technologies de l’autonomie, à l’accueil temporaire ou à l’accueil familial. Le service rendu à l’usager doit se moderniser, en particulier autour de bouquets de services plus diversifiés et mieux articulés. Les plans d’aide doivent favoriser une continuité d’interventions personnalisées en fonction des besoins et des attentes de la personne, qui nécessitent, au cas par cas, de combiner différentes formes d’aide, à domicile ou en dehors du domicile : sécuriser la salle de bains, organiser un accès hebdomadaire à l’accueil de jour, faire le lien entre l’aide à domicile et le médecin traitant, installer la téléassistance, etc. » (Loi n° 2015-1776 du 28 décembre

2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, 2015). Ainsi, les politiques publiques du vieillissement se donnent pour mission de « sécuriser », d’ « organiser » et de « faire le lien » entre les aides. Les politiques du vieillissement tentent, à travers l’élaboration d’une visite d’évaluation et d’un PAP, d’harmoniser les modes de vie pour une période pourtant caractérisée par le vieillissement, un processus individuel. Les politiques publiques du vieillissement ciblent le logement en cherchant à le sécuriser et à en harmoniser les aménagements afin de sécuriser les personnes vieillissantes. Cette troisième hypothèse interroge alors la notion de maintien à domicile qui est généralement abordée par les politiques publiques du vieillissement comme le maintien dans une proximité physique (avec les services et commerces), mais pas forcément dans une proximité sociale. Ainsi, un individu retraité ou vieillissant vivant dans un espace de proximité spatiale (proche des commerces et des services) connaît-il des facilités dans l’élaboration et la réalisation de la mobilité locale par rapport à un individu vivant dans un espace physique plus isolé, mais avec une forte proximité sociale (présence de la famille par exemple) ?

Ainsi, dans cette thèse, une première hypothèse questionne l’individu face à son entourage social pour l’organisation de la mobilité locale, une deuxième hypothèse traite de la relation entre l’individu et son parcours de vie pour observer l’influence de la période de retraite et du vieillissement sur les habitudes de mobilité locale. Une troisième hypothèse traite du rapport de l’individu à l’espace et à la proximité (sociale et spatiale).

104 Conclusion du chapitre

La retraite est une période de la vie caractérisée par la baisse significative des déplacements du quotidien du fait de l’arrêt des déplacements pendulaires. Le vieillissement est, quant à lui, un processus caractérisé par l’arrivée de difficultés physiques qui impactent le mouvement et les déplacements. Les politiques publiques du vieillissement prônent la norme de mobilité locale pendant la retraite et le vieillissement avec le modèle du « bien vieillir ». Le retraité doit s’engager dans divers domaines (associatifs, ateliers de prévention, etc.) afin de conserver du lien social. Pour être en conformité avec ce modèle, l’individu doit être mobile. Pourtant c’est la mobilité locale, à travers les difficultés de déplacements dans la vie courante, qui permet aux institutions (caisses de retraite, départements et autres mutuelles) de définir les personnes vieillissantes comme « fragiles ». Ainsi, l’hypothèse générale de cette thèse est qu’il existe une injonction contradictoire à la mobilité locale envers les personnes vieillissantes. D’une part les personnes vieillissantes, doivent continuer des activités extérieures pour être en conformité avec le modèle du « bien vieillir ». D’autre part, les institutions désignent les individus vieillissants par le biais des difficultés de mobilité ; les personnes dites « fragiles » sont donc peut-être plus sensibles aux discours sécuritaires diffusés sur la mobilité locale, par ces mêmes institutions.

Maintenir la mobilité locale est alors sujet à l’élaboration de diverses stratégies : pour pratiquer et maîtriser un espace vécu, pour continuer à avoir du lien social, et pour être en conformité avec le modèle du « bien vieillir ». La problématique générale de cette thèse rapproche le passé de mobilité locale et les représentations sociales mentales actuelles des retraités et des personnes vieillissantes pour comprendre leur façon d’élaborer leur mobilité locale et d’être en conformité avec le modèle du « bien vieillir ». Ainsi : dans quelles mesures la mobilité locale pendant la retraite et le vieillissement est-elle influencée par le parcours de vie et les représentations sociales ? Cette problématique lie déterminisme (à travers les expériences de mobilité passées et l’éducation à la mobilité qu’a reçue la personne) et interactionnisme symbolique (c’est-à-dire les relations sociales du présent, qui prennent forme sur l’espace vécu souvent à l’occasion des déplacements).

Chaque personne comprend et applique la norme de façon différente. C’est un aspect qui sera aussi évoqué du point de vue de la norme de mobilité locale envers les retraités. Comment ces derniers adaptent leur ressenti de la norme ? Observer comment la norme de mobilité locale s’articule avec la vie quotidienne des individus mobilise différents axes de réflexions, dans cette thèse quatre axes de réflexions sont utilisés : les représentations sociales, la gérontologie environnementale, le parcours de vie et l’exclusion sociale. Les représentations sociales mentales et publiques représentent un véritable socle du travail de thèse. En effet, c’est à partir des représentations sociales mentales que les individus caractérisent leurs difficultés physiques, ce qui a des conséquences sur leur mobilité locale et de leur espace vécu. La gérontologie environnementale est aussi mobilisée dans ce travail de thèse par le biais de la relation à l’espace vécu des retraités et des personnes vieillissantes. Cet axe fait référence à l’interactionnisme symbolique et à l’observation des habitudes de mobilités locales actuelles. Par contre, l’axe du parcours de vie rappelle le déterminisme. Le passé de mobilité est important à connaître pour apporter des éléments de compréhension sur le comportement actuel de mobilité locale des retraités et des personnes vieillissantes. Comme expliqué dans le chapitre II, les personnes retraitées et vieillissantes ont connu des bouleversements de mobilité locale (développement des modes de transport, des aménagements urbains, etc.), donc s’intéresser au parcours de vie et à l’éducation à la mobilité qu’a reçu l’individu permet d’observer l’influence potentielle de cette modification des habitudes de mobilité sur la mobilité locale actuelle de l’individu. Enfin, l’exclusion sociale est un axe transversal dans la thèse. Ne pas connaître de difficultés physiques, ou savoir les surmontées, permet à l’individu de pratiquer un territoire local, donc d’être inclus dans la société au travers des relations sociales. Les difficultés de déplacement questionnent donc directement sur la notion d’exclusion sociale, tout comme sur l’isolement.

À partir de la problématique générale et des axes de recherche, trois hypothèses sont choisies : est-ce que l’élaboration de la mobilité locale demande une organisation poussée et des stratégies réfléchies pour les bénéficiaires d’un PAP par rapport aux non-bénéficiaires ? Est-ce qu’une personne

105

vieillissante qui a connu la maîtrise et l’usage de nombreux modes de transport pendant son parcours de vie continue à utiliser des modes de transport diversifié ? Un individu retraité ou vieillissant vivant dans un espace de proximité spatiale (proche des commerces et des services) connaît des facilités dans l’élaboration et la réalisation de la mobilité locale par rapport à un individu vivant dans un espace physique plus isolé ? Afin d’apporter des éléments de réponse à ces hypothèses, le chapitre suivant expose les méthodes et techniques utilisées.

107

Chapitre IV : Étudier la mobilité locale des retraités et des personnes vieillissantes : méthodes et

Outline

Documents relatifs