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Le découpage du temps de la retraite défini par les politiques publiques du vieillissement 35

Chapitre I : Le vieillissement, un processus individuel

2. La segmentation institutionnelle du vieillissement issue des politiques publiques

2.1 Le découpage du temps de la retraite défini par les politiques publiques du vieillissement 35

le temps de l’autonomie (les individus, souvent désignés comme « seniors », se caractérisent par leur indépendance et l’absence ou le peu de signes de difficultés physiques liées au vieillissement) ; le temps de la fragilité (le vieillissement s’amorce, les individus prennent conscience du développement de leurs difficultés physiques/cognitives et en ressentent des effets sur leur vie quotidienne et leurs activités) ; le temps de la dépendance (les individus sont en difficulté dans leur vie quotidienne et ont besoin d’un accompagnement). La fragilité marque l’amorce du vieillissement ; la dépendance en représente son ancrage. Ce découpage du temps de la retraite, par rapport au développement du vieillissement, est détaillé en 2015 dans le livre blanc sur la fragilité : « D’un point de vue médical, le

vieillissement touche de façon inhomogène les personnes de sorte qu’on distingue schématiquement trois catégories de seniors, chacune avec les besoins et les particularités spécifiques à prendre en compte dans la pratique clinique : a. Les personnes âgées en bonne santé ou robustes. b. D’un autre côté, nous avons les personnes âgées dépendantes. c. Le troisième groupe est composé de personnes âgées fragiles (environ 30 à 40 % des personnes âgées) utilisant les critères proposés et validés par Fried et al. le ‘‘phénotype de fragilité’’ » (SFGG et IAGG, 2015, p. 9). Le passage du premier temps de

retraite vers le vieillissement est caractérisé par la perte d’autonomie.

La prévention de la perte d’autonomie est présentée comme une action globale qui concerne tous les âges. En 2015, la loi de l’adaptation de la société au vieillissement propose différentes actions en annexe de la loi pour « développer une culture de l’autonomie tout au long de la vie » (Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, 2015). Le plan national de prévention contre la perte d’autonomie propose d’ailleurs la définition suivante : « La

notion d’autonomie renvoie à l’étymologie (autos : ‘‘soi-même’’ et ‘‘nomos’’ : ‘‘loi’’) et désigne la capacité, la liberté, le droit d’établir ses propres lois et la capacité de se gouverner soi-même. Elle englobe les capacités intellectuelles, cognitives et motrices, elle suppose la capacité de jugement, c’est-à-dire la capacité de prévoir et de choisir et la liberté et la capacité d’agir, d’accepter ou refuser en fonction de son jugement » (Aquino, 2015, p. 15). Dans cet extrait c’est l’acteur qui est libre de ses

choix, de ses agissements. Cette définition souligne parmi les capacités essentielles de l’autonomie les capacités « motrices » c’est-à-dire les possibilités de mouvement. De plus, le plan national de 2015 rapproche la notion d’autonomie à celle de capital : « l’autonomie est un capital que nous avons à

gérer du mieux possible tout au long de notre vie. Un exercice physique régulier, une alimentation adaptée et un lien social structuré sont déterminants et contribuent à préserver l’autonomie, en particulier au cours de l’avancée en âge. L’importance de l’éducation pour la santé est à rappeler : elle doit débuter dès l’école. Il faut en effet développer une culture de l’autonomie tout au long de la vie »

(Aquino, 2015, p. 15). Cet extrait présente l’autonomie comme un capital à part entière et en même temps, il semble être le fruit de l’entretien d’autres capitaux, notamment les capitaux santé et social : « le capital santé apparaît comme un capital de départ, reçu à la naissance, qu’il va falloir, par toute

une série de comportements, préserver sur le long terme. La consommation d’alcool et de tabac, la prise de poids, l’alimentation, l’entretien d’un rapport préventif ou curatif à la santé, le fait de jouir d’une conséquente couverture assurantielle ou non, représentent une série de facteurs qui exprime justement ce degré d’intérêt qu’un individu porte à sa santé (Genier et Jacobzone, 1998). Bien entendu,

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c’est également toute une série de déterminismes sociaux, de genre et de classe, par exemple, qui induit des rapports différenciés à la santé. La définition de ce capital santé se confond, par ailleurs, avec celle du capital physique ou encore du capital corporel » (Pillonel, 2017, p. 43). L’individu devient en quelque

sorte responsable de sa situation de santé et, indirectement, de l’évolution de son vieillissement. Il s’agit ici d’une première exigence de la part de la société sur le vieillissement : la perte d’autonomie est avérée, mais l’individu en tant qu’acteur doit lutter contre ce processus pour conserver son autonomie, ou pour le dire autrement, pour conserver sa capacité de libre choix et sa liberté au sein de la société. L’autonomie en tant que premier temps de la retraite n’est pas traitée dans cette thèse, puisque c’est le vieillissement qui en est le sujet et donc une population fragile qui est observée.

Lorsque l’individu éprouve des difficultés physiques liées à l’avancée en âge et qu’il est conscient de ce changement, le vieillissement s’amorce : c’est la période de fragilité. Le rapport dédié à la fragilité paru en 2008 rappelle que « la fragilité est définie par la facilité à se casser, un manque de

solidité. La fragilité rend compte d’une situation qui peut vite se briser » (Loones et al., 2008, p. 14).

Elle peut avoir des conséquences sur le vieillissement en provoquant une perte d’autonomie. En 2016, une étude dédiée à la prévention de la perte d’autonomie propose la définition suivante du vieillissement et de la fragilité : « Concernant la définition du vieillissement, je pense qu’il faut

s’appuyer sur celle des biologistes, qui considèrent le vieillissement comme un processus obéissant à quatre critères : (1) lié au temps, (2) délétère, (3) universel et (4) irréversible. Toutefois une définition fondée sur la biologie est difficile à utiliser parce que ce processus biologique a des ‘‘constantes de temps’’ différentes selon les échelles d’observation (moléculaire, cellulaire, organes, organismes complexes). Ainsi, le vieillissement au niveau cellulaire ne parvient pas à expliquer le vieillissement au niveau de l’organisme complet. (…) Au niveau de l’organisme, la meilleure définition du vieillissement reste encore l’adaptabilité. On retrouve à nouveau (…), la notion d’adaptabilité et de perte d’adaptabilité, c’est-à-dire de fragilité » (Sirven et Bourgueil, 2016, p. 90). Le terme « adaptabilité »

renvoie aux capacités individuelles : la personne fragile est plus vulnérable et a moins de ressources pour organiser sa vie quotidienne et pour être en conformité avec les modèles et normes conditionnées par la société. Ainsi, la fragilité est caractérisée par l’augmentation des difficultés ressenties par l’individu vieillissant à rester acteur de la société, à tenir les exigences sociales qui lui sont imposées par la société ou qu’il s’impose à lui-même.

La chercheuse Sylvie Renaut identifie quatre dimensions de la fragilité : « les restrictions de mobilité ;

les déficiences physiques ; les limitations sensorielles ; les troubles cognitifs » (Sirven et Bourgueil,

2016, p. 36). La fragilité fait aussi l’objet de définitions factuelles qui en détaillent les signes. Entre 2002 et 2009, le ministère de la Santé identifie comme principaux indices de fragilité : « les troubles de la

marche et les chutes, la dénutrition, l’incontinence, une mauvaise observance thérapeutique ou une complication iatrogénique, l’arthrose et l’ostéoporose, la perte d’audition ou de vision, la dépression et l’isolement social. Les quatre premiers facteurs ont été jugés prioritaires au vu de leurs incidences fortes sur la vie quotidienne et le maintien à domicile. Ils sont purement médicaux. Les facteurs sociaux sont abordés dans l’isolement social, mais ne sont pas considérés comme prioritaires, leurs conséquences sur le quotidien seraient moins retentissantes que les autres. » (Loones et al., 2008, p. 15). Cette

définition recouvre des éléments factuels (par exemple les chutes ou la perte d’audition et de vision), mais aussi des paramètres plus complexes à définir, qui sont souvent le résultat des dégradations physiques ou cognitives et de leur prise de conscience par l’individu, comme l’isolement social. La mobilité reste abordée de façon indirecte à travers la marche et les chutes, mais elle fait partie des principaux marqueurs de la fragilité.

La dernière étape du vieillissement se rapporte à la dépendance. La définition de la dépendance remonte à 1973, lorsque « le Docteur Yves Delomier donne de la dépendance la définition

suivante : ‘‘Le vieillard dépendant a donc besoin de quelqu’un pour survivre, car il ne peut, du fait de l’altération des fonctions vitales, accomplir de façon définitive ou prolongée les gestes nécessaires à la vie’’ » (Gimbert et Malochet, 2011, p. 25). La dépendance est centrée sur la capacité de l’individu à

faire ou non seul les gestes de la vie quotidienne. Il est alors question d’aide humaine dans la vie quotidienne ; les déplacements sont totalement absents de cette définition.

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En 2011, le rapport « Société et vieillissement » définit la dépendance dans des termes similaires au rapport sur le grand âge publié un an plus tôt : « Le terme de dépendance, qui n’a pas d’équivalent

dans d’autres pays, emporte une quadruple représentation : - celle d’un état déficitaire non compensable - celle d’un état définitif - celle d’un poids pour autrui, en opposition avec l’autonomie à laquelle devrait pouvoir prétendre toute ‘‘personne normale’’ - celle enfin d’une vision ségrégative qui fait des personnes âgées une ‘‘catégorie à part’’ » (Morel et Veber, 2011, p. 15). Les politiques

publiques du vieillissement ont donc balisé la période de retraite en trois étapes en s’appuyant notamment sur diverses théories du vieillissement issues des sciences sociales. Le temps de l’autonomie est caractérisé par la bonne santé physique et la liberté de mouvement ; les signes du vieillissement sont peu présents et ils ne donnent pas de difficultés à l’individu. La fragilité correspond au deuxième temps : le vieillissement commence à avoir des effets sur la vie quotidienne, l’individu se trouve alors à une période charnière entre autonomie et besoin d’aide ; la mobilité, à travers les déplacements et les capacités physiques au sens large, est citée comme un signe majeur de fragilité. Enfin, la dépendance, troisième temps de la retraite, est caractérisée par la nécessité de faire appel à une tierce personne dans la vie quotidienne. Ces trois stades de la retraite (autonomie, fragilité et dépendance) illustrent la décroissance de l’autonomie de l’individu, le déclin de ses capacités physiques et cognitives. Définir la fragilité et la dépendance mobilise les représentations sociales et ressentis individuels ce qui complexifie ces deux périodes. Les déplacements sont décroissants dans les définitions à mesure que la perte d’autonomie augmente. L’étude de la mobilité connote d’une certaine façon les difficultés de maintenir les relations sociales pour la personne vieillissante. La définition de ces trois temps pendant la retraite aide à circonscrire le public visé par cette thèse. Afin de distinguer les individus concernés par le vieillissement dans leur vie quotidienne, deux termes seront employés : les « retraités » pour désigner les individus qui ne sont pas encore confrontés aux difficultés physiques liées au vieillissement, ces personnes ont des ressentis des représentations sociales positives de leurs capacités physiques, elles ne ressentent pas de : « restrictions de mobilité ;

les déficiences physiques ; les limitations sensorielles ; les troubles cognitifs » (Sirven et Bourgueil,

2016, p. 36) ; et les « personnes vieillissantes » pour désigner les individus dont le vieillissement a des conséquences sur la vie quotidienne.

2.2 Vieillissement et risque d’être en marge de la société

« Dès le début du XXe siècle, la vieillesse figure parmi les trois ‘‘risques sociaux’’ couverts par la protection sociale (avec le ‘‘risque maladie’’ et le ‘‘risque accident du travail’’). Le terme de ‘‘risque’’, qui désigne dans le champ de la protection sociale un événement plus ou moins prévisible susceptible de menacer la capacité d’un individu à maintenir ses ressources par l’exercice de son activité professionnelle, contribue à véhiculer une connotation négative de la vieillesse : la juxtaposition du ‘‘risque vieillesse’’ aux risques ‘‘maladie’’ et ‘‘accidents du travail’’ tend à présenter la vieillesse comme un ‘‘malheur’’ qu’il convient de soutenir par l’entremise de la collectivité. Si la création de la Sécurité sociale s’est accompagnée d’une extension des risques couverts, le terme ‘‘risque vieillesse’’ a perduré jusqu’à aujourd’hui » (Aouici, 2015, p. 72). En mars 2019, la parution du rapport Libault « Concertation

grand âge et autonomie » se positionne en faveur d’un cinquième risque pour la Sécurité sociale dédié à la perte d’autonomie : « la perte d’autonomie est donc incontestablement un risque social. Le couvrir

fait écho à la philosophie de notre système de protection sociale : donner aujourd’hui et recevoir lorsque le risque survient » (Libault, 2019, p. 13). Le rapport évoque aussi l’importance d’un traitement

financier égalitaire et revalorisé pour le vieillissement. Dans un ouvrage dédié à l’exclusion, le sociologue Serge Paugam expose quatre éléments qui sont source d’exclusion sociale dont : « l’impossibilité de nommer les nouveaux risques et, par conséquent, d’élaborer des réglages qui leur

correspondraient, au-delà du principe assuranciel » (Goguel d’Allondans, 2003, p. 162). Ainsi,

l’intégration du cinquième risque permettrait de mieux circonscrire le risque d’exclusion sociale pour les personnes vieillissantes.

La fragilité est, elle aussi, présentée comme un risque spécifique. Dans une étude datant de 2013, rédigée par François Béland et Hervé Michel, « La fragilité peut être conçue comme un risque lié

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systèmes physiologiques et psychosociaux. Le cumul d’événements défavorables et leur somme sont suffisants pour établir le degré de vulnérabilité d’une personne et distinguer des niveaux de fragilité entre personnes » (Béland et Michel, 2013, p. 13). Le risque de fragilité est ici renforcé par d’autres

éléments physiologiques et psychosociaux. Dans une étude de 2013 dédiée à la fragilité des personnes âgées, la théorie économique est présentée en lien avec le capital santé et sa sollicitation croissante liée au développement des difficultés physiques (c’est-à-dire avec le développement de la fragilité) : « la théorie économique standard considère que chaque individu est né avec une certaine quantité de

capital santé, qui diminue avec l’âge, et il est censé produire des investissements en matière de santé afin de faire coïncider la quantité de santé réalisée avec la quantité demandée. Des ressources supplémentaires doivent être déployées pour maintenir le stock de santé à un certain niveau parce que le taux de dépréciation augmente dans le temps. L’âge affecte donc la demande en matière de santé en rendant la possession d’un certain niveau de capital santé plus onéreuse » (Sirven, 2013, p. 8). Ainsi,

la fragilité peut se rapporter à un appauvrissement de la santé, des ressources dont bénéficie l’individu pour s’adapter à la société.

Les différents risques évoqués précédemment montrent que la personne vieillissante peut, à tout moment, se trouver en marge de la société. Afin d’atténuer ces risques, les politiques publiques du vieillissement promeuvent, depuis les années 1960, le maintien à domicile supposant qu’une personne vieillissant à domicile vivrait mieux son vieillissement qu’une personne déracinée ou placée en institution.

2.3 La politique du vieillissement en France : une politique tournée vers le maintien à domicile

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