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L’action des aides à domicile pour favoriser le maintien de la mobilité

3. Les outils pour accompagner et maintenir la mobilité des personnes vieillissantes

3.4 L’action des aides à domicile pour favoriser le maintien de la mobilité

Si les ateliers de préventions et les TAD représentent deux premiers niveaux d’aide dédiés à la mobilité, les aides à domicile interviennent aussi pour le maintien de la mobilité chez les personnes bénéficiaires d’un PAP. Les aides dédiées à la mobilité pouvant être préconisées dans les PAP se déploient au plus proche du territoire, de l’espace vécu de la personne. Ces aides sont distinguées de l’aide au ménage et de l’entretien du linge (les deux aides historiquement rattachées aux aides à domicile). L’aide au ménage et l’aide aux déplacements, délivrée par l’aide à domicile, sont centrales quel que soit le territoire et représentent un axe fort pour le maintien de la mobilité des personnes vieillissantes. Les offres de la Cnav sont ordonnées à partir de circulaires nationales, même si chaque Carsat peut tisser des partenariats propres en fonction des besoins de son territoire. Dans les PAP préconisés par la Cnav, l’aide à la mobilité s’organise autour de deux axes : l’aide aux déplacements de proximité, c’est-à-dire à pied dans un secteur limité ; l’aide aux déplacements véhiculés. L’aide aux déplacements est aussi identifiée à travers l’aide aux courses.

Les aides aux déplacements de proximité sont consacrées aux déplacements réalisés à pied. La présence de l’aide à domicile doit rassurer la personne et la soutenir. Généralement, les plans d’action personnalisés comptabilisent aux plus deux heures d’interventions par semaine. Le fait que les déplacements soient inclus dans le plan d’aide permet un aménagement du temps de travail pour l’aide à domicile. Les déplacements accompagnés à pied doivent s’intégrer au sein des plans d’aide, qui comprennent souvent plusieurs actions à réaliser par l’aide à domicile en un temps donné. L’intervention à domicile, c’est-à-dire le déplacement des professionnels vers le domicile de la personne vieillissante, s’apparente pour certains géographes à de la « mobilité inversée » : ce n’est plus la personne qui va vers les services, mais l’aidant qui vient vers la personne vieillissante afin que cette dernière puisse rester à domicile (Laboratoire de la mobilité Inclusive, 2014 ; Colin, 2018).

Les déplacements véhiculés peuvent être réalisés par les aides à domicile ou par d’autres sociétés (en fonction des prestations proposées par le service prestataire intervenant à domicile). Il s’agit généralement de déplacements programmés à l’avance, comme pour des rendez-vous médicaux par exemple. Ce type d’aide, qui s’apparente aux TAD, questionne sur la façon dont la personne peut maîtriser son territoire lorsqu’elle est exclusivement passagère d’un véhicule : est-ce qu’un déplacement en voiture assure des échanges sociaux ou visuels pendant le déplacement ?

Enfin, l’aide aux courses est un élément important dans les plans d’action. Suivant l’état de la personne, l’aide à domicile peut réaliser seule les courses. L’instauration de cette aide a d’abord pour objectif de sécuriser la personne dans son territoire et de la laisser maîtresse de ses décisions dans l’objectif de maintenir son autonomie.

L’intervention des aides à domicile pour la mobilité des personnes vieillissantes est parfois difficile à quantifier, car l’aide au déplacement peut être tacitement réalisée de façon ponctuelle par

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les aides à domicile37 sans être officiellement prise en compte dans les plans d’action annuels. Par ailleurs, l’aide aux déplacements peut se trouver rapidement tributaire des qualifications de l’intervenant à domicile (parfois les aides à domicile n’ont pas de permis de conduire ou pas de véhicule). Le temps d’intervention de l’aide à domicile dans le logement de la personne aidée influe sur l’aide pour les déplacements : lorsqu’il n’y a que deux heures pour réaliser à la fois l’ensemble du ménage du logement et des déplacements, il est parfois délicat de parvenir à tout faire. Enfin, le territoire de vie et l’isolement géographique du logement de la personne aidée rentrent en compte dans l’organisation plus ou moins officielle de l’aide à la mobilité par l’aide à domicile : une personne vivant à proximité des commerces et des services demandera un temps d’accompagnement court pouvant facilement être intégré dans les deux heures d’intervention à domicile ; à l’inverse, une personne vivant en zone plus reculée sera confrontée à des distances et des temps de parcours long, ce qui peut avoir des effets sur la façon d’organiser l’intervention à domicile sur le temps imparti. L’aide pour les déplacements fait cependant partie intégrante des possibilités des aides à domicile et peut être inscrite dans les plans d’aide sous les trois formes évoquées précédemment (les TAD, les ateliers, les aides à domicile).

Face aux risques liés au vieillissement, notamment le risque d’isolement, la Cnav38 a choisi de concentrer ses actions de prévention autour de deux modes de transports : la marche et les TAD. La voiture, mode de transport largement utilisé par les personnes vieillissantes, constitue le mode de transport le plus contradictoire : son utilisation est souvent l’occasion de tisser du lien social à travers la réalisation d’activités extérieures au logement, mais parallèlement, le danger qu’elle peut représenter est mentionnée. Les transports en commun sont peu mobilisés et souvent remplacés par un réseau de TAD. Enfin, l’intervention des aides à domicile participe au maintien de la mobilité des personnes vieillissantes en aidant dans les déplacements à pied ou véhiculés suivant les besoins de la personne.

La mobilité locale est un moyen pour les personnes vieillissantes d’être en conformité avec le modèle du « bien vieillir » en permettant, avec parfois de l’aide, à pratiquer leur espace vécu et à se rendre à des activités pour entretenir le lien social. Cependant, lorsque les personnes vieillissantes ne peuvent plus se déplacer, elles ont plus de difficultés pour assumer les rôles attendus par la société (grand-parentalité, engagement citoyen, entraide envers les plus âgés). Ce mécanisme influence la construction de l’identité de la personne et l’image qu’elle pense avoir et refléter au reste de la société. « Le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes, mais des points de vue. Ces points de vue sont

socialement produits lors des contacts mixtes, en vertu des normes insatisfaites qui influent sur la rencontre » (Goffman, 1975, p. 153). L’étude menée par l’Inpes en 2009 sur les attentes des personnes

âgées en matière de prévention et de santé marque la distinction entre deux types de vieillesses. « Les

deux faces de la vieillesse, telles qu’elles ont été identifiées dans les travaux de sociologie et de psychologie sociale modèlent les discours et les messages publics concernant cette population : vieillesse ingrate d’une part, synonyme de dégradation et de dépendance ; vieillesse épanouie d’autre part, incarnée par le senior sportif et hyperactif surfant entre voyages, sorties culturelles et engagement associatif » (Bourdessol et Pin, 2009, p. 2). L’étude expose un temps de la vieillesse

consacrée à la réalisation de soi et un temps concerné par l’exclusion sociale ; la fragilité peut, d’une certaine façon, correspondre au début du second temps. L’étude révèle aussi une certaine « résistance aux messages » de prévention. Le vieillissement est perçu comme un « risque » qu’il faut contrer par l’instauration de « stratégies ». La mobilité locale peut alors apparaître comme une stratégie pour « lutter » contre le vieillissement. Avec le développement des difficultés physiques et des problèmes

37 Même si la Cnav utilise un Portail partenaires de l’action sociale (PPAS) qui propose une facturation harmonisée entre tous les services d’aide à domicile pour l’ensemble des bénéficiaires, la facturation peut parfois être opaque et ne pas toujours coïncider à ce qui a été préconisé dans le plan d’aide. Typiquement, des heures de ménages peuvent avoir été facturées alors que l’aide à domicile a accompagné le bénéficiaire pour faire des courses.

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de mobilité locale, cette correspondance entre l’individu et le modèle se tarit à mesure que les difficultés augmentent. Il est alors nécessaire de s’interroger sur la possible exclusion des personnes vieillissantes du modèle du « bien vieillir » tel qu’il est diffusé aujourd’hui. Le maintien de la mobilité locale doit faire l’objet de nouvelles représentations sociales pour que les personnes vieillissantes puissent s’y identifier sans difficulté.

82 Conclusion du chapitre

La grande vague de motorisation du XXe siècle couplée aux importants aménagements urbains qui facilitent les déplacements a considérablement accentué le lien entre quotidien et mobilité. La généralisation des transports a pour effet de transformer les façons de vivre et d’habiter, les lieux de vie et de travail. La mobilité locale est définie dans le travail de thèse comme un processus incluant à la fois l’élaboration des déplacements, leur réalisation et les relations sociales qui peuvent en découler. La mobilité locale se déroule dans l’espace vécu de la personne, c’est-à-dire dans son domicile ou à proximité, avec un maximum de 80 km parcourus dans la journée autour du domicile. La mobilité locale est une norme, voire une injonction pour l’ensemble de la population : elle s’impose à la population active à travers les déplacements pendulaires et aux personnes retraitées et vieillissantes à travers le modèle du « bien vieillir » qui demande un investissement dans la vie sociale et les activités physiques.

La mobilité locale des personnes retraitées et vieillissantes est souvent présentée dans les études en deux temps : les personnes sont d’abord dans une phase croissante de mobilité locale (mais aussi de mobilité de voyages), puis les personnes sont confrontées au vieillissement et à la fragilité qui agissent directement sur les déplacements et la mobilité. S’amorce alors une phase descendante où la mobilité décroît. Cette façon de percevoir la mobilité, largement diffusée par les travaux quantitatifs issus des grandes enquêtes sur les déplacements, correspond à ce que les politiques publiques diffusent sur le vieillissement. De plus, les façons de communiquer sur le processus de vieillissement se sont concentrées autour de deux temps. Les personnes ne pouvant plus se déplacer dans une société qui fait de la mobilité une véritable injonction peuvent se sentir en retrait de la société et de ses exigences, et donc se sentir stigmatisées au sens d’Ervin Goffman (Goffman, 1975). Les actions proposées par les caisses de retraite et notamment la Cnav, qui portent sur la mobilité locale sont nombreuses : aide à domicile, aide pour les déplacements véhiculés, aide aux courses, etc. Les institutions (départements, caisses de retraite, mutuelles, etc.) se sont saisies de la mobilité locale et en ont fait un des outils du « bien vieillir » et du maintien à domicile.

La mobilité locale pendant la retraite et le vieillissement fait alors l’objet d’une contradiction : d’une part, elle est motivée par les actions de prévention dans l’optique du maintien des capacités physiques et des relations sociales avec le modèle du « bien vieillir » ; d’autre part, elle est présentée comme dangereuse surtout pour les personnes ayant des difficultés physiques (source de chute voire d’accélération de la perte d’autonomie). Les personnes vieillissantes sont finalement confrontées au double discours des politiques du vieillissement et des messages de prévention : malgré leurs difficultés physiques, elles doivent continuer à se déplacer quotidiennement pour réaliser des activités physiques ou entretenir leur lien social. Cette contradiction permet d’observer l’influence des politiques du vieillissement sur les choix de mobilité locale des personnes vieillissantes, qui sont elles-mêmes sous l’influence de leur éducation, de leurs expériences passées, des interactions présentes et des choix de déplacement face auxquels l’injonction à la mobilité locale les place. Étudier la mobilité locale des retraités et des personnes vieillissantes permet de se concentrer sur la façon dont ces dernières intègrent la norme, voire l’injonction, et adaptent leur comportement de mobilité.

Le chapitre premier a démontré le lien entre la mobilité dans certaines théories du vieillissement et les politiques publiques du vieillissement. Le deuxième chapitre a exposé la norme de la mobilité locale qui s’impose à l’ensemble de la population, mais aussi la difficulté pour les personnes vieillissantes (caractérisées par une mobilité locale décroissante) de continuer à être conforme aux représentations sociales liées au « bien vieillir ».

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