• Aucun résultat trouvé

L’entraide comme expérience d’une relation réciproque égalitaire

Partie II : Analyse des résultats

1- Un espace collectif de valeurs vécues et en lien avec la communauté

1.1 Des valeurs pour orienter l’action : une expérience de reconnaissance réelle

1.1.4 L’entraide comme expérience d’une relation réciproque égalitaire

Les métiers du social et de l’intervention misent sur l’aide à la personne et aux communautés. L’aide peut néanmoins instaurer une relation asymétrique entre l’aidant et l’aidé, entre intervenante et usager. Le Rivage croit que chaque personne peut apprendre à développer son écoute et à croire en ses capacités à être présent à l’autre. C’est ce que livrent les propos de E4, une permanente :

Ce n’est pas parce que les gens ne sont pas intervenant [e] s, ou peu importe, qu’ils n’ont pas cette capacité-là. Je pense que l’on veut renforcer beaucoup

ce sentiment-là d’être capable de recevoir l’autre dans sa détresse. En les

encourageant à respecter leurs limites et tout ça, jamais au détriment d’eux. […] C’est sûr que l’on [les permanentes] a une certaine empathie et une écoute qui fait qu’on a décidé de faire ce travail-là. Mais tout le monde peut

développer ces qualités-là. Et des fois, c’est juste qu’ils (les membres) ne se

sentent pas… ils ne se sont jamais fait reconnaître là-dedans. Je pense que c’est vraiment de casser ce réflexe-là de : « Ça feel pas ? Va voir une intervenante ». (E4)

E4 mentionne que « recevoir l’autre dans sa détresse » est une qualité que « tout le monde peut développer ». D’encourager les membres à s’accompagner entre eux devient une pratique qui accroît la reconnaissance de leurs capacités. E4 introduit, bien que sans le nommer, le concept de l’entraide. L’entraide a de particulier qu’elle fait appel à une relation égalitaire et de réciprocité, principalement parce qu’elle met en action des personnes ayant des vécus expérientiels similaires. Les rôles pouvant s’inverser, l’entraide à la particularité d’amener l’aide à voyager dans les deux sens.

Dans son discours, E7, membre au Rivage, explique comment se vit l’entraide dans la ressource :

Le Rivage est une place où, si j’ai besoin d’aide ou de quelque chose, je

peux le demander à n’importe qui qui s’y connaît. […] C’est comme une

choses. […] C’était seulement un membre qui venait ici, mais il connaissait ce genre de chose [problème] et il m’a aidé. Parce que je ne pouvais le faire [seul]. (E7)

Cet extrait illustre comment un membre de la ressource en accompagne un autre membre pour faciliter son cheminement personnel. E7 parle d’un savoir expérientiel à partager. Ce savoir entre en résonnance avec le vécu d’un autre membre. Il libère une parole qui crée le lien, qui l’inscrit dans un cheminement ensemble. Ces éléments vécus, ressentis et partagés par les deux personnes sont, à nos yeux, propres à ce que Ricoeur (2004) nomme comme une « reconnaissance mutuelle » génératrice d’une estime mutuelle à de mêmes valeurs où chacun peut mesurer l’importance de ses qualités propres pour la vie de l’autre (Ricoeur, 2004, p.316). Cette réciprocité crée les liens solidaires. Plus qu’écoutées, les personnes se sentent reconnues. Autrement dit, dans l’exemple ci-haut, la transformation personnelle de E7 a pu s’opérer grâce au lien développé avec un autre membre ; une relation particulière – au sens d’une reconnaissance singulière et personnelle – s’est élaborée entre ces deux personnes s’expérimentant à travers une nouvelle compréhension d’eux-mêmes.

E6, un autre membre, lui aussi se conçoit dans un désir d’action et de solidarité qui crée du lien.

La façon que je désire que ça aille… je veux voir plus… je voudrais voir plus de gens qui ont des difficultés, qu’elles sortent [de chez elles]. […] qu’elles

sachent qu’elles ne sont pas les seules et qu’elles ne sont pas seules. (E6)

E6, comme il nous le partageait a vécu dans son passé de l’isolement et des difficultés à entrer en relation avec les autres. Son désir est donc de venir en aide aux personnes dans cette situation. C’est bien là la particularité de cette entraide : elle part de la connaissance vécue d’une réalité et d’un désir d’agir solidairement sur elle. C’est là un terreau de la production des savoirs expérientiels, lesquels sont de plus en plus mis en valeur dans le processus de rétablissement et considérés comme un apport notable dans l’élaboration des pratiques en santé mentale20.

20 La revue Le Partenaire, revue spécialisée en réadaptation psychosociale et en rétablissement en santé mentale, consacre un numéro en entier au savoir d’expérience (voir « Savoir expérientiel en santé mentale :

Le partage des vécus personnels associés à la santé mentale constitue un élément habilitant la personne à aider un pair dans son propre vécu expérientiel. De plus, de contribuer au bien-être de l’autre personne ou du groupe rend possible l’émergence d’un sentiment de dépassement de soi. C’est-ce que nous percevons dans ce que témoigne E7 :

C’est amusant d’essayer, en fait, de faire quelque chose de plus grand, qui va aider avec d’autres choses qui n’ont rien à voir avec moi. […] De faire des choses qui vont aider les gens ici, qui vont aider les gens de partout, tous

ceux qui participent. […] Quand on fait ça, on peut aider plus de monde, on

peut toucher les vies de plus de monde. (E7)

E7, et plus haut E6, parlent d’un dépassement de soi, de décentralisation de soi selon une dynamique de mouvement citoyen. En fait, ils désirent mettre leurs talents et leurs forces à la construction, avec « tous ceux qui participent » d’un mieux-être collectif. Bref, ce qui est décrit ici, c’est que les pratiques de la ressource rendent possible l’actualisation d’expériences d’empowerment collectif. Ces deux membres au-delà de leurs propres besoins désirent participer au bien-être commun. Au-delà de faire du bien, au-delà de fonctionner en société, il y a des motivations d’action réelles et intrinsèques pour participer au développement d’un bien-être collectif.

La valeur de l’entraide promue au Rivage trace une voie vers le désir d’une action collective plus large sur le social, qui va au-delà de soi. En définitive, la réciprocité et l’entraide que génère l’espace du Rivage créent des liens et des relations solidaires et cette solidarité d’acteurs se traduit dans une volonté plus large de construire un monde inclusif et orienté vers le bien commun.

Les valeurs et pratiques que Le Rivage promeut rendent possible la transformation des personnes par le vécu d’expériences de reconnaissance, mais aussi au cœur même des relations que ces personnes engagent, les amenant à effectuer un décentrage de soi, à entrer en interaction avec les autres et à contribuer à la construction de projets communs orientés vers le bien-être collectif, vers « quelque chose de plus grand ».

un apport significatif aux multiples facettes », Le Partenaire, vol. 24, no 3, printemps 2016, [En ligne], Repéré à https://aqrp-sm.org/partenaire/flipbook/vol24n03-246001/pdf/le-partenaire-vol24no3-2016.pdf

De cette section, retenons trois caractéristiques des pratiques d’entraide des membres du Rivage : 1) les principaux concernés sont impliqués directement dans le processus de rétablissement de leurs pairs, 2) ils en sont capables et leur savoir expérientiel est reconnu et considéré comme pouvant faire une différence dans la vie d’un autre membre et 3) ils sont tout à fait crédibles puisqu’ils peuvent témoigner de leurs expériences vécues.

Outline

Documents relatifs