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Le collectif : un facteur thérapeutique de premier ordre

Partie II : Analyse des résultats

1- Un espace collectif de valeurs vécues et en lien avec la communauté

1.2 Le collectif : un facteur thérapeutique de premier ordre

Le Rivage tient à libérer un espace collectif libre d’oppression et d’exclusion. Ces traits semblent centraux pour agir sur la santé mentale. Comme mentionné précédemment, les pratiques des ressources alternatives sont d’abord collectives. Pour ces ressources, les problèmes de santé mentale comportent une forte dimension sociale souvent ignorée. Or, le modèle de pratiques du Rivage met l’accent sur la dimension sociale et collective afin de favoriser la bonne santé mentale. Nous amenons la thèse que les pratiques du Rivage visent améliorer la vie des personnes en agissant sur leur environnement social pour rendre celui-ci habilitant plutôt que débilitant au sens d’une diminution de la capacité d’être soi et d’agir.

1.2.1 Aller à l’encontre de la normativité instituée : démocratiser les pratiques

Notre hypothèse est que Le Rivage n’est pas et ne se veut pas un organisme de service, il se veut et se comprend plutôt comme un espace relationnel et communicationnel de lutte contre l’exclusion.

En ce sens, il lie la problématique de la santé mentale à celle d’un déficit démocratique et citoyen dans nos sociétés. Le modèle de pratique qu’il développe s’inscrit à contre-pied des processus de stigmatisation, d’invalidation et de ségrégation identitaire subis par les personnes présentant des problèmes de santé mentale. E5, permanente à la ressource nous raconte :

Beaucoup, beaucoup d’organismes reprochaient ça, disaient qu’il n’y avait pas de services en santé mentale dans le Val St-François parce que Le Rivage

ne fait pas sa job parce qu’il n’y a pas de service […] il n’y a pas de suivi. Ici, on ne fait pas de suivi et tout ça. Alors, il n’y a pas de services. Et qu’est- ce qu’on fait avec les malades mentaux ? (E5)

C’est à tout le monde à se préoccuper de la santé mentale et à favoriser la santé mentale de tout le monde. Ce n’est pas juste la job du Rivage de traiter de santé mentale. (E5)

Ce « tout le monde » qu’elle mentionne inclut les autres organisations, mais aussi tout citoyen. C’est aussi ce qu’ont amené ses collègues interrogées. Le Rivage considère que tout le monde doit participer à la construction de l’action menant à la réponse aux problématiques de santé mentale sur le territoire. E3, intervenante externe au Rivage, partage sa vision des problèmes de santé mentale et amène une distinction à prendre en compte :

Ce n’est pas parce que tu as un problème de santé mentale que tu as besoin nécessairement d’être pris en charge. Peut-être que ton problème de santé mentale a besoin d’une prise en charge, mais ça amène cette distinction-là qui n’est pas toujours faite dans la société, entre une maladie qui a besoin, des fois d’une prise en charge, et qui est à la fois, des fois, personnelle et

externe à soi. Dans le sens que, des fois, tu as besoin d’une aide externe, mais d’avoir une prise en charge qui soit citoyenne aussi. (E3)

Pour E3, la prise en charge de la personne n’est pas une condition obligatoire et nécessaire au traitement de la maladie. Elle identifie cependant le la « prise en charge citoyenne » comme élément thérapeutique. En d’autres mots, elle amène la composante du social qu’elle nomme citoyenne comme facteur clé dans la résolution d’une partie des problèmes de santé mentale, facteur qui engage la communauté ou du moins, l’entourage de la personne.

E2, permanente au Rivage, va dans le même sens, mais le fait en soulignant et critiquant la forte tendance à recourir aux services individuels en santé mentale et à délaisser la dimension sociale et collective du problème.

Oui on le sent cette pression à avoir des services individuels. […] Parce que le problème avec les problèmes de santé mentale, c’est un problème social.

C’est le social qu’il faut que tu répares […] basé sur des valeurs et des principes collectifs. Mais si on pense que le problème, c’est un problème d’individu, on va travailler que l’individu et on ne travaillera pas le social. […]. Certes, les souffrances qu’ils vivent sont vécues individuellement. Comme c’est un problème social, ça prend des réponses collectives. (E2)

E2 voit les problématiques de santé mentale comme ayant une origine sociale. Ceci vient appuyer la position du Rivage vis-à-vis les problèmes de santé mentale et la raison pour

laquelle la ressource s’engage à travailler le collectif et le social pour y remédier. Pour E2, la solution doit être réfléchie et portée collectivement : une solution solidarisée. Ce point de vue met Le Rivage en marge de la norme actuelle qui est d’individualiser les problèmes et, comme Otero (2015) le souligne, d’y trouver des réponses tout aussi individualisantes comme la psychothérapie et la pharmacologie. Les « réponses collectives » que propose E2 invitent à la réflexion et à l’action, à l’intérieur du Rivage comme avec tous les acteurs de la société sur des principes collectifs et d’affirmation citoyenne comme l’apporte E3 un peu avant elle. Pour notre part, nous relions cette dimension collective à ce que Parazelli (2004) lie à l’expression de l’autonomie et de la participation aux orientations de l’organisme. Pour cet auteur, le vécu d’une participation sociale citoyenne « s’inscrit dans un processus historique d’affranchissement des individus à l’égard de toutes formes d’oppression en leur reconnaissant une autonomie et des droits » (Parazelli, 2004, p. 10). C’est en ce sens que les propos de E3 et E2 nous amènent à penser que le modèle de pratique du Rivage lie les questions de démocratie, de dignité et de santé mentale.

Ce croisement entre participation citoyenne et santé mentale recoupe le discours de E5 amené plus haut à l’effet qu’il n’y a pas de prestations de services, qu’« il n’y a pas de services », au Rivage. En fait, avec son accent sur la participation citoyenne, le modèle d’intervention du Rivage cherche, nous semble-t-il, à sortir d’une vision marchande des rapports sociaux voulus au sein de l’organisme. Jean-Pierre Deslauriers (2014) critique la distinction à laquelle prétendent les organismes communautaires en faisant valoir que ceux-ci tendent eux aussi à un rapport d’offre de services comme dans le réseau public. Le modèle du Rivage semble échapper à cette critique. Le Rivage, avec sa lecture sociale des problèmes de santé mentale (E2), l’accent sur une « prise en charge qui soit citoyenne » (E3) et le fait qu’il n’offre pas de services (E5), définit plutôt sa pratique par la création de liens entre citoyens et de communautés habilitantes, comme nous le verrons dans la section suivante, cherche à distancer sa pratique d’une lecture marchande de prestation de services. Les membres participants de l’organisme sont pris comme acteurs de celui-ci, ils sont invités à participer à un espace communicationnel ouvert pour prendre des décisions de même qu’à se comprendre à travers des dynamiques d’entraide et de solidarité mutuelle. Le modèle de pratique du Rivage ne nie pas le besoin d’expertise

clinique, médicale et psychologique en santé mentale, mais définit pour sa part un modèle d’action définitivement tournée vers l’aspect social et sociétal de la problématique de la santé mentale. C’est l’idée en quelque sorte que les personnes, par l’entremise d’une communication claire (écoute et dialogue respectueux), puissent agir sur certains problèmes ou conditions environnantes qui génèrent des problèmes de santé mentale. Cette section a permis de concevoir la dimension sociale et collective comme des composantes à prendre en compte dans la réponse aux problématiques de santé mentale. Ceci permet alors de considérer d’autres éléments dans la réussite ou l’échec de l’intégration. Vus sous cet angle, le bon vouloir et les efforts fournis par la personne avec une problématique de santé mentale pour s’intégrer à sa communauté et à la société ne sont pas à eux seuls des gages du succès de cette opération. L’intégration se fait nécessairement en interaction avec autrui, avec un collectif ou un environnement. Il y a donc là une importance à considérer les facteurs sociaux externes à la personne comme éléments facilitant, ou au contraire, entravant l’intégration. C’est ce dont nous traitons dans la section qui suit.

1.2.2 Transformer l’intégration en favorisant la responsabilité collective au travers de communautés habilitantes

La société occidentale actuelle engendre et perpétue des phénomènes d’exclusion. Les normes et standards élevés rendent la normalité de plus en plus inatteignable ; tout parcours un tant soit peu marginal vient disqualifier la personne et ses expériences. À nos yeux, Le Rivage propose, par ses pratiques, une manière de vivre en société, et ce, de façon inclusive et démocratique.

Au cours des observations et des entrevues menées, nous avons été avisée à différentes reprises de la règle qui prévaut au Rivage que E5, permanente, dévoile ici explicitement : « Dans la philosophie, on dit qu’il y a juste une règle au Rivage et c’est que l’on n’exclue personne » (E5). Cette règle fait écho aux valeurs d’accueil et de respect que nous avons précédemment relevés de notre analyse. L’inclusion sans prérequis s’applique bien entre leurs murs, mais qu’en est-il en dehors ? Et dans la communauté ? Dans son document nommant ses valeurs de base (René, 2013, p.2), Le Rivage fait valoir que sa mission est de « favoriser le maintien et l’intégration dans la communauté des personnes qui vivent

ou qui ont vécu une problématique de santé mentale ». Le Rivage vise donc une « intégration dans la communauté ». Bien que ceci soit fort vertueux, la réalité n’est pas toujours aussi simple et un travail de réflexion doit s’amorcer pour rejoindre les communautés et comprendre aussi leurs besoins pour faciliter l’intégration. Une permanente, E2, amène cette réflexion :

On fait comment pour intégrer et maintenir quelqu’un dans la communauté quand la communauté ne veut pas ? On fait comment pour intégrer et maintenir quelqu’un quand la personne ne veut pas ? Est-ce que c’est notre rôle de forcer des gens, à intégrer ou à être maintenu ou à maintenir quelqu’un qu’ils ne veulent pas voir ? (E2)

Les gens ne peuvent pas s’intégrer dans une communauté qui ne veut pas. Pis qui ne fait pas d’efforts. Pis qui ne change rien. Fait que notre rôle, c’est de

travailler aussi avec la communauté, développer le pouvoir d’agir des communautés dans l’intégration. (E2)

E2 fait valoir que le mandat du Rivage est aussi auprès de la communauté pour « développer le pouvoir d’agir des communautés dans l’intégration ». On comprend donc ici que l’intégration ne se pense pas comme l’adaptation de la personne à son environnement physique et social. L’intégration se réfléchit et s’actualise avec la communauté pour dépasser la simple tolérance et tendre vers l’accueil afin que les personnes avec une problématique de santé mentale puissent occuper les espaces offerts dans la communauté comme n’importe quel autre citoyen. Il est donc question ici d’une responsabilité collective dans le processus d’intégration. Et, toujours selon la permanente E2, il faut « être à l’écoute de la communauté » et « être à l’écoute de l’interaction qu’ils [les personnes avec un problème de santé mentale] ont avec la communauté. » (E2) Autrement dit, l’interaction est dynamique et il est important, pour favoriser l’intégration, de suivre les mouvements des deux partis dans l’interaction. En outre, la ressource va à la rencontre de la communauté de différentes manières. Par exemple, au printemps 2018, Le Rivage a organisé un forum citoyen ayant pour thème la santé mentale. Ce furent trois soirées dans les trois principales villes du Val St-François où Le Rivage allait à la rencontre des citoyens dans le but de connaître leurs besoins et de les accompagner dans des projets issus de la communauté. À différents moments dans

l’année, il y a aussi eu l’activité Porteurs de paroles21 pour démystifier la santé mentale. Enfin, le café communautaire de Richmond, un projet issu et totalement autogéré par des membres du Rivage. Toutes ces activités sont autant d’espaces de rencontre et de dialogue avec la communauté que Le Rivage crée. Ces espaces permettent de démystifier la santé mentale, de favoriser les interactions et de créer des liens parmi les membres et les communautés.

Faisant du collectif sa pièce maîtresse dans l’exercice de ses pratiques et de sa vision sociale entourant les problèmes de santé mentale, Le Rivage participe à la création de collectifs démocratiques et participatifs. Ces espaces collectifs de participation citoyenne représentent pour nous un facteur thérapeutique de premier ordre. Il s’avère être un élément innovant dans la construction de pratiques s’orientant vers la transformation sociale et la lutte contre les stigmates sociaux. Les communautés deviennent actrices dans la mise en place de la mission du Rivage et ce dernier développe avec elles des pratiques pour desservir tout le territoire du Val St-François. Voyons comment Le Rivage s’y prend.

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