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L’accompagnement dans l’articulation de la réflexion collective à la prise de

Partie II : Analyse des résultats

3- De l’émergence de la parole à la participation citoyenne : un parcours politique

3.1 L’accompagnement dans l’articulation de la réflexion collective à la prise de

Comme vu au chapitre précédent, la réflexion occupe une place centrale dans les pratiques du Rivage. Par ailleurs, à la réflexion collective pratiquée, se joint l’énonciation dans le discours et le partage par le dialogue. Ce faisant, c’est un processus de subjectivation et la création du politique, compris alors comme le mieux vivre-ensemble et l’affirmation du nous qui s’opèrent. Le processus de subjectivation politique permet le passage de la personne objet de l’action à sujet de l’action ; d’objet du social, elle devient actrice dans le social et partie prenante de sa définition.

D’entrée de jeu, la personne qui se présente à la ressource Le Rivage est considérée comme sujet et non comme un objet d’intervention. Dans la quotidienneté, les situations personnelles peuvent servir de base pour aller vers une réflexion collective au travers d’un dialogue engagé avec les autres membres. Pour y arriver, le rôle de la permanente consiste à instaurer un espace de parole et de dialogue pour la personne et le groupe afin d’effectuer une transition entre la demande individuelle rapportée à la permanente vers un accompagnement de la demande par le groupe :

Une de nos grandes valeurs, c’est l’accueil. On [les permanentes] ne va pas

refuser de prendre un temps parce que, ce n’est pas vrai que c’est tout le

monde qui a le même genre d’écoute. Et qui est capable d’écoute aussi

désintéressée dans le sens… Tu comprends ce que je veux dire ? Fait que des fois, une personne peut arriver en grande détresse et c’est à nous [les permanentes] de voir si c’est opportun de rapporter ça au groupe. Ou si la personne a vraiment besoin d’une écoute attentive. Et de voir aussi si les autres sont capables de l’accueillir là-dedans. Fait que de voir, sans prendre

toute la responsabilité sur nos épaules, pis de dégager le groupe de cette responsabilité-là. (E4)

Dans cet extrait, E4 nomme que le rôle des permanentes en est un d’écoute ; et cette écoute est l’une des principales qualités qu’elles possèdent. On saisit aussi de ces propos que la permanente a d’abord un travail de réflexion à faire afin de discerner si la situation demande un accompagnement plus individuel et soutenu ou si le groupe peut s’en charger. Ce faisant, engager le groupe dans l’accompagnement de la personne et dans une forme d’entraide s’avère être un levier d’intervention pour la personne et pour le groupe en entier, chacun pouvant apporter sa contribution. Il se dégage également que prendre soin l’un de l’autre dans le groupe est une responsabilité qui incombe au groupe en entier. La permanente a pour rôle d’accompagner le groupe dans cette démarche sans pour autant se délester de sa propre responsabilité vis-à-vis la personne et le groupe.

Poursuivons, toujours avec E4 sur la manière d’accompagner un groupe pour l’amener à s’entraider :

Si on est déjà en groupe, c’est un petit peu plus facile, parce que là, on peut demander à la personne la permission, mais c’est tout en délicatesse, mais d’amener justement la préoccupation, de voir si la préoccupation résonne

chez les autres membres du groupe. Si les autres membres du groupe, comment ils réagissent à ça, s’ils se sentent en mesure de réagir et tout ça.

Pis dans les groupes d’entraide, c’est un peu ça qu’on essaie de faire aussi.

Quand il y a quelque chose qui est nommé, de voir comment ça interpelle les autres. Y a-t-il des choses qui… des solutions que l’on peut ressortir tout le monde ensemble ? Si, mettons la personne arrive et qu’il n’y a

personne, qu’il n’y a pas d’autres membres dans la ressource, c’est sûr qu’on va prendre le temps de parler avec elle. On ne la laissera pas aller, surtout si on est inquiet pour elle ou quoi que ce soit. Mai sinon, on peut l’encourager

à partager aux gens qui sont-là. Et des fois, ça peut ne pas se prêter non plus. Ça peut être plus malaisant que d’autre chose. Ça dépend. De voir aussi avec la personne avec qui elle se sent à l’aise. […] Mais vraiment de

renforcer le tissu et dire on est un groupe et on est capable de s’entraider puis de se supporter. (E4)

Dans un premier temps, il ressort de ce discours qu’amener un groupe à s’entraider et à se renforcer consiste en un fin travail d’analyse. Il s’agit là d’un savant mélange de réflexion, de mesure du risque et de gestion de la situation que fait la permanente. Son jugement est mis à contribution dans le feu de l’action : sa capacité de rebondir d’un problème personnel et de transposer le tout au collectif, au groupe, relève d’un savoir- pratique qu’elle affine au fil des années.

Dans un deuxième temps, ce que ce même extrait révèle est le levier d’intervention propre au processus d’aide mutuelle que permet le groupe. En effet, l’expérience individuelle d’une personne devient une opportunité pour le groupe de s’engager dans l’accompagnement de la personne par la réflexion et le dialogue. Steinberg, (2008) ferait valoir que ces échanges sont source d’enrichissement pour chacun et aussi, pour le processus expérientiel du groupe. En effet, les différents apports de chaque participant contribuent à une autre compréhension et définition que le groupe se donne. En ce sens, le processus expérientiel du groupe est dynamique et en constante redéfinition.

Dans un troisième temps, cette pratique de subjectivation collective cible une réflexion qui transmue une injustice vécue personnellement à sa dimension politique : le privé devient politique. Ainsi, ces exercices de réflexion amenés dans un groupe créent un espace où la parole s’énonce et est entendue, un espace qui permet aux membres de se comprendre comme sujet pensant, parlant et agissant. E4 nous explique que la visée de cet exercice est aussi le développement de liens solidaires ; créer une cohésion entre les personnes qui viendra « renforcer le tissu » (E4). Par ailleurs, elle mentionne également la mise en évidence de leurs forces et capacités à travailler ensemble pour résoudre un problème. Autrement dit, les personnes prennent conscience de leurs forces et de leur pouvoir en tant qu’individus, mais aussi en tant que collectif.

Nous voyons que la réflexion articulée et renforcée par la parole participe à la création du sujet. Pour des auteurs comme Touraine (2007) et Wieviorka (2012), le sujet représente la « capacité d’être acteur » (Wieviorka, 2012, p. 5), le potentiel de devenir maître de son expérience, de bâtir sa vie et d’être responsable, au sens de s’approprier ce qu’il vient

d’énoncer et de considérer les conséquences de ses futurs actes. Selon Wieviorka, le sujet est capable de réflexion critique, possède une connaissance de la vie collective et considère les autres humains comme détenant les mêmes droits et possibilités que lui. Le sujet est donc un individu unique dans son individualité, sans pour autant être individualiste. Le sujet ne se définit non pas seulement en fonction de lui-même, mais en fonction de son environnement social et des expériences qu’il vit dans ce monde social. Du sujet individuel peut aussi naître, par la collectivisation et le partage d’expériences, un sujet collectif rassemblant un ensemble de sujets ayant des intérêts communs.

Comme nous avons pu le remarquer lors des périodes d’observations (directes et participantes) et dans les discours recueillis, c’est la collectivisation qui est à l’avant-plan au Rivage ; que ce soit la collectivisation des problèmes, des solutions, de la réflexion ou de l’action. Comme en témoigne la précédente citation de E4, le groupe fait l’expérience du vivre-ensemble. Ce qui était auparavant du domaine du privé est partagé dans un but de transformation, et en ce sens, non seulement le privé devient politique, mais aussi, ce partage rend possible l’émergence du sujet politique. Jocelyne Lamoureux (2008) définit la subjectivation politique comme :

[…] la production d’une capacité d’énonciation, d’argumentation et la production d’une série d’actes, de mises en scène où se revendique, s’affirme et se donne à voir une expérience d’égalité des êtres parlants avec les

autres êtres parlants. (Lamoureux, 2008, p. 230)

L’avènement du sujet politique survient lorsque la personne est en mesure de partager de manière discursive son histoire pour la transformer. Au regard de la stigmatisation, l’énonciation de soi comme sujet est déjà un acte politique, une reprise du pouvoir confisqué. Le Rivage libère des espaces de parole, de réflexion et de mise en commun où entrent en rencontre et en dialogue des sujets politiques. Ces espaces permettent de dégager une voix commune qui s’élève pour se faire entendre et ils participent ainsi à la formation du nous, à la constitution du sujet collectif. Ce sujet collectif se définit par ses expériences communes et s’unit dans une compréhension d’enjeux qui le touche et pour lesquels il lutte et revendique une place qu’il est en droit d’exiger. Pour Gilbert (2015), la prise de conscience des injustices et la création du sujet collectif s’avèrent être un levier à la transformation sociale si le sujet collectif devient acteur collectif et agit pour modifier

la réalité. Il y a bien là, dans les pratiques réflexives, un potentiel de solidarisation et de mobilisation.

Pour conclure, les pratiques articulant la réflexion collective à la parole sont porteuses d’un changement réel dans les interactions entre les acteurs. Elles permettent le processus de subjectivation (voir schéma 5 suivant) et le passage du sujet au sujet politique, puis, comme l’amène Gilbert (2015), au sujet collectif pouvant devenir un réel acteur collectif.

Schéma 5 : La subjectivation : un processus créateur de sujets

Le Rivage participe à une reprise de pouvoir des personnes dites vulnérables. C’est un processus d’empowerment individuel et collectif qui s’opère. De plus, ce nous solidarisé autour d’objectifs communs est une identité positive qui s’énonce dans un discours commun. En somme, cette ressource propose des pratiques permettant à une parole transformatrice de se constituer, se libérer et se faire entendre. Ces pratiques se veulent réflexives et créent le politique tant dans une forme symbolique – par une compréhension

Sujet

• La personne = Sujet et non objet d’intervention

• Le Rivage, un espace de parole pour se comprendre autrement

Sujet politique

• La personne partage son histoire pour la transformer.

Sujet collectif

• Libération d’espaces de parole, de réflexion collective et de mise en commun. Constitutions du sujet collectif. Le « NOUS »

• Prise de conscience collective des injustices

Acteur collectif

• Le sujet collectif devient acteur collectif.

• Levier à la transformation sociale si ce sujet collectif devient acteur collectif (Gilbert, 2015).

différente des acteurs, d’eux-mêmes et de leurs actions – et aussi concrète et appliquée par la mobilisation des acteurs dans la réalisation de l’action. Le Rivage libère des espaces discursifs de transformation sociale et d’émancipation identitaire.

3.2 La pratique du débat : l’exemple d’un acte fondateur du sujet dans la lutte à la

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