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Épistémologie de la recherche et posture de la chercheuse

Partie 1 : Problématique, théorie et méthodologie

3- Cadre méthodologique et épistémologique

3.1 Épistémologie de la recherche et posture de la chercheuse

L’épistémologie réfère à la philosophie des sciences, c’est-à-dire, à « l’étude critique des sciences afin d’en identifier leur origine, leur valeur et leur portée » (épistémologie, s.d.). Pour Granger (1960), l’épistémologie est « la pratique de la science dans son processus de création et de mise en œuvre » (Granger, 1960 cité dans Lefrançois, 1991, p.75). Ce qu’il faut en comprendre, c’est que le choix épistémologique de la recherche est subordonné à la relation qu’entretient le chercheur avec la recherche et au regard qu’il pose sur le terrain. Conséquemment, la question de recherche et les objectifs qu’il poursuit sont tributaires de ce choix épistémologique.

Le choix épistémologique de cette recherche repose sur les paradigmes constructiviste et interprétativiste. Sous cet angle, le monde tel qu’il se présente aux individus n’est ni plus ni moins que la manière dont ils le perçoivent et qu’ils l’interprètent. Conséquemment, la réalité s’avère dès lors un construit social. Autrement dit, le sujet interprète puis se représente la réalité par rapport aux interactions qu’il négocie avec son environnement et avec les individus partageant cet environnement, créant ainsi son histoire singulière (Riverin-Simard, Spain et Michaud, 1997). Les personnes qui fréquentent Le Rivage, tant les permanentes11 que les membres-citoyens12, entretiennent certaines représentations de la réalité, lesquelles sont fortement influencées par la culture et les expériences vécues collectivement. Cette réalité est donc une réalité perçue et propre au Rivage et elle permet

11 Le terme « permanente » remplace ici le terme « intervenante ». Nous expliquons, dans la deuxième partie en section 4.2, la raison de ce choix de terme.

12 Le terme « membres-citoyens » renferme la double identité que le Rivage met de l’avant pour ses membres : une identité de membre, liée à une forme de vie associative dans la ressource et se joignant à celle de citoyen, comprise alors comme membre à part entière dans la société.

aussi aux personnes qui y évoluent de se comprendre (de se concevoir, de se représenter, etc.) et de se positionner dans la société. Cette réalité est aussi appelée à se transformer dans le temps au fur et à mesure que les personnes évoluent et qu’elles acquièrent de nouvelles connaissances ou informations. Avec ce nouveau bagage, comme l’entendent certains chercheurs, les personnes qui fréquentent le Rivage élaborent et reconfigurent des représentations plus raffinées ou complexes de leur réalité (Riverin-Simard, Spain et Michaud, 1997 ; Delory-Momberger, 2005).

Le chercheur n’échappe pas à cette tendance et possède lui aussi ses référents sociaux. Sa posture correspond à sa vision du monde tel qu’il se la conçoit et cette posture vient teinter d’une certaine manière son attitude devant la recherche. La conscience et la connaissance qu’a le chercheur de sa posture lui permettent de voir ses biais et ainsi, témoignent d’une plus grande validité à la recherche, ne se limitant alors pas à ce qu’il veut bien voir, mais offrant plutôt une considérable transparence.

À l’instar de Laperrière (1997), nous croyons que la vision du réel, la vision du monde et la posture épistémologique du chercheur viennent l’influencer dans son choix du cadre conceptuel, de sujet et d’objet de recherche, de sa méthodologie, de son analyse, etc. Même s’il est impossible pour le chercheur de s’extraire totalement de ses a priori théoriques et de sa perspective, il doit en avoir conscience et considérer qu’ils ont seulement une « valeur instrumentale » (Paquet, 2014, p. 144).

Nous estimons que les paradigmes sociocritique, constructiviste et interprétativiste sont nos principales influences. Nous concevons que ce positionnement n’est pas étranger au choix du cadre conceptuel et de la méthodologie qui sera employée. De surcroît, tel que mentionné en introduction, les choix de notre sujet et de notre objet de recherche ont été inspirés en partie par notre participation dans le cadre d’une recherche portant sur les rapports entre les organismes communautaires en santé mentale et l’État (Savard et coll., 2017). D’une manière plus personnelle encore, notre intérêt pour les pratiques collectives, pour l’aspect créatif et autonome de ces pratiques et de leurs auteurs furent aussi une autre source d’influence.

Posture de la chercheuse

Nous nous inscrivons dans le courant de la recherche de théorie critique, c’est-à-dire qui puise sa motivation dans la transformation du social par le truchement de démarches se voulant émancipatrices.

La théorie critique propose une lecture ancrée de la réalité sociale du moment s’enjoignant à l’histoire sociale, tout en ayant une portée vers l’avenir. Vu sous cet angle, la théorie critique se comprend comme étant dynamique et en perpétuel renouvellement (Voirol, 2012).

La théorie critique a pour cible le dévoilement des rapports de domination et cherche des réponses pour s’en émanciper (Gomez-Muller et Rockhill, 2010; Voirol, 2012). Dit autrement, la théorie critique se veut libératrice et tente d’extirper les personnes des oppressions et aliénations engendrés par les rapports sociaux de dominations devenus normalisés et légitimés. Autrement dit, par ses dévoilements et processus de théorisation, ce courant de recherche se veut contributif aux dynamiques émancipatoires présentes dans la société.

Au sein du social, existe certes des « pratiques sociales effectives indépendante de toute activité théorique », toutefois le chercheur, par la théorisation sur ces pratiques « préthéoriques » (Voirol, 2012, p.115) contribue à la dynamisation de leur existence, à la diffusion de leur déploiement, ainsi qu’au dévoilement de ce qui gêne ou s’oppose à leur mise en forme (Voirol, 2012).

La recherche critique que nous proposons est donc ancrée dans le présent, tient compte des contextes et analyse les pratiques en place au moment de la collecte des données. La tâche de la chercheuse dans la modélisation des pratiques de la ressource, sous une posture critique, est donc un travail de théorisation pour donner plus de corps à ces pratiques de manière à accroître leur potentialité de contribuer à la « vie bonne » (Voirel, 2012, p. 115) pour les personnes fréquentant la ressource étudiée.

En somme, notre question Comment les différentes pratiques mises de l’avant au Rivage

participent-elles d’un modèle d’intervention alternatif en santé mentale et comment s’orientent-elles vers la transformation sociale ? et les objectifs poursuivis par cette

recherche ont été effectués sous les paradigmes sociocritique, constructiviste et interprétativiste. La posture axiologique critique adoptée aura permis de cadrer l’objectif de la recherche de manière à appuyer par un travail théorique les dimensions émancipatrices des différentes visions et pratiques d’interventions de santé mentale étudiées.

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