• Aucun résultat trouvé

Des expériences de reconnaissance sociale dans un espace ouvert

Partie II : Analyse des résultats

1- Un espace collectif de valeurs vécues et en lien avec la communauté

1.1 Des valeurs pour orienter l’action : une expérience de reconnaissance réelle

1.1.3 Des expériences de reconnaissance sociale dans un espace ouvert

L’accueil est une valeur promue par l’ensemble des ressources alternatives en santé mentale. Le Rivage se dit ouvert aux communautés, considérées comme actrices dans sa mission, et crée les conditions pour que les espaces qu’il met en place témoignent de cette valeur d’accueil.

E7, membre de la ressource, nous fait valoir que l’accueil qui prend forme à la ressource se veut inclusif pour tous ; que l’on soit membre ou citoyen désirant connaître un peu plus Le Rivage :

Le Rivage est ouvert à tout le monde. Même s’ils ne sont pas dans le Val St- François. S’ils viennent pour visiter, on ne va pas refuser, on ne va pas demander : “ C’est quoi votre adresse ?” On s’en fout. […] Ici, tu n’as pas

besoin de problématique de santé mentale, tu n’as pas besoin d’adresse.

[…] Je veux dire, tu viens ici, tu viens une fois, deux fois, tu viens chaque semaine. Mais on s’en fout. Tu peux venir n’importe quand. Si tu ne viens

pas, c’est ben correct. […] Ce n’est pas vraiment pour les membres seulement. […] Tu n’as pas à être membre pour venir ici. Tu peux venir quand tu veux. (E7)

Dans cet extrait, E7 met de l’avant la valeur de l’accueil en mentionnant que Le Rivage est « ouvert à tout le monde ». Le Rivage est un espace commun ouvert et non stigmatisant ou discriminant. E7 souligne également le caractère volontaire et donc, la motivation personnelle que la personne a à venir ou pas. Plus loin lors de cet entretien, E7 ajoute :

Je dis que Le Rivage, ce n’est pas pour les personnes avec un problème de santé mentale. Mais les personnes qui sont ici, on a un problème de santé mentale. […] Tout le monde a une raison pour être ici. D’habitude, c’est une problématique de santé mentale ou elles sont vraiment isolées chez eux. […] Mais quand elles viennent ici, elles ne se sentent peut-être pas comme ça parce qu’on a tous ça. […] Mais personne ne le demande vraiment. Personne ne m’a vraiment demandé ce que j’avais. […] Non pas qu’ils s’en foutent, mais ce n’est pas qui je suis. Je ne suis pas comme… juste un diagnostic. Ils ne se soucient pas de ce que j’ai. (E7)

E7 confirme que les membres qui fréquentent Le Rivage ont un problème de santé mentale, mais celui-ci n’est pas mis de l’avant. Le diagnostic est certes une composante de la personne, mais il ne la définit pas et il n’occulte pas l’ensemble de celle-ci et la personne est accueillie dans sa globalité. La personne n’est pas fragmentée ou réduite à être « juste un diagnostic ». On reconnaît la personne dans son intégralité. E3, une intervenante externe à la ressource, observe que Le Rivage ne fait pas seulement reconnaître ces membres, mais aussi qu’il les invite à se reconnaître eux-mêmes :

En reconnaissant… d’abord en reconnaissant la valeur de tous ces gens-là à parts égales dans la société. De dire que ce n’est pas parce que tu as un problème de santé mentale que tu as besoin nécessairement d’être pris en charge. […] Qu’ils reconnaissent leur pleine place, pis leur pleine

participation, pis leur pleine légitimité à participer dans le développement de leur milieu. De leur milieu pis leur milieu, la première

place qui a cette reconnaissance-là faut qu’elle soit, c’est dans leur milieu…

dans leur personne. (E3)

E3 parle de la reconnaissance et l’amène à sa dimension intime, dans le rapport à soi, c’est-à-dire la participation à un milieu pour arriver à se reconnaître et se respecter soi- même tel que l’on est. Elle mentionne aussi l’autonomie de la personne et la dignité retrouvée de « par leur pleine place, leur pleine participation » et « leur pleine légitimité à participer au développement de leur milieu ». En croisant les propos de E7 et E3, nous voyons que le respect et la reconnaissance de soi se lient en même temps à la participation et à la constitution d’un respect de soi, lieu de respect de et de reconnaissance de l’autre. La lutte pour la reconnaissance et le respect de soi est indissociable de celle de reconnaissance et de respect de l’autre. C’est ce type d’espaces communicationnels que cherche à libérer l’organisme.

Voici un extrait de notre journal de bord qui relate le propos d’une participante lors de la

Journée de réflexion collective de 25 janvier 2018 :

Au Rivage, on se sent respecté même si l’on ne va pas super bien. Il y a des « bonjours » de tout le monde. Au Rivage, le regard de l’autre ne nous

diminue pas. Il y a un respect de tout le monde. Ailleurs, on a l’air de personnes pas intéressantes, on a l’impression de déranger, d’être de trop. (Participante), (Lévesque, 2017-2018, p. 40)

Ce témoignage, en plus de refléter les valeurs d’accueil, de respect et de dignité du Rivage, rend compte d’une identité minorée dans d’autres lieux. Dans d’autres lieux, l’expérience de discrédit que vit cette participante dans ses interactions sociales fait en sorte qu’elle se sent comme étant inappropriée, sans valeur, voire que sa présence n’est pas souhaitée. Ce vécu tient de ce que Honneth (2007) identifie comme le mépris et l’humiliation associés à des expériences de non-reconnaissance. À l’inverse, les expériences vécues à l’intérieur du Rivage témoignent d’une reconnaissance sociale qui se traduit par l’intérêt mutuel des participants les uns envers les autres que permet ce lieu de rencontre. Honneth, par ailleurs, lie l’expérience de la reconnaissance à des sentiments de confiance, de respect et d’estime dans le rapport à soi-même. C’est ce que E3 nomme plus haut quand elle dit « la première place qui a cette reconnaissance-là c’est dans leur milieu… dans leur personne. » Le propos « on se sent respecté » de la participante évoquée plus haut témoigne de cette expérience de reconnaissance et de fierté de soi vécu par l’entremise du Rivage.

À l’opposé, lorsque la participante parle d’une « impression de déranger, d’être de trop » et d’avoir « l’air de personnes pas intéressantes », elle exprime un ressenti désagréable, une invalidation identitaire générée par la participation à d’autres espaces. Le regard invalidant de l’autre produit le stigmate (Kirouac, 2017 référant à Goffman, 1975) de même que la diminution de la personne dans sa capacité d’être et d’agir (Ricoeur, 2004). L’espace communicationnel et ouvert du Rivage vise exactement le processus opposé. En bref, les pratiques et interactions qui prennent place au Rivage font en sorte que les personnes se sentent accueillies et acceptées. L’accueil engendre un espace supplémentaire d’inclusion ; inclusion qui est alors vécue et ressentie. Nous lions ici les aspects de reconnaissance et de transformation sociale. La reconnaissance de soi et de

l’autre se fait dans un mouvement de va-et-vient de soi vers l’autre. S’initie alors une transformation de soi et de l’interaction avec l’autre. C’est en ce sens que nous lions les pratiques de reconnaissance mutuelle présentes et agissantes au Rivage à la mise en place d’espaces sociaux d’affirmation identitaire positive de soi de groupes stigmatisés socialement.

Outline

Documents relatifs