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Carte 3.5: Localisation des Bezirke berlinois

1.2 Le financement de la culture à Paris et à Berlin

1.2.1 Les financements publics de la culture

La participation des organismes publics au financement de la culture joue tout d'abord un rôle important dans un secteur où la rentabilité économique n'est pas nécessairement de mise et où l'allocation de valeur symbolique ne s'accompagne pas toujours de bénéfices, comme c'est le cas du patrimoine architectural et muséal par exemple. La répartition des dépenses publiques pour la culture diffère en France et en Allemagne, ce qui résulte principalement des différences d'organisation politique entre les deux pays. Comparer les paysages culturels parisiens et berlinois invite ainsi à prêter attention aux différences existant entre une organisation relevant d'un système fédéral et octroyant l'essentiel des compétences en la matière à l'entité politique berlinoise, et une organisation centralisée, où les compétences se divisent entre un État omniprésent, une région parmi les plus 63 Le mot Kiez désignait à l'origine les faubourgs de pêcheurs slaves installés à proximité des villes allemandes et dérive

puissantes du pays du point de vue économique, le département et la Ville de Paris (tableau 2.2). Les objectifs de la poursuite de politiques culturelles publiques apparaissent pourtant similaires dans leurs grands traits : elles visent toutes deux à corriger les déséquilibres dus à une moindre marchandisation du secteur culturel, à la préservation et à la valorisation du patrimoine existant et à l'encouragement de la production. Cependant, on peut observer quelques différences fondamentales.

Les dépenses publiques en matière de culture sont réparties en Allemagne entre l'État, le Bund, qui prend en charge les dépenses d'intérêt national (12,6% du total des dépenses culturelles publiques en 200764,voir tableau 2.2), les Länder et les communes et associations de droit public comme les syndicats intercommunaux (Zweckverbände), à même proportion, 44,4% chacun en 2007, mais qui traduit dans les faits un recul du budget communal et une hausse de celui des Länder d'un peu plus de 5 points entre 2006 et 2007. Le Land de Berlin fait partie des Länder allemands octroyant les budgets les plus importants au financement de la culture (155 euros par an et par habitant), ce qui représente la part du PIB la plus importante d'Allemagne, mais il arrive derrière Hambourg (192 euros par an et par habitant) et la Saxe (171 euros par an et par habitant), exception faite du budget alloué à la formation artistique où la Ville-État arrive en tête. Cette répartition des compétences est le fruit d'une redistribution post-réunification dans les Länder de l'ex-RDA, dont l'ancien Berlin-Est fait partie. Le système fédéraliste adopté par la RFA en matière de politique culturelle s'est en effet progressivement imposé à l'ensemble de l'Allemagne. Le Land de Berlin a été le laboratoire de cette réunification et les réorganisations administratives à partir de 1992 ont permis progressivement l'harmonisation de la politique culturelles au profit d'un système fédéraliste (Grésillon, 2002; Laborier, 1996).

Les découpages administratifs sont sensiblement les mêmes en France et la décentralisation tend à accorder davantage de prérogatives aux communes et aux collectivités territoriales même si celles de l'Etat central restent importantes. Le budget du Ministère de la Culture, qui comprend à la fois les services centralisés comme la gestion du patrimoine national et les services d'État déconcentrés, à l'instar des Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC), représentent en 2006 près d'un tiers des dépenses publiques totales, soit trois fois plus qu'en Allemagne. Les dépenses des communes de plus de 10000 habitants et celles des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) représentent quant à elles, comme en Allemagne, la participation publique la plus importante, couvrant 52% du total, les dépenses départementales représentant un peu plus d'un dixième et celles des régions moitié moins.

Tableau 3.2: Financement public de la culture en France et en Allemagne

France (2006)65

Total (en millions d'Euros)

Total (en %) Allemagne (2007)

Total (en millions d'Euros)

Total (en %) État

(dont DRAC) 2946,8 29,5 Bund 1065,8 12,6

Régions 555,6 5,6 Länder 3633,8 44,4 Départements 1292,21 12,9 Communes de plus de 10000 habitants 4357 43,6 Communes/ Communautés de communes 3759,9 43 EPCI 842 8,4 Total 9993,6 100 Total 8459,5 100

Sources : Source: DEPS, 2011, Destatis, 2011

La présence de l'État dans le domaine culturel est particulièrement importante en Île-de-France, qui concentrent 11% des musées nationaux, 4 des 5 théâtres nationaux66, un Fond Régional d'Art Contemporain (FRAC), Le Plateau, et les services de l'administration centrale du Ministère de la Culture comme la Délégation aux Arts Plastiques (DAP), le Centre National des Arts Plastiques (CNAP), qui gère le Fond National d'Art contemporain67 ou encore le Département des Études, de la Prospective et des Statistiques (DEPS). Paris centralise aussi d'autres organismes dont dépend le secteur des arts visuels comme la Maison des Artistes, siège du régime de sécurité sociale des artistes plasticiens. L'importance du rôle joué par le pouvoir central constitue la différence la plus importante entre les cas parisien et berlinois. Berlin est une Ville-État dont la plus grande part du budget culturel est administrée, depuis la réunification, par le Sénat du Land de Berlin, principal interlocuteur en terme de politique culturelle (Grésillon, 2002). Plusieurs infrastructures dépendent toutefois des aides d'État à l'instar du Staatsoper. Les Kulturämte (services culturels) des différents Bezirke ont également des prérogatives en matières de politique culturelle, peuvent définir des priorités et font figure d'interlocuteurs privilégiés à cet échelon mais ils disposent de peu de moyens de financement directs en comparaison avec ceux du Sénat.

La répartition des subventions communales à la culture (figures 3.1 et 3.2) montre que les arts plastiques reçoivent moins de subventions directes que le spectacle vivant68. Ce constat est à relativiser dans la mesure où ni la commune ni le Land ne sont les seuls bailleurs publics. De plus, certaines aides peuvent être comprises dans le soutien aux expositions et aux musées, à l'administration, aux écoles d'arts et aux autres subventions.

Paris et Berlin font toutefois partie de deux états où les prérogatives en matière culturelle s'étendent désormais au soutien à la création, dans une logique de « révolutionnarisme culturel », selon le terme de J.C Passeron utilisé pour désigner une des fins de l'action culturelle (Passeron, 1991: 294), celle 65 Les chiffres sont ceux de 2006, année pour laquelle les estimations des dépenses communales sont les plus récentes. 66 Source : (Lacroix, 2009)

67 Le Fond National d'Art Contemporain est une collection d'œuvres contemporaine appartenant à l'État et gérée par lui. Il diffère des Fonds Régionaux d'Art Contemporain par son envergure nationale.

68 Les parts de budget par poste sont comparables dans les cas français et allemands. Les ordres de grandeur des budgets présentés varient eux du simple au triple notamment en raison de l'intégration dans le cas français des frais fixes de fonctionnement des établissements. On a toutefois choisi de faire figurer les montants en euros qui montrent les ordres de grandeurs dans lesquels s'inscrivent les budgets communaux alloués à la culture.

d'agir directement sur la création artistique. En France, même si les subventions restent moins importantes que dans le spectacle vivant, le soutien à la création et la relance du marché de l'art contemporain dépend largement de l'aide publique, selon le modèle partagé par de nombreux pays d' « État-providence culturel » mis en place à partir des années 1980 (Schnapper, 1996). Le montant des crédits consacrés aux arts plastiques a ainsi presque triplé entre 1981 et 1983 (Moulin, 2009a). L'exemple du soutien à la formation professionnelle des artistes illustre ce rôle des États dans le soutien à la création. Si l'on considère ainsi les budgets de la DRAC Île-de-France, qui dépend du Ministère de la Culture, et celui de la ville de Berlin, on remarque qu'un soutien important est accordé à la formation artistique supérieure à Paris (il atteint 5,5 millions d'euros en 2009) comme à Berlin, qui comptent toutes deux les écoles d'art les plus importantes de France et d'Allemagne comme l'École Nationale Supérieure des Beaux Arts ou l'école nationale supérieure Louis Lumière à Paris, l'école supérieure d'art Weissensee ou l'Universität der Künste (Udk, Université des arts) à Berlin.

Figure 3.1: Budget alloué à la culture en France en 2009

Source : DEPS 2011

Figure 3.2 : Budget alloué à la culture à Berlin en 2009

Source : Senatsverwaltung für Kulturangelegenheiten 2011

Le financement public de la culture en particulier représente un enjeu économique propre au secteur culturel mais aussi un enjeu de développement pour les villes, dans la mesure où il contribue à leur rayonnement et leur attractivité (chapitre 1). Cela se traduit dans la définition des enjeux des politiques culturelles que l'on peut résumer à deux grandes tendances à Paris comme à Berlin: l a première est celle d'une protection et d'un encouragement de la création locale comme enjeu

identitaire fort, la seconde, plus récente, qui considère les activités culturelles comme un moyen de s'affirmer comme une ville créative. La première tendance se traduit dans les politiques culturelles françaises par l'idée d'une « exception culturelle » qu'il faut valoriser et protéger (Benhamou, 2004). À Berlin, la mise en œuvre actuelle de politiques favorables à l'installation et au maintient des activités culturelles traduit davantage une volonté d'utiliser l'attractivité culturelle de la ville qu'un prosélytisme à la française. La culture fait aujourd'hui partie des chevaux de bataille des politiques du Land et de la municipalité, aidés par l'État fédéral, mais manque d'autant plus de moyens que les situations de crises économiques sont récurrentes et que celle de 2008 a creusé un déficit municipal déjà colossal.

Seconde tendance: Paris et Berlin ne dérogent pas à la règle d'une collusion toujours plus importante entre les intérêts économiques et politiques dans le secteur culturel. La politique berlinoise en la matière met particulièrement bien en évidence les enjeux et les espoirs que peut porter le secteur culturel, dont les édiles font la promotion de façon intensive depuis 2005, date du premier rapport du Sénat concernant l'économie culturelle (Kulturwirtschaft in Berlin. Entwicklung und Potenziale, 2005). Les enjeux d'image et d'internationalisation y apparaissent centraux, comme le montre cet extrait du rapport de 2008 concernant l'économie culturelle:

« La position de Berlin se laisse résumer ainsi:

– Berlin recherche l'échange avec d'autres métropoles et coopère de façon particulièrement intensive avec le réseau de ses villes partenaires

– Berlin fait partie de l'espace baltique, considéré comme spécialement dynamique et participe à nombre de projets européens

– Berlin utilise sa réputation de ville créative et de métropole culturelle dans l'image économique qu'elle présente à l'étranger69» (Kulturwirtschaft in Berlin. Entwicklungen und Potenziale, 2008)

Cet extrait montre bien les enjeux politiques de la valorisation de l'économie culturelle et traduit une volonté d'affirmer une image économique positive de la ville à l'échelle internationale via le développement de ce secteur.

Les enjeux des politiques culturelles rejoignent aussi, dans le cas parisien, ceux de l'économie créative. Les discours politiques montrent la volonté de favoriser le développement des industries culturelles, mais aussi celle de faire de la ville un environnement attractif pour les créateurs, en maîtrisant notamment les prix de l'immobilier (Voir : Paris à l’horizon 2030 : Ville musée ou Métropole créative ?, 2010)

L'importance de la compétition internationale dans les secteurs de l'innovation et de la créativité enjoint enfin les villes à mettre en place des politiques de soutien et de développement des activités de création qui donne lieu à une stratégie à l'échelle européenne. Le soutien aux industries culturelles et créatives figure à l'agenda 2010 du Livre Vert Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives.

Le financement public de la culture se fait à plusieurs échelles. Il représente un enjeu d'existence et de développement des structures et des acteurs culturels eux-mêmes, et parmi eux, des acteurs du 69 « Die Position Berlins lässt sich wie folgt zusammenfassen:

– Berlin sucht den Austausch mit anderen Metropolen und arbeitet insbesondere im Netz seiner Partnerstädte intensiv zusammen.

– Berlin ist Teil des als besonders dynamisch eingeschätzten Ostseeraums und beteiligt sich an europäischen Projekten. – Berlin nutzt seinen Ruf als kreative Stadt und Kulturmetropole für Wirtschaftspräsentationen im Ausland. »

monde de l'art contemporain. Il est également porteur d'enjeux politiques à différentes échelles, la culture apparaissant pour des métropoles comme Paris ou Berlin comme un facteur d'attractivité de la ville. Le soutien au secteur culturel passe aussi par le soutien aux acteurs privés qui jouent un rôle prépondérant dans l'économie de ce dernier.